04.11.2019, 11:43
(04.11.2019, 00:37)Hofnarr Felder a écrit : Je te remercie, Elendil, pour ces retours très intéressants et qui apportent beaucoup à la conversation.
Il y a une difficulté intrinsèque à la critique, qui est que, quand quelque chose nous rebute, ou ne nous intéresse pas, on est forcément amené à moins la connaître que ceux qui en sont férus.
Tant mieux que mes réponses t'aient au moins un peu intéressé. C'était le but.

(04.11.2019, 00:37)Hofnarr Felder a écrit : C'est l'esprit de la "grammaire des constructions" qui consiste à dire qu'il n'y a pas de syntaxe ou de lexique, mais un vaste inventaire de constructions qui se combinent et s'imbriquent. Cette approche est beaucoup plus fluide et flexible, mais elle interdit la description d'une langue de manière complète et exhaustive. Dans cette optique, la langue ne peut en fait se comprendre qu'à travers l'étude des faits de langue -c'est-à-dire des corpus oraux ou littéraires.
De fait, il est difficile d'avoir une description complètement exhaustive d'une langue, c'est assez évident. Je ne connaissais pas le terme de "grammaire des constructions", mais je vois le type d'approches qui s'y rapporte. Je dirais que c'est une idée intéressante, mais que cela ne peut fonctionner que sur les langues vivantes (et vivantes à l'oral) pour lesquelles on dispose déjà de descriptions précises à vocation normative. Pour les langues mortes, on aura plutôt tendance à parler des spécificités de tel ou tel auteur, faute de savoir précisément s'il s'agissait d'un usage purement individuel et littéraire ou s'il adoptait des tournures dialectales possiblement répandues à son époque.
Au demeurant, je ne défendrais pas la norme comme horizon indépassable, mais plutôt comme modèle de base qui permet ensuite de s'essayer à des approches plus subtiles et sans doute plus subjectives (en d'autres termes, il faut d'abord construire avant de vouloir déconstruire). Et j'aurais tendance à dire que Tolkien est très conscient de cela, puisqu'il donne rarement une correspondance mot à mot, mais cerne chaque mot elfique avec une précision variable et parfois de longues définitions lorsqu'il s'efforce de bâtir un concept manifestement non-humain dans le cadre de son Légendaire. Il lui arrive aussi assez fréquemment d'utiliser un mot dans un poème de manière assez différente des définitions qu'il avait posées.
(04.11.2019, 00:37)Hofnarr Felder a écrit : Du point de vue sémantique, certains linguistes considèrent que le sens des mots doit se comprendre "en contexte", c'est-à-dire à travers la multiplicité de ses situations d'usage. C'est en particulier la position d'Anna Wierzbicka dont j'admire particulièrement les travaux. D'ailleurs, elle considère que culture et langue sont intimement liées et a beaucoup écrit sur le sujet, avec notamment l'idée qu'on ne peut comprendre une culture qu'à travers les mots qu'elle emploie principalement et le sens qu'elle leur donne.
Je ne considère pas que ce soit une orientation nouvelle, puisque Saussure envisageait déjà ces idées, qui ont maintes fois été explorées par les spécialistes de la sémiologie européenne, notamment Benveniste, Greimas et Eco, dans des perspectives assez différentes. Là encore, je pense que ce n'est pas un hasard si Tolkien mettait en correspondance mythologie et langage, et s'il a exploré les spécificités de ses sociétés elfiques (en fait, surtout la société des Ñoldor) au travers de réflexions linguistiques. C'est pour moi un des aspects qui fait justement la richesse de son oeuvre, sur un plan qui n'est plus vraiment littéraire. Peut-être en revanche est-ce un aspect qui a été assez peu étudié par les spécialistes des langues elfiques.
(04.11.2019, 00:37)Hofnarr Felder a écrit : Il me semble raisonnable de soutenir que, des deux tendances, Tolkien se rapproche nettement plus de la dernière, ne serait-ce que dans l'approche qu'il avait, lui, des langues vivantes.
Sur ce point par contre, je me demande ce qui te fait dire cela, parce que ce n'est pas vraiment mon impression, du moins si je mets en regard les nombreux commentaires de Tolkien sur l'étude de l'anglo-saxon, du norrois ou même du gallois.
(04.11.2019, 00:37)Hofnarr Felder a écrit : Je crois en fait que celle-ci proscrit la possibilité d'inventer une langue ; ou alors par itérations, par une pratique laissée libre autant que possible, et si possible une pratique partagée, qui ne s'arrête pas à un seul individu qui juge de la correction ou non de telle ou telle forme.
Je dirais que l'itération est précisément la méthode d'invention tolkienienne par excellence, mais en effet, il s'agit d'une itération qui se voulait strictement individuelle.
Certes, comme tu le soulignes, il y aura toujours une différence perçue entre l'elfique tolkienien et les langues qu'on appelle néo-elfiques, mais c'est un peu le même type de différences qu'on peut observer entre le latin classique, enseigné comme base, et les différents dialectes latins dont on a conservé des traces, sans parler du latin que certains continuent à employer comme langue vivante à l'oral ou à l'écrit. Et c'est une différence qu'on peut aussi percevoir entre le statut de l'oeuvre littéraire de Tolkien et des différentes adaptations dont elle a fait l'objet.
Toutefois, cette question dépasse très largement la question de la méthodologie et de la présentation des langues inventées par Tolkien pour aborder un sujet bien plus complexe, à savoir l'attitude à avoir vis-à-vis des œuvres d'art et la façon dont elles peuvent constituer un héritage culturel : conservation, imitation, prolongation, détournement, etc. Sujet rendu d'autant plus complexe par l'invention relativement récente du concept des droits d'auteur.

Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland