04.11.2019, 00:37
Je te remercie, Elendil, pour ces retours très intéressants et qui apportent beaucoup à la conversation.
Il y a une difficulté intrinsèque à la critique, qui est que, quand quelque chose nous rebute, ou ne nous intéresse pas, on est forcément amené à moins la connaître que ceux qui en sont férus. Tenter d'aller outre cette impression subjective et de l'approfondir en examinant plus attentivement la matière s'expose au risque d'une contradiction systématique de ceux qui connaissent. Et en effet, pour tous les points que je pourrais soulever, il serait facile de noter telle approximation, tel raccourci, voire d'apporter tel contre-exemple ; et c'est intéressant. Mais, comme nous sommes dans le cadre d'un sondage et donc d'un échange d'opinions, je m'en garde à ma position sans trop chercher à l'étayer par l'examen d'un sujet qui, précisément, n'est pas le moins du monde à mon goût.
Pour aller plus loin que ces remarques d'ordre général pas très constructives, je dirai qu'aujourd'hui, dans certaines écoles de linguistique du moins, la description d'une langue ne cherche plus à être intégrale et exhaustive, et qu'on essaie au contraire d'étudier la langue comme un phénomène, dont on ne maîtrise pas forcément les logiques et qu'on ne saurait réduire entièrement à une description systémique. C'est l'esprit de la "grammaire des constructions" qui consiste à dire qu'il n'y a pas de syntaxe ou de lexique, mais un vaste inventaire de constructions qui se combinent et s'imbriquent. Cette approche est beaucoup plus fluide et flexible, mais elle interdit la description d'une langue de manière complète et exhaustive. Dans cette optique, la langue ne peut en fait se comprendre qu'à travers l'étude des faits de langue -c'est-à-dire des corpus oraux ou littéraires.
Du point de vue sémantique, certains linguistes considèrent que le sens des mots doit se comprendre "en contexte", c'est-à-dire à travers la multiplicité de ses situations d'usage. C'est en particulier la position d'Anna Wierzbicka dont j'admire particulièrement les travaux. D'ailleurs, elle considère que culture et langue sont intimement liées et a beaucoup écrit sur le sujet, avec notamment l'idée qu'on ne peut comprendre une culture qu'à travers les mots qu'elle emploie principalement et le sens qu'elle leur donne.
Évidemment, on peut facilement me répondre que ces approches ne donnent pas une clef, une méthode pour inventer une langue -qu'elles nécessitent au contraire de pouvoir s'appuyer sur la langue pour en faire sens. En ce sens elles contrastent assez fortement avec les approches génératives, d'après lesquelles la langue peut se déduire de principes de grammaire d'une part, d'un lexique de l'autre : un traité de grammaire et un dictionnaire suffisent a priori pour connaître une langue. Il me semble raisonnable de soutenir que, des deux tendances, Tolkien se rapproche nettement plus de la dernière, ne serait-ce que dans l'approche qu'il avait, lui, des langues vivantes.
Je n'ai aucune idée de la manière dont il faudrait procéder pour inventer une langue en partant des principes de la grammaire des constructions. Je crois en fait que celle-ci proscrit la possibilité d'inventer une langue ; ou alors par itérations, par une pratique laissée libre autant que possible, et si possible une pratique partagée, qui ne s'arrête pas à un seul individu qui juge de la correction ou non de telle ou telle forme. C'est pourtant bel et bien le cas avec les langues elfiques : on ne peut pas parler elfique car en-dehors des limites tracées par Tolkien, on ne sait pas ce qui est conforme ou non. En ce sens les langues inventées de Tolkien sont des langues mortes, réservées à un jeu d'érudition, condamnées à un statut figé et parcellaire, et qui n'ont pas, je réemploie le même terme que précédemment, de ressort propre. Je suis cependant curieux des tentatives d'écrire en quenya ; ta traduction des Psaumes, Elendil, me paraît par exemple une approche intéressante et féconde, propre à me faire changer d'avis.
Un dernier point : je ne pense pas que les langues inventées soient condamnées à une telle stérilité. L'esperanto est pour moi un contre-exemple heureux et bienvenu, car il s'est développé de manière relativement libre, donnant lieu à une production littéraire, musicale, etc., qui dépasse ses possibilités d'usage initiales. En règle générale, je m'intéresse trop peu aux langues inventées pour soutenir un long débat sur la question, et je ne sais pas si d'autres langues, comme par exemple le klingon, ont aussi su dépasser le carcan de l'esprit de leur créateur.
Il y a une difficulté intrinsèque à la critique, qui est que, quand quelque chose nous rebute, ou ne nous intéresse pas, on est forcément amené à moins la connaître que ceux qui en sont férus. Tenter d'aller outre cette impression subjective et de l'approfondir en examinant plus attentivement la matière s'expose au risque d'une contradiction systématique de ceux qui connaissent. Et en effet, pour tous les points que je pourrais soulever, il serait facile de noter telle approximation, tel raccourci, voire d'apporter tel contre-exemple ; et c'est intéressant. Mais, comme nous sommes dans le cadre d'un sondage et donc d'un échange d'opinions, je m'en garde à ma position sans trop chercher à l'étayer par l'examen d'un sujet qui, précisément, n'est pas le moins du monde à mon goût.
Pour aller plus loin que ces remarques d'ordre général pas très constructives, je dirai qu'aujourd'hui, dans certaines écoles de linguistique du moins, la description d'une langue ne cherche plus à être intégrale et exhaustive, et qu'on essaie au contraire d'étudier la langue comme un phénomène, dont on ne maîtrise pas forcément les logiques et qu'on ne saurait réduire entièrement à une description systémique. C'est l'esprit de la "grammaire des constructions" qui consiste à dire qu'il n'y a pas de syntaxe ou de lexique, mais un vaste inventaire de constructions qui se combinent et s'imbriquent. Cette approche est beaucoup plus fluide et flexible, mais elle interdit la description d'une langue de manière complète et exhaustive. Dans cette optique, la langue ne peut en fait se comprendre qu'à travers l'étude des faits de langue -c'est-à-dire des corpus oraux ou littéraires.
Du point de vue sémantique, certains linguistes considèrent que le sens des mots doit se comprendre "en contexte", c'est-à-dire à travers la multiplicité de ses situations d'usage. C'est en particulier la position d'Anna Wierzbicka dont j'admire particulièrement les travaux. D'ailleurs, elle considère que culture et langue sont intimement liées et a beaucoup écrit sur le sujet, avec notamment l'idée qu'on ne peut comprendre une culture qu'à travers les mots qu'elle emploie principalement et le sens qu'elle leur donne.
Évidemment, on peut facilement me répondre que ces approches ne donnent pas une clef, une méthode pour inventer une langue -qu'elles nécessitent au contraire de pouvoir s'appuyer sur la langue pour en faire sens. En ce sens elles contrastent assez fortement avec les approches génératives, d'après lesquelles la langue peut se déduire de principes de grammaire d'une part, d'un lexique de l'autre : un traité de grammaire et un dictionnaire suffisent a priori pour connaître une langue. Il me semble raisonnable de soutenir que, des deux tendances, Tolkien se rapproche nettement plus de la dernière, ne serait-ce que dans l'approche qu'il avait, lui, des langues vivantes.
Je n'ai aucune idée de la manière dont il faudrait procéder pour inventer une langue en partant des principes de la grammaire des constructions. Je crois en fait que celle-ci proscrit la possibilité d'inventer une langue ; ou alors par itérations, par une pratique laissée libre autant que possible, et si possible une pratique partagée, qui ne s'arrête pas à un seul individu qui juge de la correction ou non de telle ou telle forme. C'est pourtant bel et bien le cas avec les langues elfiques : on ne peut pas parler elfique car en-dehors des limites tracées par Tolkien, on ne sait pas ce qui est conforme ou non. En ce sens les langues inventées de Tolkien sont des langues mortes, réservées à un jeu d'érudition, condamnées à un statut figé et parcellaire, et qui n'ont pas, je réemploie le même terme que précédemment, de ressort propre. Je suis cependant curieux des tentatives d'écrire en quenya ; ta traduction des Psaumes, Elendil, me paraît par exemple une approche intéressante et féconde, propre à me faire changer d'avis.
Un dernier point : je ne pense pas que les langues inventées soient condamnées à une telle stérilité. L'esperanto est pour moi un contre-exemple heureux et bienvenu, car il s'est développé de manière relativement libre, donnant lieu à une production littéraire, musicale, etc., qui dépasse ses possibilités d'usage initiales. En règle générale, je m'intéresse trop peu aux langues inventées pour soutenir un long débat sur la question, et je ne sais pas si d'autres langues, comme par exemple le klingon, ont aussi su dépasser le carcan de l'esprit de leur créateur.