(03.10.2014, 11:37)Sahne a écrit : Dans un sens j'ai plus de mal à mettre sur le même plan Lovecraft (fantastique) et Tolkien (fantasy), que Tolkien et Howard (bien que tout dépende toujours des écrits et non des auteurs).
En effet, tout dépend de la focale que l'on choisit pour une étude donnée, vis-à-vis de tel ou tel auteur et de tel ou tel aspect de son oeuvre. Tolkien est surtout connu pour sa Terre du Milieu. Howard est surtout connu pour son Âge Hyborien. Dans les deux cas, il y a deux mondes secondaires relevant de la fantasy. C'est là que des choses peuvent éventuellement être mises sur le même plan, sachant que les œuvres de ces deux auteurs ne se limitent cependant pas à ce pourquoi ils sont surtout connu sur le plan littéraire. Concernant Lovecraft, il est surtout connu pour des récits relevant plutôt du fantastique (irruption du surnaturel dans le "réel"), ce qui le rend a priori distinct des œuvres que je viens d'évoquer. Mais d'une part, il n'a pas écrit que ces récits-là, et d'autre part des parallèles peuvent évidemment diversement être faits entre les travaux de ces trois écrivains : c'est particulièrement le cas avec Howard, qui connaissait très bien Lovecraft au point d'avoir longuement correspondu avec lui, mais ce peut être aussi le cas avec Tolkien, qui est à peu près de la même génération que Lovecraft, tout deux ayant notamment eu Lord Dunsany parmi leurs lectures commune, etc.
(03.10.2014, 11:37)Sahne a écrit : Bon ok c'est encore moins clair maintenant , c'est ça ? Erf! je suis désolée! Du coup pour tes recherches tu ne fais aucune distinction entre fantastique et fantasy ?
Ne t'inquiètes pas, Sahne : pour moi, c'est très clair.
Concernant la distinction entre fantastique et fantasy, pour prendre des exemples du XIXe siècle, il y a clairement une différence pour moi entre Le Horla de Guy de Maupassant et The Water of the Wondrous Isles (Le Lac aux Îles Enchantées) de William Morris, deux auteurs que j'aime beaucoup par ailleurs.
(03.10.2014, 14:16)Sahne a écrit : En gros n'est ce pas parce qu'il existe des catégories que je peux interroger ce qui fait la spécificité des oeuvres et leurs liens entre elles, leurs influences réciproques...
Absolument !
C'est pour cela que, personnellement, je ne suis pas d'accord, par exemple, avec le discours consistant à dire "il faut distinguer Tolkien de l'heroic fantasy" en sous-entendant, en fait, que dans cette case-là se trouverait des auteurs supposés a priori complètement différents de Tolkien, alors qu'ils ont surtout souvent le défaut de ne pas intéresser la personne qui tient ce discours : s'il faut remettre en cause les sous-catégorisations - et il le faut ! -, cela doit concerner absolument tous les auteurs de fantasy, sans chercher à privilégier un auteur plutôt qu'un autre.
Si l'on veut interroger ce qui fait la spécificité des œuvres et leurs liens entre elles, comme tu l'écris, il me parait essentiel de revenir aux auteurs, sans vouloir hiérarchiser ou utiliser des sous-catégories convenues comme repoussoir, et contextualiser vis-à-vis de la réception de ces auteurs de façon plus globale.
La fantasy européenne (celle de Tolkien, notamment) et la fantasy américaine (celle de Howard, notamment) ont convergé à partir des années 1960-1970, en particulier via le jeu de rôle, vers ce qui est devenu un ensemble commun, appréhendé comme tel par un large public, et qui est devenu un phénomène culturel planétaire loin de se limiter à la littérature. C'est dans ce contexte-là qu'il me parait intéressant de revenir aux sources littéraires, aux auteurs, pour voir d'où tout est parti, sans chercher isoler tel ou tel écrivain : ni l'isoler des autres écrivains sous prétexte de sous-catégorisation, ni l'isoler de la réception sans laquelle son oeuvre ne serait pas ce qu'elle est.
(03.10.2014, 14:16)Sahne a écrit : Elendil, Tu dis "l'inadéquation des catégories au-delà d'un certain niveau de détail ": je dis oui, depuis le début, mais c'est le "certain niveau de détail" que j'interroge justement, la variable "univers complet séparé du nôtre" n'est peut être pas la bonne mais ce n'est pas un détail. "certes les catégories sont intéressantes pour structurer notre image mentale d'un genre littéraire, mais les frontières sont forcément poreuses et indécises. Si le Seigneur des Anneaux est indiscutablement de la fantasy, qu'en est-il de la Chute d'Arthur ou des Archives du Notion Club ?". Les catégories sont en effet intéressantes pour saisir cette richesse littéraire, ensuite que les frontières soient poreuses et mouvantes c'est normal, ce sont des catégories théoriques et non de la phénoménologie.
C'est pour cela qu'il me parait important de ne pas enfermer non plus les écrivains dans le seul genre de la fantasy, car cette dernière peut renvoyer à certaines œuvres de tel ou tel écrivain mais pas forcément à toutes, à l'évidence. C'est tout particulièrement le cas de Robert E. Howard, qui est surtout connu pour ses récits de fantasy, mais qui a écrit beaucoup d'autres récits relevant de nombreux autres genres (notamment des récits d'aventures historiques), ainsi que de la poésie. C'est un peu moins le cas pour Tolkien, qui a consacré l'essentiel de son œuvre à son "Légendaire", mais tous ses écrits ne relèvent pas cependant pour autant de la fantasy. Quant à H. P. Lovecraft, comme Elendil l'a évoqué, certaines de ses œuvres, influencées par Lord Dunsany, relèvent de la fantasy, quand d'autres récits, souvent les plus connus, peuvent être rattachés au fantastique, voire à la science-fiction.
Bref, il y a plusieurs possibilités, et tout dépends du postulat de départ, mais je crois qu'en fait il faut tenir compte conjointement de deux aspects essentiels :
- l'auteur considéré pour lui-même d'une part (sans catégorisation ni hiérarchie a priori vis-à-vis d'autres écrivains) ;
- l'œuvre de fantasy de cet auteur d'autre part, en lien avec la réception du genre.
Les deux aspects ne me paraissent pas incompatibles dès lors que les choses sont clairement posées dès le départ.
(03.10.2014, 14:16)Sahne a écrit : D'où mon questionnement, car vous n'êtes aussi pas sans savoir l'importance d'une approche formelle au sein de l'académisme universitaire aujourd'hui.
J'avoue avoir fréquenté suffisamment longtemps l'université pour apprécier aujourd'hui la liberté formelle (qui n'empêche pas le sérieux sur le fond) du travail en free lance...
(03.10.2014, 14:16)Sahne a écrit : Quand à mon questionnement de base sur la différence de vocabulaire, c'est parce que, catégories pertinentes ou non, tout le monde semble parlait de la même chose et pourtant il n'en est rien. Les catégories sont barbantes certes, mais un laxisme sur les définitions, même simple et amples, est catastrophique, c'est ainsi qu'on se retrouve avec des gens qui parlent d'Heroic fantasy pour parler en fait de fantasy épique, de fantastique pour parler de science-fiction, rien de grave! Mais ça rend l'élaboration d'études communes très compliquée.
Prenons la définition d'Anne Besson que j'ai évoqué : "La fantasy est un genre fictionnel aux expressions plurimédiatiques et très diversifiées : prenant le contre-pied de la modernité industrielle, elle fait régner le merveilleux dans des cadres imaginaires, passés ou actuels, à destination d'un large public." Personnellement, je me permets de compléter cette définition en rajoutant qu’en ce qui concerne les "cadres imaginaires, passés ou actuels", ceux-ci peuvent également se situer dans le futur : je pense notamment à des œuvres comme celles d'Anne McCaffrey ou de Robert Silverberg, dans lesquelles se mêlent des éléments relevant de la fantasy et des éléments relevant de la science-fiction.
En partant de ce postulat de base, et en tenant compte des deux aspects essentiels que j'ai évoqué précédemment, je pense que, malgré tout, il existe des marges de manœuvre pour l'élaboration d'études communes. Il ne faut simplement pas avoir peur de bousculer quelques "certitudes" sous prétexte que personne n'a jamais su ou voulu remettre en cause certaines "expertises" n'ayant pas vocation à incarner une "vérité" éternelle. La fantasy est un genre en perpétuelle évolution et redéfinition, malgré la réputation passéiste et statique du genre. Et d'autre part, comme l'a écrit Isabelle Pantin dans son article publié dans le recueil Tolkien aujourd'hui, "c'est une vérité première : la succession perpétuelle de lectures non répétitives est la seule chose qui maintienne en vie les œuvres littéraires." Bref, dans le domaine des auteurs de fantasy, en soignant son vocabulaire et en s'efforçant d'être clair dans sa démarche, je pense qu'il y a matière à sortir intelligemment des sentiers battus.
Et pas de complexe d'infériorité ! Que l'on soit ou non universitaire, nous sommes tous des êtres humains, faillibles et imparfaits.
(03.10.2014, 11:37)Sahne a écrit : D'ailleurs, tu travailles sur la littérature fantasy? sur J.R.R. Tolkien? En littérature comparée ? *curieuse*
Disons que je travaille un peu sur tout cela, en free lance donc. Je t'envoie plus de précisions en message privé.
Amicalement,
Hyarion.
(EDIT: corrections de fautes dans mon message)
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)