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Bonjour à toutes et à tous,
En préambule je vous demanderai de bien vouloir être indulgents à la lecture de ce message, et ce pour deux raisons : il traite de quelque chose de ressenti, par conséquent difficile à transcrire à l’aide de mots, ensuite je ne suis pas un habitué des longs écrits, préférant les débats et présentations d’idée à l’oral.
Tout d’abord un bref historique de mon rapport à l’œuvre de Tolkien.
J’ai commencé à lire Tolkien à l’âge de 10 ans environ c’est-à-dire il y a 30 ans de cela. Comme beaucoup cela m’a émerveillé, m’a donné goût à la lecture en général et à tout ce qui est imaginaire, fantastique et sort de mon quotidien en particulier. Bien évidemment, l’adolescence pointant le bout de son nez, je suis tombé dans tout ce qui avait un rapport plus ou moins évident avec ce qu’on appelait encore à l’époque le médiéval fantastique. De là je me suis plongé dans les livres mais également les jeux de rôle, les jeux vidéo, les films, les BD, etc. Tolkien avait éveillé en moi ce goût et ce plaisir de l’évasion et de l’imagination.
Au fil des années, j’ai toujours conservé cet attrait et en particulier pour les écrits du professeur mais je m’y suis intéressé de manière plus « scolaire », plus en retenant les informations, en comparant, en étudiant, je ne sais trop quel terme utiliser. Les forums comme celui-ci m’ont apporté beaucoup d’informations, d’analyses, de points de vue, de débats et au fil du temps les choses ont commencé à changer.
Régulièrement je lisais des choses qui m’agaçaient, qui m’énervaient même, je voyais des affrontements entre les « puristes encyclopédiques » et les « laxistes rêveurs » et entre les deux mon cœur balançait.
Depuis, la flamme allumée il y a 30 ans de ça a commencé à faiblir car au milieu de tout cela j’ai réalisé que je ne rêvais plus. Les créations de Tolkien s’étaient éloignées de mes rêveries d’enfant.
Pourquoi ? Je ne sais trop dire et c’est justement pour cette raison que je vous livre mes états d’âme.
En réalité je crois savoir pourquoi : ce que je trouve en échangeant ici me confirme dans l’impression (je dis bien l’impression, pas l’idée) que le travail effectué par Tolkien est trop abouti et une fois qu’on a acquis la maturité pour le comprendre, il ne laisse plus place à l’imagination. En effet cela transparait et surtout est décuplé en lisant les sujets et les articles sur Tolkiendil ou ailleurs : où est le rêve, où se pose-t-on encore des questions à part sur la fiabilité de telle ou telle fait, la véracité de tel ou tel point de grammaire Sindarine ou que sais-je encore. Pour résumer de manière un peu lapidaire, pardonnez-moi, j’ai l’impression d’être dans un monde de chercheurs au CNRS et non plus dans celui des amoureux de Tolkien et ses créations.
Il faut dire que depuis les adaptations par Peter Jackson, les choses ont empiré, créant encore plus de factions, d’oppositions.
Bref, je suis un peu triste de tout cela car j’ai le sentiment d’avoir perdu une partie de mon enfance, de moi, de ce qui m’apportait un plaisir simple et je voulais vous le dire.
Merci de m’avoir lu et désolé si mes propos vous paraissent maladroits ou obscurs, telle n’est pas mon intention.
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Ce que tu dis est intéressant. Je relis le dictionnaire Tolkien actuellement (celui de V. Ferré) et ce qui y est dit sur le JdR m'a montré une perception je pense mauvaise du rapport de cette activité ludique par rapport à l'oeuvre Tolkien, et qui finalement confine à ce que tu décris :
Rôliste (et GNiste), je sais très bien qu'autant ces activités revendiquent Tolkien comme un des pères fondateurs (avec Lovecraft) mais à un titre plus éminent que les autres : c'était pour "rester" dans ces Terres du Milieu qui étaient si bien décrites que chaque horizon bruissait d'histoires et de lieux nouveaux que des jeunes boutonneux se sont mis à pousser des D20 et à structurer leurs balades dans l'intarissable Arda.
Mais les joueurs des jeux de rôles dans les Terres du Milieu sont une infime minorité, tant sur table qu'en GN car Tolkien peut être jugé ou "rasoir" par certains mais aussi et surtout, et c'est plus grave à mon sens (tout le monde lasse quelqu'un car personne ne peut plaire à tout le monde), car d'une part il y a des "ayatollahs auto-proclamés" de l'oeuvre (ils peuvent avoir raison mais leur pédanterie les maintient nécessairement dans l'erreur) et qui vous plombent une ambiance en reprenant les organisateurs/MJ et d'autre part les Terres du Milieu ont un côté très intimidant, comme un verre en cristal que l'on n'ose toucher pour ne pas le souiller. Tel Gimli dans Aglarond qui augurait le souci des Nains de ne pas saccager les Cavernes Étincelantes, inventer dans ce monde expose à en briser la poésie. Peu s'y risquent. La qualité des extensions n'a pas non plus favorisé la levée de ces appréhensions.
Par contre, avoir une édition de l'Anneau Unique ou de JRTM dans sa ludothèque est un signe de bon goût : se fier aux ventes n'est pas un bon indicateur. Et très peu de rôlistes avoueront ne pas avoir joué dans les Terres du Milieu ni ne pas avoir de fiche "active" dans ce monde, par respect pour l'oeuvre de Tolkien et son apport à la "culture commune" rôliste.
Je fais partie des rares et derniers MJ dans les jeux dans les Terres du Milieu -ma connaissance plutôt supérieure à la moyenne décomplexe un peu les joueurs. Mais c'est après avoir arrêté durant de longues années : j'avais tant lu le SdA, Bilbo, le Silm et les CLI que je les connaissais par coeur, au point de ne plus y trouver goût. Mais c'est en reprenant le JdR que j'ai repris pied dans l'oeuvre, car non elle n'est pas complète. Bien sûr c'est un bloc, mais il est comme un allophane, une structure fractale. On ne sait ainsi rien des Eriadoriens, les Suderons et les Orientaux, très peu des Woodmen, guère plus sur le Val... Et, quand on se met à l'échelle d'un joueur, les questions deviennent inépuisables : puisque la Vieille Route des Nains est fermée et le sentier des Elfes secret, comment passent les voyageurs ? A qui diantre le Rohan vent-il ses chevaux puisqu'il n'y a plus de grands pays pour leur acheter sinon le Gondor ? Même chose pour les Nains avec leurs armes et leurs bijoux ! De même, ces voyageurs qui remontent du Sud vers Bree, qu'y font-ils si l'Eriador est vide ? Cela oblige à des retours réguliers au texte, à fouiner, à fourgonner dans les Appendices pour comprendre -et la magie reprend ses droits car le rêve redémarre. On ressort de ces recherches avec une étoile sur le front...
Que vos barbes poussent toujours plus longues
Thorïn II Ecu-de-Chêne
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(30.01.2013, 19:33)Thorin II Ecu-de-Chêne a écrit : On ressort de ces recherches avec une étoile sur le front...
Oh, c'est très joli, cette dernière formule
Je peux comprendre ton ressenti, Gaffo.
La part de rêverie, à force d'analyse, de réflexion, de débats, finit par en prendre un coup derrière les oreilles.
Mais la vaste agitation intellectuelle que procurent les textes n'est pas seule en cause. Pour ce qui me concerne, elle donne au contraire une maturité différente à la rêverie...
En fait le vrai problème - surtout pour ce qui nous concerne tous les deux, et plusieurs autres dans ce forum - c'est qu'on en est pratiquement à la moitié de notre vie, et que nos affaires quotidiennes prennent sans doute beaucoup plus de place qu'on le voudrait dans le fonctionnement de notre cerveau de quadras ou presque-quadras.
C'est malheureusement une donnée incontournable.
On a beau faire en sorte que notre adolescence ne finissent jamais, discuter à longueur de temps comme des geeks sur des forums, mettre des capes d'elfes dans des festivals fantasy, boire des liqueurs fortes entre amis, s'inscrire à des tournois de troll-ball sur des plages estivales en faisant des clins d’œils aux filles de 20 ans en bikini et faire des blagues de potaches entre collègues en regardant au ralenti sur youtube le troll de la Moria dans une trilogie dont je ne prononcerai pas le nom, c'est quand même plus pareil qu'avant.
Et les liqueurs fortes font plus mal au crâne qu'il y a dix ans... et je ne parle pas du troll-ball incompatible avec les douleurs lombaires.
Pas facile d'analyser cette mélancolie au travers de ce constat du temps qui passe et qui nous échappe. Et pas facile de garder pour soi la rêverie enfantine qui s'enfuit par le goulot avec l'eau du bain sans qu'on puisse retenir ni l'un ni l'autre.
La rêverie d'adulte n'a évidemment pas la même saveur, les mêmes codes et elle est plus réceptive aux réalités décevantes qui nous entourent...
Mais il ne faut pas perdre le cap.
La mélancolie ne peut avoir qu'un temps.
En ce qui me concerne, Tolkien me fait rêver différemment, grâce aux ponts possibles vers toutes ces disciplines étonnantes, des géographies imaginaires à la cartographie ancienne, en passant par la botanique ou l'astrologie, sans compter la toponymie et l'onomastique...
Il y a encore tant de choses à apprendre et à découvrir, tant de choses à rêver, non plus dans Tolkien, mais grâce à Tolkien
I.
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30.01.2013, 20:39
(Modification du message : 30.01.2013, 20:47 par Faerestel.)
Je te comprends Gaffophone! mais écoute ceci,
Les 40 ans, je les ai dépassés et mes rêveries d'adolescent sont pour l'essentiel des souvenirs. Mais curieusement et de manière isolée l'univers de Tolkien témoigne toujours d'une saveur particulière bien que mes connaissances livresques, annexes et académiques s'accroissent avec le temps. C'est un peu comme si il s'agissait de deux sujets différents reliés par un passage souterrain. La féerie et l'étude de l'oeuvre. Et plus j'en apprends, plus de manière magique mon désir de véracité de la fiction est positivement renforcé. Avec moi Tolkien a réussi son pari qu'une construction minutieuse, étayée, documentée "en interne" en bien des points et brumeuse en quelques endroits bien choisis contribuent à la crédibilité du propos.
Lis les quelques mots sous ma signature, ils sont un témoignage de ce sentiment et le pseudo que j'ai choisi évoque aussi, du moins est-ce aussi avec cette idée que je l'ai créé, l'espoir d'une féérie.
Je te souhaite de garder l'étincelle!
Dorées les feuilles tombent, mais le rêve se poursuit
Là où l'espoir demeure, les eaux chantent sous la nuit
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30.01.2013, 20:50
(Modification du message : 31.01.2013, 14:59 par Thorin II Ecu-de-Chêne.)
Désolé pour l'analyse à la hussarde mais Tolkien, c'est comme Astérix : tu le lis et tu y prends plaisir en fonction de ton âge. Les enfants riront des facéties (gauloises ou hobbites) les plus potaches, les ados comprendront certaines allusions jusqu'alors incomprises et il en sera ainsi progressivement avec le temps... Sauf qu'Astérix, ben à 20 ans tu as à peu près tout compris.
Mais, pour Tolkien, si l'oeuvre est si immense et complexe c'est qu'elle s'apparente à ce qu'il a voulu qu'elle soit : une mythologie, donc avec des degrés de lecture et des messages allant du didactique évident au coup d'oeil à un vieux copain fourbu et blanchi -ainsi, toi aussi tu es passé par là...
L'amertume plane car cette oeuvre de vieillard est celle d'un homme comme nous, qui n'a pas voulu abdiquer le rêve. Pour tromper la mort ? Non, pour garder son oeil d'enfant, propre à s'émerveiller d'une vie qui lui survivra. C'est aussi pour cela que son oeuvre ne doit pas être uniquement disséquée comme une Bible le serait pas un inquisiteur. Piètres poètes que nous soyons, c'est avec notre médiocrité opiniâtre que nous devons aussi lire, et pas uniquement avec la raison au froid scalpel. Rester Smith et non point décatir en Nokes (pour faire plaisir à Isengar ).
Que vos barbes poussent toujours plus longues
Thorïn II Ecu-de-Chêne
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(30.01.2013, 16:46)Gaffophone a écrit : En effet cela transparait et surtout est décuplé en lisant les sujets et les articles sur Tolkiendil ou ailleurs : où est le rêve, où se pose-t-on encore des questions à part sur la fiabilité de telle ou telle fait, la véracité de tel ou tel point de grammaire Sindarine ou que sais-je encore. Pour résumer de manière un peu lapidaire, pardonnez-moi, j’ai l’impression d’être dans un monde de chercheurs au CNRS et non plus dans celui des amoureux de Tolkien et ses créations.
Je dois avouer que tu résumes mieux que moi-même mon propre ressenti. Je note d'ailleurs que ce que tu décris est valable pour tous les auteurs dont l'oeuvre est passée à la moulinette par des légions d'internautes tous plus érudits les uns que les autres. J'ai par exemple essayé de m'intéresser aux fora lovecraftiens et je me suis très vite aperçu que si je n'avais pas lu le second brouillon de la lettre du 14 janvier 1917 après-midi, je ne pouvais rien comprendre aux récits du bonhomme. C'est tout à fait déroutant.
Cependant, quand je lis des choses comme Promenades au Pays des Hobbits de JR R?Turlin (que je viens tout juste de recevoir), je retrouve à la fois des choses connues et un peu de ce je ne sais quoi poétique, nostalgique, qui m'avait au départ tant séduit dans les ouvrages du Professeur. Cette promenade, c'est un peu comme une bouffée d'air frais qui permet d'oublier toute cette industrie de l'analyse. C'en est presque réconfortant...
Tout ça pour dire que si je dois faire un choix entre la bouillie logorrhéique du net et ces bon vieux romans... Eh bien, c'est tout vu.
"Come Frodo, there! Where be you a-going? Old Tom Bombadil's not as blind as that yet. Take off your golden ring! Your hand's more fair without it."
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Merci Thorin, tu resumes parfaitement mon ressenti.
De temps en temps, en cas de panne de reves tolkienniens je prends plaisir à relire des passages des livres de JRTM et automatiquement cela me replonge dans mes anciennes parties et la magie revient.
L'autre méthode et de lire d'autres auteurs, ce qui permet d'apprécier la relecture de Tolkien
a.k.a Mairon
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Merci pour vos retours, je constate que je ne suis pas un cas isolé et que plusieurs ont plus ou moins eu le même ressenti ou la même réflexion.
@ Thrain : l'idée de lire "Promenades au Pays des Hobbits" est bonne. Je l'ai acheté mais n'ai pas encore pris le temps de m'y plonger, je vais faire ça rapidement car du peu que j'ai vu en le feuilletant, je pense y trouver un bon moyen d'évasion dans cet univers qui m'est si cher.
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Z'allez me faire rougir...
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(31.01.2013, 12:29)ISENGAR a écrit : Z'allez me faire rougir...
T'as trouvé le bon filon
Mais c'est vrai que tu as une façon d'écrire qui permet au lecteur à la fois de "s'instruire" tout en étant dans un état d'esprit de rêve et d'évasion.
"L'urgent est fait, l'impossible est en cours, pour les miracles prévoir un délai."
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13.12.2013, 12:28
(Modification du message : 13.12.2013, 12:29 par Crayon Volant.)
(30.01.2013, 16:46)Gaffophone a écrit : ...Depuis, la flamme allumée il y a 30 ans de ça a commencé à faiblir car au milieu de tout cela j’ai réalisé que je ne rêvais plus. Les créations de Tolkien s’étaient éloignées de mes rêveries d’enfant.
Pourquoi ? Je ne sais trop dire et c’est justement pour cette raison que je vous livre mes états d’âme.
...
Très interessant. Je trouve cela normal.
Ne pourrait-on pas dire tout simplement que trop de plaisir tue le plaisir ?
... Aussi, vouloir perpétuer un souvenir à l' infini peut devenir un enfer. D' ailleurs, qu' est devenu le souvenir en question dans ce cas là ? Probablement s' est-il noyé.
Parfois il vaut mieux se tenir à l' écart des grands axes et emprunter les petites rues quitte à rallonger le chemin. Ce petit moment de solitude qui nous ramène à l' essentiel et qui nous fait profiter du voyage.
Ca n' empêche pas de déguster Tolkien, mais je n' ai jamais gouté pour ma part le rapport entre son oeuvre et toute la (ré)création qui s' en réclame, JdR et compagnie...
Il me suffit de regarder par ma fenêtre pour ressentir le message le plus essentiel et le plus urgent de son 'Seigneur des Anneaux'. Il n' est pas bien compliqué à saisir. Tolkien a écrit avec son âme d' enfant, faculté qui est à même de voir au coeur de l' Homme. Toute la "science" qu' il y a mis n' est qu' un habillage, une simple necessité... Une fantaisie pourrait-on dire.
PS: j' aimerai bien lire Isengar moi aussi. Pas trop le temps malheureusement.
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