26.07.2017, 23:22
(Modification du message : 27.07.2017, 19:08 par Chiara Cadrich.)
J'ai moi aussi du mal avec l'irruption de la génération Y dans le schéma Bilbon - Frodon - Sam - Gollum - La compagnie.
Mais nous réagissons à une très courte interview, ce qui n'est guère favorable à l'auteur. Si je parviens à mettre la main sur cette thèse, je vous communiquerai le lien.
Par contre l'interrogation existentialiste à propos d'un texte d'inspiration si profondément chrétienne, m'a interpelée.
D'où cette digression "Existentialisme vs. Christianisme chez Tolkien", sur le thème de la Morale
Saint Thomas d’Aquin avançait qu’une « loi naturelle » réunit les êtres humains autour de quelques valeurs universelles, sans distinction de cultures ou de lois formelles. Ces valeurs, que l’on formulerait peut-être aujourd’hui comme le respect de la vie, la liberté, la justice, la solidarité, etc. prennent évidemment tout leur sens dans un contexte de groupe social, pour établir une limite entre bien et mal. La plus ancienne expression de la « loi révélée » - le décalogue - trouverait son fondement dans cette loi naturelle. Cependant la doctrine chrétienne ne se veut pas figée autour du respect mécanique du commandement de plaire à Dieu, mais invite chacun à questionner et cultiver sa conscience, c’est-à-dire exercer son libre arbitre à interpréter en pratique ces valeurs morales suggérées comme universelles.
De leur côté, les existentialistes réfutent qu'il existe une base objective, et donc partageable, aux décisions morales. Par conséquent il n’y a ni bien, ni mal. L’Homme ne peut s’appuyer sur une référence absolue et doit choisir ses propres valeurs, donnant ainsi un sens à sa vie. Dans cette optique, le seul jugement valable sur les actes humains ne concerne pas leur valeur, mais leur authenticité. Invoquer une morale préétablie, s’abriter derrière les conventions ou l’opinion des autres, n’est que la «mauvaise foi». Cette liberté absolue n'est pas la possibilité de faire n'importe quoi sans se préoccuper des conséquences, mais le devoir d'assumer ses actes comme un modèle pour l'humanité toute entière.
Quelle morale Tolkien met-il en scène dans ses œuvres ? La guerre de l’Anneau a d’indiscutables allures de conflit entre le bien et le mal. Pour désigner les peuples qui s’opposent au mal, Tolkien a opté pour l’expression « les peuples libres ». Les races honnies telles que les orques, trolls ou gobelins, sont intrinsèquement, entièrement sous l’emprise du mal. Les peuples libres se caractérisent non pas par le respect des règles édictées par Dieu, mais surtout par le libre arbitre.
Les Elfes, les Nains et les Hommes font partie des Peuples Libres : chacune de ces races a montré, dans l’histoire de la Terre du Milieu, qu’elle pouvait se comporter avec noblesse, ou sombrer dans le crime. Même les Ents n’y échappent pas, puisque certains tournent mal et deviennent « arbresques » au cœur sombre. Seuls les hobbits semblent exempts de crime à grande échelle !
User de la liberté suppose également la responsabilité. Lorsque Gandalf conseille : « Nombreux sont ceux qui vivent et qui méritent la mort. Et certains qui meurent méritent la vie. Pouvez-vous la leur donner ? Alors, ne soyez pas trop prompt à dispenser la mort en jugement. » , il prône à la fois la responsabilité comme posture individuelle et le respect de la vie comme valeur partagée.
Dans les étendues herbeuses du Rohan, Aragorn lance à Eomer : « Le bien et le mal n’ont pas changé ces dernières années ; pas plus qu’ils ne sont telle chose chez les Elfes et les Nains, et telle autre chez les Hommes. C’est à chacun qu’il revient de les discerner aussi bien dans la Forêt d'Or que dans sa propre maison. » Outre la notion de valeur universelle, partagée par les « êtres de bonne volonté », on retrouve ici le thème du doute dans l’esprit de l’Homme digne et responsable. Le héros effectue généralement un choix conscient, même si son engagement est guidé par sa culture ou la solidarité tribale. Le sacrifice du héros bravant maint dangers ne peut se réduire au seul respect des règles d’honneur et de la tradition ou à une tentative de forcer le destin – il est aussi choix délibéré parmi de nombreuses postures possibles.
Quant au mal, il se traduit en Terre du Milieu par la volonté de domination, l’asservissement de la création, qui conduisent à la laideur, la dénaturation puis la destruction de la vie. Cette gradation s’illustre de façon continue depuis le comportement du « Patron » Lotho Sackville-Baggins, dit « La Pustule » , jusqu’aux crimes de Saroumane – abattage aveugle des forêts, asservissement des Dunéens, guerre de conquête, croisement de la race des Hommes avec celle des Orques, massacre des populations civiles du Rohan, etc.
Les êtres mauvais semblent effectivement faire leurs choix indépendamment de la morale. Bien sûr il ne s’agit pas d’une réflexion responsable, mais d’instincts dominateurs ou sanguinaires débridés, tant pour les chefs de guerre que pour les troupiers. Les maléfiques anonymes sont à la fois prédisposés à la cruauté – rappelons-nous le débat culinaire sur la meilleure façon de cuire le Hobbit ! – et contraints d’obéir par le pouvoir qui les opprime (les orques par leurs capitaines, ceux-ci par les Nazgûls, ces derniers pas Sauron lui-même). Le mal gouverne par la peur : « le pouvoir de Sauron est encore moindre que ce que lui prête la peur. » Les Hommes, en particulier, sont pervertis par la peur de la mort, ce qui mena le dernier roi de Numenor à assaillir les Terres Immortelles, car Sauron lui avait fait croire que l’immortalité était attachée à ces terres.
Dans ces conditions, il ne s’agit pas véritablement d’un choix, tant l’oppresseur est lui-même esclave de ses maitres, de sa peur, de sa haine, de sa cruauté, etc. Les forces du mal, orques, gobelins, trolls et peuples libres assujettis, subissent la contingence de l’oppression totalitaire et de leurs instincts.
Mais nous réagissons à une très courte interview, ce qui n'est guère favorable à l'auteur. Si je parviens à mettre la main sur cette thèse, je vous communiquerai le lien.
Par contre l'interrogation existentialiste à propos d'un texte d'inspiration si profondément chrétienne, m'a interpelée.
D'où cette digression "Existentialisme vs. Christianisme chez Tolkien", sur le thème de la Morale
Saint Thomas d’Aquin avançait qu’une « loi naturelle » réunit les êtres humains autour de quelques valeurs universelles, sans distinction de cultures ou de lois formelles. Ces valeurs, que l’on formulerait peut-être aujourd’hui comme le respect de la vie, la liberté, la justice, la solidarité, etc. prennent évidemment tout leur sens dans un contexte de groupe social, pour établir une limite entre bien et mal. La plus ancienne expression de la « loi révélée » - le décalogue - trouverait son fondement dans cette loi naturelle. Cependant la doctrine chrétienne ne se veut pas figée autour du respect mécanique du commandement de plaire à Dieu, mais invite chacun à questionner et cultiver sa conscience, c’est-à-dire exercer son libre arbitre à interpréter en pratique ces valeurs morales suggérées comme universelles.
De leur côté, les existentialistes réfutent qu'il existe une base objective, et donc partageable, aux décisions morales. Par conséquent il n’y a ni bien, ni mal. L’Homme ne peut s’appuyer sur une référence absolue et doit choisir ses propres valeurs, donnant ainsi un sens à sa vie. Dans cette optique, le seul jugement valable sur les actes humains ne concerne pas leur valeur, mais leur authenticité. Invoquer une morale préétablie, s’abriter derrière les conventions ou l’opinion des autres, n’est que la «mauvaise foi». Cette liberté absolue n'est pas la possibilité de faire n'importe quoi sans se préoccuper des conséquences, mais le devoir d'assumer ses actes comme un modèle pour l'humanité toute entière.
Quelle morale Tolkien met-il en scène dans ses œuvres ? La guerre de l’Anneau a d’indiscutables allures de conflit entre le bien et le mal. Pour désigner les peuples qui s’opposent au mal, Tolkien a opté pour l’expression « les peuples libres ». Les races honnies telles que les orques, trolls ou gobelins, sont intrinsèquement, entièrement sous l’emprise du mal. Les peuples libres se caractérisent non pas par le respect des règles édictées par Dieu, mais surtout par le libre arbitre.
Les Elfes, les Nains et les Hommes font partie des Peuples Libres : chacune de ces races a montré, dans l’histoire de la Terre du Milieu, qu’elle pouvait se comporter avec noblesse, ou sombrer dans le crime. Même les Ents n’y échappent pas, puisque certains tournent mal et deviennent « arbresques » au cœur sombre. Seuls les hobbits semblent exempts de crime à grande échelle !
User de la liberté suppose également la responsabilité. Lorsque Gandalf conseille : « Nombreux sont ceux qui vivent et qui méritent la mort. Et certains qui meurent méritent la vie. Pouvez-vous la leur donner ? Alors, ne soyez pas trop prompt à dispenser la mort en jugement. » , il prône à la fois la responsabilité comme posture individuelle et le respect de la vie comme valeur partagée.
Dans les étendues herbeuses du Rohan, Aragorn lance à Eomer : « Le bien et le mal n’ont pas changé ces dernières années ; pas plus qu’ils ne sont telle chose chez les Elfes et les Nains, et telle autre chez les Hommes. C’est à chacun qu’il revient de les discerner aussi bien dans la Forêt d'Or que dans sa propre maison. » Outre la notion de valeur universelle, partagée par les « êtres de bonne volonté », on retrouve ici le thème du doute dans l’esprit de l’Homme digne et responsable. Le héros effectue généralement un choix conscient, même si son engagement est guidé par sa culture ou la solidarité tribale. Le sacrifice du héros bravant maint dangers ne peut se réduire au seul respect des règles d’honneur et de la tradition ou à une tentative de forcer le destin – il est aussi choix délibéré parmi de nombreuses postures possibles.
Quant au mal, il se traduit en Terre du Milieu par la volonté de domination, l’asservissement de la création, qui conduisent à la laideur, la dénaturation puis la destruction de la vie. Cette gradation s’illustre de façon continue depuis le comportement du « Patron » Lotho Sackville-Baggins, dit « La Pustule » , jusqu’aux crimes de Saroumane – abattage aveugle des forêts, asservissement des Dunéens, guerre de conquête, croisement de la race des Hommes avec celle des Orques, massacre des populations civiles du Rohan, etc.
Les êtres mauvais semblent effectivement faire leurs choix indépendamment de la morale. Bien sûr il ne s’agit pas d’une réflexion responsable, mais d’instincts dominateurs ou sanguinaires débridés, tant pour les chefs de guerre que pour les troupiers. Les maléfiques anonymes sont à la fois prédisposés à la cruauté – rappelons-nous le débat culinaire sur la meilleure façon de cuire le Hobbit ! – et contraints d’obéir par le pouvoir qui les opprime (les orques par leurs capitaines, ceux-ci par les Nazgûls, ces derniers pas Sauron lui-même). Le mal gouverne par la peur : « le pouvoir de Sauron est encore moindre que ce que lui prête la peur. » Les Hommes, en particulier, sont pervertis par la peur de la mort, ce qui mena le dernier roi de Numenor à assaillir les Terres Immortelles, car Sauron lui avait fait croire que l’immortalité était attachée à ces terres.
Dans ces conditions, il ne s’agit pas véritablement d’un choix, tant l’oppresseur est lui-même esclave de ses maitres, de sa peur, de sa haine, de sa cruauté, etc. Les forces du mal, orques, gobelins, trolls et peuples libres assujettis, subissent la contingence de l’oppression totalitaire et de leurs instincts.