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La section vous présente un nouvel essai, un texte de Guillaume Ménager (alias SegurBill sur ces pages) qui propose une réflexion autour de l'histoire "interne" de la Terre du Milieu, c'est par là ! Bonne lecture
N'hésitez pas à faire part de vos réactions ensuite ici !
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28.09.2022, 18:34
(Modification du message : 28.09.2022, 22:35 par Sébastien.
Raison de la modification: coquille
)
Bonjour
J'aime beaucoup cet essai, qui systématise et trouve un beau nom pour ce que j'appelle dans mon essai sur la réincarnation la conception interne "historique". Je suis d'accord aussi sur sa conclusion à propos de Gil-Galad.
Mais je voudrais en profiter pour tenter, dans le même esprit, d' élucider un point qui me dérange depuis longtemps : pourquoi, à la mort de son père Fingon, Ereinion ne devient-il pas roi des Noldor ? Dans toutes les monarchies humaines, quand le roi laisse un fils et un frère, il n'y a aucune hésitation, c'est le fils qui succède, c'est entre frère et petit-fils qu'il peut y avoir débat - je crois me souvenir qu'une succession par un frère au lieu d'un fils a été envisagée une fois dans l'histoire (mal connue au demeurant) de la Thaïlande, mais c'est parce que le roi, polygame, était censé choisir comme héritier le plus compétent dans sa nombreuse parentèle. Chez les Elfes, le lien père-fils me semble avoir une valeur quasi-sacrée, et le fils doit naturellement succéder au père, d'ailleurs la maison de Féanor s'appelle les Dépossédés parce que, dans un cas très particulier, Maedhros n'a pas succédé à son père Féanor.
Sauf que justement, ce cas particulier a pu faire jurisprudence. Maedhros a été assez fin, il savait qu'il ne pouvait revendiquer la royauté sans déclencher de nouvelles catastrophes, il la laisse donc à Fingolfin, mais sans faire allusion aux crimes de Féanor (sauf très indirectement quand il reconnaît la sagesse de Fingolfin), son principal argument est que Fingolfin est l'aîné (eldest) de la maison de Finwë. C'est jouer habilement sur les mots, dans une succession monarchque l'aîné veut dire l'aîné de la branche aînée, ce que Fingolfin n'est pas, il est juste l'aîné au sens où il est né le premier. Mais l'honneur est sauf et tout le monde est content, sauf les frères de Maedhros.
Passent quelques siècles, et s'ouvre la succession de Fingon. Turgon n'est probablement même pas l'aîné de la maison de Finwë en ce sens dévoyé, vraisemblablement ce titre revient à Maedhros, je ne sais pas si on a leurs dates de naissance (elles pourraient être cachées dans The Nature of Middle-Earth mais les données qu'on y trouve sont à la fois trop précises et trop contradictoires pour être utilisables ; en tout cas j'imagine un Féanor plein d'énergie et pressé de se reproduire). C'est en tant qu'aîné (premier né) de la maison de Fingolfin que Turgon est reconnu comme roi des Noldor. C'est défendable mais aussi tout à fait contestable, et on pourrait très bien alléguer que la succession naturelle père-fils s'impose en général.
Mais voilà, dans les royautés Elfes comme humaines, ce qu'on fait passer pour des règles immuables, voire de droit divin, sont en fait le reflet de rapports de force circonstantiels (voir la prétendue loi salique en France). Après Nirnaeth Arnoediad, Ereinion est un Elfe bien jeune (je n'ai pas trouvé non plus sa date de naissance, il était juste "jeune" au moment de Dagor Bragollach, donc est né en Terre du Milieu, et pouvait être à la limite de l'âge adulte, d'un côté ou de l'autre, au moment de la succession), et n'est plus qu'un réfugié (Balar, combien de divisions ?) ; en outre, bien qu'on en sache trop peu sur sa vie, il apparaît comme un Elfe sans tache, on ne lui connait ni vilenie ni aucune erreur politique. Turgon est un Elfe qui a vu la Lumière, reste le puissant roi de Gondolin, et est hélas sujet à ce vice gravissime chez Tolkien qu'est l'orgueil, ignorant le conseil d'Ulmo et entraînant Gondolin dans sa chute.
Donc, je vois bien le fier Turgon s'octroyant une royauté surtout symbolique (certes, Gondolin communique avec le reste du Beleriand, mais ce n'est pas d'une ville hermétiquement close qu'on gouverne les restes d'un grand royaume) et Ereinion ne pouvant ni ne souhaitant faire valoir ses droits. Une régence temporaire de Turgon pour le roi Ereinion aurait pu être une solution, mais là, Turgon étant immortel, Ereinion renonce à la royauté pour les siècles des siècles ; peut-être, étant sage et bien informé (par Ulmo éventuellement ), pouvait-il se douter que Turgon mourrait vite et qu'il serait roi en temps voulu. Notons d'ailleurs que, si d'aventure Turgon avait survécu à la chute de Gondolin, les Elfes au Second Âge n'auraient pas eu un très bon dirigeant, et la Dernière Alliance aurait pu ne pas gagner - mais cela avait bien peu de chance d'arriver, Turgon se serait certainement sacrifié pour mourir avec sa ville.
J'irais même, à titre purement personnel et sauf tout le respect que j'ai pour le Professeur, jusqu'à suggérer que, en conception externe cette fois-ci, cette tentative infructueuse de Tolkien pour rattacher Gil-Galad à sa Maison favorite, celle de Finarfin. qui de ce fait aurait un quasi-monopole des héros sans tache, pourrait venir en partie de ce problème, Tolkien n'avait pas envie de voir les Hauts-Rois des Hauts Elfes transiger sur les principes lors d'une succession comme de vulgaires Capétiens.
Amitiés
Sébastien
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(28.09.2022, 18:34)Sébastien a écrit : Mais je voudrais en profiter pour tenter, dans le même esprit, d' élucider un point qui me dérange depuis longtemps : pourquoi, à la mort de son père Fingon, Ereinion ne devient-il pas roi des Noldor ?
Je suis bien d'accord avec toi : ce point m'a toujours paru absurde dans un Simarillion très cohérent... Et je n'ai jamais compris les commentaires de Christopher disant (de mémoire, j'espère ne pas me tromper trop) que faire de Gil-galad un descendant de Finarfin aurait nécessité de nombreux changements dans le Silmarillion publié
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Quelques points de détail : d'une part, il existe bel et bien des règles successorales accordant la priorité à tous les frères descendant d'un même père avant de passer à la génération suivante. C'est précisément le cas en Arabie Saoudite, jusqu'à aujourd'hui tout du moins, vu que le monarque actuel cherche à faire hériter son propre fils au détriment de ses frères survivants (tous d'âge avancé aujourd'hui). Le problème d'une telle règle, au moins chez les Mortels, c'est qu'elle tend à attribuer le trône à des rois de plus en plus vieux, ce qui n'est pas un gage de renouveau. De plus, comme on le voit en Arabie Saoudite, cette règle finit par être transgressée à un moment donné, lorsque le monarque réalise que sa propre descendance n'a que peu de chance d'hériter du trône, ou alors pas avant des décennies. Ces deux problèmes pourraient être résolus chez les Elfes, pour qui le vieillissement est bien moins un problème, et qui sont majoritairement moins ambitieux, ou moins pressés dans leur ambition que les Hommes.
Cela dit, depuis la parution de NM, je me demande si c'est forcément ce que Tolkien envisageait. En effet, il est manifeste qu'il avait décidé que les trois premiers souverains des Eldar n'étaient nullement les Aînés de chaque clan, mais leurs lointains descendants. Ils semblent avoir été choisis plus ou moins par acclamation, à la foi pour leurs qualités et parce qu'ils faisaient malgré tout partie de la descendance des Aînés en droite ligne masculine. Cela peut faire penser aux premiers souverains mérovingiens. En tout cas, cela semble être un modèle pour la succession de Finwë : Fëanor commence par revendiquer la royauté et attire à lui une majorité du peuple, mais ses excès, crimes et trahisons détournent de lui et de ses enfants une grande partie des Ñoldor, qui, arrivés en Terre du Milieu, préfèrent reconnaître Fingolfin comme haut-roi. Si le choix de Fingon est ensuite logique, on peut effectivement supposer que Turgon est après lui reconnu souverain pour des raisons de prestige personnel, d'autant qu'il dirigeait le dernier royaume intact des Ñoldor. Gil-galad (quelle que soit son ascendance) ne devient finalement roi que parce qu'il est le dernier descendant mâle de la lignée de Finwë, hormis Elrond (lequel en descend par Idril, ce qui le rend apparemment inéligible à la royauté).
Quant à l'ascendance de Gil-galad, je crois surtout me souvenir que Christopher croyait de bonne foi lors de la rédaction du Silm. que la dernière décision de son père était d'en faire le fils de Fingon, et qu'il ne découvrit que tardivement les généalogies montrant que son père avait opté pour une solution différente ou du moins il ne réalisa que tardivement qu'elles étaient postérieures.
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Merci de votre intérêt pour cet article, et notamment à Elendil qui m'en a signalé plusieurs travers sur Academia.
Concernant les règles de dévolution, je partage entièrement son avis. L'exemple de l'Arabie saoudite actuelle est une continuité d'une pratique classique dans l'ère de civilisation islamique. Le souverain est choisi dans les descendants mâles du fondateur de la dynastie. Par exemple les souverains ayoubides devaient être descendants de Saladin.
L'inspiration de Tolkien était sans doute beaucoup plus proche des mérovingiens que des ayoubides aussi, vais-je essayer de préciser les règles de succession chez les descendants de Clovis, autant que je m'en souvienne.
La courte apogée mérovingienne du début du 7e siècle (Clotaire II et Dagobert) exerce une influence notable sur les monarchies anglo-saxonnes dont Tolkien connait bien la langue et la culture. Le trésor de Sutton Ho est en un témoignage archéologique. D'où l'idée de creuser dans cette direction pour trouver un modèle de dévolution ayant pu inspirer celui des Elfes.
Dans la monarchie franque, les souverains étaient nécessairement des descendants de Clovis et le Regnum Francorum était vu comme un bien patrimonial de la famille. Les rois francs qui régnaient à une époque donnée exerçaient en droit leur pouvoir sur l'ensemble du royaume, même si de fait ils n'en gouvernaient qu'une partie. Ils étaient toujours fondés à annexer la partie du royaume d'un cousin ou d'un neveu plus faible. Par exemple en 524 après la mort de Clodomir, ses frères liquident leurs neveux pour annexer sa partie du royaume, sans que cela ne heurte guère que la vieille reine Clotilde (qui sauve le petit Cloud). Ils sont fondés à le faire parce que le royaume leur appartient collectivement. En 558, Clotaire 1er a éliminé tous ses frères et neveux et le partage à la génération suivante se fait entre ses fils. Et ainsi de suite. Ce modèle de royauté collective peut nous éclairer sur le fait qu'il y ait de nombreux rois et seigneurs au Beleriand, tous issus de Finwë (pour les Noldor) le Haut Roi ayant une pré-éminence parmi d'autres rois.
Pour préciser les règles de dévolution elfiques, nous pouvons pointer que déjà avant la destruction des Arbres, la situation n'est pas évidente. Fëanor craint que Fingolfin intrigue contre lui auprès de son père, c'est l'une des raisons de leur brouille à cette époque. C'est donc que les droits de Fëanor à la succession d'un Finwë immortel n'étaient pas évidents. Quand la règle de dévolution est d'une force incontestable, par exemple le Dauphin dans la France d'Ancien Régime, ce genre de questions de ne se posent pas.
Pour la succession à la Haute Royauté des Noldor, une fois le cas de la Dépossession des Fëanoriens posé, les éléments sont assez clairs. La succession passe sans conteste à Fingon, puis à son frère, sans qu'à aucun moment l'hypothèse d'une succession vers Gil-galad soit posée à ce stade. La majesté de Turgon est grande et Tolkien la souligne plusieurs fois. Il était le prince des Noldor le plus craint du Morgoth.
Je crois surtout qu'après Nirnaeth Arnoediad, la situation est tellement désespérée qu'ils n'ont plus le loisir de s'interroger sur qui est le Haut-Roi, mais je ne me souviens d'aucun texte qui contesterait cette dignité à Turgon. Après la chute de Gondolin, il n'est pas non plus fait mention de Gil-galad, le seul leader qui émerge c'est Ëarendil avec le peuple à l'embouchure du Sirion. Et il n'a jamais revendiqué la dignité, même s'il est le petit-fils de Turgon.
On notera qu'au Deuxième Age, Gil-galad se présente comme Haut-Roi des Elfes et pas seulement des Noldor.
Si l'exemple franc nous renseigne sur le fait d'avoir plusieurs rois en même temps exerçant une monarchie collective (oxymore !) cela n’épuise pas le sujet des règles de dévolution du pouvoir au sein d'un peuple immortel.
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Le sujet m'intéresse hautement, j'ai donc lu avec grand intérêt
Et j'avoue que je n'aurai pas traités les divers éléments de la même façon que toi car selon moi :
- selon le texte, Tolkien se positionne soit comme démiurge (notamment quand il se questionne sur des éléments de son univers comme dans les "Mythes Transformés" (HOME 10) ou dans les textes détaillant les essais de démographie elfique et de chronologie des Jours Anciens dans The Nature of ME), soit comme "restituteur" ; et il n'est pas toujours aisé de repérer sa position. J'aurai donc plutot parlé des types de textes que de la posture de Tolkien
- les ajouts de Christopher Tolkien après la mort de son pèrene devrait pas avoir de légitimité
Merci pour cette réflexion en tout cas
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