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[Libre traduction] Et tombe Felagund devant le trône
#1
Bon, je crée un nouveau sujet ? Hop.

J'ai souvenance, dans le vieux temps, qu'on s'était amusé à traduire ici quelques bouts de Tolkien chacun à sa façon, chacun avec ses a priori. Le résultat était rigolo, si la qualité n'était pas toujours au rendez-vous (j'avais alors pour ma part des notions de poésie assez faibles, et ma maîtrise de l'anglais était pire qu'aujourd'hui.)

Ainsi, commenter la traduction de l'LNDL sur l'autre sujet (voir ce sujet : http://forum.tolkiendil.com/thread-4857.html) m'a-t-il donné envie de renouer avec cette vieille tradition.

Le travail est sacrément intéressant quand on tient à apporter une critique constructive à la traduction de l'autre compère parce que ça permet de cerner les difficultés qu'il a pu rencontrer. Et d'un coup on se trouve plus humile (j'adore ce mot qui n'en est pas un).

A lire, donc, en regard du travail d'Elendil, et conserver en mémoire qu'il s'est aventuré sur les pas de la traduction de ce texte avant moi.

J'ai pris le parti de privilégier des vers de huit pieds, dont je préfère l'harmonie au décasyllabe, et qui n'ont pas la pompe et l'appareil de l'alexandrin peu adapté je pense à ce texte. Encore que ce pourrait être intéressant. J'ai très vite vu les limites de mon choix puisqu'en huit pieds, on dit somme toute assez peu de choses, et j'ai donc été contraint (sauf à modifier le nombre de vers, ce que je n'ai pas voulu) de censurer certains courts morceaux du texte original.

Mes rimes sont beaucoup plus pauvres que celles d'Elendil, ce qui me permet une plus grande souplesse, mais un moins bon rendu. Ceci dit je m'en contente, la rime est pour moi essentielle à la poésie, mais elle n'en est pas le cœur. Par rapport au texte de Tolkien, j'ai pu modifier l'alternance des rimes (strophe 1) pour des raisons de commodité : à voir si ça vous choque. Le dernier vers du poème ne rime pas chez moi - pour moi, il ne rime pas chez Jean René Raoul non plus.

Dans l'ensemble, j'ai pris pas mal de libertés, et c'est pourquoi j'ai pris un tag à la Squall-Estel : libre traduction : je n'aurai pas la prétention de prétendre à une vraie traduction. Ce n'était pas mon but à la base d'ailleurs ; j'ai juste cherché à avoir une version plus musicale en français, plus déliée, quitte à perdre un peu de rigueur mais en restant dans l'ensemble fidèle.

Je reviens sur mes choix après la lecture.

Pour mémoire, le texte de Tolkien :


He chanted a song of wizardry,
Of piercing, opening, of treachery,
Revealing, uncovering, betraying.
Then sudden Felagund there swaying
Sang in answer a song of staying,
Resisting, battling against power,
Of secrets kept, strength like a tower,
And trust unbroken, freedom, escape;
Of changing and of shifting shape,
Of snares eluded, broken traps,
The prison opening, the chain that snaps.


Backwards and forwards swayed their song.
Reeling and foundering, as ever more strong
The chanting swelled, Felagund fought,
And all the magic and might he brought
Of Elvenesse into his words.
Softly in the gloom they heard the birds
Singing afar in Nargothrond,
The sighing of the Sea beyond,
Beyond the western world, on sand,
On sand of pearls in Elvenland.

Then the gloom gathered; darkness growing
In Valinor, the red blood flowing
Beside the Sea, where the Noldor slew
The Foamriders, and stealing drew
Their white ships with their white sails
From lamplit havens. The wind wails,
The wolf howls. The ravens flee.
The ice mutters in the mouths of the Sea.
The captives sad in Angband mourn.
Thunder rumbles, the fires burn—
And Finrod fell before the throne.



Pour mémoire, la traduction d'Elendil :

Il initia un chant de sorcellerie,
Pour percer, pour ouvrir, de fourberie,
Révéler, découvrir, déloyauté.
Or soudain Felagund déconcerté
Répondit par un chant de fermeté,
Résistance, luttant face à l'emprise
De secrets gardés, de ferme maîtrise,
Et constance, liberté, délivrance ;
D'altération, de changeante substance,
De pièges évités, de trappes forcées,
Le cachot s'ouvrant, les chaînes cassées

D'arrière en avant oscillait leur chant.
Haché, heurté, mais toujours plus tranchant
L’hymne s'élevait, Felagund luttait,
D’Elfinesse dans ses mots il mettait
Féérie et force, arbres et roseaux.
Dans l'ombre ils entendirent les oiseaux
À Nargothrond chantant dans les lilas,
Le murmure de la Mer au-delà,
Par-delà, en occident, sur la grève,
La grève de perles en Eldarêve.

Puis l'ombre s’amassa, alla enflant
À Valinor, le sang rouge coulant
En bord de Mer, où les Noldor tuèrent
Les Coureurs d'écume et, voleurs, menèrent
Leurs blancs navires à la voile blanche
Loin des havres éclairés. Le vent flanche,
Le loup hurle. Les corbeaux fuient. Aux passes
De la Mer gémissent les mornes glaces.
Les tristes captifs en Angband frissonnent.
Le tonnerre gronde, les feux charbonnent -
Et tombe Finrod en face du trône.



Pour mémoire, la traduction de Squall-Estel, que je viens de découvrir à l'instant (et si je me rends compte que je l'ai commentée sur ce forum j'ai l'air malin tiens) ^_^
(j'ai dit quelque chose sur les alexandrins moi ? ^_^)

L'Ennemi commença par un chant de sorcier,
Un chant pour transpercer, pour ouvrir et trahir
Révéler, découvrir, tromper et effrayer.
Et soudain Felagund, avant de s'affaiblir
Lui répondit d’un chant de grande fermeté,
Un chant de résistance, pouvoir contre pouvoir,
De secrets conservé, de donjon conforté,
D'une foi pure, intacte, Liberté et Savoir,
D'une forme mouvante et sans cesse changeante
Qui évite les pièges et brises les filets,
Une prison qui s'ouvre, une chaîne cassante ;

Et d'arrière en avant leur chant se balançait,
S'envolait, se noyait, et avec plus de force
Chaque fois se gonflait. Fegalund combattait
Et mettait dans ses mots la magie et la force
De tous les elfes libres de coeur et de beauté.
Doucement dans la nuit ils purent percevoir
Les doux oiseaux de Nargothrond chanter au loin,
Les soupirs de la Mer et son mouvant Miroir,
Au-delà, au-delà de l'horizon sans fin,
Sur le sable nacré des pays d'Occident.

Puis la Nuit s'épaissit, et les vastes ténèbres
Couvrirent Valinor, un rouge flot de sang
Coula et déglutit en un sanglot funèbre,
Sur les bords de la Mer, là-bas où les Noldor
Assassinèrent leurs frères coureurs d'écume,
Volèrent les navires bâtis de blanc et d'or,
Et fuirent les étoiles pour plonger dans les brumes.
Le Vent se plaint, le loup gémit, le corbeau fuit,
Dans les bouches marines se tourmentent les glaces,
Les prisonniers d'Angband dans l'éternelle Nuit
Se lamentent et pleurent dans de terribles places,
L'Orage gronde le feu fond de désespoir ;
Et tombe Felagund devant le trône Noir.



Pour lecture enfin, ma version :

Il entonne une incantation
Parlant rouerie, perce, ouverture –
Traîtrises et révélations.
Felagund, plein d’hésitation,
Chante en retour la fermeté,
La lutte immuable et butée,
Les secrets tus, la force intègre,
La foi sauve, libre et allègre ;
Ce qui se meut et qui s’altère,
Les embûches que l’on mesure,
Cachot forcé, chaînes à terre.

Leur chant monte en se balançant,
Et pour que toujours plus avant
Tienne Finrod, l’hymne grandisse,
Il convoque les maléfices
De l’Elfinesse dans ses mots.
Dans l’ombre chantent les oiseaux
Au loin, là-bas, à Nargothrond
Quand au-delà la Mer qui gronde
Dans l’ouest et soupire au-delà
Chante pour Tol Eressëa.

Voilà que point l’obscurité ;
En Valinor le sang versé
Roule, purpurin, vers la Mer :
Le havre enténébré, désert,
Quand les Noldor voguent sereins,
Pleure les Chevaucheurs d’embruns.
Le vent faiblit, les loups menacent,
Les corbeaux fuient. De mornes glaces
Geignent, pareilles aux reclus
D’Angband. Un ciel de feu perclus –
Tombe Finrod devant le trône.





Commentaires en vrac :

> J'ai fait choix du présent pour la narration, parce que ça permet, selon moi, des sonorités bien moins répétitives en poésie, originales et propres aux liaisons. Le présent est un temps tout bonnement merveilleux.

> Après mon commentaire de l'autre côté, incantation était un passage quasi-obligé héhé.

>Le coup de l'allègre est un peu osé : c'est clairement de la sur-traduction. Mais j'aimais bien mon intègre et il fallait rimer. escape ne pouvait de toute façon être traduit dans l'espace libre.

> J'ai choisi 'maléfice' pour la féérie de l'Elfinesse à dessein : j'aime ce caractère ambigu de la magie qu'on retrouve très clairement dans le français charme, devenu mélioratif malgré ses origines négatives.

> J'ai rajouté un 'chante' à la Mer pour faire écho au reste du champ lexical, et parce que ça me permettait de conclure une phrase que le strict suivi de la version d'origine aurait entraîné trop loin. Tol Eressëa peut-elle correspondre à Elvenland, ou ce dernier ne se rapporte qu'à Aman proprement dite ?

> 'Mornes glaces' est un emprunt à Elendil, j'aimais bien.


Divitiac
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#2
C'est différent. Et c'est tant mieux! Plus sombre, plus triste...
Avec une toute petite faute : Pleurent les Chevaucheurs d’embruns. Ils sont plusieurs! Wink
Et peut-être une amélioration à faire ici:
Il entonne une incantation
Parlant rouerie, perce, ouverture –
Traîtrises et révélations.

Le "parlant" ne colle pas trop avec Sauron et le champ lexical autour. Trop banal, dirais-je. Un bon nécromancien doit bien pouvoir faire autre chose que parler dans ses incantations...
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#3
Différent, c'était le but recherché oui ; et si tu savais le nombre de fois où je me suis dit 'mince, il l'a dit comme ça, c'est chouette, et si je le réutilisais' et où j'ai dû me faire violence... ^_^

Pour tes remarques,
1°/ pas une faute non, c'est le havre qui pleure [la mort de] ses Chevaucheurs d'écume ;eux en sont bien en peine. Wink
2°/ à vrai dire, par mon 'parlant', j'entendais "une incantation qui parle de", c'est le sujet de l'incantation : je ne vois pas trop quel autre terme lui préférer, même s'il est vrai que celui-ci est plutôt moins fort. :S
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#4
Tissant ? comme une araignée sa toile... il me semble que le terme est assez approprié, dans l'univers de Tolkien, même si en l'occurrence il n'est pas employé.

(sinon, comme je te disait, j'aime bien la version octosyllabique qui condense la puissance de l'original Smile ça sonne bien. Et le sens n'en pâtit pas trop -- hmm, joli, ça, "pâtit pas trop" ^^)

(mais faut qu'je boooosse Sad )
"[Faerie] represents love: that is, a love and respect for all things, 'inanimate' and 'animate', an unpossessive love of them as 'other'."
J.R.R. Tolkien, Essay on Smith of Wootton Major.
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#5
Je ne vais malheureusement pas faire un commentaire très détaillé. Guère le temps, hélas. Sad

J'aime effectivement beaucoup le rythme octosyllabique. C'est une gageure que d'essayer de faire tout tenir dedans. Et tu y réussis fort bien, je trouve. On a effectivement le sentiment que tu vas au fond du poème et que tu en tires ce qu'il a d'essentiel.

En outre, ta versification a une musique qui est fort agréable à l'oreille, et ton inventivité lexicographique est généralement judicieuse (même si « butée » est peu heureux et si je te conteste formellement ce « maléfice » que tu emploies, et qui, rien que de le voir être appliqué à des Elfes, mériterait que je te donne rendez-vous dans le pré*).

Maintenant, côté surtraduction, il y en a aussi de ton côté (oui, je ne suis pas exempt – pour l'heure Wink ) :
« allègre » : ne se justifie que pour la rime
« que l'on mesure » : en soit étonnant et ne s'intègrant guère au reste, je trouve
« pour que [...] tienne Finrod, l'hymne grandisse » : j'ai la compréhension inverse chez Tolkien. Ici, tu sous-entends que Finrod cherches à faire "grandir" le chant. Pour moi, il ne fait que réagir à l'attaque de Sauron, qui est elle de plus en plus violente, et Felagund dépassé est forcé de faire appel à la beauté de ses propres souvenirs, ce qui devient un piège quand Sauron retourne cela à son profit
« Le havre enténébré, désert, Quand les Noldor voguent sereins, Pleure les Chevaucheurs d’embruns. » : bouh. On atteint là les limites de l'octosyllabe : tu ne peux pas y faire tenir tout ce que Tolkien y a mis quand celui-ci abandonne les répétitions et va droit au but. Du coup, on est vraiment loin de l'original.
« pareilles aux reclus » : la comparaison devrait être implicite

Côté rime, je ne vais pas te reprocher de ne pas respecter la rime à l'œil : c'était simplement un défi que je me suis lancé.

Par contre, je ne suis pas sûr que « fermeté » rime vraiment avec « butée ». Rime masculine et féminine, c'est quand même différent, je trouve.

De même, j'ai toujours distingué les prononciations de « serein(s) » et « embrun(s) ». Mais là, j'imagine que c'est une question d'accent, et qu'en français "standardisé", ça reste acceptable.

De même, ça ne me gêne pas que tu modifies l'ordonnancement des rimes (avoir gardé l'ordre de Tolkien était un autre défi personnel), mais c'est plus ennuyeux quand tu désarticules la rime et qu'il faille attendre huit vers pour la retrouver. J'ai un peu le sentiment que ton vers s'échappe et qu'il me saute au visage. Razz



* sérieusement. Très sérieusement. Nomme seulement deux témoins, pour voir.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
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