20.05.2025, 22:46
Il s'avère donc que l'on m'a dernièrement demandé de l'aide pour traduire en quenya les textes chantés de l'ordinaire de la messe, dans le but d'en composer une mise en musique. Quand on dispose de plusieurs dizaines de messes mises en musique dans son audiothèque, comme c'est mon cas (je compte aussi les Requiem), c'est une proposition tentante.
Qui plus est, j'avais déjà initié ce travail il y a quelques années de cela.
Bref, je m'y suis remis et voici où j'en suis. Au final, les textes concernés sont les suivants :
L'essentiel des traductions ne pose guère de souci. Notons que Tolkien avait déjà traduit en quenya le Pater et l'Ave Maria dans les années 1950. Ces deux traductions nécessitent seulement quelques ajustements pour tenir compte des modifications que Tolkien apporta aux pronoms personnels entre la première et la seconde édition du SdA. Tolkien avait aussi traduit les deux premières lignes du Gloria vers le milieu des années 1960, à l'exception du mot final. Pour plus de détails sur ces trois textes, je renvoie à l'A&H HS3, où ils figurent avec les autres prières catholiques composées par Tolkien. Bien évidemment, sorti des textes traduits par Tolkien, certains mots ou tournures posent des problèmes spécifiques. Je les évoquerai dans de courtes notes relatives à chaque traduction. J'accompagnerai les textes en quenya des prières en grec (pour le Kyrie) ou en latin (pour les autres), qui étaient les versions liturgiques en vigueur pendant l'essentiel de la vie de Tolkien. C'est certainement celles-là auxquelles il se serait référé en premier lieu s'il avait voulu les traduire (et de fait, le PE 20 prouve qu'il connaissait ces versions par cœur). Le texte français est aisé à trouver en ligne, au besoin.
Kyrie
Kyrie eleison,
Christe eleison,
Kyrie eleison.
(A) Heru órava (omessë),
(A) Hrísto órava (omessë),
(A) Heru órava (omessë).
Ce texte n'appelle guère de commentaire. Il suffit de se référer aux prières traduites en quenya par Tolkien pour en trouver tous les éléments constitutifs. Dans les Litanies de Lorette, Tolkien considère apparemment l'impératif a comme optionnel. L'inclusion de omessë dépend du choix retenu : sous-entendre le destinataire de la pitié divine, comme dans le grec ἐλέησον, ou l'inclure, comme dans le latin miserere nobis.
Gloria in excelsis Deo
Gloria in excelsis Deo,
et in terra pax hominibus bonae voluntatis.
Laudamus te, benedicimus te, adoramus te, glorificamus te,
gratias agimus tibi propter magnam gloriam tuam,
Domine Deus, Rex cælestis, Deus Pater omnipotens.
Domine Fili Unigenite, Iesu Christe,
Domine Deus, Agnus Dei, Filius Patris,
qui tollis peccata mundi, miserere nobis ;
qui tollis peccata mundi, suscipe deprecationem nostram ;
qui sedes ad dexteram Patris, miserere nobis.
Quoniam tu solus Sanctus, tu solus Dominus,
tu solus Altissimus, Iesu Christe,
cum Sancto Spiritu, in gloria Dei Patris. Amen.
Alcar mi Tarmenel na Erun,
Ar mi cemen rainë i hínin ar mára indómë,
Laitalmë lyë, manyalmë lyë, ainalmë lyë, alcaryalmë lyë,
quetilmë hantalë lyen rá tára alcarelyan,
(A) Heru Eru, Erumano Aran, Eru ilúvala Atar.
(A) Heru Ernóna Yondo, Yésus Hrísto,
(A) Heru Eru, Eruo Eulë, Ataro Yondo,
i aucolë hastar Ambarello, alyë órava omessë ;
i aucolë hastar Ambarello, alyë cavë arcandelmar ;
i harë formanna Ataro, alyë órava omessë.
An lyë rëa Ainu, lyë rëa Heru,
lyë rëa Arata, Yésus Hrísto,
yó Airefëa, alcaressë Eru Ataro. Násië.
En bleu, la partie rédigée par Tolkien. Ce dernier a certainement hésité quant à la manière de traduire εὐδοκία ou εὐδοκίας. La première variante correspond au type byzantin des manuscrits. C'est la plus répandue et c'est celle qui est devenue la base du texte liturgique. Cette version se traduit normalement par "paix aux hommes de bonne volonté", mais on trouve aujourd'hui des variantes plus éloignées de l'original, comme "paix aux hommes qu'Il aime". La seconde variante correspond au type alexandrin des manuscrits, moins répandu, mais généralement considéré comme plus proche du texte d'origine. Cela se traduirait approximativement par "paix (et) bonne volonté envers les hommes". J'ai opté pour cette dernière option pour différentes raisons, dont la moindre n'est pas la plus grande facilité à traduire cette formulation.
Sinon, il n'existe pas de verbe "glorifier" en quenya, mais puisqu'egleria- est attesté dans ce sens en sindarin, cela suppose assez fortement l'existence d'un verbe q. *alcarya-. Le verbe ago est particulièrement polysémique en latin (mouvoir, emmener, poursuivre, conduire, pousser, séjourner, faire, agir...), aussi ai-je opté pour une traduction plus précise avec quetilmë hantalë lyen, lit. "nous disons une action de grâce pour toi", faute de disposer d'un idiomatisme comme le français "rendre grâce". Pour unigenite, j'ai considéré à propos de forger un néologisme sur nóna, puisque ce terme est attesté avec divers préfixes (ex. Apanónar "Hommes", lit. "Nés après"), même si une formule plus vague comme le français "Fils unique" aurait sûrement pu convenir (auquel cas, on pourrait y substituer erinqua Yondo).
Il y a encore l'expression qui tollis peccata qui n'est pas évidente. Déjà, tous les termes pour les péchés en quenya sont des actes plutôt que des résultats, ce qui ne convient guère. J'ai donc choisi de prendre *hasta "marrissement, maculage", forme hypothétique (mais vraisemblable) du verbe hasta- "marrir, maculer". Au moins, c'est un choix cohérent avec le Légendaire. Par ailleurs, puisqu'aucun verbe "ôter" n'est attesté, j'ai créé le néologisme aucolë, lit. "porter au loin (pour s'en défaire)". L'allusion à Frodo, le Porteur de l'Anneau (Cormacolindo) et par extension au Christ portant la croix me semble raisonnablement adéquate. Notons enfin qu'on ignore quelle préposition ou cas employer pour dire ad dexteram "à (la) droite". J'ai personnellement opté pour l'allatif formanna, lit. "vers la (main) droite", mais ça pourrait se discuter.
Il est tard, aussi je m'arrête là, mais j'ai également complété le Sanctus et l'Agnus Dei. Le Credo est toujours en cours de rédaction : c'est nettement plus long et on y rencontre quelques difficultés plus importantes que dans les autres textes.
P.S. : pas de terme en quenya pour traduire "messe". Je suis reparti de l'étymologie latine du terme (missa "envoi", donc menta, auquel j'ai préfixé aira "saint, sacré", sachant que le terme menta est attesté comme deuxième élément de mots composés (ex. sanwementa "message / envoi mental"). Cela traduit donc raisonnablement bien "sainte messe", me semble-t-il.

Bref, je m'y suis remis et voici où j'en suis. Au final, les textes concernés sont les suivants :
- Kyrie
- Gloria in excelsis Deo
- Credo (Symbole de Nicée-Constantinople)
- Sanctus
- Pater Noster
- Agnus Dei
- Ave Maria
L'essentiel des traductions ne pose guère de souci. Notons que Tolkien avait déjà traduit en quenya le Pater et l'Ave Maria dans les années 1950. Ces deux traductions nécessitent seulement quelques ajustements pour tenir compte des modifications que Tolkien apporta aux pronoms personnels entre la première et la seconde édition du SdA. Tolkien avait aussi traduit les deux premières lignes du Gloria vers le milieu des années 1960, à l'exception du mot final. Pour plus de détails sur ces trois textes, je renvoie à l'A&H HS3, où ils figurent avec les autres prières catholiques composées par Tolkien. Bien évidemment, sorti des textes traduits par Tolkien, certains mots ou tournures posent des problèmes spécifiques. Je les évoquerai dans de courtes notes relatives à chaque traduction. J'accompagnerai les textes en quenya des prières en grec (pour le Kyrie) ou en latin (pour les autres), qui étaient les versions liturgiques en vigueur pendant l'essentiel de la vie de Tolkien. C'est certainement celles-là auxquelles il se serait référé en premier lieu s'il avait voulu les traduire (et de fait, le PE 20 prouve qu'il connaissait ces versions par cœur). Le texte français est aisé à trouver en ligne, au besoin.
Kyrie
Kyrie eleison,
Christe eleison,
Kyrie eleison.
(A) Heru órava (omessë),
(A) Hrísto órava (omessë),
(A) Heru órava (omessë).
Ce texte n'appelle guère de commentaire. Il suffit de se référer aux prières traduites en quenya par Tolkien pour en trouver tous les éléments constitutifs. Dans les Litanies de Lorette, Tolkien considère apparemment l'impératif a comme optionnel. L'inclusion de omessë dépend du choix retenu : sous-entendre le destinataire de la pitié divine, comme dans le grec ἐλέησον, ou l'inclure, comme dans le latin miserere nobis.
Gloria in excelsis Deo
Gloria in excelsis Deo,
et in terra pax hominibus bonae voluntatis.
Laudamus te, benedicimus te, adoramus te, glorificamus te,
gratias agimus tibi propter magnam gloriam tuam,
Domine Deus, Rex cælestis, Deus Pater omnipotens.
Domine Fili Unigenite, Iesu Christe,
Domine Deus, Agnus Dei, Filius Patris,
qui tollis peccata mundi, miserere nobis ;
qui tollis peccata mundi, suscipe deprecationem nostram ;
qui sedes ad dexteram Patris, miserere nobis.
Quoniam tu solus Sanctus, tu solus Dominus,
tu solus Altissimus, Iesu Christe,
cum Sancto Spiritu, in gloria Dei Patris. Amen.
Alcar mi Tarmenel na Erun,
Ar mi cemen rainë i hínin ar mára indómë,
Laitalmë lyë, manyalmë lyë, ainalmë lyë, alcaryalmë lyë,
quetilmë hantalë lyen rá tára alcarelyan,
(A) Heru Eru, Erumano Aran, Eru ilúvala Atar.
(A) Heru Ernóna Yondo, Yésus Hrísto,
(A) Heru Eru, Eruo Eulë, Ataro Yondo,
i aucolë hastar Ambarello, alyë órava omessë ;
i aucolë hastar Ambarello, alyë cavë arcandelmar ;
i harë formanna Ataro, alyë órava omessë.
An lyë rëa Ainu, lyë rëa Heru,
lyë rëa Arata, Yésus Hrísto,
yó Airefëa, alcaressë Eru Ataro. Násië.
En bleu, la partie rédigée par Tolkien. Ce dernier a certainement hésité quant à la manière de traduire εὐδοκία ou εὐδοκίας. La première variante correspond au type byzantin des manuscrits. C'est la plus répandue et c'est celle qui est devenue la base du texte liturgique. Cette version se traduit normalement par "paix aux hommes de bonne volonté", mais on trouve aujourd'hui des variantes plus éloignées de l'original, comme "paix aux hommes qu'Il aime". La seconde variante correspond au type alexandrin des manuscrits, moins répandu, mais généralement considéré comme plus proche du texte d'origine. Cela se traduirait approximativement par "paix (et) bonne volonté envers les hommes". J'ai opté pour cette dernière option pour différentes raisons, dont la moindre n'est pas la plus grande facilité à traduire cette formulation.

Sinon, il n'existe pas de verbe "glorifier" en quenya, mais puisqu'egleria- est attesté dans ce sens en sindarin, cela suppose assez fortement l'existence d'un verbe q. *alcarya-. Le verbe ago est particulièrement polysémique en latin (mouvoir, emmener, poursuivre, conduire, pousser, séjourner, faire, agir...), aussi ai-je opté pour une traduction plus précise avec quetilmë hantalë lyen, lit. "nous disons une action de grâce pour toi", faute de disposer d'un idiomatisme comme le français "rendre grâce". Pour unigenite, j'ai considéré à propos de forger un néologisme sur nóna, puisque ce terme est attesté avec divers préfixes (ex. Apanónar "Hommes", lit. "Nés après"), même si une formule plus vague comme le français "Fils unique" aurait sûrement pu convenir (auquel cas, on pourrait y substituer erinqua Yondo).
Il y a encore l'expression qui tollis peccata qui n'est pas évidente. Déjà, tous les termes pour les péchés en quenya sont des actes plutôt que des résultats, ce qui ne convient guère. J'ai donc choisi de prendre *hasta "marrissement, maculage", forme hypothétique (mais vraisemblable) du verbe hasta- "marrir, maculer". Au moins, c'est un choix cohérent avec le Légendaire. Par ailleurs, puisqu'aucun verbe "ôter" n'est attesté, j'ai créé le néologisme aucolë, lit. "porter au loin (pour s'en défaire)". L'allusion à Frodo, le Porteur de l'Anneau (Cormacolindo) et par extension au Christ portant la croix me semble raisonnablement adéquate. Notons enfin qu'on ignore quelle préposition ou cas employer pour dire ad dexteram "à (la) droite". J'ai personnellement opté pour l'allatif formanna, lit. "vers la (main) droite", mais ça pourrait se discuter.
Il est tard, aussi je m'arrête là, mais j'ai également complété le Sanctus et l'Agnus Dei. Le Credo est toujours en cours de rédaction : c'est nettement plus long et on y rencontre quelques difficultés plus importantes que dans les autres textes.
P.S. : pas de terme en quenya pour traduire "messe". Je suis reparti de l'étymologie latine du terme (missa "envoi", donc menta, auquel j'ai préfixé aira "saint, sacré", sachant que le terme menta est attesté comme deuxième élément de mots composés (ex. sanwementa "message / envoi mental"). Cela traduit donc raisonnablement bien "sainte messe", me semble-t-il.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland