Messages : 1 446
Sujets : 34
Inscription : Mar 2018
Salut à tous,
Je pose cette question car un problème revient souvent lors de mes tentatives de traduction en sindarin : je ne sais jamais quand utiliser ou non l'article défini i.
J'ai beau parcourir Eldamo pour observer les occurrences, je ne comprends toujours pas quand il faut ou non l'utiliser. Par exemple, avec un ami, je tente de traduire le Serment d'Elendil en sindarin. Pour la fin "ar hildinyar tenn'Ambar metta", faut-il en mettre ou non ?
Faut-il écrire "ar i.chîlath nín, aden i methed in amar" ou simplement "a chîlath nín, aden methed en amar" ou alors mettre l'article défini à certains endroits mais pas à d'autres ?
Je pose la même question pour le i du quenya, tout aussi énigmatiquement à mes yeux.
Pouvez-vous m'aider ?
Dwayn
Doctus cŭm libro
― Proverbe latin
Messages : 15 479
Sujets : 387
Inscription : May 2007
Premier point : le sindarin et le quenya semblent avoir des règles différentes en la matière. Suffit de lire une phrase sindarine assez similaire dans sa structure à celle que tu cites pour constater que l'article défini y est bien présent, alors qu'il est absent du serment d'Elendil : Alae! Ered en Echoriath, ered e·mbar nín! "[?behold!] the mountains of Echoriath, the mountains of my home!"
En quenya, l'article défini est rare. Il est absent devant un possessif (ex : hildinyar “mes héritiers”), un nom propre (ex : Ambar “la Terre”), un terme général (ex : roccor “les chevaux”). Il est supposé ne pas figurer devant un nom au génitif, sauf quand il s'agit d'un titre, d'une expression figée (ex : Heru imillion “Seigneur des Anneaux”, i Túrin i Cormaron “le Seigneur des Anneaux”, Indis i·Kiryamo “The Mariner’s Wife”), mais cette règle a des exceptions. Il est néanmoins présent quand on veut désigner un groupe précis, par opposition à un autre groupe (ex : eldar ataformaiti “les Elfes sont ambidextres”, mais i Eldar Malariando “les Elfes de Beleriand”, par opposition aux autres Elfes).
Pour le quenya, la règle me paraît raisonnablement simple, mais assez éloignée du français. Cela fait donc partie des (nombreux) points pour lesquels il convient d'être vigilant lors d'une tentative de traduction.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
Messages : 1 446
Sujets : 34
Inscription : Mar 2018
Merci de ta réponse, malgré ton caveat Je vais essayer de creuser dans les PE/VT/etc., sait-on jamais
Doctus cŭm libro
― Proverbe latin
Messages : 15 479
Sujets : 387
Inscription : May 2007
Recommandation : Eldamo contient une liste exhaustive de toutes les phrases et expressions attestées pour toutes les langues de Tolkien (sauf évidemment la toute dernière signalée dans la revue de Web). Suffit de faire une étude comparative des cas attestés. Si incohérences il y a, il faut aussi vérifier les dates des différentes phrases, car Tolkien a pu changer d'avis sur cette question.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
Messages : 260
Sujets : 15
Inscription : Nov 2011
02.10.2019, 09:21
(Modification du message : 03.10.2019, 08:39 par Corchalad.)
Tolkien donne des indications succinctes sur l'usage de l'article (défini) en gnomique dans Parma Eldalamberon n° 11 p. 9 :
The article is used much as in English in reference to what has already been mentioned, in generic usages and so on. It differs in being much more frequently used with proper names - noticeably in the genitive where with a name na(n) [amalgame de l'article défini et de la marque de génitif] is almost always preferred to a(n) [marque de génitif seule].
Generically the article is always used. Thus both
the horse is a swift animal i·vrog na cuid arog
man is a foolish creature i·weg na an fofrin
or in common form of this proverb i·weg fof
and also in plural
women are beautiful i·winin na gwandron
Nous n'avons pas d'indications aussi explicites pour le noldorin puis le sindarin ultérieurs. Cependant, nous avons assez de groupes nominaux dans le corpus pour dégager des règles générales.
1. Une règle importante est qu'un nom est assez défini quand il est suivi d'un complément du nom lui même défini, et ne prend alors pas d'article. (Un peu comme avec le génitif saxon en anglais, quoique dans un ordre différent.) L'exemple le plus intéressant car dans un contexte syntaxique "réel" est Ered en Echoriath, ered e·mbar nín! "The mountains of Echoriath,
the mountains of my home!". Il y aussi un grand nombre d'expressions isolées, mais ce sont généralement des noms propres pris hors contexte, donc il peut y avoir un doute... mais il est sans doute significatif qu'aucun article ne se trouve jamais dans cette position. Exemples :
Ennyn Durin "les portes de Durin"
Conin en Annûn "princes de l'Ouest"
Haudh-en-Elleth "le tertre de la jeune elfe"
Cabed-en-Aras "le sauf du cerf"
Annon-in-Gelydh "la porte des Noldor"
Dor Firn i Guinar "le pays des morts qui sont en vie"
etc.
Surtout, c'est une règle générale en gallois (et à vrai dire dans toutes les langues celtiques), où un complément du nom défini exclut la présence de l'article sur le nom auquel il se rattache, lequel est pourtant alors de sens défini (Ce n'est pas le cas quand le complément du nom est indéfini). Exemples :
naid carw "(un) saut de cerf" ( naid = saut carw = cerf ; il n'y a pas d'article indéfini en gallois)
y naid carw "le saut de cerf, le saut d'un cerf" ( yr, formes réduites y et 'r, est l'article défini)
naid y carw "le saut du cerf"
Pour dire "un saut du cerf", on est obligé de passer par une construction alternative avec préposition telle que o "de [partitif], issu de", am "vers, autour de, à propos de", gan "avec, par" etc. : naid gan y carw, littéralement "un saut par le cerf".
Tolkien a certainement repris là cette particularité syntaxique.
2. Il semble que l'article ne s'emploie pas, ou ou moins pas obligatoirement, devant un nom générique (à l'image de l'anglais) :
Tôl acharn! "La vengeance vient !"
Lacho calad! Drego morn! "Flambe le jour! Fuie la nuit!"
bo Ceven sui vi Menel "sur la Terre comme au Ciel"
3. Dans le cas des noms propres, la Lettre du Roi en contient un grand nombre et donne des indications intéressantes qui montrent un grande diversité de situations (assez comme en français sur ce plan) : - n'utilise jamais l'article devant les noms de personne ;
- utilise l'article défini dans le nom de lieu i Varanduiniant "le pont du Baranduin" mais pas dans o Minas Tirith "de Minas Tirith" (en raison de la construction génitive ?) ;
- l'article est employé devant un titre dans i Cherdir Perhael "Maître Samsagace" mais pas dans aran Gondor ar Hîr i Mbair Annui "Roi de Gondor et Seigneur des Terres de l'Ouest" ni dans Condir i Drann "Maire de la Comté" du fait de la construction génitive ;
- les noms des mois et des saisons prennent l'article : nelchaenen uin Echuir "le trente-et-unième de la Reverdie" (et non *o Echuir). Il y a aussi erin dolothen Ethuil "le huitième [jour] du Printemps" et erin Gwirith edwen "le deux avril" si Ethuil et Gwirith sont bien les noyaux de ces syntagmes et qu'il faut comprendre syntaxiquement "sur le Printemps huitième" et "sur l'Avril deuxième" (mais d'autres analyses sont possibles).
4. L'article s'emploie conjointement avec les démonstratifs : le nom est alors encadré par l'article est le démonstratif (à nouveau, le gallois et les langues celtiques ont exactement le même genre de constructions) :
i thiw hin "ces signes"
i glinn hen "ce chant" (VT50:5)
5. Avec les possessifs, c'est plus incertain. La Lettre du Roi a plusieurs exemples de possessifs à circonflexe qui se passent d'article : mhellyn în phain "tous ses amis", bess dîn "sa femme", sellath dîn "ses filles", ionnath dîn "ses fils". Mais le Notre Père en sindarin a de nombreux exemples avec des possessifs à accent aigu ou sans accent qui s'accompagnent d'article, le groupe nominal étant encadré comme avec les démonstratifs : i eneth lín "ton nom", i arnad lín "ton règne", i innas lin "ta volonté", imbas ilaurui vín "notre pain quotidien", i úgerth vin "nos offenses".
Il est difficile de savoir si Tolkien a changé d'avis au cours de ans ou si ces deux constructions coexistent. Le circonflexe implique un mot accentué : peut-être y a-t-il une série de possessifs emphatiques accentués sans articles à côté d'une série simple inaccentuée et requérant l'article. (Il y a aussi eu plusieurs séries de possessifs en gallois, bien qu'ici le détail diverge assez nettement.)
6. Il semble probable que l'article soit omis plus fréquemment en poésie. Il est notable qu'il n'y en ait aucun dans A Elbereth Gilthoniel alors que les noms de sens défini y sont nombreux sur la foi de la traduction.
Le langage a à la fois renforcé l'imagination et a été libéré par elle. Qui saura dire si l'adjectif libre a créé des images belles et bizarres ou si l'adjectif a été libéré par de belles et étranges images de l'esprit ? - J. R. R. Tolkien, Un vice secret
Messages : 1 446
Sujets : 34
Inscription : Mar 2018
Merci pour tous ces éléments ! On pourrait quasiment en faire un mini-article, si tu acceptais
Doctus cŭm libro
― Proverbe latin
Messages : 260
Sujets : 15
Inscription : Nov 2011
C'est un germe alors, car il y aurait pas mal d'autres choses à dire sur les articles en sindarin : - leur amalgame avec des prépositions sous la forme d'un suffixe -(i)n ;
- l'emploi des articles "génitifs" par rapport aux articles "normaux" ;
- les mutations associées.
La section consacrée à l'article de la page d'Ardalambion sur le sindarin reste pertinente, mais n'a pas été mise à jour depuis près de quinze ans, et ne tient compte ni du gnomique ou du noldorin précoce.
Et il faudrait vérifier de façon plus fouillée dans le corpus. Là, j'ai vite décrit quelques traits saillants, mais je ne mettrais pas ma main à couper qu'il n'y ait pas un contre-exemple quelque part !
Le langage a à la fois renforcé l'imagination et a été libéré par elle. Qui saura dire si l'adjectif libre a créé des images belles et bizarres ou si l'adjectif a été libéré par de belles et étranges images de l'esprit ? - J. R. R. Tolkien, Un vice secret
Messages : 15 479
Sujets : 387
Inscription : May 2007
Corchalad, je crois bien que tu es en train de nous tracer le plan d'un article très intéressant.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
Messages : 1 446
Sujets : 34
Inscription : Mar 2018
J'imaginais d'ailleurs qu'il serait intéressant de faire la même pour l'article quenyarin Et, tant qu'on y est, bien lier les deux articles afin de permettre au lecteur de faire un comparatif.
Doctus cŭm libro
― Proverbe latin
Messages : 1 446
Sujets : 34
Inscription : Mar 2018
Je remets un peu mon nez dans ces questions. Voici quelques éléments nouveaux :
Tout d'abord, en regardant du côté du PE 17 (p. 147), je m'étonne de voir coexister Aran cîr (ou na chîr) lim, "*King of swift ships" avec i-arben na megil and "The Knight of the Long Sword", malgré le génitif qui se trouve derrière. Voir aussi i·Veleglind (VT50) et i-m(b)air en N(d)engin pour compléter cette énigme sur les titres.
Idem, je vois gurth an Glamhoth et pourtant naur dan i ngaurhoth.
J'ai commencé à échafauder une théorie peu sérieuse sur la variation de la présence d'articles dans des constructions possessives.
Je vois tout d'abord que ce n'est pas **Ae i Adar nin mais seulement Ae Adar nin, ce qui plaide pour une non-généralisation de la tournure dominante (article-nom-possessif). Peut-être seulement dans le cas d'un vocatif ?
Je me suis demandé si on ne pouvait pas utiliser cette tournure uniquement dans le cas de noms génériques. Par exemple, puisque l'on dirait tol arnad (à la ressemblance de tol acharn), on dit tolo i arnad lin (et l'on dirait tolo i acharn lin).
Ou alors la construction article-nom-possessif est une tournure emphatique, "pré-démonstrative" puisqu'elle met l'accent sur ce qui est possédé.
C'est encore très brouillon, et toutes vos idées sont les bienvenues !
Doctus cŭm libro
― Proverbe latin
Messages : 112
Sujets : 10
Inscription : Feb 2020
Il est possible dans le cas Aran cîr lim "King of swift ships" vs i-arben na megil and "The knight of the long sword" que dans le premier cas Aran renvoie à un roi unique, d'autant plus qu'il y a absence de genitif devant cîr lim, ce qui indiquerait que l'ensemble est déjà défini (et donc, comme pour les noms propres, un génitif implicite).
Tandis que pour i-arben na megil and, il pourrait s'agir d'un chevalier parmi ceux d'un ordre, et donc qu'il a besoin de préciser qu'il s'agit de lui. Sans doute le contexte aurait pu nous éclairer là dessus.
Messages : 1 446
Sujets : 34
Inscription : Mar 2018
Ce sont des titres que j'ai du mal à raccrocher avec quelque contexte que ce soit :/ De mémoire, c'est dans la glose du sindarin na.
De ma part, je me suis dit que Aran cîr lim pourrait être un épithète, à associer à un nom (comme dans Durin, Aran Moria) mais, par contre, que le i-arben na megil and soit un nom à proprement parler, c'est-à-dire qu'il suffit à désigner la personne. Ainsi, on dirait soit i-arben na megil... soit Imrahil, arben na megil and.
Rien ne permet de corroborer ou pas, j'en ai peur
Doctus cŭm libro
― Proverbe latin
Messages : 15 479
Sujets : 387
Inscription : May 2007
Pour compléter la question de la règle en quenya, je renvoie au PE 17, p. 13, 66, 91 et surtout au VT 49, p. 8, qui donne la règle d'usage telle que Tolkien la concevait au début des années 1950.
Pour le sindarin, on a un détail sur l'usage de l'article avec les démonstratifs en PE 17, p. 44, une règle phonologique en PE 17, p. 104, des précisions (peu claires pour moi) sur le génitif en PE 17, p. 97, ainsi qu'une considération sur les noms propres pluriels en PE 17, p. 42, qui risque fort de rendre la question encore plus obscure. Il y a aussi des analyses de l'usage de l'article par Hostetter dans les VT 49 et 50.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
Messages : 1 446
Sujets : 34
Inscription : Mar 2018
Merci pour ces éléments !
Je reporte quelques citations brèves des références citées, qui me semblent particulièrement intéressantes :
PE 17, p. 44 :
Citation :S i thiw hin [mutation nasale] (the letters these) = these letters, pl. of i dew hen 'this letter' [lénition] : tew, pl. tiw, letter = Q tengwa.
[têw >> tew; tîw >> tiw.]
i thiw hin, in-tiw sîn, pl. these letters, sg. i | têw | sen. sina, this.
[sin >> sen. Draft. Cf. "Hands, Fingers & Numerals," VT 49, pp. 1 8, 34.]
The use of the article by languages possessing one with demonstratives is of course not only Welsh, nor the placing of the demonstrative last.
[Masson 3 . An example of a similar syntactic construction in Welsh is y g-Wr hwn 'this man', where y is the article and hwn is the demonstrative ' this' (Morris, Welsh Grammar, pp. 294-5).]
PE 17, p. 104 (discussion d' umbar et ambar) :
Citation :in Sindarin in absolute initial position the nasal was lost: mb ' to b ', but if a proclitic word, such as the article i 'the ' , preceded, mb remained and developed, as medially, > mm > m.
___
Le VT 50, p. 14 présente la forme iglind then, avec l'article préfixé (où l'on n'observe pas de mutation).
Citation :The phrase iglind then *'this song' (lit. *'the song this') parallels
in syntax the Welsh-like deictic phrase i thiw hin 'these signs' (lit. *'the signs these') found in Tolkien's drawing of the West-gate of Moria (LR:297; and cf. VT 44:24, PE17:44), and moreover apparently employs the singular form then of the same deictic pronoun found in the first versions of that drawing, which have i·ndiw thin 'these signs' (cf. VIb 82). As discussed above, thin was emended to hin sometime before 1953; and it is interesting to note that then here similarly becomes hen in the next version of this phrase below. [...]
The alteration here and on the gate-inscription of forms in initial th- to forms in initial h- apparently reflects a change in derivation from an ancestral singular form like *thina (> then) to one like *sina (> *sen
> hen), either of which would regularly yield Q. sina.
Doctus cŭm libro
― Proverbe latin
|