27.04.2009, 23:29
J’avais déjà noté ce machin il y a un bail (il faut dire qu’il y a une perle de commentaire qui me fait rêver cachée là-dessous) mais je n’avais su trouver le temps de rédiger une bafouille critique et mesquine. Il en est grand temps !
Procédons par ordre et sans souci de mise en forme, comme à mon habitude.
Mes remarques porteront essentiellement sur le caractère poétique de cette traduction ; le travail linguistique, je le laisse à d’autres. Mes remarques ne tiennent ici absolument pas compte de la difficulté du respect de Tolkien et font retomber toutes les fautes sur ce pauvre Elendil. Mais je reconnais ici solennellement que ‘y avait du job’ et qu’il a été, en définitive, plutôt bien abattu ; mais la tâche est je pense trop ardue pour être une réussite complète quoiqu’il en soit.
Remarque générale : la richesse visuelle des rimes est toute à ton honneur Elendil, et c’est un travail bien rare à admirer de nos jours ; mais enfin ça fait partie des grandes révolutions de la poésie que je comprends et approuve, son abandon. Pour moi c’est une contrainte qui ferme plus de portes qu’elle n’apporte de beauté formelle, et s’enfermer là-dedans quand on a déjà subir la contrainte de la traduction est un peu ‘suicidaire.’ J’applaudis à l’effort, mais je pense que le résultat en soufre. Des rimes tout aussi riches à la prononciation, mais visuellement plus faibles, te sauveraient parfois la mise j’imagine ; il y en a d’ailleurs quelques unes, alors autant céder complètement à ce penchant bien naturel. Tant que ça ne nuit pas à la musique des mots.
Strophe 1 :
v1> Commencer un poème en décasyllabe par un vers de onze pieds, non, ça ne peut pas passer. Je ne vois pas bien d’où vient la notion de commencement dans la VO ici, mais après ma connaissance de la langue de Tolkien est loin d’être ne serait-ce que bonne, et n’est d’ailleurs pas appelée à s’améliorer, grand bien lui en fasse. ^_^
v3> Ben là le ‘déloyauté’ tombe comme un cheveu sur la soupe, à mon goût à tout le moins. Ça rend je pense la syntaxe de la phrase, déjà fragile, trop alambiquée, surtout pour un début de poème. Faut bien voir que le décasyllabe, ce n’est plus un rythme qui nous est vraiment naturel, et il faut toujours un certain de nombre de vers avant que sa musicalité ne s’imprime dans l’esprit du lecteur. C’est pourquoi il faut préférer je pense (sauf si le désir est de choquer) les structures plus originales pour les passages plus avancés du texte, une fois le rythme bien imprimé : c’est vrai du décasyllabe, c’est tout aussi vrai de tout vers tordu de Verlaine, et d’ailleurs ce dernier se débrouille bien à ce jeu là, quand je trouve Rimbaud généralement trop abrupt.
v5> ‘chant de fermeté’ est malheureux je trouve… mais pour le coup ‘song of staying’ l’est aussi pour moi -_- Bref je trouve ça un peu faiblard et ç’aurait sans doute pu être mieux tourné.
v7> Dommage de trouver ‘ferme’ juste derrière ‘fermeté’
v9> Elendil, toi, tu ne diérèses pas ? ^_^
A y réfléchir, je ne suis pas convaincu que cet usage (la diérèse) corresponde au caractère plus archaïque que tu cherches à donner à ton poème donc j’aurai tendance à t’approuver. Mais cela me surprend quand même héhé.
Altération est très bon, « changeante substance » sonne étrangement.
v10> Même sans diérèse à pièges, on arrive à 11 pieds. Forcées est très bon, évités un peu faible (j’en ai un, de faible, pour éluder, mais ça ne résout pas la métrique).
Strophe 2 :
v2> On s’éloigne davantage ici de l’original il me semble ; je dois avouer que le participe présent passait difficilement mais du coup on abandonne une image active pour une image passive avec des participes passés… Ce que je reproche autrement à ton ‘tranchant’ c’est qu’on a l’impression qu’il ne se rapporte qu’à l’hymne quand le ‘ever more strong’ (pour moi, en tout cas) fait écho à la fois au chant et à la lutte de Felagund, admirablement juxtaposés.
v4&5> Là encore des libertés qui peuvent se justifier, mais qui tranche avec la strophe 1 qui se voulait beaucoup plus proche du texte. Je ne suis vraiment pas faon (Bambi ! ^_^) de l’inversion où Elfinesse se retrouve jetée en tête : ç’aurait pu passer sir le vers d’avant avait fini par un point et qu’une nouvelle proposition commençait de façon claire, mais là c’est déjà assez ‘perdant’ pour ne pas rajouter ce petit tour je pense…
Force est un peu dommage employé ici, où pour une fois l’anglais s’éloigne de ce matérialisme pour un univers de puissance plus incertaine et féérique.
Je trouve que ‘mot’ n’est pas assez mis en valeur autrement : c’est, j’en suis conscient, le comble de la chicane, mais je pense qu’on est là au cours de la magie du poème de Tolkien, tout ce autour du langage, du chant, de la parole, du Verbe. Jeu qu’on perd un peu dans ta version je trouve. Retrouver l’esprit de la litanie, de l’invocation en quelque sorte serait bénéfique je pense.
L’image des roseaux comme des lilas me plait assez mais…
Sur la suite de la strophe : dommage pour le au-delà/par-delà, conserver le même terme serait plus litanique (ça existe ce mot ?). En revanche je suis un très grand faon de ton Eldarêve, qui s’éloigne peut-être un peu du texte mais rend bigrement bien la monnaie de sa pièce à la grève roulante.
Strophe 3 :
v1&2> On dit en général que les participes présent sont laids en français ; je ne suis pas d’accord ; mais, comme les participes passés, ils ne sont décidément pas à leur place au niveau de la rime. Bof donc.
v4> ‘Coureurs d’écume’ est d’un très beau rendu. Voleurs, beaucoup moins.
v5&6> Les rimes blanche/flanche sont très belles. En revanche, ne me dis pas que tu n’es pas capable de trouver plus chouette que ‘éclairés’, tu n’abuserais personne.
La suite est très belle, très poétique, bien construite. Le rythme se fait enfin naturel et les images ne sont pas forcées. Pour le coup, je trouve même ta version plus intéressante que l’original sur cette courte longueur, alors que jusqu’ici, autant j’admire vraiment le travail, autant je n’accrochais pas vraiment.
Juste une remarque : pourquoi au dernier vers préférer un présent à un passé – alors que l’anglais fait justement la rupture entre une évocation du passé au présent et un combat ‘présent’ au passé ? De plus, le passé simple te permettra de refuser l’inversion sujet/verbe qui, si elle sonne bigrement bien dans la version « Et tombe Felagund… », me semble plus forcée dans la tienne.
Fini pour les méchancetés ! ^_^
J’ai quand même passé un bon moment va : continue, je pense l’exercice intéressant et formateur.
Divitiac
Procédons par ordre et sans souci de mise en forme, comme à mon habitude.
Mes remarques porteront essentiellement sur le caractère poétique de cette traduction ; le travail linguistique, je le laisse à d’autres. Mes remarques ne tiennent ici absolument pas compte de la difficulté du respect de Tolkien et font retomber toutes les fautes sur ce pauvre Elendil. Mais je reconnais ici solennellement que ‘y avait du job’ et qu’il a été, en définitive, plutôt bien abattu ; mais la tâche est je pense trop ardue pour être une réussite complète quoiqu’il en soit.
Remarque générale : la richesse visuelle des rimes est toute à ton honneur Elendil, et c’est un travail bien rare à admirer de nos jours ; mais enfin ça fait partie des grandes révolutions de la poésie que je comprends et approuve, son abandon. Pour moi c’est une contrainte qui ferme plus de portes qu’elle n’apporte de beauté formelle, et s’enfermer là-dedans quand on a déjà subir la contrainte de la traduction est un peu ‘suicidaire.’ J’applaudis à l’effort, mais je pense que le résultat en soufre. Des rimes tout aussi riches à la prononciation, mais visuellement plus faibles, te sauveraient parfois la mise j’imagine ; il y en a d’ailleurs quelques unes, alors autant céder complètement à ce penchant bien naturel. Tant que ça ne nuit pas à la musique des mots.
Strophe 1 :
v1> Commencer un poème en décasyllabe par un vers de onze pieds, non, ça ne peut pas passer. Je ne vois pas bien d’où vient la notion de commencement dans la VO ici, mais après ma connaissance de la langue de Tolkien est loin d’être ne serait-ce que bonne, et n’est d’ailleurs pas appelée à s’améliorer, grand bien lui en fasse. ^_^
v3> Ben là le ‘déloyauté’ tombe comme un cheveu sur la soupe, à mon goût à tout le moins. Ça rend je pense la syntaxe de la phrase, déjà fragile, trop alambiquée, surtout pour un début de poème. Faut bien voir que le décasyllabe, ce n’est plus un rythme qui nous est vraiment naturel, et il faut toujours un certain de nombre de vers avant que sa musicalité ne s’imprime dans l’esprit du lecteur. C’est pourquoi il faut préférer je pense (sauf si le désir est de choquer) les structures plus originales pour les passages plus avancés du texte, une fois le rythme bien imprimé : c’est vrai du décasyllabe, c’est tout aussi vrai de tout vers tordu de Verlaine, et d’ailleurs ce dernier se débrouille bien à ce jeu là, quand je trouve Rimbaud généralement trop abrupt.
v5> ‘chant de fermeté’ est malheureux je trouve… mais pour le coup ‘song of staying’ l’est aussi pour moi -_- Bref je trouve ça un peu faiblard et ç’aurait sans doute pu être mieux tourné.
v7> Dommage de trouver ‘ferme’ juste derrière ‘fermeté’
v9> Elendil, toi, tu ne diérèses pas ? ^_^
A y réfléchir, je ne suis pas convaincu que cet usage (la diérèse) corresponde au caractère plus archaïque que tu cherches à donner à ton poème donc j’aurai tendance à t’approuver. Mais cela me surprend quand même héhé.
Altération est très bon, « changeante substance » sonne étrangement.
v10> Même sans diérèse à pièges, on arrive à 11 pieds. Forcées est très bon, évités un peu faible (j’en ai un, de faible, pour éluder, mais ça ne résout pas la métrique).
Strophe 2 :
v2> On s’éloigne davantage ici de l’original il me semble ; je dois avouer que le participe présent passait difficilement mais du coup on abandonne une image active pour une image passive avec des participes passés… Ce que je reproche autrement à ton ‘tranchant’ c’est qu’on a l’impression qu’il ne se rapporte qu’à l’hymne quand le ‘ever more strong’ (pour moi, en tout cas) fait écho à la fois au chant et à la lutte de Felagund, admirablement juxtaposés.
v4&5> Là encore des libertés qui peuvent se justifier, mais qui tranche avec la strophe 1 qui se voulait beaucoup plus proche du texte. Je ne suis vraiment pas faon (Bambi ! ^_^) de l’inversion où Elfinesse se retrouve jetée en tête : ç’aurait pu passer sir le vers d’avant avait fini par un point et qu’une nouvelle proposition commençait de façon claire, mais là c’est déjà assez ‘perdant’ pour ne pas rajouter ce petit tour je pense…
Force est un peu dommage employé ici, où pour une fois l’anglais s’éloigne de ce matérialisme pour un univers de puissance plus incertaine et féérique.
Je trouve que ‘mot’ n’est pas assez mis en valeur autrement : c’est, j’en suis conscient, le comble de la chicane, mais je pense qu’on est là au cours de la magie du poème de Tolkien, tout ce autour du langage, du chant, de la parole, du Verbe. Jeu qu’on perd un peu dans ta version je trouve. Retrouver l’esprit de la litanie, de l’invocation en quelque sorte serait bénéfique je pense.
L’image des roseaux comme des lilas me plait assez mais…
Sur la suite de la strophe : dommage pour le au-delà/par-delà, conserver le même terme serait plus litanique (ça existe ce mot ?). En revanche je suis un très grand faon de ton Eldarêve, qui s’éloigne peut-être un peu du texte mais rend bigrement bien la monnaie de sa pièce à la grève roulante.
Strophe 3 :
v1&2> On dit en général que les participes présent sont laids en français ; je ne suis pas d’accord ; mais, comme les participes passés, ils ne sont décidément pas à leur place au niveau de la rime. Bof donc.
v4> ‘Coureurs d’écume’ est d’un très beau rendu. Voleurs, beaucoup moins.
v5&6> Les rimes blanche/flanche sont très belles. En revanche, ne me dis pas que tu n’es pas capable de trouver plus chouette que ‘éclairés’, tu n’abuserais personne.
La suite est très belle, très poétique, bien construite. Le rythme se fait enfin naturel et les images ne sont pas forcées. Pour le coup, je trouve même ta version plus intéressante que l’original sur cette courte longueur, alors que jusqu’ici, autant j’admire vraiment le travail, autant je n’accrochais pas vraiment.
Juste une remarque : pourquoi au dernier vers préférer un présent à un passé – alors que l’anglais fait justement la rupture entre une évocation du passé au présent et un combat ‘présent’ au passé ? De plus, le passé simple te permettra de refuser l’inversion sujet/verbe qui, si elle sonne bigrement bien dans la version « Et tombe Felagund… », me semble plus forcée dans la tienne.
Fini pour les méchancetés ! ^_^
J’ai quand même passé un bon moment va : continue, je pense l’exercice intéressant et formateur.
Divitiac