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02.06.2018, 23:42
(Modification du message : 02.06.2018, 23:54 par Vinyamar.)
Bonjour,
à la suite des échanges avec Tikidiki sur le fuseau du choix d'Elros, nous avons eu des passes d'arme sur l'autorité des sources à utiliser, Tikidiki considérant que les écrits de Tolkien les plus récents "abrogeaient" ses écrits plus anciens.
Ne partageant pas cette opinion tranchée, tout en comprenant bien qu'elle puisse sembler logique, notre discussion a conduit à un peu d'incompréhension, qui a aboutit à ce débat de fond :
doit-on considérer que les écrits les plus récents d'un auteur abrogent forcément les plus anciens,
ou bien peut-il y avoir des cas où un récit plus "originel" a meilleure autorité, même si l'auteur a cru changer d'avis ensuite.
Je ne me considère pas comme très affuté ni très compétent sur le sujet (n'ayant à la base pas prêté la moindre attention aux chronologies des différentes et contradictoires solutions apportées par Tolkien sur le problème cité), néanmoins j'ai pensé à une façon d'aborder la question ici quand même, avec 3 exemples : - La même question dans les religions
- la question dans les comics (!)
- la question chez les auteurs
La religion étant par principe un sujet sensible, nous nous bornerons ici à une analyse exégétique et non de croyant ou d'incroyant. Puis nous virerons de bord vers des exemples plus légers pour rester dans un thème ludique.
Je n'ai aucune compétence particulière dans ce domaine, je tente d'associer à mes souvenirs des exemples sourcés, mais tout cela peut contenir des imperfections.
1- La question dans les religions
Je me contenterai de 2 exemples : celui des versets abrogeant dans l'Islam, et de la Tradition dans la religion chrétienne.
A- Les versets abrogeant dans l'Islam
Le Coran n'est pas un récit (comme la Bible) mais plutôt un recueil de différentes "pensées" (inspirées) de Mahomet. Le recueil présente donc des versets, parfois sans lien les uns avec les autres, rangés dans des sourates (chapitres). Ces sourates seraient publiées de nos jours par ordre de taille.
Mais il existe des versets qui disent strictement le contraire l'un de l'autre, sans qu'il soit possible de trouver une interprétation permettant de les faire cohabiter. L'exemple le plus marquant est celui du vin :
Citation :5.90: Ô les croyants! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées, les flèches de divination ne sont qu’une abomination, oeuvre du Diable. Écartez-vous en, afin que vous réussissiez.
Citation :16.67: Des fruits des palmiers et des vignes, vous retirez une boisson enivrante et un aliment excellent. Il y a vraiment là un signe pour des gens qui raisonnent.
Le Coran bannit donc le vin dans un verset comme oeuvre du diable, et en fait presque une boisson divine dans un autre. Comment savoir ce qu'il faut pratiquer ? Des théologiens musulmans ont assez naturellement décidé sur ce genre de contradiction que les versets les plus récents abrogeaient les plus anciens, (en s'aidant d'un verset qui indique qu'une telle chose est possible), charge aux spécialistes de déterminer lequel est le plus récent.
Ici l'interdiction du vin est plus récente que son appréciation : dont règle.
Bon.
Problème : les versets les plus intolérants et appelant même au meurtre des non croyants sont plus récents (période médinoise) que ceux appelant à la paix, la tolérance et la concorde (période mecquoise) (la raison historique étant que l'Islam en expansion était fragile et devait composer avec les autres peuples, tandis qu'une fois devenu fort et majoritaire, il pouvait matériellement écraser ses adversaires)
Ceci (et d'autres cas de contradictions) gêne aux entournures, même les plus fidèles musulmans, qui aimeraient bien trouver une solution plus saine à ce problème.
De nouvelles interprétations se font donc jour, suggérant soit que chaque verset est adapté à un lieu et à une époque différente ("contextualisation"), soit qu'il faut choisir selon son propre coeur ("interprétation"). ( exemple de ces interrogations ici). Evidemment, cela fait débat et personne n'est d'accord sur le sujet.
Mon propos n'est pas ici de trouver une solution à ce problème - sur lequel les théologiens et croyants musulmans s'affrontent encore (tapez "Coran abrogeant" dans Google si vous voulez en apprendre plus) - mais de montrer pourquoi la solution du plus récent abrogeant les anciens n'est pas forcément la meilleure.
B- La Tradition VS la Parole vivante dans la religion chrétienne
Evolution des textes
Dans la religion chrétienne, deux courants "s'affrontent" presque depuis l'origine. De façon caricaturale : ceux qui font vivre la Parole de Dieu en l'interprétant sans cesse de nouveau et l'adaptant au monde (l'Eglise catholique pour simplifier, qui "produit" donc de nouveaux textes) VS ceux qui recherchent le message originel et courent sans cesse auprès du Jésus le plus "pur", c'est à dire débarassé de tout ce qui a été surajouté ensuite (cela va des protestants qui vont se référrer à l'écriture seule jusqu'aux courants les plus forcenés de l'exégèse qui vont jusqu'à faire le tri même dans la Bible pour tenter d'isoler les textes les plus anciens seulement, jugés plus purs (tout ajout ultérieur étant qualifié d'impureté)).
Là aussi où se trouve la vérité ? A l'origine ? Ou au terme ?
Bien malin qui pourra répondre d'une seule phrase.
Deux récits de la création
Et même en tranchant cette question, on se retrouve avec quelques contradictions dans la Bible. Par exemple, dans son premier chapitre, la Bible offre deux récits de la création qui n'ont franchement pas grand chose à voir l'un avec l'autre.
Le premier récit montre un monde fait en sept jours (nombre divin dans le monde juif signifiant que le monde est tout entier divin) et qui aboutit à la création de l'homme comme homme et femme (les 2 à la fois), au terme de toute la création.
Le second récit montre que Dieu fait la terre et l'eau, puis crée aussitôt l'homme à base d'argile, avant de faire pousser les plantes pour le placer dans un jardin parfait afin de le cultiver. Mais l'homme est seul, alors Dieu fait d'autres êtres vivants pour lui, mais il n'est pas satisfait. Alors Dieu crée la femme à partir de sa côte.
D'un point de vue historique et chronologique, les deux récits se contredisent. (si on considère que les auteurs inspirés ne font que retranscrire chacun le même Auteur divin ?)
(bien que d'un point de vue ontologique, les deux montrent que l'homme et la femme sont égaux, et que le monde a été fait pour eux)
Selon les exégètes, le plus récent est le premier récit (qui joue clairement avec des concepts plus subtils que le second, un peu plus "fermier"). Faut-il donc le considérer comme plus vrai que l'autre ? Dieu a donc vraiment besoin de se reposer ?
Moïse fendant les eaux
Ou bien dans le récit de la mer fendue en deux par Moïse, le récit principal évoque un vent bûlant qui chasse la mer pendant toute la nuit et en fait apparaître le fond, tandis que certaines mentions ajoutées ultérieurement évoquent une mer tranchée en deux avec des murs d'eaux à gauche et à droite. Ici, le plus récent est clairement le plus fantastique (fait pour ajouter au miracle). Le plus récent est clairement le moins fiable.
2- Les comics
Je saute d'un pas léger vers un exempe beaucoup moins complexe : les comics américains.
J'ai voulu un jour m'aenturer à lire un résumé de l'histoire de Superman. Grave erreur ! Il y a tellement de contradictions et d'incohérence dans l'ensemble du récit que la seule solution a été d'imaginer une multitude d'univers parallèles permettant aux diverses versions de n'être cohérentes que dans un univers donné.
Et c'est vrai pour la majorité des super-héros américains.
Certes, le problème est renforcé par la mutitude de scénaristes aux commandes, mais tous travaillent tout à fait légalement aux ordres de l'éditeur (qui veille à la cohérence) pour prolonger la vie du héros.
Face au devenir de certains héros, beaucoup de fans se disputent en revenant ou non aux sources.
Et c'est vrai de beaucoup d'autres héros évoluant dans le temps. Parfois de la responsabilité d'un seul et même auteur !
On a ici la même problématique que pour la religion : la vérité est-elle aux sources ou dans l'évolution ?
3- Chez les auteurs
Sur la question de l'autorité des sources, je me permet de faire une autre séparation:
Publié VS Brouillon
Je n'ai pas fait cette étude chez Tolkien, mais de mes différentes lectures (letters et Home) je suis à peu près sûr que même dans ses brouillons Tolkien est revenu en arrière.
Il a pu avoir différentes idées sur ses histoires, changer d'avis tardivement dans ses brouillons. Mais au moment de publier l'histoire, il revenu à une version antérieure, soit qu'il la jugeait plus cohérente (la nouvelle idée générant trop d'incohérence), soit qu'il reconsidérait son idée antérieure comme plus conforme à sa philosophie.
De ce fait, je ne pense pas qu'on puisse considérer différentes versions de brouillons comme relevant de toute façon de la règle naturelle (mais combattue ici) du plus récent abrogeant le plus ancien. Car un auteur est encore en réflexion quand il est en brouillon, et trancher définitivement doit se faire avec le plus grand soin. C'est même parfois l'éditeur qui donne les choix à prendre à l'auteur, en connaissance du lectorat, de contraintes matérielle (nombre de pages) ou comme tiers relevant des incohérences que l'auteur a perdu de vue.
La dernière version d'un brouillon ne fait pas, de fait autorité. En revanche, incontestablement (et évidemment), une version publiée fait autorité sur un brouillon. Même si la version publiée est celle d'un brouillon antérieur, même si des notes ultérieures contredisent la publication (auteur qui commence à changer d'avis sans en avoir forcément mesuré toutes les conséquences).
Vision d'un auteur
Bon voilà, je n'ai pas étudié d'autres auteurs comme j'ai pu étudier Tolkien, donc je n'ai pas d'autre exemple à donner chez des auteurs fameux. Sans doute certains ici sauront le faire.
Mais comme j'écris aussi, je vais me permettre, très modestement, d'illustrer cela avec mon propre exemple, d'autant que mon écriture s'étire sur 20 ans.
Je suis donc un écrivain à la petite semaine qui écrit quand il en a le temps. J'ai mis 10 ans à écrire et publier mes deux premiers tomes, et 10 ans à terminer les 2 derniers.
Autant vous dire que dans ce laps de temps, ma vision des choses a changé. Et c'est là un élément important : sur une aussi longue période de temps que celle sur laquelle Tolkien a écrit, sa vision, sa philosophie, ses sentiments évoluent forcément. (mais pas nécessairement en mieux pour l'intégrité de l'histoire)
A 40 ans, il est difficile de me retrouver dans tout ce que j'avais écrit à 20 ans.
Dans mon cas, le plan de toute mon histoire était écrit depuis le début. Je savais donc d'où mes héros venaient et où ils allaient.
Mais le temps que j'ai mis à rédiger réellement l'histoire, sans compter les passages découlant naturellement de certaines attitudes ou événements et que je n'avais pu prévoir dans le plan initial, a conduit celle-ci à évoluer.
Sauf que plus l'histoire évoluait loin de son plan original, plus je créais des contradictions, non seulement avec le futur (ce que j'avais prévu d'écrire) mais aussi avec le passé. Tel comportement induit par tel événement ne collait plus avec le comportement antérieur du héros.
Au final, mes changements de scénarios inattendus provoquaient de réelles ruptures avec le récit. Et plus d'une fois, je me suis retrouvé à relire toutes mes notes passées pour comprendre : pourquoi avais-je écrit tel passage ? Où est-ce que je voulais en venir ? Etait-ce du détail ou du fondamental ?
Je me retrouvais donc à faire ma propre auto-exégèse pour vérifier si le tournant que je prenais était conforme à l'idée originelle, et si je ne trahissais pas toute l'histoire. Et au final, j'étais plutôt étonné de la qualité des idées initiales. Le temps passant, j'avais certes évolué, mais j'étais aussi devenu plus paresseux intellectuellement. Confronter une idée nouvelle aux idées plus jeunes révélait (2 fois sur 3) que l'ancienne était en fin de compte meilleure.
Mes brouillons les plus récents se révélaient, après analyses, moins qualitatifs et plus problématiques, souvent, que les premières idées (plus anciennes).
Conclusion
Je me suis certes permis des exemples tout à fait discutables pour cette tentative de démonstration, mais voilà le bout du chemin. Je pense qu'un texte plus récent ne suffit pas en tant que tel à abroger les plus anciens.
Il faut de l'analyse, du jugement, des avis extérieurs même, pour déterminer quelle source est la plus satisfaisante face à un problème donné.
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Un débat qui promet d'être très intéressant pour l'historien que je suis
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03.06.2018, 11:28
(Modification du message : 03.06.2018, 11:35 par Faerestel.)
Bergelmir, j'espère que tu seras plus prolixe dans de futurs messages! Tes avis et éclaircissements seront les bienvenus!
Vinyamar nous montre que dans le cas des religions des versions différentes relèvent d'un enjeu politique.
Il a fallu également une volonté politique pour éradiquer le Mithraïsme romain ou unifier, ordonner, assurer la cohérence (ou tenter de le faire) des paroles religieuses (Concile de Nicée).
Tolkien n'est pas soumis à ce genre de pressions. Sa foi est intègre, parfaitement définie, et son oeuvre lui appartient. Je pense que quand il modifie un élément, c'est de bonne foi (comme un serviteur de son monde secondaire, dans une vision ultra-internaliste) ou parce que il le juge nécessaire dans une vision plus entomologiste, si je puis me permettre. Il a expressément laissé des mystères et a réussi de belles cabrioles quand sa mémoire le trahissait. Ainsi, je pense que le développement de la réincarnation chez les Elfes doit beaucoup à la présence de "deux" Glorfindel.
Au contraire des scénaristes de super-comics, il n'a besoin ni de se démarquer de qui que ce soit, ni de respecter le cahier des charges d'un éditeur. D'ailleurs, lui imposer des contraintes de forme constituait le maximum de ce qu'il pouvait endurer!
Son légendaire se développait et s'expliquait au fur et à mesure qu'il était nourri de nouveaux textes. Il était en gestation perpétuelle. Ce qui impliquait de nécessaires corrections des écrits les plus anciens. Quand il s'avère que les Balrogs sont des Maiar qui peuvent envoyer "ad patres" un autre Maia, en l'occurrence Olorin, il est hors de question que Turgon en tue 40 lors de la chute de Gondolin! De même il ne peut en avoir existé des centaines. Entre 5 et 7 suffiront bien!
Tolkien a merveilleusement réussi son pari de nous offrir une mythologie (même si nous ne sommes pas anglais!). Je ne connais pas d'autres auteurs qui suscitent chez leurs lecteurs des débats tournant autour de la question du "vrai" dans une oeuvre de fiction. Il a réussi à faire de nous des chercheurs devant un objet quasi historique. Mais, dans le même temps, il faut aussi admettre, comme lorsque nous considérons par exemple les questions de filiation dans la mythologie grecque, que deux faits opposés puissent être "vrais" tous les deux.
Cela aurait-il été résolu chez Tolkien si il avait eu la longue vie d'un Nain? Ce n'est même pas sûr à mon avis. Certaines choses auraient changé, Je pense par exemple à la position et la filiation de Gil-Galad, mais d'autres seraient restées dans l'ombre, dans l'entre-deux, parce que Tolkien savait que c'est ainsi que les mythes fonctionnent.
Malgré cela, quand Tolkien prend la plume et sort de son monde secondaire pour l'évoquer dans une Lettre, je pense que nous n'avons que peu de choix et devons nous fier au jugement, à la position, exprimé en cette circonstance particulière.
Dorées les feuilles tombent, mais le rêve se poursuit
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03.06.2018, 12:35
(Modification du message : 03.06.2018, 12:37 par Widor.)
Pour ma part j'ai tendance à être un peu extrémiste en matière d'autorité des sources en matière littéraire. Pour moi, ne possède une réelle autorité que les sources publiées par l'auteur de son vivant ou avec son accord.
Les autres œuvres sont intéressantes dans le sens où elles nous permettent de lire et d'essayer de comprendre le but, la volonté et l'évolution littéraire et intellectuelle de l'auteur mais il s'agit d'un travail inachevé. Qui sait si Tolkien n'aurait pas encore modifié tel ou tel chose.
Savoir si le travail récent a plus d'autorité que le travail ancien n'a pas, à mon sens, vraiment d'intérêt. Il nous permet de comprendre l'évolution de la réflexion mais pas ce que Tolkien aurait tranché en dernier ressort s'il avait publié le Silmarillion par exemple.
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03.06.2018, 12:42
(Modification du message : 03.06.2018, 15:51 par Vinyamar.)
Citation :Vinyamar nous montre que dans le cas des religions des versions différentes relèvent d'un enjeu politique
non, non absolument pas.
Je n'ai jamais écrit que l'évolution du Coran avait eu, dans l'exemple, des motivations politiques, mais au contraire un contexte politique différent (qui permettait cette évolution, et non pas qui le motivait, c'est une nuance fondamentale).
Pareil dans la Bible, il n'y a aucune motivation politique, mais plutôt spirituelle (renforcer la foi).
Enfin, cela ne change rien au propos. Quelle que soit la motivation qui pousse à transformer un texte, il y en a forcément des externes (le film Le Magnifique de Broca avec Belmondo en est une illustration hillarante). Tolkien a forcément changé son point de vue politique (de plus en plus conservateur ?), sinon philosophique (L'humanité est corrompue mais elle peut s'en sortir quand même en se reposant sur le savoir ancestral de ses aînés et en retrouvant la vision d'un monde merveilleux), ou même littéraire (influence de ses amis des Inklings, dont en particulier C.S Lewis par opposition à son style).
Toutes ces causes extérieures influencent les idées d'un auteur. Inutile d'évoquer de prétendues "pression"...
Bien sûr, je suis d'accord avec toi à propos de la réflexion internaliste de Tolkien, et tout autant pour l'explication de la réincarnation des Elfes subséquente à la présence de deux Glorfindel (et pas forcément voulue comme telle dès le départ, comme on peut le voir remanier souvent le concept ultérieurement).
En revanche, pas d'accord du tout avec la neutralité d'un éditeur.
C'est son éditeur qui a réclamé à Tolkien une suite à Bilbo. Tolkien travaillait sur le Silmarillon. Sans la commande de l'éditeur, nous n'aurions jamais eu le Seigneur des Anneaux. Et je suis convaincu que pour une œuvre aussi immense, l'éditeur a donné des consignes à Tolkien, sinon des modifications (il me semble en avoir lu quelques unes dont je ne saurais là retrouver la trace) - au-delà de la découpe en 3 tomes.
Enfin, je pensais justement avoir montré qu'un auteur peut se tromper lui-même (deceive) et que des écrits ultérieurs non entérinés par une publication ne sont pas l'omega de sa pensée (il faut analyser toutes les implications d'une nouvelle pensée, ce qu'un auteur rédigeant une lettre privée n'a pas forcément fait)
Aldous Uxley et son Meilleur des mondes en a, je crois, donné exemple en regrettant la fin de son roman (qui, il est vrai, est décevante) mais en estimant qu'il ne devait pas le changer pour autant. Qu'il resterait ainsi, même s'il pouvait faire mieux.
La pensée n'est pas allé jusqu'à l'acte.
Widor : du coup je suis d'accord avec toi, mais moins extrémiste. Les autres documents restent des sources précieuses (mais inférieures en autorité)
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03.06.2018, 13:40
(Modification du message : 03.06.2018, 13:42 par Faerestel.)
(03.06.2018, 12:42)Vinyamar a écrit : Je n'ai jamais écrit que l'évolution du Coran avait eu, dans l'exemple, des motivations politiques, mais au contraire un contexte politique différent (qui permettait cette évolution, et non pas qui le motivait, c'est une nuance fondamentale).
Ici je persiste à douter de la relation que tu établis entre politique et religion (que je différencie de la foi). L'Islam politique conquérant et expansif avait besoin d'un autre Coran, plus guerrier.
(03.06.2018, 12:42)Vinyamar a écrit : Tolkien a forcément changé son point de vue politique (de plus en plus conservateur ?),
De plus en plus et de moins en moins, lui qui hésitait à la fin de sa vie entre absolutisme monarchiste et anarchie douce!
(03.06.2018, 12:42)Vinyamar a écrit : En revanche, pas d'accord du tout avec la neutralité d'un éditeur.
Voilà bien ce que je n'ai pas dit!
Tolkien avait simplement bien plus de liberté littéraire avec son oeuvre que les scénaristes de super-comics.
(03.06.2018, 12:42)Vinyamar a écrit : C'est son éditeur qui a réclamé à Tolkien une suite à Bilbo. Tolkien travaillait sur le Silmarillon. Sans la commande de l'éditeur, nous n'aurions jamais eu le Seigneur des Anneaux.
Et au titre de ce que j'ai dit dans mon post, entièrement d'accord avec ceci. N'empêche que Tolkien a écrit l'histoire qu'il voulait écrire (fond) et que l'éditeur lui a imposé avec difficulté le découpage en trois tomes (forme).
(03.06.2018, 12:42)Vinyamar a écrit : Aldous Uxley et son Meilleur des mondes en a, je crois, donné exemple en regrettant la fin de son roman (qui, il est vrai, est décevante) mais en estimant qu'il ne devait pas le changer pour autant. Qu'il resterait ainsi, même s'il pouvait faire mieux.
La pensée n'est pas allé jusqu'à l'acte.
Cela est assez éloigné de ce qui nous occupe: à savoir la prééminence de l'une ou l'autre version d'un même fait.
Et je redis que les deux versions, les deux points de vue, les deux chronologies ou généalogies peuvent être absolument vrais bien que contradictoires. C'est envisager pour elle-même la mythologie que Tolkien voulait qui justifie ce point de vue. Je crois que l'essentiel de mon message est dans cette dernière partie, le reste n'étant que contextualisation.
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Personnellement, je pense que l'exemple de la religion est assez mal choisi, déjà parce que le statut des textes religieux soulève bien d'autres débats associés, qu'il ne serait guère opportun de discuter ici. Et aussi parce que ces textes ont été produits dans des conditions difficilement comparables avec ceux de Tolkien.
(02.06.2018, 23:42)Vinyamar a écrit : Mon propos n'est pas ici de trouver une solution à ce problème - sur lequel les théologiens et croyants musulmans s'affrontent encore (tapez "Coran abrogeant" dans Google si vous voulez en apprendre plus) - mais de montrer pourquoi la solution du plus récent abrogeant les anciens n'est pas forcément la meilleure.
Je ne vois pas sur quoi tu te bases pour parvenir à cette conclusion. Sur ton propre ressenti vis-à-vis de l'interdiction du vin ? Pas très pertinent dans le contexte. Si la conclusion théologique avait été que l'autorisation du vin était postérieure, aurais-tu conclu en sens inverse ?
La seule chose qui paraisse relativement objective dans le contexte est que l'immense majorité des théologiens musulmans jusqu'à nos jours considère que les sourates postérieures abrogent celles qui précèdent en cas de contradiction. Et incidemment, que la totalité du Coran a été mise par écrit assez longtemps après la mort de Mahomet, en se basant sur les témoignages de ses proches, qui se souvenaient par cœur de ses prêches.
(02.06.2018, 23:42)Vinyamar a écrit : Dans la religion chrétienne, deux courants "s'affrontent" presque depuis l'origine. De façon caricaturale : ceux qui font vivre la Parole de Dieu en l'interprétant sans cesse de nouveau et l'adaptant au monde (l'Eglise catholique pour simplifier, qui "produit" donc de nouveaux textes) VS ceux qui recherchent le message originel et courent sans cesse auprès du Jésus le plus "pur", c'est à dire débarassé de tout ce qui a été surajouté ensuite (cela va des protestants qui vont se référrer à l'écriture seule jusqu'aux courants les plus forcenés de l'exégèse qui vont jusqu'à faire le tri même dans la Bible pour tenter d'isoler les textes les plus anciens seulement, jugés plus purs (tout ajout ultérieur étant qualifié d'impureté)).
C'est plus que caricatural, c'est franchement erroné. L'Église catholique ne « produit » aucun nouveau texte sacré. Elle se contente de poursuivre un travail exégétique et théologique bimillénaire, en s'efforçant de tirer toutes les conséquences de l'interprétation desdits textes. Ce que font strictement toutes les églises du monde, sans exceptions, mais avec des approches diverses et des statuts différents pour ces textes d'interprétation. Les deux principales divergences tiendront au corpus canonique retenu (certains textes étant ou non considérés inspirés selon les églises, suivant différents critères), au corpus théologique concerné et au statut canonique des textes théologiques (qui peuvent être considérés comme prescriptifs ou simplement injonctifs). Ainsi les églises luthérienne se fondent considérablement sur les exégèses de Luther, plutôt que celles des Pères de l'Église. Pour autant, l'approche est comparable.
Quant aux courants ultra-réductionnistes auxquels tu fais allusion, il concernent exclusivement des scientifiques et ne sont adoptées, à ma connaissance, par aucune église chrétienne.
(02.06.2018, 23:42)Vinyamar a écrit : D'un point de vue historique et chronologique, les deux récits se contredisent. (si on considère que les auteurs inspirés ne font que retranscrire chacun le même Auteur divin ?)
(bien que d'un point de vue ontologique, les deux montrent que l'homme et la femme sont égaux, et que le monde a été fait pour eux)
Cela tombe bien, puisqu'aucune église ne considère plus que l'un ou l'autre récit aient une valeur historique ou chronologique... Se focaliser sur le sens symbolique (ou anagogique) est une manière de dépasser la contradiction apparente.
Incidemment, le cas de la Bible est encore plus complexe que celui du Coran, car il est admis que la Bible a été écrite par une multitude d'auteurs. Le canon hébraïque et le canon chrétien n'ont l'un et l'autre été définitivement fixés qu'au début de l'ère chrétienne.
(02.06.2018, 23:42)Vinyamar a écrit : Je saute d'un pas léger vers un exempe beaucoup moins complexe : les comics américains.
J'ai voulu un jour m'aenturer à lire un résumé de l'histoire de Superman. Grave erreur ! Il y a tellement de contradictions et d'incohérence dans l'ensemble du récit que la seule solution a été d'imaginer une multitude d'univers parallèles permettant aux diverses versions de n'être cohérentes que dans un univers donné.
Comme l'indique Faerestel, ici se retrouve la complexité engendrée par une multitude d'auteurs, en plus de la question éditoriale. Là encore, on est très loin de la situation tolkienienne, je pense.
(02.06.2018, 23:42)Vinyamar a écrit : Je n'ai pas fait cette étude chez Tolkien, mais de mes différentes lectures (letters et Home) je suis à peu près sûr que même dans ses brouillons Tolkien est revenu en arrière.
Il a pu avoir différentes idées sur ses histoires, changer d'avis tardivement dans ses brouillons. Mais au moment de publier l'histoire, il revenu à une version antérieure, soit qu'il la jugeait plus cohérente (la nouvelle idée générant trop d'incohérence), soit qu'il reconsidérait son idée antérieure comme plus conforme à sa philosophie.
Il serait utile que tu donnes des exemples, car je ne connais aucun exemple de texte publié par Tolkien pour lequel il serait revenu à un brouillon antérieur pour la publication. C'est tout le contraire : le Hobbit a été revu et corrigé après-guerre pour le mettre en conformité avec le SdA, pourtant postérieur. De même, le SdA a lui-même été révisé sur plusieurs points narratifs (et linguistiques) vers 1966, pour le mettre en cohérence avec les nouvelles idées de Tolkien.
En revanche, il est arrivé que Tolkien renonce à publier des modifications, au motif qu'elles introduiraient trop de changement dans le récit : c'est ainsi qu'il a abandonné l'idée de revoir le Hobbit de fond en comble dans les années 1960, car il s'est rendu compte qu'il aurait fallu tout réécrire et que le nouveau livre aurait été complètement différent de la tonalité de l'ancien.
(02.06.2018, 23:42)Vinyamar a écrit : C'est même parfois l'éditeur qui donne les choix à prendre à l'auteur, en connaissance du lectorat, de contraintes matérielle (nombre de pages) ou comme tiers relevant des incohérences que l'auteur a perdu de vue.
En l'occurrence, il est arrivé que Tolkien se laisse convaincre par son éditeur pour la longueur des Appendices du SdA et la division en trois volumes, mais ce sont les seul exemple de contrainte éditoriale que je connaisse chez Tolkien.
(03.06.2018, 11:28)Faerestel a écrit : Son légendaire se développait et s'expliquait au fur et à mesure qu'il était nourri de nouveaux textes. Il était en gestation perpétuelle. Ce qui impliquait de nécessaires corrections des écrits les plus anciens. Quand il s'avère que les Balrogs sont des Maiar qui peuvent envoyer "ad patres" un autre Maia, en l'occurrence Olorin, il est hors de question que Turgon en tue 40 lors de la chute de Gondolin! De même il ne peut en avoir existé des centaines. Entre 5 et 7 suffiront bien !
Excellent exemple.
(03.06.2018, 12:42)Vinyamar a écrit : Citation :Vinyamar nous montre que dans le cas des religions des versions différentes relèvent d'un enjeu politique
non, non absolument pas.
Je n'ai jamais écrit que l'évolution du Coran avait eu, dans l'exemple, des motivations politiques, mais au contraire un contexte politique différent (qui permettait cette évolution, et non pas qui le motivait, c'est une nuance fondamentale).
Pareil dans la Bible, il n'y a aucune motivation politique, mais plutôt spirituelle (renforcer la foi).
Les exégètes du Coran s'accordent généralement sur le fait que la chronologie du Coran a été élaborée essentiellement sur des critères d'opportunité politique. De même, on a quelques excellents exemples d'influence politique sur l'élaboration du canon biblique, à commencer par l'opportune « redécouverte » du Deutéronome sous le roi Josias...
(03.06.2018, 12:42)Vinyamar a écrit : Et je suis convaincu que pour une œuvre aussi immense, l'éditeur a donné des consignes à Tolkien, sinon des modifications (il me semble en avoir lu quelques unes dont je ne saurais là retrouver la trace) - au-delà de la découpe en 3 tomes.
Il serait intéressant que tu précises ce à quoi tu fais allusion. L'éditeur semble avoir donné fort peu de consignes à Tolkien, en-dehors de fournir un livre pour enfants qui soit une suite au Hobbit et qui contienne des hobbits. Et Tolkien s'est expliqué dans les Lettres des raisons pour lesquelles le SdA n'est pas vraiment un livre pour enfants selon lui.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
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03.06.2018, 23:26
(Modification du message : 03.06.2018, 23:29 par Vinyamar.)
Ici n'est pas le lieu d'argumenter dans le détail sur les courants existant dans une religion, ni sur la définition puis l'autorité de la Tradition dans l'Eglise, ni sur le nombre exact de musulmans qui se sentent mal à l'aise avec le fait que les versets du sabre (et d'appel au meurtre) abrogent les versets de tolérance, ni sur le fait que les contradictions internes à la Bible n'en sont pas vraiment.
J'ai voulu donner via ces exemples une impulsion pour poser la problématique du sujet, rien de plus.
(évidemment que ces exemples n'ont rien de commun avec Tolkien)
Je l'ai dit au début et à la fin du sujet, je ne suis pas compétent, et les exemples sont discutables. Merci de les prendre pour ce qu'ils sont : une invitation à réfléchir plus avant.
Sur le rôle de l'éditeur vis-à-vis de Tolkien, là encore l'important n'est pas de savoir si oui ou non il est intervenu sur le contenu, mais plutôt de savoir si oui ou non les idées en brouillon d'un auteur seraient automatiquement publiées du simple fait qu'il les ait pensées (ou aurait immédiatement la même autorité qu'un récit publié). Non dis-je, car des idées ont besoin d'être confrontées à toutes les incohérences ou problèmes nouveaux qu'elles génèrent. Une auto-analyse est alors nécessaire, qui peut être faite par un tiers, voire l'éditeur lui-même.
C'est cela le sens de mon propos (et si cela n'a pas été le cas chez Tolkien, c'est le cas ailleurs, surtout lors d'une commande).
Quant à des retours en arrière dans l'évolution des idées de Tolkien, là ce serait très intéressant que j'en retrouve. Mais je n'ai pas vraiment le temps de faire ces recherches. Peut-être certains érudits en connaissent-ils, mais je crois que dans la conception du SdA Tolkien a commencé à faire des modifications de plus en plus importantes pour rejoindre son œuvre du Silmarillion, mais n'est pas allé parfois jusque là où il avait commencé à s'aventurer.
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04.06.2018, 02:54
(Modification du message : 04.06.2018, 03:00 par Tikidiki.)
Merci pour ce tour d'horizon, j'aurais ajouté à cet éventail les oeuvres de musique, dont on n'écoute pas toujours la "dernière version ; mais cette discussion deviendrait par trop généraliste.
Pour être efficace, prenons quelques exemples emblématiques et accordons-nous progressivement là-dessus. Il y a les Balrogs de Gondolin, par exemple : des centaines selon les Contes Perdus, ramenés à 7 au plus dans les Lettres. On s'accorde sans mal pour dire que les Contes Perdus sont trop différents de l'esprit du légendaire du Seigneur des Anneaux et des contes édités dans le Silmarillion, et on accepte les Lettres (la mise en cohérence pouvant se faire en invoquant le style grandiloquent utilisé par des conteurs elfes).
Il y a l'évolution de la nature des Orques, rappelée dans cet excellent essai de Meneldur ( https://www.tolkiendil.com/essais/peuples/nature-orques). Les hypothèses pour leur origine (boue, pierre, elfique, humaine) ne sont pas évoquées dans les ouvrages publiés du vivant de Tolkien. Seul le Silmarillion de 1977 tranche en faveur de l'origine elfique, alors qu'il ne s'agit pas de la dernière en date. Dilemme : soit Christopher Tolkien mettait en avant l'origine elfique et posait le problème de l'immortalité des orques ; soit il leur donnait une origine humaine et décalait par trop l'apparition des orques. Meneldur conclut sagement "mieux aurait valu ne rien choisir du tout". C'est l'opinion que je partage et le cas où je suis prêt à dire que le dernier écrit (de l'auteur) n'est pas le meilleur car il soulève trop de complications et qu'aucun choix n'est préférable, ni même vraiment préféré par l'auteur.
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(03.06.2018, 23:26)Vinyamar a écrit : J'ai voulu donner via ces exemples une impulsion pour poser la problématique du sujet, rien de plus.
(évidemment que ces exemples n'ont rien de commun avec Tolkien)
Je l'ai dit au début et à la fin du sujet, je ne suis pas compétent, et les exemples sont discutables. Merci de les prendre pour ce qu'ils sont : une invitation à réfléchir plus avant.
Je suis tout à fait d'accord avec ton invitation, Vinyamar, mais je crois sincèrement qu'on ne peut lancer une discussion fructueuse en partant d'une analogie erronée.
Par ailleurs, je ne suis pas suffisamment compétent en littérature moderne pour fournir une multitude d'exemples susceptibles d'informer ta thèse. Que je sache, cependant, chez Hugo comme chez Kafka, ce sont les dernières versions de leurs romans qui sont aujourd'hui encore considérés comme les versions de référence. Y compris quand lesdits romans furent posthumément publiés, en ce qui concerne Kafka.
(03.06.2018, 23:26)Vinyamar a écrit : Sur le rôle de l'éditeur vis-à-vis de Tolkien, là encore l'important n'est pas de savoir si oui ou non il est intervenu sur le contenu, mais plutôt de savoir si oui ou non les idées en brouillon d'un auteur seraient automatiquement publiées du simple fait qu'il les ait pensées (ou aurait immédiatement la même autorité qu'un récit publié). Non dis-je, car des idées ont besoin d'être confrontées à toutes les incohérences ou problèmes nouveaux qu'elles génèrent. Une auto-analyse est alors nécessaire, qui peut être faite par un tiers, voire l'éditeur lui-même.
C'est cela le sens de mon propos (et si cela n'a pas été le cas chez Tolkien, c'est le cas ailleurs, surtout lors d'une commande).
En l'occurrence, la réponse est indiscutablement oui dans le cas présent : Christopher Tolkien a collecté tous les brouillons de son père, s'est efforcé de trouver les versions les plus tardives et a publié le Silm. Et il n'y a guère que trois points sur lequels il a rencontré un problème : l'ascendance de Gil-galad, où il a publié par erreur une version qui n'est pas la dernière (il s'en explique en WJ, p. 242–243), la mort d'Elu Thingol (où le problème rencontré est précisément que le passage ne fut jamais revu par Tolkien depuis les CP, ce qui força Christopher à réinventer le passage correspondant pour le mettre en cohérence avec le reste) et l'origine des Orques, citée par Tikidiki.
(03.06.2018, 23:26)Vinyamar a écrit : Quant à des retours en arrière dans l'évolution des idées de Tolkien, là ce serait très intéressant que j'en retrouve. Mais je n'ai pas vraiment le temps de faire ces recherches. Peut-être certains érudits en connaissent-ils, mais je crois que dans la conception du SdA Tolkien a commencé à faire des modifications de plus en plus importantes pour rejoindre son œuvre du Silmarillion, mais n'est pas allé parfois jusque là où il avait commencé à s'aventurer.
Pour avoir attentivement lu les HoMe 8, 9 et 12, qui contiennent les derniers brouillons du SdA, ainsi que les HoMe 6 et 7, qui contiennent les premières versions desdits brouillons, je n'ai pas le moindre souvenir d'un cas où Tolkien serait revenu en arrière pour revenir à une version antérieure après avoir rédigé une nouvelle version d'un chapitre au brouillon. Je peux avoir oublié un cas, bien sûr, mais pour m'en convaincre il faudrait me fournir un contre-exemple concret.
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Exemple anecdotique de "retour en arrière" : la nature de Beren, humaine dans les toutes premières versions du Conte, puis elfique dans le Conte, puis humaine à nouveau dans l'ensemble des versions successives. Je suis sûr qu'on pourrait en trouver un paquet d'autres, mais je ne vois pas bien ce que ça dit.
A mon tour, j'exprime une forme de scepticisme vis-à-vis de la pertinence qu'il y aurait à comparer des problèmes très complexes "d'autorité des sources", qui mêlent différents contextes et différents auteurs, au problème purement tolkienien, où il s'agit d'un auteur qui s'efforce lui-même d'apporter autant que possible une cohérence à son univers à mesure qu'il en ajoute des éléments et l'enrichit de nouvelles trames narratives. La démarche n'est pas la même, et en ce sens, si l'on considère que le légendaire forme une œuvre en tant que tel, je pense qu'il est plutôt légitime de considérer ses versions les plus récentes, qui s'approchent le plus d'une forme de parachèvement.
Ce serait comme considérer que les brouillons du Seigneur des Anneaux publiés dans les HoME ont autant d'autorité que le Seigneur des Anneaux dernière édition, ayant bénéficié de tous les amendements visant à en parfaire la cohérence. Refuser la dernière version, ce serait se focaliser sur un moment transitoire de la genèse d'une œuvre dont on nous livre le processus d'élaboration ; il s'agit d'un choix qui me semble arbitraire et relever de la préférence personnelle. C'est le choix que je fais parfois d'ailleurs, quand je préfère, à titre personnel, telle ou telle version du texte, qui n'est pas forcément la dernière.
Evidemment, le plus difficile est souvent d'organiser la chronologie relative des différentes sources... Dans le cas de l'exemple qui a motivé la création de ce fuseau, on a vu que ce n'était pas toujours immédiatement clair, et il faut se méfier.
Cela dit, la dernière version n'est pas toujours la meilleure. Prenons par exemple le Kalevala, qui existe en deux versions (celle de 1835 et cellle de 1849). La deuxième version reflète les vues ultérieures de son auteur, complètent la première par un nombre important d'additions précieuses, mais s'éloigne un peu plus de son matériel folklorique, et la trame principale se trouve souvent obscurcie et délayée dans les multiples digressions proposées. On peut donc à juste titre préférer la version de 1835 et considérer que c'est elle qui devrait faire autorité, car elle découle de principes plus strictement compilatoires, et ne se distord pas dans une sorte de fantasme romantique. Cependant, si on souhaite connaître l'opinion que Lönnrot se faisait lui-même de son œuvre, si on veut approcher d'au plus près sa pensée sur l'ensemble, alors il est évidemment pertinent de se focaliser sur la version 1849.
De même, pour Tolkien, si on s'intéresse au mouvement littéraire du retour vers le merveilleux dans lequel s'inscrivent les Contes Perdus, il est bien plus approprié d'oublier tout ce qui vient ensuite, mais si on cherche à approcher sa vision personnelle globale du Légendaire, telle qu'il la concevait quand celui-ci atteignait sa plus grande extension, c'est-à-dire après le développement du Seigneur des Anneaux, il me semble bien que nous avons tout intérêt à considérer les sources plus récentes, cela d'autant plus que l'essentiel de son œuvre après parution du SdA, rattrapez-moi si je m'égare, a essentiellement consisté en une vaste et inachevée "mise en cohérence" de l'ensemble du légendaire, chaque détail sur lequel il s'est finalement arrêté pouvant alors être vu comme un pas de plus effectué vers sa complétion hypothétique.
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Si l'on prend la question à l'envers, c'est à dire que les sources les plus anciennes sont les plus importantes en matière de mythologie et d'éditions des manuscrits, dans bien des cas, il se trouve qu'un manuscrit récent où une légende compilée dans un texte récent à plus d'intérêt qu'on ne saurait le croire.
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Peut-être ; mais je renouvellerai mes remarques en soulignant le rapport liminaire de la mutation séculaire des mythes à l’œuvre de Tolkien proprement dite ; car celle-ci ne peut qu'assez difficilement être conçue et comprise comme autre chose qu'une production artistique personnelle et individuelle. Les problématiques de cohérence et de redoublement rencontrées, de même que l'inachèvement et l'imperfection de l'ensemble global constitué par le légendaire pris dans sa totalité, me semblent se rattacher beaucoup plus à la déroute structurale de la Recherche proustienne qu'à quelque corpus mythologique.
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04.06.2018, 23:14
(Modification du message : 04.06.2018, 23:20 par Vinyamar.)
Salut Tikidiki
j'aime bien ton exemple des orques, qui pose en effet un problème insoluble dans lequel Tolkien lui-même s'est enfoncé sans pouvoir s'en sortir, nous laissant avec plusieurs théories. À nous de choisir celle qui nous convient personnellement, que ce soit pour des motivations éthiques, théologiques, sociétales, ethnologiques, ou que sais-je encore.
Après, Christopher mérite clairement le titre de co-auteur du Silmarillon, en bénéficiant comme personne de l'empreinte de son père et ayant baigné dans la marmite depuis tout petit.
Sa décision, publiée comme ouvrage, devient de fait une source supérieure au reste, quand bien même cette option ne me safisfait pas non plus.
Tikidiki a écrit :Meneldur conclut sagement "mieux aurait valu ne rien choisir du tout". C'est l'opinion que je partage et le cas où je suis prêt à dire que le dernier écrit (de l'auteur) n'est pas le meilleur car il soulève trop de complications et qu'aucun choix n'est préférable, ni même vraiment préféré par l'auteur. En fait c'est exactement le point de vue que j'essaye de défendre ici. Sans nier que cela permet du coup des réponses différentes d'un lecteur à l'autre, et donc rien de définitivement tranché. Mais cela offre des chemins, des hypothèses, des solutions, que chacun peut proposer sans être un "profanateur".
(Dommage que ce soit le seul cas que tu tolères)
Elendil, et Hofnarr, le principe même d'une analogie est qu'elle contient plus de dissemblance que de ressemblance.
Mon propos était de partir du macrocosme pour revenir au microcosme. Ouvrir l'esprit en montrant que si une hypothèse ne peut être vérifiée dans le macrocosme, on ne peut par principe déterminer qu'elle est vraie par évidence dans le microcosme. Mon projet était seulement de faire disparaître l'évidence, pour permettre de se reposer la question.
Bien sûr que ce qui est vrai dans le macrocosme ne l'est pas forcément dans le microcosme (et que l'un et l'autre sont fondamentalement différents). Mais il demeure un lien logique entre eux.
Dès lors, il faut redémontrer le propos dans le microcosme : démontrer que dans les œuvres de Tolkien, le brouillons le plus récent l'emporte sur le plus ancien.
Personne ici n'a démontré ni cette vérité ni son contraire, ce qui permet du coup d'en débattre comme nous le faisons actuellement. Et chacun donne un avis plus circonstancié. Objectif atteint.
Hofnarr Felder a écrit :l'essentiel de son œuvre après parution du SdA (…) a essentiellement consisté en une vaste et inachevée "mise en cohérence" de l'ensemble du légendaire, chaque détail sur lequel il s'est finalement arrêté pouvant alors être vu comme un pas de plus effectué vers sa complétion hypothétique. Justement. C'était peut-être un combat perdu d'avance. Complexifiant sans cesse sa pensée, se perdant de ramification en ramification (pour reprendre l'image de l'arbre de Niggle), il était condamné à ne jamais aboutir (à moins d'être un véritable démiurge, ce que justement ni lui, ni Niggle ne sont au final). D'où la remise en cause possible (possible seulement, bien que passionnantes, et d'un point de vue internaliste) de ses dernières idées.
(ce que tu semble évoquer aussi, Hofnarr, dans ton message ci-dessus)
(Alkar, bien que posé ainsi dans ma problématique, je n'ai jamais suggéré qu'une source plus ancienne avait réellement plus d'autorité. Je posais seulement le problème pour aboutir à l'idée qu'il n'y avait pas forcément d'autorité imposée, mais plutôt des choix à faire)
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(04.06.2018, 23:14)Vinyamar a écrit : Après, Christopher mérite clairement le titre de co-auteur du Silmarillon, en bénéficiant comme personne de l'empreinte de son père et ayant baigné dans la marmite depuis tout petit.
Sa décision, publiée comme ouvrage, devient de fait une source supérieure au reste, quand bien même cette option ne me safisfait pas non plus.
Que Christopher Tolkien (aidé de Guy Gavriel Kay) soit considéré comme co-auteur du Silm., rien de plus juste. Que ses décisions du moment, qu'il lui est d'ailleurs arrivé de regretter une vingtaine d'années plus tard, en acquièrent une valeur supérieure, je ne vois pas ce qui permet de le dire. C'est en tout cas une opinion que je ne partage pas, nonobstant l'immense respect que j'ai pour l'ensemble de son travail.
(04.06.2018, 23:14)Vinyamar a écrit : Elendil, et Hofnarr, le principe même d'une analogie est qu'elle contient plus de dissemblance que de ressemblance.
Là encore, je suis en désaccord. Une analogie comportant plus de dissemblance que de ressemblance n'est qu'une mauvaise analogie, à moins bien sûr que la réalité qu'on souhaite comparer soit proprement insaisissable à l'esprit humain, ce qui ne semble pas être le cas ici.
(04.06.2018, 23:14)Vinyamar a écrit : Mon propos était de partir du macrocosme pour revenir au microcosme. Ouvrir l'esprit en montrant que si une hypothèse ne peut être vérifiée dans le macrocosme, on ne peut par principe déterminer qu'elle est vraie par évidence dans le microcosme.
Conclusion sans fondement selon moi. On peut parfaitement parvenir à des conclusions fermes dans le microcosme sans y aboutir dans le macrocosme, qui est souvent d'une complexité supérieure.
(04.06.2018, 23:14)Vinyamar a écrit : Dès lors, il faut redémontrer le propos dans le microcosme : démontrer que dans les œuvres de Tolkien, le brouillons le plus récent l'emporte sur le plus ancien.
Personne ici n'a démontré ni cette vérité ni son contraire, ce qui permet du coup d'en débattre comme nous le faisons actuellement. Et chacun donne un avis plus circonstancié. Objectif atteint.
Je constate que tu affirmes qu'aucune conclusion ne se dessine notamment parce que tu t'abstiens de discuter l'ensemble des contre-exemples qui ont été cités. C'est un peu facile et peut conduire à estimer que ta position n'est guère défendable...
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Pour reprendre le fil de mon propos, et poursuivre avec l'analogie proustienne, on est en droit de considérer que le Seigneur des Anneaux, et le Silmarillion qui coexistait à cette époque (si je ne m'abuse, le Silmarillion publié est essentiellement basé sur les écrits de cette période, moins sur les transformations ultérieures, mais je me trompe sans doute) constituaient déjà une cohérence suffisante, éminemment satisfaisante, et dont les légères disparités, les quelques incohérences, font l'office de points d'ombre au sujet desquels chacun peut apporter sa propre hypothèse, pour peu qu'elle concorde suffisamment avec le reste (l'origine des Orcs, par exemple). Et donc, en suivant cette ligne de pensée, que les modifications ultérieures à cette œuvre ne sont que l'expression d'un maniérisme excessif dans le souci de cohérence, qu'ils résultent de ce que l'auteur s'est trouvé emporté dans son propre élan créateur et a dépassé, en quelque sorte, le pinacle d'aboutissement et d'achèvement qu'il avait atteint à travers son œuvre publiée.
Dans ces conditions, on peut considérer que le lecteur, finalement, a une meilleure compréhension des limites et de la logique de l'œuvre que son propre auteur, qui s'est lui-même égaré dans une quête créatrice sans fin, et, parce que soucieuse de perfection, vouée à une sorte de destruction, de délayage, de relâchement d'une trame pourtant déjà énergiquement tissée. C'est là à mon avis la vraie question des sources telle qu'elle est pertinente pour l'œuvre de Tolkien, bien au-delà de ces histoires de "microcosme" ou de "macrocosme", dont je ne sais pas ce qu'elles viennent faire là. C'est la tension entre ce qui nous convient en tant que lecteurs et ce que recherche (sans que l'on puisse savoir si l'y aboutit ou non) l'auteur ; entre nos attentes personnelles, la réception que l'on a d'une œuvre, et l'intention véritable qui animait son créateur.
Rejeter les écrits plus récentes, c'est tout à fait possible, mais cela suppose de considérer que l'auteur a fait fausse route par rapport à sa propre création littéraire. Pourquoi pas ; c'est un droit auquel chacun de nous peut bien prétendre, en tant que lecteur. Cela suppose qu'à un moment donné, nous avons compris l'œuvre mieux que celui qui l'a produite. C'est une belle idée ; et cela arrive. Pour ma part, je ne soutiens donc pas qu'il "faut" tenir compte des sources les plus récentes et que seule celle-là compte. Nous cherchons tous à adopter une vision cohérente du légendaire, et nous faisons tous nos propres choix en ce sens en accord avec nos propres références. C'est le reflet de la richesse de l'œuvre, d'ailleurs.
On peut donc très bien considérer, d'une part, qu'Elladan et Elrohir sont restés, de l'autre, qu'on ne peut pas savoir. Le seul point où cela importe de trancher plus objectivement, c'est dans la constitution d'un canon sur lequel s'accorder (la question s'impose par exemple dans le cas d'une encyclopédie). Mais il n'y a pas vraiment raison de le faire : une fois qu'on a établi que Tolkien avait changé d'avis, on peut soit dire "je suis d'avis que seul l'écrit le plus récent fait autorité' ou considérer "non, je trouve qu'il a eu tort de se raviser", cela n'a pas beaucoup d'importance et n'est qu'une question d'appropriation personnelle de l'œuvre, non ?
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Voilà !
Entièrement d'accord.
Elendil : je t'invite à te renseigner sur ce qu'est réellement une analogie
Sinon concernant la méthode du macrocosme et du microcosme, je crois que tu as mal lu mon intervention. il n'y a effectivement pas de causalité de l'un à l'autre.
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05.06.2018, 11:07
(Modification du message : 05.06.2018, 11:26 par Faerestel.)
Hoffnar, tu viens de replacer le débat exactement là où il doit être!
Mais, cela admis, quand un auteur comme Tolkien revient dans une lettre, des années après la rédaction d'un passage, sur ses tenant et aboutissants, on ne peut l'ignorer.
Il serait intéressant de faire une synthèse des grands points qui ont changé au cours du temps et des réécritures. Et sans même aborder les questions de linguistique interne (!), parce que la tâche serait d'une ampleur colossale. Et sans considérer des "faits mineurs" comme les variations de noms propres (Gandalf-Bladorthin ou Gandalf-Thorin)
Ainsi on a par exemple
la filiation des Valar (Eonwë-Fionwë)
l'identité du lieutenant de Melkor (rappelez-vous de Tevildo, Prince des Chats! Que faire de lui dans le légendaire tardif?)
l'origine des Orcs
la nature de Beren
la nature et le nombre de Balrogs
le rôle des Nains de Belegost dans la mort de Thingol
Le rôle de Galadriel durant l'exil des Noldor
L'ascendance de Gil-galad
...
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(05.06.2018, 08:23)Hofnarr Felder a écrit : (si je ne m'abuse, le Silmarillion publié est essentiellement basé sur les écrits de cette période, moins sur les transformations ultérieures, mais je me trompe sans doute)
Ce n'est pas tout à fait cela : en termes structurels, l'essentiel de l'intrigue est certes déjà en place depuis les années 1930, mais en ce qui concerne la quantité de texte, les détails pertinents (comme le Ban de Thingol, les chefs de la maison de Haleth, l'introduction de Galadriel...) ce sont les textes rédigés postérieurement au SdA qui forment la majorité. Ces textes proviennent en grand partie des Annales d'Aman et des Annales Grises, qui datent de la période 1950-1960.
(05.06.2018, 08:23)Hofnarr Felder a écrit : Et donc, en suivant cette ligne de pensée, que les modifications ultérieures à cette œuvre ne sont que l'expression d'un maniérisme excessif dans le souci de cohérence, qu'ils résultent de ce que l'auteur s'est trouvé emporté dans son propre élan créateur et a dépassé, en quelque sorte, le pinacle d'aboutissement et d'achèvement qu'il avait atteint à travers son œuvre publiée.
C'est peut-être vrai pour les textes très tardifs, des années 1970, bien que la solution à la résurrection des Elfes date de cette époque, comme la décision finale sur l'origine des Orques (l'un ayant été intégré au Silm., l'autre non), mais cela me semble très difficile à soutenir pour les textes des années 1950-1960.
(05.06.2018, 08:23)Hofnarr Felder a écrit : Dans ces conditions, on peut considérer que le lecteur, finalement, a une meilleure compréhension des limites et de la logique de l'œuvre que son propre auteur, qui s'est lui-même égaré dans une quête créatrice sans fin, et, parce que soucieuse de perfection, vouée à une sorte de destruction, de délayage, de relâchement d'une trame pourtant déjà énergiquement tissée.
On peut en effet le considérer, mais c'est loin d'être démontré et il ne s'agit donc, comme tu le soulignes dans ta conclusion, que d'une opinion, d'un choix de lecteur, qui relève d'une appropriation de l'oeuvre. Et Tolkien ne met-il pas fréquemment en garde contre les dangers de l'appropriation ?
(05.06.2018, 11:04)Vinyamar a écrit : Elendil : je t'invite à te renseigner sur ce qu'est réellement une analogie
Je doute que cela soit dans une "théorie de l'art intermédiaire" que je trouverai des renseignements pertinents à ce sujet. J'ai plutôt tendance à me renseigner chez Aristote ou chez Eco, dont je recommande l'excellent (mais complexe) essai, Sémiotique et philosophie du langage.
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06.06.2018, 00:19
(Modification du message : 06.06.2018, 00:22 par Vinyamar.)
Pardonne moi d'être plus Thomiste qu'Aristotélicien et d'avoir voulu trouver des liens faciles, je ne connais pas ton niveau en langage philosophique. Une prochaine fois nous pourrons débattre de la vision de l'analogie par Aristote et St Thomas et vérifier si une analogie a plus de ressemblance ou de dissemblance avec son sujet, mais je pense que tu vas te gauffrer (St Thomas étant fondamentalement Aristotélicien lui-même).
C'est curieux, il me semble que ta réponse me prend un peu de haut, non ?
Sinon Farestel, merci pour cette liste très intéressante de travaux à étudier. Mais je confesse que je n'en aurais pas le courage.
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06.06.2018, 00:38
(Modification du message : 06.06.2018, 00:56 par Tikidiki.)
(05.06.2018, 13:30)Elendil a écrit : (05.06.2018, 08:23)Hofnarr Felder a écrit : Et donc, en suivant cette ligne de pensée, que les modifications ultérieures à cette œuvre ne sont que l'expression d'un maniérisme excessif dans le souci de cohérence, qu'ils résultent de ce que l'auteur s'est trouvé emporté dans son propre élan créateur et a dépassé, en quelque sorte, le pinacle d'aboutissement et d'achèvement qu'il avait atteint à travers son œuvre publiée.
Je soupçonne Hofnarr Felder de se faire le brillant avocat du diable avec ses réflexions
D'un point de vue sensitif et artistique, l'interprétation de Tolkien relève d'une démarche personnelle qu'il n'y a nul besoin de rationaliser avec des questions de sources (cf. les nombreuses discussions que l'on a pu avoir avec Crayon Volant et Hyarion).
Mais toute question sur le Légendaire suppose de s'entendre sur le Légendaire en question. Il peut y avoir un légendaire pour chaque décennie d'écriture (c'est pourquoi on mentionne l'histoire externe), mais, la plupart du temps, on souhaite une réponse du point de vue interne correspondant au point d'avancement où était arrivé Tolkien à la fin de sa vie, lorsque chaque sujet s'était vu perfectionné jusqu'à l'aboutissement que l'on pouvait humainement lui souhaiter. C'est l'un ou l'autre, histoire externe ou "légendaire dernière version". Considérer le dernier Légendaire mis à part quelques détails que l'on aurait choisis arbitrairement, c'est briser la logique du Légendaire, déjà bien abstrait, et lui ôter toute cohérence.
Le Légendaire est parfois obscur, comme pour les Orques, et on s'appuie alors, comme en sciences, sur un consensus d'interprétation des textes.
Le consensus est nécessaire, car d'un détail, on se trouve souvent amené à une question de fond dont l'auteur connaissait lui-même le caractère redoutable. Ce n'était pas de sa part un maniérisme que de chercher à les rendre cohérents, mais un calvaire nécessaire pour que la cathédrale repose sur des piliers solides, tant du point de vue factuel que philosophique. A la fin de sa vie, l'objectif aura été sur bien des points presque atteint. Or si chaque lecteur décide d'aller chercher des pierres rejetées par terre pour les remettre à la place de celles qui les remplaçaient, en subodorant que l'auteur a été dépassé par sa propre oeuvre et qu'il ne sait plus ce qu'il écrit, je considère que le lien abstrait qui cimente cette oeuvre est rompu et qu'il s'agit d'une oeuvre différente - qui peut avoir rang d'interprétation (comme le SdA de PJ est une interprétation du SdA de Tolkien) - et nullement du Légendaire dont nous parlons.
Vinyamar trouve dommage que l'attitude de ne pas préférer la dernière version des Orques ne puisse pas être étendue à Elladan et Elrohir : mais pour les Orques, il y a un véritable empêchement logique à ne préférer ni l'un ni l'autre, et l'idée évidente que l'auteur n'a pu lui-même choisir pour cette identique raison (et encore, ce n'est qu'un point de vue sur une question où il est difficile de trancher : il s'agit surtout de ne pas trancher trop vivement). En revanche, pour Elladan et Elrohir, je ne vois pas d'argument pour dire qu'il ne faut pas préférer la dernière version.
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(06.06.2018, 00:19)Vinyamar a écrit : Pardonne moi d'être plus Thomiste qu'Aristotélicien et d'avoir voulu trouver des liens faciles, je ne connais pas ton niveau en langage philosophique. Une prochaine fois nous pourrons débattre de la vision de l'analogie par Aristote et St Thomas et vérifier si une analogie a plus de ressemblance ou de dissemblance avec son sujet, mais je pense que tu vas te gauffrer (St Thomas étant fondamentalement Aristotélicien lui-même).
Relativement informé, mais modeste tout de même : je ne prétends pas avoir lu tous les philosophes majeurs. Je serais fort curieux d'en apprendre plus sur la conception thomiste, car je n'ai pas encore lu Saint Thomas.
(06.06.2018, 00:19)Vinyamar a écrit : C'est curieux, il me semble que ta réponse me prend un peu de haut, non ?
Dans ce cas, je te prie de m'en excuser, mais je te retourne le compliment : si « je t'invite à te renseigner sur ce qu'est réellement une analogie » ne revient pas à prendre l'autre de haut, je ne sais pas ce que c'est...
Note que si tu estimes que je t'ai pris de haut parce que j'ai signalé que Sémiotique et philosophie du langage était complexe, je pense qu'il y a un malentendu, car j'ai du m'y reprendre à trois fois pour lire ce livre. Et par expérience, je sais que cela signifie qu'il nécessite un effort intellectuel de bon niveau pour saisir tout le propos d'Eco. Incidemment, un point que j'aime beaucoup chez Eco est qu'il travaille autant comme philosophe que comme linguiste et qu'avant de proposer une interprétation, il fait l'historique de toutes les interprétations antérieures. C'est très utile.
E.
Rollant est proz e Oliver est sage.
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L’oeuvre de Tolkien est comme un ébouli de montagne géant et a chaque caillou déplacé on risque des éboulements majeurs (on peut prendre l’image d’un mikado pour les joueurs ). Le problème se trouve, je pense plus dans l’impact global du dernier écris pour apprécier sa pertinence.
Certains n’ont aucune incidence comme Elladan ou amène un éclaircissement élégant ou plausible comme la réincarnation des elfes et sont facile à prendre comme version officielle.
Dans des cas plus troubles comme les orques ou les frontières du Gondor, le dernier texte implique d’autres choix et d’autres modifications que Tolkien n’as jamais pu ou voulu faire, et qui peuvent impliquer la réécriture de chapitres entier des textes publiés. Dans ces cas je pense qu’il ne nous appartient pas de refaire le travail de Christopher et de modifier l’histoire interne, d’ou mon point du vu sur l’andrast, même si l'écrit est pertinent l’auteur ne l’a pas gravé dans le marbre (par volonté ou temps) ce n’est pas a nous de le faire.
On peut argumenter et trouver un solution la plus plausible mais sa ne nous diras jamais dans quel sens le coeur de tolkien aurait finalement penché. Hormis les quelques cas ou par lettre il a clairement exprimé son choix littéraire sans avoir le temps de modifier les textes correspondants
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Les exemples religieux de Vinyamar sont assez pertinent car comme les evangiles et le coran le silmarillion a été une compilation à postériori des écris et parole du « prophète ». Et la remise en cause peu friser l’hérésie pour certain
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Tikidiki a écrit :En revanche, pour Elladan et Elrohir, je ne vois pas d'argument pour dire qu'il ne faut pas préférer la dernière version ben si, la dernière version* est : "il n'y a pas de réponse". Ce n'est pas très satisfaisant pour qui en cherche, alors qu'il en a donné auparavant qui allaient ma foi pas mal
D'accord avec toi Agmar.
Sinon, après avoir lu le spoil d'un odieux con nard sur Star Wars:Solo, je me rend compte que j'aurais dû prendre cet exemple plutôt que les Comics. L'auteur montre ici au début de son exposé comment Lucas s'est lui-même complètement fourvoyé dans sa "prélogie", créant lui-même des incohérences en voulant expliquer des choses qui n'en avaient pas besoin. Là aussi nombre de fans se réfèrent aux sources les plus anciennes, honnissant les plus récentes.
Peut-être qu'un parallèle entre les deux œuvres serait intéressant.
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* encore que je ne suis pas d'accord avec le titre de "version". Les Letters sont pour moi des explications de texte. Ce sont des lettres privées, rien à voir avec un brouillon rédigé destiné un jour à une publication publique. Dans une lettre privée, on n'est pas en train de réfléchir à toutes les implications d'une nouvelle idée
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(06.06.2018, 13:11)Vinyamar a écrit : ben si, la dernière version* est : "il n'y a pas de réponse". Ce n'est pas très satisfaisant pour qui en cherche, alors qu'il en a donné auparavant qui allaient ma foi pas mal
Et qui est, ou qu'est, Tom Bombadil? On ne le sait pas non plus.
Que sont devenus Maglor ou Nimrodel? On ne le sait également pas
Quand vécu la dernière incarnation de Durin? Pareil.
Tolkien nous dit in fine que le choix d'Elladan et celui d'Elrohir sont inconnus. Je trouve que c'est une proposition élégante qui sert le conte de fées. Il y en a de très nombreux où le devenir d'un protagoniste est expressément laissé dans l'ombre. Cela participe au merveilleux, non?
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Et de fait, n'est-ce pas ce que Tolkien préconise dans "Du conte de fées", lorsqu'il insiste sur la nécessité d'ouvrir de nouvelles vues mystérieuses à mesure que des réponses sont apportées aux lecteur ?
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06.06.2018, 17:13
(Modification du message : 06.06.2018, 17:14 par Vinyamar.)
je répondais seulement à "je ne vois pas d'argument pour dire ".
Si Tokien avait écrit en toute lettre quelque part qui est Tom Bombadil, ce serait un argument suffisant pour s'y intéresser, même s'il était revenu dessus ensuite.
(encore une fois, je partage la vision donnée par Hofnir et Agmar et ne prétend nullement qu'une telle solution est LA solution; juste une solution subjective viable)
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(06.06.2018, 15:18)Elendil a écrit : Et de fait, n'est-ce pas ce que Tolkien préconise dans "Du conte de fées", lorsqu'il insiste sur la nécessité d'ouvrir de nouvelles vues mystérieuses à mesure que des réponses sont apportées aux lecteur ?
Avec l'intéressante tension que cela suppose vis-à-vis du souci de cohérence de l'univers ; c'est tout l'attrait et le danger de la "Mystery Box" de M. Abrams, dont on sait ce qu'elle peut donner d'excessif et quelle excuse elle fournit pour verser dans un univers superficiel, au nom même du mystère. Un monde fictionnel dont la trame de fond serait essentiellement tissée de points d'interrogation n'en serait pas un. C'est tout le mérite de Tolkien d'avoir veillé à privilégier souvent la cohérence au mystère ; et c'est ce mérite même, je crois, qui peut nous inviter à essayer d'élucider, imparfaitement et sans certitude, les quelques mystères véritables qu'il a disséminés, soit par dessein soit par inachèvement. Je comprends qu'on veuille proposer une réponse là où nulle n'est donnée...
Dans le cas d'Elladan et Elrohir c'est différent puisqu'une réponse a été suggérée avant d'être mise en réserve, sans être déniée pour autant. On peut donc très bien s'attacher à cette réponse éphémère, tout en gardant en tête qu'il s'agit d'un arrêt personnel, et qu'il n'est pas inutile de le lever le temps d'un débat plus général. On peut revendiquer ses préférences, et laisser ses options ouvertes ; ici, il est utile de se rappeler que leur cas n'est pas tranché si l'on souhaite comprendre de manière globale les mécanismes sous-jacents choix des Semi-Elfes, comme c'était le cas quand vous en discutiez.
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