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Réflexion commune - Tolkien et la fantasy
#1
Suite à la discussion qu'Elendil et moi avons amorcée sur le fuseau des sondages consacrés aux auteurs de fantasy, j'ai réalisé que la définition du genre nous fait encore défaut. Certes, certains travaux, au chef desquels ceux d'Anne Besson, explorent et développent déjà la question. Mais celle-ci est loin d'être close évidemment. Une illustration du flou qui règne autour de la littérature de fantasy peut être vue par exemple dans la Cartographie du merveilleux par André-François Ruaud, considéré comme un spécialiste de la question, et dans laquelle on trouvera, à titre d'exemples de la fantasy, Chrétien de Troyes, Roland furieux, ou encore et plus insolite, Cent ans de solitude de Garcia Marquez (là, je ne vois vraiment pas comment cette inclusion se justifie).

Il s'agit d'un vaste et passionnant sujet. L'idéal serait d'en discuter en commun, pour à la fin rédiger une synthèse des éléments apportés qui fera l'objet d'un assentiment collectif (il va sans dire que je serais très heureux de me proposer pour effectuer la dite rédaction de synthèse). Comme il s'agit d'un forum dédié à Tolkien, l'idéal est aussi de penser le rapport de l'œuvre tolkienienne vis-à-vis du genre de la fantasy, qu'elle a en grande partie contribué à fonder (du moins, d'un point de vue éditorial). Peut-on penser la fantasy sans Tolkien ? Peut-on aujourd'hui faire œuvre de fantasy sans se positionner, même implicitement, vis-à-vis du légendaire et des codes qu'il a posés à son insu ?

Qu'est-ce que la fantasy, et quelle est la place de Tolkien dans cette fantasy ; deux grandes questions très vastes, sur lesquelles je vous invite à réfléchir. J'espère pouvoir vous proposer moi-même mes premières appréhensions de la question dans les jours qui suivent, et qui viendront prolonger l'échange que j'ai eu l'occasion d'avoir avec Elendil.
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#2
Assurément, c'est une question très large, et les échanges que tu as eu avec Elendil sont révélateurs de ce flou. Aussi je ne compte pas apporter par ma réponse un éclairage important, mais juste souligner un point.
Ce point, c'est la question du cadre spatio-temporel. Orlando furioso (ou d'autres récits de ce type) et les écrits légendaires de Chrétien de Troyes que tu mentionnes me semblent appartenir plus au genre du merveilleux (au sens médiéval du terme) qu'à celui de la fantasy en général ― cela dit, il est évident le premier a contribué à fonder la deuxième, bien sûr. Peut-être existent-ils des critères qualitatifs dans le contenu même de ces productions qui puissent leur permettre de se différencier de la fantasy, mais je ne les ai pas sous la main. À voir également les points communs et distinctions à faire avec la mythologie.

Quant à la place de Tolkien dans la fantasy… je ne pourrai mentionner qu'un détail : c'est que son travail a énormément contribué, je le remarque, à changer l'image des Elfes, faisant avant cela partie du petit peuple (cf. les Ñoldor, originellement des Gnomes), devenus des créatures gracieuses, élancées, féminines et spirituelles, symbolisant ce qu'il y a de plus élevé chez l'homme (opposées au nain, petit, lourd, hyper-virilisé, vil durant le Moyen-Âge, etc.). J'avais commencé à travailler sur le symbolisme des Elfes vers le début de cette année scolaire, mais je dois avouer que ce projet est devenu un peu lointain…



Définition du pif, à remettre cent fois sur l'ouvrage pour l'affiner : la fantasy se démarque par l'invention d'un autre monde que celui réel, quelquefois avec certains points de convergence avec ce dernier, mais consistant à créer de nouveaux éléments et de nouvelles règles physiques, biologiques, linguistiques, sociales, etc. et à créer de nouvelles entités selon ces règles.
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#3
Mais selon cette dernière définition, bien des ouvrages de SF pure, y compris le monde de Star Wars, seraient de la fantasy.

Pour moi, ce qui démarque la fantasy, c'est le rapport à une époque médiévale fantasmée. L'ouvrage de fantasy explore un rapport avec l'époque médiévale, en y puisant un nombre plus ou moins grand d'éléments, et recrée un monde médiéval original (cela rejoint ainsi le médiévalisme, qui est une projection fantasmée du Moyen-Âge dans la culture, la mémoire collective, etc.). Ces éléments puisés peuvent être la chevalerie, la sorcellerie, la présence de créatures du folklore médiéval (elfes, gnomes, artefacts magiques), dans un monde imaginaire effectivement régi par des règles différentes.
En ce sens, un ouvrage de fantasy peut se situer dans n'importe quel cadre spatio-temporel et s'insérer aussi bien dans un présent imaginaire (Harry Potter, Lovecraft, Pullmann, ) que dans un passé imaginaire (Tolkien, explicitement ; ) que dans un monde différent (Martin).

La fantasy est donc fondée sur un rapport à l'époque médiévale, mais ce rapport ne peut pas être que technologique (ce qui est le cas dans Prisonniers du Temps, de Crichton). C'est l'inclusion d'une dimension surnaturelle, dont l'origine ne peut pas être expliquée scientifiquement (mais les pouvoirs psychiques de la Seconde Fondation d'Asimov le sont), qui complète ce rapport. Mais sans ce rapport au médiéval, il n'y a pas de fantasy, même avec du surnaturel : c'est la différence entre la série Charmed et les épisodes 'non-expliqués technologiquement' de la série X-Files : la première exploite clairement la sorcellerie médiévale, la seconde fait intervenir davantage le paranormal et serait plus à classer dans le registre, si l'on voulait, du "fantastique".
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#4
J'avais lu ou entendu, je ne sais plus, quelque part, je sais c'est très vague, que la différence entre la fantasy et le fantastique était que la fantasy est un monde imaginaire où la magie non seulement existe mais où elle fait partie intégrante de l'univers. Le fantastique lui part de notre monde, le monde réelle, et petit à petit la magie faisait irruption dans le récit sans que le lecteur ne sache s'il s'agit vraiment de magie ou s'il s'agit d'une illusion des sens.

Ainsi, Tolkien est clairement positionné dans la littérature fantasy puisqu'il s'agit d'un monde imaginaire où la magie existe.

Edgar Allan Poe avec les Aventures d'Arthur Gordon Pym est clairement du fantastique, il s'agit de notre monde et l'irruption de la magie peut très bien être vu comme une illusion, le délire d'un naufragé.

Entre les deux, Harry Potter est plus difficilement classable même s'il penche plus (à mon avis) du côté du fantastique, il s'agit de notre monde, la magie n'existe pas au début du premier roman mais ensuite la magie lorsqu'elle fait irruption est clairement réelle.

L'œuvre de Lovecraft est aussi clairement du fantastique, il s'agit de notre monde et l'on ne sait jamais vraiment si l'auteur (interne) du récit a vu quelque chose de réel ou s'il s'agit d'une illusion.

Star Wars est en effet de la fantasy, monde imaginaire, magie bien réelle.

Game of Thrones est également de la fantasy, monde imaginaire, magie réelle même si elle n'apparaît qu'au court de l'œuvre.

Conan est plus difficile à classer, il s'agit d'un monde imaginaire mais la magie n'est pas franchement évidente, il semble surtout s'agir d'une superstition des populations.
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#5
(31.03.2018, 17:22)Tikidiki a écrit : Mais selon cette dernière définition, bien des ouvrages de SF pure, y compris le monde de Star Wars, seraient de la fantasy.

J'avais justement ébauché ma définition pour inclure un grand nombre de référneces SF. Peut-être que j'ai fait trop large
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#6
Il me semble que l'acceptation et l'explication de l'élément inventé/imaginé/non expliqué par les habitants (de l'univers dans l’œuvre) est une composante très importante qui différencie fantasy, fantastique et SF.

Par exemple Smaug crache du feu, personne ne s'interroge sur le pourquoi du comment... (et le lecteur non plus) Ce n'est pas expliqué, pas explicable mais c'est considéré normal dans l'univers => fantasy.

Dans le cycle de Pern c'est expliqué "scientifiquement" => composante SF.

Si ce n'est pas expliqué, que ce n'est pas explicable mais que ça ne semble pas avoir sa place dans l'univers (exemple à la mode : le vampire à notre époque... Rolling Eyes ) => fantastique.

Le Gritche d'Hyperion par exemple n'est pas "accepté" par les protagonistes du récit comme une "créature fantastique" : le cadre étant de la pure SF, une entité scientifiquement non explicable n'y a pas sa place et on sait à peu près d'avance que ce sera expliqué. Sa simple présence dans le récit pose une situation qui est bien différente d'un personnage très semblable dans un cadre de fantasy.
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#7
C'est un très beau sujet mais difficile parce que il n'y a pas vraiment de consensus suffisamment large qui permettrait d'accepter une définition de la fantasy. En l'état actuel des choses, on peut seulement entreprendre ou plus exactement renouveler une x-ième fois, un travail de débroussaillage.

Le merveilleux et le fantastique couvrent pour moi des réalités assez proches. L'époque d'écriture me semble la seule raison de les distinguer.
Le cadre général de ces récits est le monde contemporain à l'auteur, monde dans lequel une partie "magique", inexplicable et surprenante, se glisse avec plus ou moins de force. La Vénus d'Ille de Prosper Mérimée est une assez bonne illustration de ce genre.

La fantasy décrit des univers plus ou moins semblables au nôtre et très souvent inspirés du moyen-âge européen et plus particulièrement (je devrais peut-être dire statistiquement) des diverses techniques, organisations sociales et légendes des périodes qui vont du Xème au XIIIème siècle. Dans ces mondes la magie a un véritable statut interne même si certains de ses aspects peuvent être socialement réprouvés (comme le Vif chez Hobb) ou incompris (à l'image des sentiments des Rohirrim à l'égard de la Lothlorien et de Galadriel). Le statut de la magie, "naturelle" ou fruit d'un enseignement ésotérique, est un élément essentiel du genre qui couplé à la proximité du monde décrit avec le nôtre permet peut-être de distinguer la lf de la hf. Mais on n'en est pas encore là.
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#8
Il semble tout de même y avoir un consensus sur deux aspects, dans la fantasy, l'univers est un univers imaginaire (plus ou moins proche du monde réel mais imaginaire tout de même). Dans un univers de fantasy la magie (quelque soit la forme quelle prenne) est présente.

L'oeuvre de Tolkien s'inscrit complètement dans ces deux aspects.
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#9
Merci à tous pour vos réponses toutes très enrichissantes ! J'ai maintenant le beau rôle de venir un peu après la bataille et de pouvoir commenter tranquillement ce qui s'est dit, ce dont je n'ai pas l'intention de me priver.

- Dwayn : Je suis d'accord pour distinguer, a priori, les œuvres médiévales, antiques, modernes, des œuvres de fantasy telles qu'on commence à les voir apparaître au dix-neuvième ou au vingtième. Pour ce qui est de Chrétien de Troyes, des récits mythologiques, la distinction est assez facile : le premier parle d'une société qui lui est contemporaine (pour transformée qu'elle soit !), les seconds rentrent dans une conception plus large du monde, qu'ils illustrent autant qu'ils prolongent. Mais pour ce qui est des grandes épopées à la Roland furieux, il me semble que la question est beaucoup moins claire. Disons que j'ai envie de les exclure, mais que je ne suis pas certain d'être en mesure d'énoncer un critère me permettant de le faire.

Ta définition "au pif" correspond à peu de choses près à celle que propose Anne Besson, qui je pense est parmi les rares à avoir vraiment réfléchi de manière approfondie à la question. Selon elle, la fantasy repose avant tout sur un "monde secondaire", ce qui la distingue justement de la science-fiction où les choses, pour exotiques et étranges qu'elles soient, sont très clairement de notre univers. C'est une définition simple et efficace, qui permet d'ailleurs d'exclure, d'office, Roland furieux, les récits médiévaux, les récits mythologiques. De même, Star Wars, par sa petite phrase traditionnelle d'ouverture, s'exclut du champ de la fantasy et se rattache à la science-fiction (et, oui, ça ne tient qu'à ça !).

Pour autant je ne suis pas satisfait par cette définition, peut-être parce que j'ai envie de ne pas pouvoir être mis en défaut pour avoir inclus Lovecraft à la liste des auteurs de fantasy... Mais aussi pour d'autres raisons, bien meilleures, que j'exposerai plus loin.

- Tikidiki : je dois dire que j'ai été ravi par cet angle d'approche que je n'avais jamais considéré. Il y a clairement, dans la fantasy, surtout dans la fantasy tolkienienne (amont et aval), une dimension de "pastiche" de l'épopée médiévale. Mais cette fois, que faire, par exemple, de la sword and sorcery, qui ne rentre pas du tout dans cette logique ? Conan ne rentre pas dans un rapport de miroir littéraire déformant avec l'épopée médiévale. Je trouve que c'est un concept efficace, en tout cas, ce rapport à l'épopée médiévale. C'est clairement une idée que je serais heureux de te voir creuser (toi ou quelqu'un d'autre, d'ailleurs !).

- Widor : la distinction que tu mentionnes, et qui je crois est imputable à Tzvetan Todorov, me semble surtout concerner le fantastique et le merveilleux. Il me semble que ceci ne capture pas suffisamment précisément la fantasy. Par ailleurs, il me semble que dans Lovecraft, même s'il y a des relents de l'ancienne littérature fantastique à la Edgar Allan Poe, le pas est clairement franchi : toutes ces entités sont d'une certaine manière réelle, et si les protagonistes peuvent douter, les lecteurs, qui connaissent les connexions entre les différentes nouvelles, ne sont pas dupes.

De manière générale, je ne suis pas entièrement emporté par cette proposition. Les deux consensus que tu proposes (et qu'Irwin me semble plus ou moins reprendre) me paraissent tous deux faire problème. A partir de quel moment un univers est-il imaginaire ? L'univers de Conan, l'univers de Tolkien, correspondent à notre univers et le prolongent plus qu'ils ne s'en distinguent (c'est d'autant plus saisissant dans Conan, avec les Pictes, l'Atlantide, etc. ; et dans les Contes Perdus plus encore) ; de même qu'Harry Potter, Lovecraft, etc. Je fatigue un peu et je n'ai plus trop l'énergie d'argumenter ici, mais un univers est rapidement imaginaire à partir du moment où il est alternatif. Une uchronie, par exemple, correspondrait assez bien à un univers imaginaire ; pas sûr pour autant qu'on puisse y reconnaître de la fantasy.

La magie me préoccupe également. On peut très bien imaginer une fantasy sans magie. Je n'ai pas lu Robin Hobb, mais je crois que ça s'en approche. Chez David Eddings, que j'ai beaucoup lu à une époque, on n'en est pas très loin non plus ; de même pour Gemell. Par ailleurs la magie peut prendre des formes nombreuses : s'il s'agit de la voyance, par exemple, il y a quantité de récits où on trouverait une composante de magie. Mais je crois surtout que la magie n'est pas nécessaire à la fantasy.

D'ailleurs, on pourrait risquer d'entrer dans de dangereux abîmes : si la fantasy se caractérise par un univers où la magie est acceptée, alors pourquoi s'agit-il de magie ? Si le rapport aux possibilités de la nature n'est lus le même, alors la définition même de magie s'estompe. Ce que je veux dire par là, c'est que la définition de magie me paraît trop compliquée ; et que, si cette définition se trouve faire référence aux règles physiques de notre univers, alors il me semble que nous ne pouvons plus discerner ce qui relève ou non de la magie dans un univers imaginaire. En bref : je pense qu'un des deux critères brouille forcément l'autre.

Ce à quoi je réfléchis depuis quelques jours, c'est à la possibilité de définir la fantasy non pas tant en termes de contenu, qu'en termes de procédés littéraires. Pourquoi la fantasy se caractériserait-il par une sorte de liste d'items qu'on devrait successivement cocher pour assurer le rattachement d'une œuvre particulière au genre ? Elfes ; on a ; épées ; on a ; magie ; on a ; univers parallèle, caché ou inaccessible ; on a. Je caricature, évidemment, mais cela me semble un peu étrange.

J'avais proposé, dans ma discussion avec Elendil, que la fantasy se caractérise par un rapport inversé entre le cadre imaginaire et la trame narrative ; c'est-à-dire qu'un roman se caractérise par des procédés de fantasy lorsque les éléments imaginés ne servent plus simplement de prétexte à l'intrigue, mais qu'au contraire l'intrigue sert de prétexte à leur découverte (ça rejoint assez ce que disait Dwayn, je m'en rends compte). C'est évidemment le cas pour Tolkien (la définition est presque taillée pour). Et cela me semble exclure, par exemple, les écrits du type Lord Dunsany, où les éléments merveilleux sont là pour créer une ambiance, une atmosphère, et même, j'en ai peur, pour Howard, où le médiéval fantastique se substitue confortablement à l'Afrique équatoriale ou au Far West pour servir de cadre à des aventures exotiques et pleines de panache. (J'aime beaucoup Howard, et ce n'est pas une critique.)

En ce cas, des romans comme Star Wars, Dune, malgré leur composante S-F, seraient clairement de la fantasy. Je ne crois pas qu'ils le sont ; mais ils emploient des procédés littéraires communs, et il n'est donc pas étonnant qu'ils se créent des sortes de liens de parenté entre ces mondes. D'ailleurs, les univers duels de Warhammer / Warhammer 40K, dont je connais très mal les rapports, montrent bien qu'entre la SF et la fantasy médiéval fantastique, il n'y a qu'une différence de vaisseaux spatiaux. Mes vues sur la question ont donc très certainement besoin d'être affinées.

Bon, il est tard, je continue à réfléchir, en tout cas je suis déjà très content de toutes vos contributions ! J'espère que nous discuterons pour longtemps !
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#10
Il devient décidément urgent, cher Hofnarr, de proposer le contenu de ma conférence de l'année dernière à l'ENS, puisque j'y consacre une partie de mon temps de parole à cette question de définition de genre. ^^'

En attendant, je me permets de renvoyer ici d'abord à la définition proposée par Anne Besson dans l'Encyclopædia Universalis, que j'avais reprise à mon compte lors de ma conférence et qui part du principe que la fantasy moderne est née au XIXe siècle : http://www.universalis.fr/encyclopedie/fantasy/

Anne Besson, pour Encyclopædia Universalis, a écrit :La fantasy est un genre fictionnel aux expressions plurimédiatiques et très diversifiées : prenant le contre-pied de la modernité industrielle, elle fait régner le merveilleux dans des cadres imaginaires, passés ou actuels, à destination d'un large public.

J'avais dit lors de ma conférence que l'on pouvait, selon moi, compléter légèrement la définition en rajoutant que les cadres imaginaires peuvent être passés, actuels, mais aussi futurs, comme en témoigne certaines œuvres d'auteurs comme Robert Silverberg ou Anne McCaffrey.

Dans mon article publié en 2016 dans le premier numéro de Fantasy Art and Studies ("La Fantasy au-delà de Tolkien et avec lui : de « l'Arbre qui cachait la Forêt » à la « Forêt aux Mille Arbres »") je reprends aussi cette idée d'Anne Besson selon laquelle on peut identifier un "cœur de genre", épique et héroïque, où s'épanouissent des mondes secondaires situés dans un passé ancien, sur fond d'emprunts mythologiques et historiques (emprunts non réductibles au Moyen Âge ou à la "matière du Nord"). C'est à ce "cœur de genre" que peuvent être rattachées les œuvres de J. R. R. Tolkien et de Robert E. Howard relevant de la fantasy, ces deux auteurs ayant, selon moi, joué conjointement un rôle très important dans l'histoire de ce cœur.

Pour qui aurait éventuellement des doutes quant à la présence de merveilleux dans l'œuvre de fantasy de Robert Howard, créateur de Conan (mais pas seulement), je me permets de conseiller la lecture des nouvelles La Fille du Géant du Gel (The Frost-Giant's Daughter), La Tour de l'Éléphant (The Tower of the Elephant), La Citadelle Écarlate (The Scarlet Citadel), Une sorcière viendra au monde ! (A Witch Shall Be Born!) ou encore Les Clous rouges (Red Nails), pour ne citer qu'elles : sans pour autant être répandu à tous les coins de rue, le surnaturel est bien présent à l'Âge Hyborien (l'époque du monde de Conan), la magie étant en fait présentée comme quelque-chose dont, à tout le moins, il vaut mieux se méfier (postulat howardien que d'ailleurs l'on peut retrouver généralement chez d'autres auteurs, y compris William Morris ou Tolkien).

Le temps me manque, il est tard, et j'ai sans doute encore déjà trop parlé...

Concernant l'explication du surnaturel dans les littératures de l'imaginaire, je reprends très succinctement ici ce que j'ai, là encore, dit en conférence (alors au moyen d'une parabole, pour celles et ceux qui étaient là et qui s'en souviennent) :
- fantastique : déstabilisation au sein du récit et pour le lecteur, sans qu'une explication du surnaturel perçu soit donnée ;
- SF : pas de surprise au sein du récit, avec explication plus ou moins scientifique et/ou technique du surnaturel ;
- merveilleux / fantasy : pas d'explication du surnaturel perçu par le lecteur, mais acceptation dudit surnaturel au sein du récit.

Quant à Lovecraft, que d'aucuns semblent tenir absolument à enfermer dans le fantastique ce qui n'est pourtant pas une obligation, je me permets de renvoyer à ce propos à ce que j'ai écrit précédemment dans le fuseau des sondages consacré aux auteurs de fantasy et dont Hofnarr a parlé plus haut : http://forum.tolkiendil.com/thread-9145-...#pid169743

Voila pour mes deux centimes apportés à cette discussion... ^^'

Amicalement,

Hyarion.
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
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#11
(02.04.2018, 00:11)Hofnarr Felder a écrit : Ce à quoi je réfléchis depuis quelques jours, c'est à la possibilité de définir la fantasy non pas tant en termes de contenu, qu'en termes de procédés littéraires. Pourquoi la fantasy se caractériserait-il par une sorte de liste d'items qu'on devrait successivement cocher pour assurer le rattachement d'une œuvre particulière au genre ? Elfes ; on a ; épées ; on a ; magie ; on a ; univers parallèle, caché ou inaccessible ; on a. Je caricature, évidemment, mais cela me semble un peu étrange.

J'avais proposé, dans ma discussion avec Elendil, que la fantasy se caractérise par un rapport inversé entre le cadre imaginaire et la trame narrative ; c'est-à-dire qu'un roman se caractérise par des procédés de fantasy lorsque les éléments imaginés ne servent plus simplement de prétexte à l'intrigue, mais qu'au contraire l'intrigue sert de prétexte à leur découverte (ça rejoint assez ce que disait Dwayn, je m'en rends compte). C'est évidemment le cas pour Tolkien (la définition est presque taillée pour). Et cela me semble exclure, par exemple, les écrits du type Lord Dunsany, où les éléments merveilleux sont là pour créer une ambiance, une atmosphère, et même, j'en ai peur, pour Howard, où le médiéval fantastique se substitue confortablement à l'Afrique équatoriale ou au Far West pour servir de cadre à des aventures exotiques et pleines de panache. (J'aime beaucoup Howard, et ce n'est pas une critique.)

En ce cas, des romans comme Star Wars, Dune, malgré leur composante S-F, seraient clairement de la fantasy. Je ne crois pas qu'ils le sont ; mais ils emploient des procédés littéraires communs, et il n'est donc pas étonnant qu'ils se créent des sortes de liens de parenté entre ces mondes. D'ailleurs, les univers duels de Warhammer / Warhammer 40K, dont je connais très mal les rapports, montrent bien qu'entre la SF et la fantasy médiéval fantastique, il n'y a qu'une différence de vaisseaux spatiaux. Mes vues sur la question ont donc très certainement besoin d'être affinées.

Je crois que tu ne peux pas définir la fantasy uniquement par cette question des procédés de création. Comme tu le démontres toi-même puisque tu n'acceptes pas les résultats que cela te donne. En revanche, c'est sans doute un très bon outil pour analyser les cycles : je regarderai à l'occasion dans l'ouvrage D'Asimov à Tolkien d'Anne Besson, pour voir si elle en parle à un moment. Il est clair qu'un auteur de fantasy, à mon sens, peut bien inventer un univers dans lequel celui-ci sert l'intrigue et où celle-ci n'est pas un prétexte. Au contraire, on peut trouver bien des ouvrages de littérature classique (et même pas forcément de cycles) où l'intrigue est un prétexte : à la description d'un pays exotique, par exemple ; ou à des propos philosophiques ou littéraires (je pense à Jacques le Fataliste).

Je pense que la fantasy a aussi un lien étroit avec le romantisme classique, en tant que visite et résurrection d'un passé merveilleux et perdu. En ce sens, il ne s'agit pas de valider certains éléments (comme les elfes), mais d'une sensibilité : un vieux mur en ruines (cf. le passage d'Aragorn et des Hobbits devant le mur près d'Amon Sul), un tombeau, des noms étranges, qui suscitent l'inspiration et l'émoi vis-à-vis d'une époque belle et lointaine. C'est ce que ressentit aussi Felix Mendelssohn devant la sépulture de Mary Stuart, et qui donna naissance à sa Symphonie Ecossaise. Je ne sais pas si cela correspond à tous les auteurs de fantasy ; je conçois que certains, dont Howard, pourraient avoir un rapport différent à la littérature et à la création, mais il y aurait une branche médiévalo-romantique.
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#12
(02.04.2018, 00:11)Hofnarr Felder a écrit : La magie me préoccupe également. On peut très bien imaginer une fantasy sans magie. Je n'ai pas lu Robin Hobb, mais je crois que ça s'en approche. Chez David Eddings, que j'ai beaucoup lu à une époque, on n'en est pas très loin non plus ; de même pour Gemell.

Comme je l'ai mentionné rapidement plus haut, la magie existe bien chez Hobb, du moins dans l'Assassin Royal. Il y existe une magie "aristocratique" ou au service de la royauté, l'Art, et une magie de communication animale qui va jusqu'à l'échange d'esprit et l'imprégnation réciproque des deux entités, le Vif. Cette capacité demeure cachée par ses tenants car elle provoque le dégoût et la répulsion de l'ensemble de la société, à travers des actes qui peuvent aller jusqu'au lynchage. De quoi être prudent...

L'Art et le Vif sont des capacités naturelles mais qui doivent être travaillées et maîtrisées dans le cadre d'un enseignement pour être utilisées avec des risques mesurés.

Hobb introduit la magie avec beaucoup de douceur dans son monde et on découvre petit à petit qu'elle existe. Pourtant l'auteure finit par faire voler des dragons de pierre, ce qui n'est pas rien tout de même!

En ce qui concerne Eddings, je n'ai que lu que le cycle des Grandes Guerres des Dieux et la magie y est sacrément présente même si un grand nombre de personnages secondaires l'ignorent.
Dorées les feuilles tombent, mais le rêve se poursuit
Là où l'espoir demeure, les eaux chantent sous la nuit
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#13
Chez Gemmell aussi, il y a une certaine magie, ne serait-ce que par mon homonyme possédant une hache magique habitée par un démon.
What's the point of all this pedantry if you can't get a detail like this right?
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#14
Hum, une idée comme ça : peut-être peut-on aussi différencier le fantastique de la fantasy, dans le sens où les phénomènes anormaux ou paranormaux (je n'aime pas cette acception, qui implique une autre dimension, spirituelle) arrivent dans l'un et l'autre, mais qu'elle n'a rien à faire dans le premier monde, et tout dans l'autre. Par exemple, est fantastique l'apparition de magie dans notre monde à nous, comme dans certains écrits de Christie, de Buzzati, Le Horla de Maupassant et… sans doute Lovecraft Smile . Dans la fantasy, ce qui est merveilleux est dans l'ordre du normal (mais pas forcément du largement connu, cf. les Hobbits qui ne font usage d'aucune magie).

À affiner, car je pressens déjà les limites de cette distinction un peu trop ad hoc



Je me demandais par ailleurs si l'on ne gagnerait pas à faire des définitions à "plusieurs vitesses", c'est-à-dire différencier la fantasy stricto sensu et lato sensu. Je ne sais pas encore quelle définition attribuer à ces deux éléments, donc c'est une proposition très hypothétique Mr. Green



(02.04.2018, 00:11)Hofnarr Felder a écrit : J'avais proposé, dans ma discussion avec Elendil, que la fantasy se caractérise par un rapport inversé entre le cadre imaginaire et la trame narrative ; c'est-à-dire qu'un roman se caractérise par des procédés de fantasy lorsque les éléments imaginés ne servent plus simplement de prétexte à l'intrigue, mais qu'au contraire l'intrigue sert de prétexte à leur découverte

Hum, je verrai ça davantage comme un attribut de la fantasy que sa définition-même. Je n'ai malheureusement aucun exemple concret pour prouver mes dires (confiteor ma trop maigre culture en fantasy), mais il est tout à fait imaginable de construire avant tout une intrigue et, celle-ci ne pouvant convenir à notre monde, est déplacée dans un monde (un peu comme la salutation de Frodon a été transportée dans un monde construit pour prendre sens, aux dires de Tolkien).



(02.04.2018, 02:59)Tikidiki a écrit : Je pense que la fantasy a aussi un lien étroit avec le romantisme classique, en tant que visite et résurrection d'un passé merveilleux et perdu. En ce sens, il ne s'agit pas de valider certains éléments (comme les elfes), mais d'une sensibilité : un vieux mur en ruines (cf. le passage d'Aragorn et des Hobbits devant le mur près d'Amon Sûl), un tombeau, des noms étranges, qui suscitent l'inspiration et l'émoi vis-à-vis d'une époque belle et lointaine. C'est ce que ressentit aussi Felix Mendelssohn devant la sépulture de Mary Stuart, et qui donna naissance à sa Symphonie Écossaise. Je ne sais pas si cela correspond à tous les auteurs de fantasy ; je conçois que certains, dont Howard, pourraient avoir un rapport différent à la littérature et à la création, mais il y aurait une branche médiévalo-romantique.

Je plussoie beaucoup, en insistant sur le caractère anglo-saxon de cette inspiration, avant tout anglaise (cf. le pré-raphaélisme, qui est un exemple flagrant) et allemande (je prends l'exemple vu et revu, mais si frappant de toute la mythologie Wagnérienne, reprenant les contes du Graal, le Nibelungenlied, etc.). Reste à savoir d'où viennent ces courants Very Happy .
Cela contribuerait expliquer la pauvreté du milieu fantastique en France, le romantisme ayant été (je crois) plus tardif et moins teinté de fantastique qu'il ne le fut en Angleterre et en Allemagne. J'ai (forcément) quelques contre-exemples en tête, mais l'art du XIXème en France me semble reprendre plus d'éléments mythologiques (Prélude à l'après-midi d'un faune, Orphée aux Enfers, toussa) que réellement médiévaux. À voir, je ne prétends pas du tout être un expert de la question.
À noter que j'adhère également aux limites énoncés par Tikidiki : peut-être s'agit-il d'une inspiration partielle, dont l'influence est plus ou moins importante selon les auteurs.
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#15
(02.04.2018, 02:59)Tikidiki a écrit : Je pense que la fantasy a aussi un lien étroit avec le romantisme classique, en tant que visite et résurrection d'un passé merveilleux et perdu. En ce sens, il ne s'agit pas de valider certains éléments (comme les elfes), mais d'une sensibilité : un vieux mur en ruines (cf. le passage d'Aragorn et des Hobbits devant le mur près d'Amon Sul), un tombeau, des noms étranges, qui suscitent l'inspiration et l'émoi vis-à-vis d'une époque belle et lointaine. C'est ce que ressentit aussi Felix Mendelssohn devant la sépulture de Mary Stuart, et qui donna naissance à sa Symphonie Ecossaise. Je ne sais pas si cela correspond à tous les auteurs de fantasy ; je conçois que certains, dont Howard, pourraient avoir un rapport différent à la littérature et à la création, mais il y aurait une branche médiévalo-romantique.

Je suis assez d'accord avec cette réflexion sur le lien fantasy/romantisme. Il y a certainement dans la fantasy la recherche d'un "monde perdu", c'est une composante de nombreuses œuvres de fantasy mais pas de toutes. Pour prendre deux exemples extrêmes, il n'y a aucun romantisme dans l'oeuvre de Terry Pratchett (que j'aime beaucoup). C'est par contre la marque de fabrique d'un héros comme Elric il me semble.
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#16
Je me disais bien qu'on ne pouvait évoquer Gemmel sans que Druss à la Hache reste silencieux! Smile

J'ajoute que j'ai un peu de mal à concevoir une oeuvre de fantasy sans magie... Je serais très intéressé à en découvrir un exemple, et sans une once de défi dans la déclaration!

(02.04.2018, 10:20)Widor a écrit : Je suis assez d'accord avec cette réflexion sur le lien fantasy/romantisme. Il y a certainement dans la fantasy la recherche d'un "monde perdu", c'est une composante de nombreuses œuvres de fantasy mais pas de toutes. Pour prendre deux exemples extrêmes, il n'y a aucun romantisme dans l'oeuvre de Terry Pratchett (que j'aime beaucoup). C'est par contre la marque de fabrique d'un héros comme Elric il me semble.

Assez d'accord aussi pour envisager une corrélation entre romantisme et fantasy. Mais c'est arrivé à ce stade de la réflexion que la distinction en low fantasy et high fantasy peut trouver un peu de pertinence. Il faut alors envisager la LF comme à la charnière du merveilleux (ou fantastique) et de la "pure" fantasy. Pratchett (pour une partie de son oeuvre à l'exclusion du Disque-Monde), Rowling, Barrie, Lewis (Narnya) ou Dodgson peuvent être envisagé comme des auteurs de low fantasy parce que ils décrivent des mondes où coexistent deux réalités: la nôtre, la commune, et la féérique (le Peuple du Tapis, le Pays Imaginaire, le Pays des Rêves, le monde des Sorciers...).
Il y a une dichotomie permanente entre les deux mondes de ces oeuvres même si des interférences plus ou moins importantes peuvent se produire.

La high fantasy serait alors une subcréation qui ne laisse rien voir de notre monde primaire, ou plutôt qui se suffit à elle-même bien que comme chez Tolkien la subcréation puisse être envisagée comme un authentique passé (même si mythifié).

J'ajoute qu'il est un point assez évident qui n'a pas encore été mentionné et que dans une erreur métonymique nous pouvons occulter: c'est bien une oeuvre qui peut être classéefantastique ou de fantasy, pas un auteur qui a bien le droit d'avoir plusieurs cordes à son arc. Ainsi Smith de Grand Wottoon peut être considéré comme de la low fantasy ou du fantastique.

Pour résumer sommairement:

le fantastique: le merveilleux s'insinue dans notre monde.
la low fantasy: notre monde et le monde féérique coexistent et c'est plutôt des éléments du monde primaire qui s'introduisentt dans le merveilleux.
la high fantasy: le monde secondaire imprégné plus ou moins fortement de magie est étanche au monde primaire ou comme chez Tolkien en est suffisamment éloigné, en l'occurence par des milliers d'années.
Dorées les feuilles tombent, mais le rêve se poursuit
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#17
La Horde du Contrevent d'Alain Damasio qui est classé sur Wikipédia comme de la science-fiction fantasy, il n'y a pas de magie mais est-ce de la fantasy ? Est-ce d'ailleurs de la science-fiction ?

Il y a un aspect de la fantasy qui m'interpelle, c'est que j'ai l'impression (peut-être erronée) que c'est un genre qui regroupe plus de sous genres que les autres genres littéraires, si je reprends Wikipédia, nous avons:

- Heroic fantasy.
- Sword and sorcery.
- Fantasy humoristique.
- Dark fantasy.
- High fantasy et low fantasy.
- Medieval fantastique.
- Science fantasy.
- Space Fantasy etc.

Je suis très étonné qu'un genre aussi nouveau ait donné en aussi peu de temps un nombre de sous genres aussi nombreux mais peut-être que réfléchir à ce foisonnement pourra permettre de mieux percevoir ce qu'est la fantasy.
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#18
Oui la Horde du Contrevent! Et pourtant je l'ai lu mais cela m'était sorti de l'esprit. Bien vu Widor!

Quant à le classer avec une relative certitude...
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#19
Comme vous l'avez compris, ce qui m'intéresse ce n'est pas tant de donner une définition de la fantasy et de dessiner un critère de démarcation dont je ne verrais pas franchement l'utilité, mais de dégager des composantes. Qu'on en vienne déjà à devoir distinguer deux types de fantasy ne me paraît pas anodin.

Concernant la distinction low fantasy/high fantasy, même si les termes ne m'évoquent pas grand-chose (il y a une sorte de jugement hiérarchique latent dans cette terminologie, que je ne te prête absolument pas pour autant faerestel), il y a je crois une ide fondamentale : le référentiel culturel est-il le nôtre, ou non ? Autrement dit, est-ce que nos propres connaissances peuvent nous aider à comprendre le monde de la fantasy, ou vaut-il mieux les laisser à la porte, car elles ne sont plus utiles ?

Ceci me semble poser les bases d'une nouvelle polarité fructueuse. Harry Potter, Lovecraft, Dune, se retrouveront rangés de leur côté (ce sont des œuvres qui sont engagées dans un dialogue avec la culture telle que nous la connaissons) et Tolkien, Conan, le Trône de Fer, etc., d'un autre. La science-fiction (et je pense ici à Hypérion, par exemple) suppose presque toujours une mise en rapport avec le monde tel que nous le connaissons, puisqu'il s'agit d'une projection de notre culture humaine dans un avenir distant (je parle ici d'une certaine science-fiction, évidemment) ; mais toujours, le cas de Star Wars rentrerait, là encore, du côté du "noyau dur", ce qui a quelque chose d'un peu curieux.

Ce sur quoi je voulais insister avec ma première proposition, c'est que cette ouverture vers une cohérence inconnue et nouvelle, dont la matière littéraire n'offre que des bribes entr'aperçues, est quelque chose qui, dans l'histoire littéraire, me paraît assez nouveau, et que c'est quelque chose qui se retrouve de manière récurrente dans la fantasy ou certaines œuvres affiliées. Il ne s'agit en effet probablement pas d'un critère définitoire, mais d'une dynamique propre, qui fait de la fantasy un genre littéraire réellement nouveau, non pas seulement pour sa contenu, que pour le nouveau rapport à l'œuvre qu'il établit. C'est un rapport qui n'est d'ailleurs pas propre à la littérature, mais à quelque chose qu'on pourrait plus généralement désigner comme "l'art narratif" (ce qui inclurait les films, les bande-dessinées, par exemple). En somme, avec la fantasy (du moins selon cette composante), on a envie d'en savoir plus, non pas tant sur des personnages, mais sur un monde ; raison aussi pour laquelle il s'agit d'un genre qui s'accommode aussi bien des suites et des cycles (et, oui, il faudrait que je lise le bouquin de Besson que Tikidiki mentionne !).

Pour préciser aussi ce que je disais, je ne voulais pas poser une dichotomie : univers-prétexte, intrigue prépondérante -> pas fantasy vs. intrigue-prétexte, univers prépondérant -> fantasy ; car le fait que l'intrigue soit un prétexte n'est clairement pas un signe distinctif de la fantasy ! C'est plutôt le fait qu'il y a, en quelque sorte, fantasy, quand l'univers ne sert pas que de cadre à l'intrigue, mais le déborde largement. C'est ce que je disais plus haut, d'une manière plus fine, j'espère.

La Horde du Contrevent, que je n'ai pas réussi à lire, me paraît aussi être une sorte d'univers prétexte pour développer des considérations philosophiques. En le commençant, je n'ai jamais eu l'impression que ce monde faisait sens. Il n'a pas de logique en-dehors de ce qui est seulement nécessaire à l'intrigue. Or pour moi, comme je viens de le dire, la fantasy doit pouvoir dire "regarder, nous prenons ce chemin et nous vivons cette aventure, mais si au dernier carrefour on avait tourné à gauche, ç'aurait été une toute autre aventure" ; caractéristique poussé à l'extrême chez Tolkien, qui se plaît précisément à souligner cette pluralité d'horizons à chaque croisement.

L'idée enfin que la fantasy puisse être définie à partir de considérations génétiques, en suivant les modes littéraires qui lui ont donné naissance, est évidemment plus qu'intéressante, et je vois que vous la développez avec beaucoup de succès. Mais ce qui me pose problème ici, c'est que la fantasy naît justement de deux courants. Qu'on pense ce qu'on veut d'Howard ; Hyarion a raison lorsqu'il distingue deux parentés à la fantasy, la parenté anglaise d'une part, la parenté américaine d'une autre. Or l'une et l'autre sont les héritières de traditions littéraires différentes, sans rapport entre elles. On peut dire que la fantasy naît de leur convergence ; qu'elle naît en tant que genre lorsqu'une affinité est reconnue entre ces deux courants qui s'étaient développés l'un largement indépendamment de l'autre.

Cette convergence, c'est pour moi la recherche d'un autre monde, qui ne nous est pas accessible autrement que par l'esprit, que par la faculté d'imagination. La SF suggère que l'autre monde pourrait être accessible par le voyage, par des technologies nouvelles. Il me paraît d'ailleurs significatif, à cet égard, que CS Lewis et Tolkien, lors de leur petit concours où chacun devait écrire un roman, l'un sur le voyage spatial, l'autre sur le voyage temporel, aient inégalement réussi ; justement parce que le légendaire tolkienien, qui devait être la destination du voyage temporel qu'il décrivait, restait inaccessible. Ce qui rejoint finalement l'idée de "référent culturel propre" comme l'une des marques possibles d'une certaine fantasy.
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#20
Je viens de faire une petite recherche des auteurs classés de science-fiction sur la base d'une intuition. Cette intuition la voici: il y a beaucoup moins d'auteurs de SF aujourd'hui qu'il y 30, 50 ou 80 ans. En compulsant une liste sûrement incomplète, difficile d'en juger, mais en tout cas très large ( https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Liste_d%...ce-fiction ) on ne dénombre pratiquement aucun auteur de moins de 40 ans et rares sont les moins de 50 ans! Parmi les plus jeunes les thèmes abordés sont souvent post-apocalyptiques (comme Vincent Gessler). La littérature est un produit socio-culturel et la SF "dure" (celle d'Asimov, celles des space-operas...) en souffre. Les lecteurs et les auteurs semblent porter moins d'intérêt à la réalisation de prouesses technologiques, qui sont aujourd'hui si prégnantes en suscitant une légitime méfiance environnementale ou la crainte d'un contrôle total des faits et gestes, qu'aux conséquences catastrophiques du règne de la technocratie. Et le post-apo supplante la SF. Pour caricaturer encore un peu mon propos, que je considère comme un simple ballon d'essai, Walking Dead plutôt que Battlestar Galactica!

Hoffnar, en ce qui concerne la distinction que j'entreprends de dessiner entre low et high fantasy, je n'y vois pour ma part aucune hiérarchie. Ce n'est quand même pas le genre qui fait la qualité de l'oeuvre! Wink
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#21
Le romantisme est à la source de la fantasy selon moi, y compris de sa branche américaine représentée par Robert Howard (cela se sent notamment dans ses récits de Kull, antérieurs à ceux de Conan). La fureur d'écrire de Howard, en poésie comme en prose, m'évoque volontiers la fureur de peindre de Delacroix, et Conan mériterait bien d'avoir sa symphonie à programme sur le modèle d'Harold en Italie de Berlioz.
Le fait que ce genre, la fantasy, émerge dans sa forme moderne durant le XIXe siècle industriel, avec William Morris notamment, n'est évidemment pas neutre. La place du médiévalisme est importante, mais il ne faut oublier que l'inspiration antique classique ne disparait pas pour autant : c'est d'une évocation et d'une sensibilité au passé au sens large dont on peut tenir compte, qu'il s'agisse de Morris, Howard ou Tolkien.
Alors, certes Hofnarr, les traditions littéraires peuvent être différentes de part et d'autres de l'Atlantique (Tolkien et Howard ont des identités, anglaise et américaine, fortes et d'ailleurs maintes fois soulignées par leurs spécialistes respectifs), mais il ne faut pas oublier que les États-Unis sont encore, au XIXe siècle et au début du XXe siècle, une jeune nation encore très influencée culturellement par l'Europe, et que les distinctions dont tu parles ne s'appuient pas encore alors sur une durée historique aussi longue que celle que l'on peut mesurer aujourd'hui : les traditions littéraires dont tu parles sont, en fait, à l'origine, encore très proches, d'autant plus que les idées, comme les œuvres, circulent (les auteurs américains et européens se lisent mutuellement, fût-ce via des traductions au-delà du monde anglophone). Parler d'un berceau romantique commun, aux deux branches du genre, me parait pertinent, même si d'autres influences et spécificités peuvent se greffer au constat de ruissellement principal sur le long terme.

Amicalement,

Hyarion.

P.S.: j'espère que la discussion ne va pas s'enfermer dans des considérations sans fin en matière de sous-genres... Je l'ai écrit dans mes articles, l'ai dit en conférence, et n'y reviendrai pas : selon moi, cet excès de catégorisations et sous-catégorisations, dont souffre la fantasy, n'aide pas à penser.
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
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#22
Je veux bien que le romantisme soit "à la source" de la fantasy, et je te fais tout à fait confiance pour le rapport entre romantisme et littérature pulp, tu connais tout cela bien mieux que moi ; mais j'ai tout de même l'impression que dire cela, c'est presque ne rien dire, et passer en même temps à côté de l'essentiel.

Plus qu'un genre littéraire clairement identifié, le romantisme est, je dirais, un rapport particulier à l'esthétique (j'espère que tu valideras cette expression) ; ses aspects sont extrêmement divers et nombreux, voire parfois inconciliables. Certes, le romantisme exalte, de manière fantasmée, un passé révolu ; et on peut voir en cela une caractéristique fondamentale de la fantasy, en ce qu'elle correspond à un retour sur l'épopée médiévale, comme l'a dit Tikidiki (même si je ne suis pas certain de voir en quoi cela est vrai pour Howard, qui pour moi se rapprocherait plus d'Edgar Rice Burroughs, par exemple, que personne ne glisse jamais fans la fantasy).

Mais dégager ce lien génétique entre certains aspects, qui resteraient largement à dégager, du romantisme, et la fantasy, ne nous aide pas beaucoup à comprendre la spécificité de cette dernière, et ses mécaniques d'invention propres. Il me semble précisément que la fantasy s'affranchit du romantisme et ne peut exister que de la sorte. C'est particulièrement évident chez Tolkien où on voit s'opérer cet affranchissement. Les Contes Perdus sont pour moi dans une veine romantique assez nette ; le Seigneur des Anneaux l'est déjà beaucoup moins. Enfin, Tolkien a donné lieu à un héritage assez vaste, qui rompt les liens avec le romantisme, et perpétue pourtant la fantasy. J'ai pris Tolkien comme exemple, mais on pourrait songer à d'autres.

Aussi, sur le fait qu'il y a au moins deux courants distincts ayant donné naissance à la fantasy à travers leur convergence, évidemment, les auteurs américains et européens communiquaient ; mais là encore, dire cela, c'est noyer la fantasy, les auteurs qui l'ont façonnée, dans un cadre et un ensemble d'affirmations beaucoup trop généraux. On finira par voir toute la littérature comme une vaste communauté d'auteurs, sans percevoir des mouvements différenciés dans ce fleuve immense. Je ne suis pas sûr que Tolkien lisait la littérature des fleuves ; et si Howard et Lovecraft se sont peut-être nourris de Morris et Dunsany, comme Tolkien, il n'en demeure pas moins que leur rapport à l'écriture, et le rapport même du lectorat à leurs publications, était radicalement différent. Ce n'est pas la même chose d'écrire pour des magazines avec des illustrations un peu tapageuses et aguichantes comme Weird Tales, qu'écrire des petits Contes sur un joli carnet avec une calligraphie soignée qu'on envoie ensuite traditionnellement à un éditeur qui va publier ça dans un livre relié, etc. Amalgamer l'un et l'autre de ces courants au nom d'influences culturelles entre Europe et Amérique, c'est à mon avis touiller un peu large.
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#23
J'ai déjà été long, mais j'avais deux ou trois points à ajouter.

La question des sources de la fantasy, à laquelle je ne fais pas trop honneur dans ma réponse précédente, est, évidemment, cruciale ; et passionnante, faut-il l'ajouter. Mais elle ne résout pas entièrement la définition de la fantasy ; loin s'en faut.

Ce que je me demande plus personnellement c'est : pourquoi lire un roman de fantasy ? Qu'attend-on lorsqu'on lit un roman de fantasy ? (C'est aussi une question qui permettrait de dépasser le traditionnel "ce n'est pas aussi bon que Tolkien", qui n'est valable que si on s'attend, avec un roman de fantasy, à lire "plus de Tolkien", en quelque sorte.)

Prenons l'exemple du roman policier. Witold Gombrowicz écrit dans sa préface à Cosmos que pour lui, l'essence d'un roman policier, c'est de faire sens d'une réalité fragmentée, disparate et foisonnante, d'y recueillir un faisceau d'indices particuliers qui, mis en système, commencent à laisser deviner un sens. Si bien que le roman policier, selon lui, a pour objectif souverain de faire sens de certaines données choisies du réel, ni plus ni moins. Je ne suis pas du tout familier des romans policiers, et je ne souhaite pas trop faire dévier le sujet là-dessus, mais il me semble que le roman policier fait plus facilement "genre" que la fantasy -on sait à quoi s'attendre dans un roman policier ; quelque part on sait ce qu'on aimerait y trouver.

Or, dans un roman de fantasy, on veut probablement des personnages intéressants, une intrigue, des aventures éventuellement ; mais on ne recherche pas la même chose que dans un roman d'aventures (quoique la frontière soit ténue, cf. Howard qui joue sur les différents genres). On recherche quelque chose de plus, et probablement de différent. Et d'ailleurs, il pourrait ne pas y avoir d'aventures, que cela n'empêcherait pas un bouquin de s'inscrire dans la catégorie "fantasy". La preuve, c'est qu'on a aujourd'hui tout une fantasy "politique" ; très différente donc de la structure fondée sur une quête, sur des péripéties, et pourtant prolifique et qui s'insère parfaitement dans la communauté du genre.

Une réponse qui a été proposée ici est : la magie. Mais lit-on la fantasy pour y voir de la magie ? Est-ce qu'on crierait à l'arnaque s'il n'y en avait pas ? En tout cas, je suis curieux de savoir pourquoi vous lisez, vous, de la fantasy, et ce que vous pensez être en droit de vous attendre à y trouver ; c'est-à-dire pour quelles raisons vous pourriez refermer l'ouvrage, déçu ou non, en vous disant : "Mais... Ce n'était pas de la fantasy !"
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#24
(31.03.2018, 16:22)Dwayn a écrit : Ce point, c'est la question du cadre spatio-temporel. Orlando furioso (ou d'autres récits de ce type) et les écrits légendaires de Chrétien de Troyes que tu mentionnes me semblent appartenir plus au genre du merveilleux (au sens médiéval du terme) qu'à celui de la fantasy en général ― cela dit, il est évident le premier a contribué à fonder la deuxième, bien sûr. Peut-être existent-ils des critères qualitatifs dans le contenu même de ces productions qui puissent leur permettre de se différencier de la fantasy, mais je ne les ai pas sous la main. À voir également les points communs et distinctions à faire avec la mythologie.

Si l'on cherche à donner une définition cohérente de la fantasy, il me paraît en effet assez nécessaire de chercher à déterminer les critères objectifs permettant d'y inclure une œuvre (fut-ce de façon tangentielle), sans s'arrêter sur une date arbitraire, à moins que cette date ne découle d'une oeuvre précisément fondatrice.

En l'occurrence, l'Orlando risque de donner du fil à retordre, parce qu'il est déjà presque "romantique" à bien des égards, notamment dans son lien avec le passé. A l'inverse, il semble assez simple de séparer nettement fantasy et mythologie : dans le premier cas, l'auteur ne croit pas en ce qu'il raconte, dans le deuxième, il relate des faits extraordinaires auxquels il semble accorder une certaine créance ou du moins des faits habituellement considérés comme véridiques (sur un certain plan au moins) par la culture à laquelle il appartient.

Encore que dans ce cas, le cas des tragédies grecques de Racine puisse alors poser problème, à moins qu'on exclue aussi de la fantasy toutes les œuvres directement dérivées d'un récit mythique (ce qui permettrait éventuellement d'éliminer l'Orlando aussi).

(31.03.2018, 16:22)Dwayn a écrit : Quant à la place de Tolkien dans la fantasy… je ne pourrai mentionner qu'un détail : c'est que son travail a énormément contribué, je le remarque, à changer l'image des Elfes, faisant avant cela partie du petit peuple (cf. les Ñoldor, originellement des Gnomes), devenus des créatures gracieuses, élancées, féminines et spirituelles, symbolisant ce qu'il y a de plus élevé chez l'homme (opposées au nain, petit, lourd, hyper-virilisé, vil durant le Moyen-Âge, etc.).

Si l'on prend le Moyen Âge scandinave comme référence, les Nains n'étaient certainement pas petits, ni particulièrement virilisés. Quant aux Elfes, difficiles de dire comment ils étaient vus, mais Tolkien s'est efforcé de les dépeindre de la façon dont il considérait que les Scandinaves médiévaux les imaginaient. Avec l'avènement du christianisme, puis des Lumières, il est vrai que les Scandinaves ont eu tendance à réduire leurs personnages mythologiques pour leur donner finalement une apparence de "petit peuple", comme l'ont fait les autres peuples européens. C'est seulement ce dernier avatar "folklorisé" que Tolkien a battu en brèche.

(31.03.2018, 18:12)Widor a écrit : L'œuvre de Lovecraft est aussi clairement du fantastique, il s'agit de notre monde et l'on ne sait jamais vraiment si l'auteur (interne) du récit a vu quelque chose de réel ou s'il s'agit d'une illusion.

A vrai dire, Lovecraft a aussi écrit des nouvelles se déroulant dans les "Contrées du Rêve", une sorte de monde parallèle remplissant assez bien les critères évoqués ici pour la fantasy. Ce qui, par voie de conséquence, nécessite de réévaluer à cette aune lles nouvelles d'inspiration plus fantastiques qu'il a aussi écrites. (Ma mise en cause de Lovecraft dans l'autre fuseau était assez volontairement polémique. Wink)

(02.04.2018, 00:11)Hofnarr Felder a écrit : Selon elle, la fantasy repose avant tout sur un "monde secondaire", ce qui la distingue justement de la science-fiction où les choses, pour exotiques et étranges qu'elles soient, sont très clairement de notre univers. [...] De même, Star Wars, par sa petite phrase traditionnelle d'ouverture, s'exclut du champ de la fantasy et se rattache à la science-fiction (et, oui, ça ne tient qu'à ça !).

J'avoue m'inscrire en faux avec ta conclusion : si la phrase introductive de Star Wars est suffisante pour exclure celle-ci du domaine de la fantasy, alors tout le schéma très élaboré de Tolkien pour inscrire son Legendarium dans l'histoire passée de la Terre devrait l'exclure au même titre et à bien plus forte raison. Idem pour Howard.

Pire encore, le cycle des Portes de la Mort, de Weis et Hickman (lecture fort sympathique, nettement meilleur que Lancedragon, je trouve), possède toutes les caractéristiques de la fantasy, à cela près qu'il est situé dans une époque future de la Terre.

(02.04.2018, 00:11)Hofnarr Felder a écrit : Tikidiki : je dois dire que j'ai été ravi par cet angle d'approche que je n'avais jamais considéré. Il y a clairement, dans la fantasy, surtout dans la fantasy tolkienienne (amont et aval), une dimension de "pastiche" de l'épopée médiévale.

Il y a sans doute un lien à préciser entre l'univers médiéval et la fantasy. Toutefois, il ne faut pas généraliser non plus : j'ai déjà lu des romans de fantasy situés dans un univers franchement antiquisant. De même, la Guerre des Fleurs de Tad Williams (très bon, lecture vivement conseillée) est très clairement considérées comme de la fantasy, alors que les personnages naviguent entre le monde contemporain et un univers féerique dont l'avancement technologique est plus ou moins calqué sur le XIXe siècle.

(02.04.2018, 00:11)Hofnarr Felder a écrit : Une uchronie, par exemple, correspondrait assez bien à un univers imaginaire ; pas sûr pour autant qu'on puisse y reconnaître de la fantasy.

De fait, Rêves de gloire, de Roland C. Wagner (je recommande chaudement), est une pure uchronie (le point de départ est l'assassinat de De Gaulle au Petit Clamart), mais ce n'est pas de la fantasy.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
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#25
(03.04.2018, 17:16)Elendil a écrit :
(31.03.2018, 16:22)Dwayn a écrit : Quant à la place de Tolkien dans la fantasy… je ne pourrai mentionner qu'un détail : c'est que son travail a énormément contribué, je le remarque, à changer l'image des Elfes, faisant avant cela partie du petit peuple (cf. les Ñoldor, originellement des Gnomes), devenus des créatures gracieuses, élancées, féminines et spirituelles, symbolisant ce qu'il y a de plus élevé chez l'homme (opposées au nain, petit, lourd, hyper-virilisé, vil durant le Moyen-Âge, etc.).

Si l'on prend le Moyen Âge scandinave comme référence, les Nains n'étaient certainement pas petits, ni particulièrement virilisés. Quant aux Elfes, difficiles de dire comment ils étaient vus, mais Tolkien s'est efforcé de les dépeindre de la façon dont il considérait que les Scandinaves médiévaux les imaginaient. Avec l'avènement du christianisme, puis des Lumières, il est vrai que les Scandinaves ont eu tendance à réduire leurs personnages mythologiques pour leur donner finalement une apparence de "petit peuple", comme l'ont fait les autres peuples européens. C'est seulement ce dernier avatar "folklorisé" que Tolkien a battu en brèche.

Une remarque : ce que tu expliques est intéressant, et je compte le creuser plus avant, mais les descriptions des Nains/Elfes ne se prétendait pas être celle du Moyen-Âge, que je n'ai convoqué pour l'attribut "vil", par association d'idées et pour filer l'opposition.
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#26
(03.04.2018, 09:58)Hofnarr Felder a écrit : Ce que je me demande plus personnellement c'est : pourquoi lire un roman de fantasy ? Qu'attend-on lorsqu'on lit un roman de fantasy ? (C'est aussi une question qui permettrait de dépasser le traditionnel "ce n'est pas aussi bon que Tolkien", qui n'est valable que si on s'attend, avec un roman de fantasy, à lire "plus de Tolkien", en quelque sorte.)

Effectivement on identifie très facilement la littérature policière. Pour ce qui concerne la fantasy, je vais donner un avis personnel.

Quand je lis de la littérature fantasy j'attends d'abord un roman d'aventure au sens où je m'attends à un itinéraire, il doit y avoir un certain souffle la fantasy est donc pour moi au départ un roman d'aventure.

Cette aventure est vécue par des personnages dans un monde imaginaire (qui si possible doit me plaire...) inspiré du passé (plus ou moins), un passé idéalisé ou au contraire un passé repoussoir. Je te rejoins pour penser que le monde est un élément important de la littérature de fantasy.

J'attends enfin qu'une oeuvre de fantasy que je vais lire fasse sens avec notre propre monde avec notre propre vie, la littérature de fantasy n'est pas qu'un simple plaisir esthète mais une réflexion sur notre monde.
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#27
Ne peut on dire que la fantasy fait intervenir des divinités (plus que de la magie) et le fantastique non. Harry potter deviens du fantastique et lovecraft de la fantasy. Les épopées mythologiques et meme la bible si on fait abstraction du côté sacré sont des oeuvres de fantasy (pour un non croyant).
Le divin dans le fantastique est expliqué par des être « juste » multidimentionnel leur conférant nt des avantages mais pas de caractère divin.
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#28
L'intervention ou même l'existence de personnages de statut divin n'est pas systématique dans ce qu'on considère comme de la fantasy.

Sauf erreur de ma part, les récits de Howard laissent une place assez conséquente à la magie (même si, comme l'explique plus haut Hyarion, les principaux protagonistes ont tendance à s'en méfier), mais malgré l'existence de nombreux cultes et temples, il n'y a aucune intervention divine. Dans mon souvenir, Howard laisse planer un doute assez fort comme quoi tous ces cultes ne seraient que des superstitions, occasionnellement renforcées par un clergé porté sur les arts occultes.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
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#29
Je n’ai pas lu conan depuis longtemps mais il me semble qu’il défie quelques divinités. Dans l’assasin royal de hobb il n’y a pas de dieu mais les deux propheties qui s’affrontent par contre
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#30
Dans le Seigneur des Anneaux, la présence de divinités est plus que discrète ; il faut lire le Silmarillion pour s'apercevoir de l'influence des Valar. Pourtant personne ne l'a attendu pour faire du SdA une œuvre de fantasy... De même, je ne pense pas qu'il y ait des dieux dans le Trône de Fer. Dans Moorcock, je ne suis pas sûr non plus.

A l'inverse, on trouve des dieux dans des romans qui n'ont que peu à voir avec la fantasy : American Gods, ou pour lesquels le lien avec la fantasy est très discutable (The Wicked + The Divine). On peut aussi trouver des dieux en Science-Fiction.

Pour reprendre sur ce que disait WIdor, je trouve intéressant que la composante "aventures" soit attendue d'un ouvrage de fantasy. Tikidiki mentionnait quant à lui l'épopée médiévale, ce qui me fait penser à "l'épopée fantastique" de l'anthologie en quatre volumes du livre d'or de la science-fiction. Ce sens de l'épopée est cette fois-ci, il me semble, un héritage direct du romantisme, comme vous étiez plusieurs à le remarquer.

Mais les aventures à la Conan (qui décidément me paraît plus atypique qu'on ne le croit) n'ont pas forcément grand-chose d'épique, parfois même on pourrait presque lire quelque chose ayant trait à une "anti-épopée" : un héros vagabond, qui fuit les événements qui le dépassent et essaie simplement de tracer son chemin comme il peut dans un monde déroutant. Là, on est plus volontiers dans le registre de l'aventure.

Il me semble que l'idée de la quête est encore un peu différente. L'épopée suppose a minima des batailles (désolé pour cette vision simpliste...), mais la quête, pas nécessairement. Et, quoique la quête suppose généralement des aventures, l'inverse n'est pas vrai ; les aventures de la sword and sorcery, typiquement, ne font pas l'objet d'une quête ; elles arrivent, voilà tout. Quête, aventures, épopées : on aurait là trois "dynamiques" possibles du genre, avec hybridations possibles ; le Seigneur des Anneaux, typiquement mêle l'épopée à la quête ; le Silmarillion serait déjà plus du côté de l'épopée, le Hobbit enfin relèverait plus exclusivement de la quête, à l'exception de la partie finale, mais qui ne fait pas l'objet d'un développement épique. Les contes de Terremer sont plus clairement des quêtes (sans nécessairement d'aventures d'ailleurs : les Tombes d'Atuan sont assez maigres de ce côté-là, sans que cela nuise en quoi que ce soit à l'intérêt de l'ouvrage).

Je me demande néanmoins s'il n'y a pas la possibilité d'une fantasy "politique", comme peut-êtreGagner la guerre, que je n'ai pas lu. Mais cela ouvrirait le genre à une diversité qui laisse entendre que le caractère commun à toutes ses déclinaisons possibles n'est ni l'aventure, ni la quête, ni l'épopée, et nous échappe encore. Un point qui me semble important ici, et je reviens vers ma toute première proposition, c'est que le cadre, en fantasy, déborde toujours son intrigue ; si bien que même s'il n'y a pas quête, ou épopée, ou aventures, il y en a toujours la possibilité suggérée.

Enfin Elendil, à ma décharge, en faisant remarquer que Star Wars se situe explicitement quelque part dans une galaxie lointaine, je reprenais un critère d'Anne Besson. Je ne suis pas sûr qu'on puisse exclure Star Wars du champ de la fantasy, pour être honnête, à part en insistant sur le médiévalisme (les sabres laser, ça ne rend pas Star Wars médiéval).
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