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Étudier et "comprendre" Tolkien et son oeuvre : comment voyez-vous les choses ?
#1
Suite à des échanges plus ou moins discursifs sur d'autres fuseaux de ce forum, je me permet de créer celui-ci.

J'ai souvent eu l'occasion, ces dernières années, que ce soit sur le forum de Tolkiendil ou sur celui de JRRVF, d'évoquer la question des grilles de lecture d'une œuvre littéraire comme celle de Tolkien et de la pertinence de ces grilles. Je précise qu'en matière de formation intellectuelle, je viens de l'université, et que l'empirisme, le rationalisme et la démarche analytique sont comme des réflexes premiers dans ma façon d'appréhender les sujets d'étude, même si j'ai toujours accordé, dans le même temps, beaucoup d'importance à l'appréhension artistique, poétique, spirituelle des œuvres de l'esprit et particulièrement bien sûr des œuvres d'art. Le primat du rationalisme ne m'empêche cependant pas de me poser des questions depuis quelques années, sur les limites de ce que l'on m'a appris, de ma perception des choses, de notre perception des choses, etc. Je pense que tout le monde devrait aussi se poser des questions de ce genre, même si depuis que je fréquente les forums/fora tolkieniens, je ne l'ai que rarement constaté en lisant les discussions, publiques ou privées. La question de la foi religieuse personnelle est pour moi, je le précise aussi, quelque-chose de totalement à part a priori, qui devrait idéalement relever de la seule intimité, même si la question religieuse peut évidemment être un objet de discussion générale.

Personnellement, je pense que toutes les grilles de lecture ont leurs qualités et leurs défauts. Je n'en place aucune au dessus des autres, ne considère aucune comme étant a priori meilleure qu'une autre, et considère aujourd'hui d'ailleurs avec une certain scepticisme l'intérêt d'une approche trop spécialisée des études tolkieniennes, dans quelque aspect que ce soit. On a ainsi beaucoup vu se développer, durant plusieurs décennies, des études très spécialisées, notamment dans les langues inventées et dans les aspects théologiques de l’œuvre de Tolkien, hélas souvent sans établir beaucoup de liens avec l'identité littéraire, artistique, de l’œuvre étudiée, comme s'il fallait à tout prix qu'une singularité particulière soit établie vis-à-vis de cet auteur dont certains aimeraient comme posséder une part de l'Anneau. S'ajoute à cela ce que l'on peut appeler les études universitaires qui, elles, sont pleinement consacrés à la dimension littéraire de l’œuvre et l'identité d'écrivain de Tolkien (sujet dont on a déjà parlé dans un autre fuseau)... mais qui cependant, elles aussi, ont leurs limites disciplinaires. On vente cependant, par ailleurs, et de façon générale, depuis quelques années, les vertus de l'interdisciplinarité, ce que j'approuve, même si on parle généralement de cela dans le cadre de la seule recherche universitaire, quoique les choses heureusement évoluent. Mais je crois que tout reste encore trop segmenté, trop enfermé dans des cases, au risque de perdre de vue ce qui est peut-être l'essentiel, ce qui nous parle à travers cette œuvre (et celles d'autres écrivains, d'autres artistes), par delà les disciplines, les spécialités, les choix spirituels, etc. : on en oublierai presque la figure pourtant centrale qui est celle du lecteur, du lecteur d'une œuvre littéraire, de celui a qui est donné à voir une création artistique.

Trop souvent, les "tolkienologues" privilégient les mêmes cheminements dans l'étude de l'œuvre de leur écrivain préféré : soit, en gros, la grille de lecture disons analytique/rationaliste/positiviste/scientiste, soit la grille de lecture disons religieuse/théologique/chrétienne. Pourquoi ? Est-ce parce que le fait que Tolkien fut universitaire et catholique le justifie ? Ou bien est-ce parce que ces grilles de lecture sont celles qui dominent ou ont dominés au cours des siècles la pensée occidentale ? Je dirais un peu des deux, globalement... Et la question que l'on peut dès lors se poser est : pourquoi, après tout, se fixer de telles bornes ? Est-il possible d'étudier, d'essayer de "comprendre" Tolkien (si cela est possible) autrement ?

L'interrogation en fait est double : la spécialisation est-elle un impératif absolue et les grilles de lecture doivent-elles forcément être ce que j'ai mentionné (même si on peut toujours débattre des termes) ? Je n'ai pas de réponse évidente à cela. Tout ce que je vois, ce sont des bornes, qui limitent et qui peuvent empêcher de voir, et que l'on ne veut pas franchir généralement. Pourquoi ? Que peut-il y avoir au-delà de limites devenues si habituelles qu'on ne les discute plus, au delà des "zones de confort" des uns et des autres ? C'est toute la question. Et elle n'est pas nouvelle...

Je suppose que certains pourront trouver la portée de mes propos peut-être quelque peu "fumeuse" : heureux ceux qui ont des certitudes, mais je n'aimerai pourtant pas être à leur place... Bref, une fois encore, je ne sais pas si écrire tout cela est bien utile... mais sait-on jamais ?

Sur ce fuseau, chacun est invité de donner son avis, tout simplement. Étudier et "comprendre" Tolkien et son œuvre : vous, comment voyez-vous les choses ? Vous posez-vous des questions ? Et si oui, lesquelles ?

Cordialement,

Hyarion.
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
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#2
Merci Hyarion pour ces éléments. Voilà un questionnement très intéressant que je découvre pour ma part, naïf que je suis Smile

En ce qui me concerne, mes grilles de lecture ne sont pas 1) le "rationalisme scientiste" et 2) la dimension spirituelle, mais 1) dans quelle mesure la question est résolue de manière interne 2) dans quelle mesure l'est-elle de manière externe.

Je suis athée. Cependant il m'arrive de temps en temps de me souvenir que Tolkien est croyant... cela fait-il de moi quelqu'un qui ne peut comprendre une part de l'oeuvre de Tolkien? Et même si c'était vrai?
J'étudie l'histoire de la Terre du Milieu comme j'étudierais une période spécifique de notre monde, mais ça me vient de bien avant ma formation universitaire.
Donc je prends chez Tolkien ce qui m'intéresse fondamentalement, et nulle autre prétention ne me guide (une compréhension "totale" ou que sais-je). Nulle question pour moi d'apprendre à connaître ses langues alors qu'il y en à foison ici-bas. Cela fait certainement passer à côté de quelque chose pour comprendre son oeuvre, mais c'est un prix que je ne compte pas non plus payer.

Bref, je n'ai jamais envisagé que le raisonnement classique du commentaire universitaire/scolaire puisse être remis en question, et je ne vois absolument pas son problème ou ses manques vis-à-vis de ce que j'ai l'ambition d'étudier chez Tolkien, ni comment faire autrement (si tant est que je n'aie jamais, sans le savoir, déjà fait autrement). J'attends avec impatience un ou deux éclaircissements ou des exemples pour mieux comprendre les tenants et aboutissants des démarches que tu as évoquées... Smile
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#3
Merci d'avoir pris le temps de répondre, Tikidiki. Qui sait, tu seras peut-être le seul, vu que Crayon Volant vient lui-même de me faire comprendre dans un autre fuseau que mon initiative, pour laquelle je me suis pourtant fait quelque peu violence, n'avait finalement pas beaucoup de sens. Laughing Allez savoir... Ma foi, tant pis, si c'est le cas... Razz

Tu me demandes des éclaircissements et des exemples. Tu veux des noms ? Tu veux que je balance, c'est ça ? Laughing Mais les auteurs ayant écrit sur Tolkien en ramenant soit tout à la religion ou soit tout à des considérations étroitement scientifiques ne manquent pas : tu as bien dû en croiser quelques-uns dans tes lectures.

Actuellement occupé à des travaux d'écriture qui me tiennent à cœur et vis-à-vis desquels j'ai pris beaucoup de retard (je participe modestement aussi en ce moment à une opération de relecture pour une publication), je t'avoue que je n'ai guère le loisir actuellement de beaucoup développer, sachant que j'estime avoir, il faut bien le dire, perdu beaucoup (trop) de temps à m'impliquer, de façon imprévue, dans d'autres conversations ces derniers jours sur le présent forum. Pour tout te dire, j'ai l'impression même de passer, et ce n'est pas la première fois, plus ou moins pour l'idiot de service, celui qui se plante et s'étale en beauté pendant que les autres se satisfont d'être, tout en sobriété, à la hauteur d'une compétition intellectuelle dont il est vrai que je n'ai que faire. Mais bon, passons, ce n'est jamais qu'une impression et demain est un autre jour.

Bien, essayons donc quand même de te répondre rapidement. Tu as l'air de ne pas te sentir concerné pour l'une ou l'autre grille de lecture mentionnées plus haut. Pourtant, à te lire, tu me sembles en fait concerné au premier chef par la première grille de lecture que j'évoque. Je le perçois d'autant mieux que moi aussi j'ai fait des études d'histoire et que je vois très bien ce que tu veux dire quand tu écrit "j'étudie l'histoire de la Terre du Milieu comme j'étudierais une période spécifique de notre monde", même si tu dis que ton goût pour cette démarche remonte à avant tes études. Et la démarche qui est la tienne, c'est d'appliquer à une œuvre littéraire de fiction une grille de lecture qui est celle d'une science humaine, l'histoire, même si on pourrait discuter de l'exacte dimension scientifique de cette belle discipline dont j'ai toujours pensé que l'on avait tort de négliger sa dimension littéraire, présente dès les écrits d'Hérodote. Dès lors, la dichotomie interne/externe que tu mets à l'honneur me parait renvoyer, disons, à des échelles de lecture, mais nullement à une grille.

D'ailleurs, je ne conteste pas non plus la pertinence des études tolkieniennes soit internes soit externes, même si je crois que l'on a généralement tort de séparer les deux, car en l'espèce tout me parait lié d'une façon ou d'une autre, mais on affaire là, disons, à un degré de focale, non à un paradigme de base. La question que je soulevais était de savoir pourquoi on privilégie généralement uniquement certaines grilles de lecture, que la perspective soit interne ou externe.

À te lire, ta grille de lecture est bien celle du rationalisme, ou du matérialisme si tu préfères puisque tu te dis athée. Je précise que je déteste que l'on enferme les gens dans des cases, et que ce que je dis concerne ta démarche et non ta personne. En tout cas, faire usage d'une telle grille de lecture n'est pas quelque-chose de neutre, même si c'est une norme intellectuelle que l'on ne songe pas généralement à discuter. Et pourtant tout cela me paraitrait déjà, en soi, être matière à questionnement. Mais bon, je ne vais pas m'amuser (moi non plus Wink )à jouer les grands philosophes : à chacun de savoir s'interroger sur sa propre démarche, je pense, car cela me parait plutôt sain.

Néanmoins, je peux toujours te le demander, comme je le ferais à n'importe quel "tolkienologue" rationaliste : comment peut-on considérer l'œuvre de Tolkien comme étant à ce point cohérente qu'on puisse la considérer comme objet de science, en particulier d'un point de vue interne ? N'a-t-on pas tendance, dans ce cas, à oublier que l'on affaire à une œuvre d'art, inachevée au moins pour partie, et sachant que Tolkien n'a pas toujours, volontairement ou non, fait preuve de la cohérence que les scientifiques supposent généralement quant à n'importe quel objet d'étude ? N'y a-t-il pas un risque de vouloir ainsi faire rentrer l'œuvre dans des cases qui ne sont pas forcément faites pour elles, quel que soit l'angle de vue choisi pour appréhender le sujet ?

C'est amusant : en questionnant ainsi, j'ai l'impression de jouer le rôle inverse que j'avais joué, il y a quelques années, dans une ancienne discussion sur JRRVF où j'essayais de défendre la légitimité de l'empirisme contre une dichotomie "étoilés/carnassiers" qui est parfois prôné pour distinguer ceux qui aspirent à comprendre Tolkien en "étoilés" de Faërie et ceux qui n'aspireraient en gros qu'à "retrouver les os dans le potage" en mode scientifique (cf. ce que disait Tolkien notamment à propos des historiens et des archéologues). Laughing

Mis à part cela, Crayon Volant a parlé ailleurs d'une approche intuitive de l'œuvre d'un écrivain comme Tolkien, s'opposant aux habituels critères d'évaluations analytiques "scolaires" que l'on a généralement coutume d'utiliser, ce qui me parait, sur le principe, une démarche intéressante à considérer, surtout quand on se pose des questions et que l'on est prêt à se remettre en cause. Suite aux échanges ayant eu lieu dans d'autres fuseaux, notamment un dans lequel tu disais être "assez étonné du peu de foi accordé à la démarche "analytique"", en t'adressant, je crois, nous à deux, je ne sais pas si tu attends éventuellement de moi que je développe aussi sur ce sujet, mais au cas où je préfère le préciser : si Crayon Volant et moi nous nous connaissons depuis le travail en commun réalisé pour l'Encyclopédie du Hobbit, nous avons chacun nos propres idées, qui peuvent se rejoindre sur certains points mais pas sur d'autres, et je ne peux pas parler de cette approche alternative comme lui le pourrait. Si je devais résumer la distinction à faire, je crois que lui montre plutôt un chemin quand moi je me pose avant tout des questions. Smile

Et voila, j'avais dit que j'essaierai de répondre rapidement, mais c'est encore trop long... et pendant ce temps mes travaux d'écriture n'avancent pas ! Razz

Bonne nuit !

Amicalement,

Hyarion.
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(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
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#4
Bonjour Hyarion,

Ce nouveau fuseau risque fort d'être éminemment intéressant, mais aussi de demander pas mal de temps à ceux qui se lanceront dans la discussion. Ce n'est pas un sujet qu'on peut traiter en deux lignes. Si je me suis bien gardé de me lancer sur ces questions, c'est d'abord parce que je risque de ne pas pouvoir répondre de manière régulière aux messages, compte tenu de mon actualité personnelle, dont le tempo ne cessera de s'accélérer jusqu'en fin d'année au moins. Par conséquent, si je ne réagis pas par la suite, il ne faudra pas y voir un mépris des arguments avancés ou un désintérêt, mais un manque critique de temps.

Ensuite, ce n'est pas non plus un sujet sur lequel j'avance avec des opinions toutes faites, ce qui serait dangereux, ni avec un raisonnement abouti et pleinement mûri au travers de mes recherches. Je n'en suis encore qu'à essayer de délimiter le terrain et à en visualiser les grandes lignes. Enfin, c'est sans doute un sujet où le mode de discussion des forums n'est pas forcément le plus indiqué, puisque l'on risque toujours de citer ses interlocuteurs pour débattre d'un point secondaire tout en laissant l'essentiel de côté -- travers dont je serai le dernier à essayer de m'exonérer.

(30.07.2015, 21:09)Hyarion a écrit : Je précise qu'en matière de formation intellectuelle, je viens de l'université, et que l'empirisme, le rationalisme et la démarche analytique sont comme des réflexes premiers dans ma façon d'appréhender les sujets d'étude, même si j'ai toujours accordé, dans le même temps, beaucoup d'importance à l'appréhension artistique, poétique, spirituelle des œuvres de l'esprit et particulièrement bien sûr des œuvres d'art. Le primat du rationalisme ne m'empêche cependant pas de me poser des questions depuis quelques années, sur les limites de ce que l'on m'a appris, de ma perception des choses, de notre perception des choses, etc.

Ce préambule pourrait être de ma plume, même si plutôt que l'université, que j'ai aussi fréquentée, mais outre-Atlantique, j'aurais plutôt cité ma formation d'ingénieur. Quant à l'appréhension poétique ou intuitive, c'est un sujet qui m'intéresse de part mon vécu personnel, mon intérêt envers la démarche de Tolkien et l'importance que j'accorde volontiers à ce que Jung appelle la psychologie de l'inconscient, entre autres choses.

(30.07.2015, 21:09)Hyarion a écrit : Je pense que tout le monde devrait aussi se poser des questions de ce genre, même si depuis que je fréquente les forums/fora tolkieniens, je ne l'ai que rarement constaté en lisant les discussions, publiques ou privées. La question de la foi religieuse personnelle est pour moi, je le précise aussi, quelque-chose de totalement à part a priori, qui devrait idéalement relever de la seule intimité, même si la question religieuse peut évidemment être un objet de discussion générale.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ces derniers points, pour plusieurs raisons. D'abord parce que je ne considère pas que ce sont des questions que chacun devrait se poser : autant je suis parfaitement d'avis que se poser ces questions constitue une excellente hygiène intellectuelle pour ne pas s'enfermer dans des raisonnements trop étroits ou vouloir réduire l'autre aux cases de son entendement personnel, autant je me garderais bien d'essayer de prescrire ce qu'il est souhaitable pour autrui en la matière. A chacun ses talents, ses intérêts et sa recherche personnelle du bonheur. Wink

Par ailleurs, je trouve que cette démarche, que tu trouves insuffisamment fréquente, est raisonnablement représentée dans les forums tolkieniens. Peut-être que les termes exacts de la discussion ne correspndent pas exactement à ce que tu en attends, mais je ne pense pas qu'il faille être aussi pessimiste que tu sembles l'être. Incidemment, je compte aussi tes interventions dans le cadre de cette démarche, bien sûr. Et si cette démarche te paraît malgré tout trop rare sur les forums, j'en reviendrai au fait que les forums de discussion en ligne sont vraisemblablement plus propices à la démarche analytique, de par leur structure même. Parmi les monographies francophones consacrées à Tolkien, je trouve qu'un certain nombre accordent une place non négligeable à la question même de la méthode d'étude et à la dimension intuitive. C'est du moins mon impression quand je me remémore Tolkien et ses légendes d'Isabelle Pantin, par exemple.

Enfin sur la question de la foi religieuse, je pense sincèrement qu'elle ne peut pas véritablement relever de la seule intimité dès lors qu'elle infuse l'être et l'attitude de chacun envers la vie et la compréhension qu'on en a, ou qu'on cherche à en avoir. Je ne relèverai pas ici le compte du nombre de personnes qui ont signalé sur ce forum apprécier Tolkien malgré le fait qu'elles soient agnostiques ou athées : je crois bien avoir vu plus de profession de foi de ce type (si j'ose dire) que de revendications chrétiennes. Les unes comme les autres ont objectivement la même validité, même si je peux bien sûr comprendre qu'on soit plus facilement convaincu par l'argumentaire de ceux dont on partage l'opinion. Au demeurant, j'ai constaté que ces questions n'étaient pas forcément déterminantes pour l'étude de Tolkien, contrairement à ce que tu sembles parfois dire. J'ai remarqué depuis longtemps de remarquables études sur certains aspects d'inspiration catholique de l’œuvre de Tolkien ayant été écrites par des gens qui semblent se revendiquer de l'agnosticisme. Inversement, j'ai découvert par hasard que certains autres intervenants étaient croyants alors même qu'ils se sont toujours cantonnés à une grille parfaitement analytique et littéraire. A chacun de trouver sa voie, comme toujours. Pour ma part, je n'ai jamais souhaité me limiter à un domaine trop précis, car l’œuvre de Tolkien me touche par bien des points.

Incidemment, si certains souhaitent mettre en exergue un aspect particulier des opinions de Tolkien (conservatisme des mœurs, opinions politiques, environnementalisme, catholicisme, importance du langage et j'en passe...), libre à eux. Chacun peut voir midi à sa porte. Passé un certain point, évidemment, on s'oriente moins vers l'analyse que vers la propagande et c'est sûrement inévitable. Je ne connais pas d'analyse parfaitement impartiale en sciences humaines ou en littérature, puisque chacun part avec son bagage de connaissances plus ou moins imparfaites et d'opinions préalables plus ou moins inconscientes. Si une analyse penche trop dans une direction donnée, elle risque juste de ne pas convaincre le lecteur.

(30.07.2015, 21:09)Hyarion a écrit : Personnellement, je pense que toutes les grilles de lecture ont leurs qualités et leurs défauts. Je n'en place aucune au dessus des autres, ne considère aucune comme étant a priori meilleure qu'une autre, et considère aujourd'hui d'ailleurs avec une certain scepticisme l'intérêt d'une approche trop spécialisée des études tolkieniennes, dans quelque aspect que ce soit. On a ainsi beaucoup vu se développer, durant plusieurs décennies, des études très spécialisées, notamment dans les langues inventées et dans les aspects théologiques de l’œuvre de Tolkien, hélas souvent sans établir beaucoup de liens avec l'identité littéraire, artistique, de l’œuvre étudiée, comme s'il fallait à tout prix qu'une singularité particulière soit établie vis-à-vis de cet auteur dont certains aimeraient comme posséder une part de l'Anneau.

Tu as bien sûr le droit d'être sceptique vis-à-vis des études spécialisées. Celles-ci ont effectivement des limites, mais elles apportent aussi des pierres à l'édifice d'ensemble. Il faut souvent beaucoup d'approches divergentes assez poussées avant de pouvoir parvenir à une synthèse valable (et toujours susceptibles d'être remise en cause, au demeurant). Par exemple, je ne suis pas certains qu'on aurait pu caractériser aussi précisément la méthode de travail de Tolkien pour rédiger ses romans si nous n'avions pas disposé d'analyses très précises de son travail linguistique, qui ont permis de mieux croiser les données disponibles.

Par ailleurs, c'est le propre des grands écrivains de générer beaucoup d'intérêt pour leurs œuvres et souvent pour des raisons assez variées, qui donnent naissance à des études très pointues et spécifiques : suffit d'observer les travaux littéraires sur Hugo, Goethe, Shakespeare, Dante, Homère, pour ne citer que quelques géants de la littérature que je connais raisonnablement bien. Peut-on mettre Tolkien sur le même plan qu'eux, par opposition à d'autres écrivains de fantasy ou de science-fiction ? C'est mon opinion personnelle et celle de pas mal d'autres personnes qui étudient Tolkien, ce qui explique en bonne part l'engouement actuel pour l'étude de son œuvre. Pour autant, l'homme a aussi eu ses détracteurs, y compris des gens qui connaissent bien ses travaux, et chacun est loisible de lui contester un statut d'exception, d'ailleurs toujours subjectif. Après tout, Tolkien lui-même n'appréciait pas Dante et ne s'est pas privé de lancer des piques en direction de Shakespeare... Pour en juger de façon valable, il faudrait se projeter dans quelques siècles et nous ne serons vraisemblablement plus là pour constater si Tolkien reste toujours aussi populaire...

(30.07.2015, 21:09)Hyarion a écrit : Mais je crois que tout reste encore trop segmenté, trop enfermé dans des cases, au risque de perdre de vue ce qui est peut-être l'essentiel, ce qui nous parle à travers cette œuvre (et celles d'autres écrivains, d'autres artistes), par delà les disciplines, les spécialités, les choix spirituels, etc. : on en oublierai presque la figure pourtant centrale qui est celle du lecteur, du lecteur d'une œuvre littéraire, de celui a qui est donné à voir une création artistique.

Constat pertinent, mais encore faudrait-il que quelqu'un de compétent se lance dans l'affaire. Si on agit pas soi-même, il est vain de reprocher aux autres de ne pas le faire. Et si on agit, c'est inutile. Wink

(30.07.2015, 21:09)Hyarion a écrit : Trop souvent, les "tolkienologues" privilégient les mêmes cheminements dans l'étude de l'œuvre de leur écrivain préféré : soit, en gros, la grille de lecture disons analytique/rationaliste/positiviste/scientiste, soit la grille de lecture disons religieuse/théologique/chrétienne. Pourquoi ? Est-ce parce que le fait que Tolkien fut universitaire et catholique le justifie ? Ou bien est-ce parce que ces grilles de lecture sont celles qui dominent ou ont dominés au cours des siècles la pensée occidentale ? Je dirais un peu des deux, globalement... Et la question que l'on peut dès lors se poser est : pourquoi, après tout, se fixer de telles bornes ? Est-il possible d'étudier, d'essayer de "comprendre" Tolkien (si cela est possible) autrement ?

Je ne suis pas franchement convaincu qu'on observe une telle dichotomie, à moins d'attribuer arbitrairement le qualificatif de rationaliste à tout ce qui ne relève pas de la sphère spirituelle, théologique et religieuse. Dans ce cas évidemment, ce serait assez vrai, car si on aborde Tolkien de façon théologique, il faut bien en passer par son approche du christianisme, dans la mesure où il n'était pas franchement bouddhiste, aux dernières nouvelles... Mais je ne suis justement pas d'accord avec une telle division. Il y a bon nombre d'études qui abordent l'aspect mythologique de son œuvre et pas forcément de manière analytique ou chrétienne, par exemple. Après, s'il s'agit de définir une nouvelle méthode d'approche, peut-être faudrait-il la délimiter de manière plus précise que par la négative (j'y reviens plus bas).

(30.07.2015, 21:09)Hyarion a écrit : Tout ce que je vois, ce sont des bornes, qui limitent et qui peuvent empêcher de voir, et que l'on ne veut pas franchir généralement. Pourquoi ? Que peut-il y avoir au-delà de limites devenues si habituelles qu'on ne les discute plus, au delà des "zones de confort" des uns et des autres ? C'est toute la question. Et elle n'est pas nouvelle...

La question des bornes n'est pas neuve. Certains peuvent se cantonner volontairement à un domaine bien défini et c'est une démarche légitime. D'autres questionneront la pertinence et la limitation des champs de recherche et c'est aussi une démarche intéressante, même nécessaire de temps à autre. Mais quand on n'est pas satisfait par l'état de l'art, je ne vois pas d'autre solution, à titre personnel, que d'essayer d'y remédier soi-même, fut-ce de façon imparfaite ou inadéquate. :p

(31.07.2015, 03:03)Hyarion a écrit : Merci d'avoir pris le temps de répondre, Tikidiki. Qui sait, tu seras peut-être le seul, vu que Crayon Volant vient lui-même de me faire comprendre dans un autre fuseau que mon initiative, pour laquelle je me suis pourtant fait quelque peu violence, n'avait finalement pas beaucoup de sens. Laughing Allez savoir... Ma foi, tant pis, si c'est le cas...
[...]
Pour tout te dire, j'ai l'impression même de passer, et ce n'est pas la première fois, plus ou moins pour l'idiot de service, celui qui se plante et s'étale en beauté pendant que les autres se satisfont d'être, tout en sobriété, à la hauteur d'une compétition intellectuelle dont il est vrai que je n'ai que faire. Mais bon, passons, ce n'est jamais qu'une impression et demain est un autre jour.

Je n'ai pas compris que Crayon Volant ait dit cela : juste qu'il ne comptait pas contribuer au fuseau pour des raisons qui lui sont propres, ce qui est parfaitement son droit. Toujours à titre personnel, je trouve un peu triste que tu sembles croire nécessaire de déprécier tes initiatives et tes recherches. Déjà parce que si tu en as vraiment si mauvaise impression, tu es injuste envers toi-même. Ensuite parce que l'absence de réponse n'est pas garante du manque d'intérêt d'un sujet comme celui-ci. Je suis sûr que tu n'as pas tapé tes deux messages en 5 minutes et il en va de même pour celui que je suis en train d'écrire. Ni toi ni moi n'avons le temps de faire cela tous les jours. A fortiori pour d'autres, surtout s'ils ne sont pas certains de la manière d'aborder les problématiques que tu lances, qui sont rarement simples.

Quant à la compétition, je demeure toujours persuadé que c'est un moyen non pas de se faire valoir (vanitas vanitatum, et omnia vanitas dit avec raison l'Ecclésiate parmi bien d'autres paroles optimistes), mais de générer ce surcroit de motivation qui permet de mener le vrai combat : celui qu'on mène contre soi-même et qui relève, selon moi, de la plus stricte intimité.

(31.07.2015, 03:03)Hyarion a écrit : Mais bon, je ne vais pas m'amuser (moi non plus Wink )à jouer les grands philosophes : à chacun de savoir s'interroger sur sa propre démarche, je pense, car cela me parait plutôt sain.

Conclusion temporaire à laquelle je me range bien volontiers. Wink

(31.07.2015, 03:03)Hyarion a écrit : Néanmoins, je peux toujours te le demander, comme je le ferais à n'importe quel "tolkienologue" rationaliste : comment peut-on considérer l'œuvre de Tolkien comme étant à ce point cohérente qu'on puisse la considérer comme objet de science, en particulier d'un point de vue interne ? N'a-t-on pas tendance, dans ce cas, à oublier que l'on affaire à une œuvre d'art, inachevée au moins pour partie, et sachant que Tolkien n'a pas toujours, volontairement ou non, fait preuve de la cohérence que les scientifiques supposent généralement quant à n'importe quel objet d'étude ? N'y a-t-il pas un risque de vouloir ainsi faire rentrer l'œuvre dans des cases qui ne sont pas forcément faites pour elles, quel que soit l'angle de vue choisi pour appréhender le sujet ?

Là, je trouve déjà que tes interrogations se précisent et commencent à définir un champ de recherche certainement fructueux. Reste maintenant à l'explorer plus en détail, ce qui ne sera certainement pas une mince affaire. Wink Je ne compte pas m'y lancer de sitôt, car j'ai d'autres fers au feu, mais un jour, qui sait ?

Elendil
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
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#5
Effectivement un fuseau bien intéressant, mais je ne peux pas répondre comme ça, d'autant plus que je suis un amateur, d'un point de vue universitaire et que mon approche reste "naïve". Pour en parler le plus sérieusement possible, bien sûr en fonction de mes connaissances, il faut un peu de temps.

Je tiens juste à te montrer mon intérêt pour ce fuseau, mais comme le dit Elendil, cela demande du temps et un tel sujet ne mérite pas une réponse sans un minimum de réflexion.
La Fantaisie commence, bien sûr, avec un avantage : en saisissant l'étrangeté. Tolkien, Faërie
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#6
Bonjour à tous,

Naturellement, non seulement ce fuseau est ouvert à tous mais il est bien sûr sans limite de temps quant aux réponses que l'on voudra éventuellement y poster.

(31.07.2015, 12:50)Elendil a écrit : Ce nouveau fuseau risque fort d'être éminemment intéressant, mais aussi de demander pas mal de temps à ceux qui se lanceront dans la discussion. Ce n'est pas un sujet qu'on peut traiter en deux lignes. Si je me suis bien gardé de me lancer sur ces questions, c'est d'abord parce que je risque de ne pas pouvoir répondre de manière régulière aux messages, compte tenu de mon actualité personnelle, dont le tempo ne cessera de s'accélérer jusqu'en fin d'année au moins. Par conséquent, si je ne réagis pas par la suite, il ne faudra pas y voir un mépris des arguments avancés ou un désintérêt, mais un manque critique de temps.

C'est plus ou moins la même chose en ce qui me concerne : je n'avais pas initialement prévu de créer ce fuseau maintenant - ni même de le créer tout court d'ailleurs - et j'ai aussi des priorités auxquelles il faut que je consacre actuellement largement mon temps, notamment en matière d'écriture comme je l'ai déjà dit mais pas seulement. Que chacun fasse donc comme il peut. Smile

(31.07.2015, 12:50)Elendil a écrit : c'est sans doute un sujet où le mode de discussion des forums n'est pas forcément le plus indiqué, puisque l'on risque toujours de citer ses interlocuteurs pour débattre d'un point secondaire tout en laissant l'essentiel de côté

Oui, c'est un risque permanent et les forums, formule de communication intermédiaire entre la courriel et le "tchat", ne sont effectivement sans doute pas les lieux les plus adaptés pour des développements sur un tel sujet. J'espère simplement que le présent fuseau pourra constituer une ouverture.

(31.07.2015, 12:50)Elendil a écrit : Parmi les monographies francophones consacrées à Tolkien, je trouve qu'un certain nombre accordent une place non négligeable à la question même de la méthode d'étude et à la dimension intuitive. C'est du moins mon impression quand je me remémore Tolkien et ses légendes d'Isabelle Pantin, par exemple.

Isabelle Pantin a effectivement réfléchi à la question et j'ai l'ai lu avec intérêt. Sans doute aimerai-je lire davantage d'approches comme la sienne, essayant notamment d'éviter à la fois l'écueil de l'ultra-spécialisation et celui d'une approche trop "légère", et sachant remettre en question certains aspects de la recherche universitaire.

(31.07.2015, 12:50)Elendil a écrit : Enfin sur la question de la foi religieuse, je pense sincèrement qu'elle ne peut pas véritablement relever de la seule intimité dès lors qu'elle infuse l'être et l'attitude de chacun envers la vie et la compréhension qu'on en a, ou qu'on cherche à en avoir.

Je peux très bien concevoir cela. Si je me suis permis d'écrire ce que j'ai écrit sur le sujet, et qui n'engage que moi, c'est en songeant simplement au fait que la foi religieuse suppose la conviction d'être du côté de la vérité - pas d'une vérité, mais bien de LA vérité, ou la Vérité avec un grand "V" - ce qui peut assurément rendre difficile, voire impossible, toute discussion. Tout le problème est là, il n'est pas nouveau et dépasse évidemment très largement les études tolkieniennes. Dès lors, tout dépend sans doute des efforts que chacun est prêt à faire pour se mettre à la portée de l'autre, ce qui vaut d'ailleurs pour l'auteur d'un texte comme pour le lecteur de celui-ci. Voila notamment pourquoi je lie, personnellement, la question de la foi avec celle de l'intimité, mais on pourrait évoquer d'autres raisons. Ceci dit, je reste en tout cas ouvert sur le sujet.

(31.07.2015, 12:50)Elendil a écrit : Tu as bien sûr le droit d'être sceptique vis-à-vis des études spécialisées. Celles-ci ont effectivement des limites, mais elles apportent aussi des pierres à l'édifice d'ensemble. Il faut souvent beaucoup d'approches divergentes assez poussées avant de pouvoir parvenir à une synthèse valable (et toujours susceptibles d'être remise en cause, au demeurant). Par exemple, je ne suis pas certains qu'on aurait pu caractériser aussi précisément la méthode de travail de Tolkien pour rédiger ses romans si nous n'avions pas disposé d'analyses très précises de son travail linguistique, qui ont permis de mieux croiser les données disponibles.

Je ne conteste pas l'intérêt des études spécialisées en tant que telles, bien entendu. Elles ont leur légitimité et leur utilité. Il s'agit en fait d'un constat de ma part correspondant à un état donné de la recherche : beaucoup de choses ayant aujourd'hui été faites dans des aspects très spécialisés, il me parait temps à présent d'élargir les perspectives. Par exemple, faire des ouvrages consacrées aux langue inventées par Tolkien, c'est très bien, mais faire des ouvrages dans lequel on aborde davantage la question du rapport de ces langues avec l'œuvre littéraire sans laquelle elles n'existeraient pas, ce serait encore mieux. (non, non, je ne vise personne ! Laughing )

(31.07.2015, 12:50)Elendil a écrit : Si on agit pas soi-même, il est vain de reprocher aux autres de ne pas le faire. Et si on agit, c'est inutile. Wink
(31.07.2015, 12:50)Elendil a écrit : quand on n'est pas satisfait par l'état de l'art, je ne vois pas d'autre solution, à titre personnel, que d'essayer d'y remédier soi-même, fut-ce de façon imparfaite ou inadéquate. Razz

Me concernant, très modestement, l'action est en cours, comme tu le sais... et il y a encore bien du pain sur la planche. Razz Wink

(31.07.2015, 12:50)Elendil a écrit : Je n'ai pas compris que Crayon Volant ait dit cela : juste qu'il ne comptait pas contribuer au fuseau pour des raisons qui lui sont propres, ce qui est parfaitement son droit.

Je n'en disconviens pas. Mon évocation de Crayon Volant n'était qu'un renvoi ponctuel et bon enfant au contexte de naissance du présent fuseau, sans lien particulier avec l'évocation de la compétition intellectuelle figurant plus loin dans mon message. ^^

(31.07.2015, 12:50)Elendil a écrit : Toujours à titre personnel, je trouve un peu triste que tu sembles croire nécessaire de déprécier tes initiatives et tes recherches. Déjà parce que si tu en as vraiment si mauvaise impression, tu es injuste envers toi-même. Ensuite parce que l'absence de réponse n'est pas garante du manque d'intérêt d'un sujet comme celui-ci. Je suis sûr que tu n'as pas tapé tes deux messages en 5 minutes et il en va de même pour celui que je suis en train d'écrire. Ni toi ni moi n'avons le temps de faire cela tous les jours. A fortiori pour d'autres, surtout s'ils ne sont pas certains de la manière d'aborder les problématiques que tu lances, qui sont rarement simples.

Je suis sincère quand j'exprime ce type d'impression, mais le mode de discussion des forums est sans doute tout simplement trompeur... On sait que l'on s'implique, mais on ne sait jamais vraiment ce qui se passe devant les autres écrans. Et la dimension chronophage de la rédaction des messages est bien sûr évidente... y compris pour cette fois-ci, me concernant... Razz

(31.07.2015, 12:50)Elendil a écrit : Là, je trouve déjà que tes interrogations se précisent et commencent à définir un champ de recherche certainement fructueux. Reste maintenant à l'explorer plus en détail, ce qui ne sera certainement pas une mince affaire. Wink Je ne compte pas m'y lancer de sitôt, car j'ai d'autres fers au feu, mais un jour, qui sait ?

La question est effectivement assez conséquente et j'ai moi aussi d'autres fers au feu, mais chacun pourra toujours d'ors et déjà y réfléchir, en tout cas. Wink

Amicalement,

Hyarion.
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
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#7
Pour commencer, je fais actuellement des études d'histoire. Je termine un mémoire de recherche à l'université du Havre. J'ai donc une formation universitaire, mais pas strictement littéraire, même si je pense que l'histoire est pour une grande part littéraire (je renvoi au livre récent d'Ivan Jablonka, L'histoire est une littérature contemporaine (Seuil, 2014)). Mon approche théorique la plus naturelle ce sont les méthodes analytique et synthétique. A l'université, nous apprenons à la fois à décomposer et à comprendre des textes, des documents, et à la fois à réfléchir sur des sujets d'exposé plus ou moins complexe (à faire preuve « d'esprit de synthèse »). De manière générale, trois points sont à prendre en considération : 1) observation des faits ; 2) élaboration d’hypothèses ; 3) vérification, validation ou réfutation des thèses avancées. Cela peut paraître abstrait ou théorique lorsque c'est énoncé comme ça, mais il me faut avoir en tête ma propre manière de percevoir les choses pour tenter d'établir la ou les grilles de lecture que j'utilise consciemment ou non lorsque je lis Tolkien.

Je devrais dire, tout d'abord, que je pense avoir deux types de lecture très différentes : 1) une lecture personnelle, pour le seule plaisir de la lecture, qui s'attache peu à comprendre la genèse de tel ou tel écrit, à tente de savoir ce qui se cache derrière, à connaître « l'envers du décor » en fait ; 2) une lecture plus « universitaire » sur des points précis ou des thématiques générales, comme les nains, les aigles, les Ents, les hobbits, en ce qui me concerne plus précisément. Lorsque j'ai commencé à lire Tolkien, vers l'âge de neuf à dix ans, je lisais en boucle Le fermier Gilles de Ham et Le Hobbit. Ensuite, j'ai commencé le Seigneur des Anneaux un peu avant sa sortie au cinéma (c'est le hasard, car je n'ai appris l'existence des films que lors de la sortie du troisième en 2003). Depuis, j'ai lu Le Silmarillion et les Lettres, quelques passages des HoMe. Je lis en français et dans les versions poche (pour des raisons uniquement financières). J'ai lu la nouvelle traduction de Lauzon, ainsi qu'une traduction récente d'un poème de Tolkien, La Chute d'Arthur. Sur Tolkien, j'ai lu la biographie de Humphrey Carpenter, ainsi que l'étude de John Garth sur Tolkien et la grande guerre. J'ai aussi lu Tolkien et ses légendes d'Isabelle Pantin, deux livres de Vincent Ferré (Tolkien : sur les rivages de la Terre du milieu et Lire J.R.R. Tolkien). Sur les Hobbits, j'ai lu Le monde des Hobbits (collectif paru en 2014). Je possède et j'ai lu les volumes 2 et 3 de La Feuille de la Compagnie. Concernant la littérature secondaire, il me semble que c'est tout.

En bref, ce qui concernant les aspects religieux et linguistiques (les plus importants de l'oeuvre) je ne m'y intéresse pas au premier chef. Je conçois sans mal que les langues inventées sont le soubassement de la Terre du Milieu, mais approfondir sur ce point ne m'intéresse pas outre mesure, voire pas du tout. En revanche, ce que j'essaie de faire depuis un an et demi, c'est de comprendre les processus créatifs et la manière dont Tolkien a travaillé et rédigé le SdA, par exemple (car c'est pour le SdA qu'il y a le plus de matériaux). En littérature, je me passionne plus facilement pour l'histoire littéraire et le contexte de rédaction des œuvres, que pour la construction interne de l'ouvrage. Par exemple, pour Le fermier Gilles de Ham, c'est l'aspect chevaleresque qui m'a toujours passionné et, dès mes premières lectures, je rattachais ce héros à ceux des contes et légendes de la table ronde, aux écrits de Chrétien de Troyes, voir à la Chanson de Roland. Bref, à une atmosphère médiévale. Ce sont finalement les références de Tolkien qui vont intéresser, presque autant que la construction purement littéraire de l'histoire (c'est-à-dire d'un point de vue stylistique, grammatical, etc.). Enfant, et encore adolescent, j'avais une lecture très « enfantine » de Tolkien car il alimentait mes propres travaux d'écritures et mon imaginaire de jeux. Plus tard j'ai été très surpris d'apprendre que c'était un écrivain assez récent. Pour moi c'était aussi « intemporel » (si vous voyiez ce que je veux dire) que la fameuse Odyssée d'Homère. Je plaçais Tolkien plutôt au XIXe siècle, sur le même plan que des auteurs comme Victor Hugo, voire Jules Verne (et oui, je n'avais encore aucune notion d'histoire littéraire, de courant, etc.). Au lycée, entre 2005 et 2009, j'ai fais un cursus littéraire, mais en mettant de côté Tolkien. Je l'ai redécouvert vraiment en 2013 lorsque j'ai connu l'existence des HoMe et d'autres écrits de Tolkien. Je pense que c'est lors de l'annonce de la parution en français de La Chute d'Arthur (2013) et la nouvelle traduction du Hobbit que je me suis replongé dans l'histoire, ainsi que l'arrivée sur les écrans de l'adaptation de Jackson. C'est finalement une redécouverte assez récente.

Je suis bien conscient que mon monologue n'apporte pas de réponses directement à la question de ce fuseau, à savoir comment j'étudie et cherche à comprendre Tolkien ? Elle pose cependant les bases. Je m'appuie à la fois sur une démarche analytique et synthétique, héritée de mes études universitaire (en complétant ma lecture des écrits de Tolkien par des ouvrages secondaires), et sur un imaginaire littéraire hérité de mon enfance qui mêle des références mythologiques, de romans de chevalerie, etc. Aujourd'hui, s'ajoute un troisième centre d'intérêt qu'est l'histoire littéraire et surtout la volonté de connaître la manière dont Tolkien a écrit et pensé son univers romanesque. Car l'aspect de cohérence interne est effectivement un trompe l'oeil en partant du principe qu'il s'agit, ni plus ni moins, d'un vaste travail de réflexion, de raturages et de découragements. Bref, un travail d'écrivain. Chacun ayant fait de la recherche universitaire, notamment en histoire, peut ressentir ces différentes phases. Parfois, l'écriture prend une place imprévue. J'aime bien citer l'exemple de Georges Duby parce qu'il est révélateur de l'aspect littéraire d'une œuvre scientifique (cf. la publication collective récente Georges Duby en ses archives). Dès lors, pour moi, le travail d'écriture de Tolkien est indissociable de sa personnalité en générale et de sa profession de linguiste en particulier. Ce qui est largement le cas. Je m'identifie énormément à cet aspect de la biographie de Tolkien car je fonctionne de la même manière avec l'histoire. Au lieu d'inventer des langues, j'inventais, enfant et adolescent, des histoires de pays imaginaires, des biographies inventées, etc. Je ne cache pas que la crédibilité que Tolkien donne à son univers et à l'histoire de la Terre du Milieu exerçaient sur moi une certaine fascination et me servaient de référence. Cela de manière inconsciente, car j'ai finalement peu lu Tolkien jusqu'à il y a deux ou trois ans. Cette sorte de rapport pratique à l'oeuvre de Tolkien, puisque je l'utilisais comme une bible à idées d'une certaine façon, comme un laboratoire à idées dans lequel je trouvais des belles phrases et un style « à l'ancienne », est un point très particulier pour moi. Mes autres lectures du moment étaient Christian Jacq, Victor Hugo et Alexandre Dumas, mais aussi Jules Verne. J'ai lu plusieurs fois L'Odyssée d'Homère et j'aimais bien les contes et légendes de la table ronde, ainsi que les Livres des rois de la Bible (si, si...). Je lisais aussi du théâtre : notamment Molière, Shakespeare, etc. (uniquement des classiques !)

Aujourd'hui, mes références en littérature et en critique littéraire, sont connu des personnes ayant fait des études de lettres ou ayant une approche d'amateur éclairé : Antoine Compagnon (professeur au collège de France), Stephen Greenblatt (pour ses travaux sur Shakespeare) et Jean Starobinski (ses travaux sur Montaigne notamment). Ce que j'aime dans leur approche, c'est leur volonté de faire de la littérature en prenant en compte l'histoire, le contexte de rédaction des œuvres, les pensées qui se cache derrière, sans pour autant oublier leur construction interne. Cela s'apparente presque à une démarche biographique, mais qui me paraît des plus intéressante et nécessaire, car je trouve aussi que réduire l'étude d'une œuvre littéraire uniquement à des aspects précis nuit à sa compréhension globale. Après, le risque c'est de se retrouver avec une vision synthétique qui simplifie trop. C'est le type de travers qu'il est possible d'avoir avec l'oeuvre de Tolkien car elle est « trop » vaste. Pour en avoir une vision d'ensemble satisfaisante, il faudrait plus d'une vie de travail. Dès lors, il est nécessaire, pour des raisons pratiques, de ne rester attaché qu'à un aspect général de l'œuvre en la remettant dans son contexte. C'est le choix de beaucoup de chercheurs sur l'oeuvre de Tolkien. A ce titre, le travail de Vincent Ferré me plaît assez puisqu'il a cherché à présenter au grand public une vision assez générale du SdA, tout en mettant en perspective l'écriture de l'oeuvre de Tolkien et de sa réception de 1930 à nos jours.

Je me pose surtout la question, sans doute « naïve », de savoir à quel point mes références enfantines et ma formation universitaire, ainsi que mon goût (en amateur) pour les études littéraires et la critique littéraire, n'influence pas ma lecture et ma compréhension de Tolkien ? En effet, je pense que n'importe quelle personne souhaitant se poser sérieusement la question se doit de permettre aux lecteurs de percevoir quels outils, quelles lectures secondaires, quelles connaissances de l'univers de la Terre du Milieu il possède, car c'est grâce à tout cela qu'il étudie et qu'il cherche à comprendre les écrits de Tolkien. Je trouve donc, Hyaron, que tu te poses des questions pertinentes et intéressantes, car je perçois aussi que la cohérence interne de l'oeuvre est une sorte de « piège », ou du moins d'illusion. Déjà, parce que, d'un point de vue purement concret, Tolkien n'a pas été totalement exempt d'erreurs dans la cohérence interne de son oeuvre. Ensuite, parce qu'étudier une œuvre littéraire comme un tout, détaché de l'histoire et du contexte de rédaction me paraît hasardeux, sur un plan simplement rationnel et « scientifique ». Enfin, parce que la vie et le travail de Tolkien joue un rôle très important sur la construction de l'oeuvre et de son univers « imaginaire » (et j'aime bien rappeler que cet univers est le fruit de l'imagination d'un homme). La Terre du Milieu n'existe pas en tant que tel, elle existe parce qu'un homme l'a inventé et qu'il n'a pas pu terminer son entreprise d'écriture parce qu'il est mort avant (ce qui est aussi humain après tout). En un mot, son univers donne l'illusion de la cohérence et fascine pour son réalisme. Mais à quel point ce réalisme est trompeur justement ? Ou alors, faut-il prendre ce réalisme comme un présupposé de base, comme quelque chose de préétablie ? Il y a, de mon point de vue, un risque à vouloir faire rentrer un sujet d'étude, comme une œuvre d'art, dans des cases toutes faites. Par exemple, avoir une lecture religieuse et théologique de l'oeuvre de Tolkien et ne prendre que cette grille de lecture là comme base à une analyse globale de l'univers tolkienien. Finalement, ne lire et ne comprendre l'oeuvre de Tolkien qu'avec le prisme de la religion et de la théologie. Après, je pense qu'avoir une vision d'ensemble de l'univers est très difficile dans la mesure ou les écrits de Tolkien sont quand même très nombreux, pas toujours facile à analyser ou à comprendre (je suis le premier à buter sur les HoMe à cause de cette difficulté), notamment pour un amateur comme moi, c'est-à-dire pour quelqu'un qui ne peut pas lire le livre en anglais et qui n'a qu'une vision partielle de l'univers de la Terre du Milieu.

D'ailleurs, le fait ne pouvoir avoir qu'une vision partielle de l'univers de Tolkien, m'empêche de pouvoir débattre (sur ce forum par exemple) sur des points très précis car je manquerais assez vite de références et d'arguments. Je trouve, à titre personnel, que les travaux de spécialistes, comme Vincent Ferré, sont passionnants et riches, mais que, en même temps, ils intimident le lecteur lambda qui ne se sent pas légitime, ni très qualifié pour étudier et expliquer sa compréhension de Tolkien et de son œuvre. C'est pourquoi, Hyaron, ton interrogation est difficile, car j'ai l'impression que les réponses peuvent dépendre assez largement du profil du lecteur (c'est pourquoi j'ai fais le mien). J'ai bien vu que je ne suis pas le seul à faire, ou avoir fait, des études d'histoire. Beaucoup de gens sur le forum ont fait des études universitaires diverses et variées. Mais d'autres ne doivent avoir qu'une vision très lointaine de ce mon universitaire parfois intimidant, notamment cette impression que certains sont des « spécialistes » et d'autres pas. J'avais lu des choses pas très gentilles sur Vincent Ferré, à l'époque de la parution de la traduction de Lauzon je crois. Il lui était surtout reproché d'être spécialiste et donc de donner une compréhension « officielle » de l'oeuvre de Tolkien. Je ne crois pas à ça. En histoire, il y a souvent eu du mépris pour les historiens du dimanche, mais c'est absurde. Certains amateurs, pour en avoir vu travailler, sont très sérieux et quelque fois autant, voire plus, que des chercheurs pourtant très diplômés. Après, il est normal que quelqu'un comme Vincent Ferré, donne son point de vue et parle de l'oeuvre de Tolkien en tant que spécialiste universitaire (à ce titre il est largement légitime car c'est son travail). Rien n'empêche quelqu'un de contredire ou de débattre des travaux de Vincent Ferré s'il estime qu'il y a des erreurs ou que les analyses ne correspondent aux siennes. En bref, La qualité d'un travail ne se juge pas aux diplômes. De même, un passionné qui a passé du temps sur l'étude d'un point précis de l'oeuvre de Tolkien doit être tout autant respecté, même si son travail est plus approximatif qu'un spécialiste (dont potentiellement c'est le travail de recherche du moment). Quelqu'un qui ne maîtrise pas les règles universitaires peut effectivement se sentir humilié, voire blessé, parce qu'un spécialiste lui aura fait remarqué la nullité de son travail (même en y mettant la forme et la courtoisie d'usage). C'est donc un dosage très difficile.

Je dis tout cela pour souligner le fait qu'il y a une multiplicité d'études et de « compréhension » possibles de Tolkien et de son œuvre. En fonction que l'on soit un lecteur lambda occasionnel (qui lit Tolkien parce que c'est la mode, comme une lecture "du moment", sans plus), un amateur éclairé (celui qui apprécie Tolkien pour son univers et qui va chercher, à son niveau, à en savoir plus) ou un spécialiste, chacun aura une approche et une compréhension de l'oeuvre complètement différente. A mon humble avis et mon modeste niveau, il m'apparaît important, n'ont pas de cloisonner les différentes approches et grille de lecture et d'analyse de Tolkien, mais de les réunir, d'en faire une sorte de synthèse, d'approche globale, afin que chacun s'y retrouve. Je sais, pour l'avoir entendu, qu'étudier Tokien passe pour être une activité de « bobos », de gens qui n'ont que ça à faire de leur journée et qui prennent les non-spécialistes de haut. Bref, que c'est trop spécialisé justement et qu'il est difficile pour quelqu'un de peu au fait de l'univers de Tolkien de se trouver une place dans la communauté.

Personnellement, je note avec plaisir que tout ça change peu à peu et là dessus, Hyaron, je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi et rejoins Elendil. Cette question de l'étude et de la compréhension de Tolkien et de son oeuvre est partagée. Les choses changent. Je ne pense pas que ce soit par hasard si j'ai découvert et apprécié ce forum. C'est parce qu'il permet la discussion (même s'il s'agit souvent des mêmes personnes et que beaucoup de sujets son hyper-spécialisés). En tout cas, même entre personnes connaissant bien l'univers, il y a des dissentions et elles transparaissent (il suffit de voir les échanges entre Hyaron et Crayon volant). Pour moi, c'est plutôt sain et bon signe.

En tout cas, j'espère, pour conclure, que je n'ai pas fais trop de hors sujet. J'ai tenté de répondre à la question en notant ce qui me venait à l'esprit, comment je vois les choses justement. A titre indicatif, j'ai quand même passé presque trois à quatre heures sur ce post, et encore, uniquement pour l'écriture. En fait, je n'ai pas eu le temps de relire, donc je m'excuse pour les fautes d'orthographes et les fautes de frappe.
La Fantaisie commence, bien sûr, avec un avantage : en saisissant l'étrangeté. Tolkien, Faërie
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#8
Je m'ajoute à cette discussion pour faire par de mon avis qui se voudra plus synthétique que ceux de mes confrères Wink.

Je viens moi aussi de l'université -où je compte y rester, du moins pendant encore sept à huit ans. Mon parcours ressemble quelque peu à celui de Tolkien : trois ans en Lettres Classiques et l'année prochaine je m'oriente vers des études scandinaves à l'Université de Caen. Tolkien m'a très souvent conduit vers dans mes études et la lecture de textes anciens a confirmé mon choix de partir étudier ce "Monde du Nord". Pour comprendre Tolkien, je l'étudiais avec mes connaissances littéraires, linguistiques, mythologiques. Ce n'est que très récemment (il y a quelques années) que je me suis plongé à corps perdu dans les études sur Tolkien. Néanmoins je garde toujours ce réflexe de comprendre Tolkien par les textes qui ont pu l'influencer, quand bien même une étude est utile pour les pistes qu'elle propose ou défende. Ma perception reste parfois cantonnée aux textes eux-mêmes.

Comme il a été dit ex supra par mes confrères, la spécialisation est à la fois bonne car elle invite les spécialistes à se dépasser en trouvant de nouvelles choses à étudier, mais cette spécialisation enferme souvent le spécialiste dans son domaine d'étude, qui ne regarde pas à côté. Combien de fois suis-je tombé sur des spécialistes de Balzac, de Zola qui ne connaissaient quasiment rien du siècle de l'auteur dont ils étaient les spécialistes ? Il n'y a plus véritablement de curiosité, plus d'appétit, si ce n'est dans quelques cas où je vois encore des universitaires avec une véritable culture, très élargie. En cela, je suis heureux d'être un comparatiste des langues, cela me permet d'être spécialiste (à un niveau d'étudiant pour le moment)... de rien Very Happy.

Etant croyant, je ne me retrouve pas dans ce classement quelque peu forcé Wink. Je pense qu'un bagage religieux est nécessaire pour comprendre Tolkien (mais très souvent les textes religieux ne sont plus lus ou étudiés), ainsi qu'un bagage plus scientifique, notamment en sciences humaines. Mais comme je suis le fruit de ces deux branches de par mon éducation, je suis une sorte de mixte et cela ne m'empêche pas de passer d'un côté à l'autre Smile.

C'est tout pour moi ! Wink
ᛘᛅᛚᚱᚢᚾᛅᚱ ᛋᚴᛅᛚᛏᚢ ᚴᚢᚾᛅ᛬
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#9
(04.08.2015, 07:09)Hyarion a écrit : Si je me suis permis d'écrire ce que j'ai écrit sur le sujet, et qui n'engage que moi, c'est en songeant simplement au fait que la foi religieuse suppose la conviction d'être du côté de la vérité - pas d'une vérité, mais bien de LA vérité, ou la Vérité avec un grand "V" - ce qui peut assurément rendre difficile, voire impossible, toute discussion. Tout le problème est là, il n'est pas nouveau et dépasse évidemment très largement les études tolkieniennes.

Effectivement, nous ne concevons pas exactement la foi de la même manière. Heureux certainement ceux qui ont la foi du charbonnier, mais je te rejoins sur ce point : il reste difficile de débattre de ces sujets avec eux.

Pour ma part, avoir la foi consiste à croire que la vérité existe bel et bien, qu'il convient de la rechercher et de mettre en pratique ce que nous en comprenons, aussi bien que nous en sommes capable. C'est suffisamment exigeant ainsi, je pense, et je suis moi-même assez loin de mettre mes convictions en pratique aussi bien qu'il conviendrait...

(04.08.2015, 07:09)Hyarion a écrit : Me concernant, très modestement, l'action est en cours, comme tu le sais... et il y a encore bien du pain sur la planche. Razz Wink

Hé, je sais bien et j'ai hâte de lire cela quand la publication sera prête. Smile

(04.08.2015, 19:43)Alkar a écrit : Etant croyant, je ne me retrouve pas dans ce classement quelque peu forcé Wink. Je pense qu'un bagage religieux est nécessaire pour comprendre Tolkien (mais très souvent les textes religieux ne sont plus lus ou étudiés), ainsi qu'un bagage plus scientifique, notamment en sciences humaines.

C'est effectivement un souci, particulièrement pour Tolkien. Il me semble que pour bien comprendre un auteur, il faut connaître en détail son œuvre, idéalement toute son œuvre, mais il faut aussi avoir des notions sur sa vie, son milieu, son époque et — sans doute plus critique encore — sur ses lectures et son bagages intellectuel. Tout cela est énorme, particulièrement pour Tolkien, qui a vécu une époque riche en rebondissements et avait une culture gigantesque. C'est déjà une gageure de connaître raisonnablement bien les romans et les textes mythologiques que Tolkien appréciait (j'en sais quelque chose et je ne suis pas le seul ici...), mais il ne faut effectivement pas oublier ses lectures théologiques, visiblement étendues quand on note le nombre d'allusions diverses et variées relevées par Mickaël Devaux. Et qui aujourd'hui prend le temps de lire la Somme théologique de St Thomas d'Aquin d'un bout à l'autre ? J'éviterai même de relever en détail les contraintes générées par une direction d'étude spécialisée, parce que si l'on veut vraiment comprendre les inventions linguistiques de Tolkien (par exemple), il conviendrait en outre de savoir les replacer dans le contexte des études linguistiques de son temps, ce qui implique d'avoir de bonnes notions d'histoire de la philologie, en plus du reste...

Bref : pas si simple... et après on prend le risque de passer pour un spécialiste et d'intimider les nouveaux venus. :p

Elendil
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
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#10
Je vais essayer d'apporter ma modeste contribution, car bien que je sois passé par l'université, ce fut pour y étudier le BTP...
Avec l'âge, je me tourne davantage vers la littérature, mais la discussion est effectivement complexe. Pour ce qui est de l'étude de Tolkien, je précise que c'est par le biais du JDR que j'ai découvert ses textes. à l'époque de manière superficielle, dans le sens premier degré, ce qui n'est pas péjoratif. Je suis rentré alors dans la Terre du Milieu, en incarnant des personnages, interagissant avec ce monde qui m'était décrit par un Meneur de jeu. La TdM, oeuvre littéraire, était alors pour moi tangible, de manière interne, cohérente de la cohérence même du MJ, mêlée à celle de JRRT.
Puis après être passé de l'immaturité à une certaine sagesse en prenant de l'âge, j'ai ajouté d'autres perspectives, d'autres manières de lire et étudier les textes. Il y a la dimension spirituelle, la psychologie des personnages, la morale et ses choix et le texte est devenu plus profond. Après la littérature d'évasion (du prisonnier qui s'échappe pour rejoindre son camp) c'était l'oeuvre d'art: celle qui vous touche au plus profond, qui vous nourrit, vous porte dans votre vie.
Aujourd'hui je me suis remis au JDR, et j'ai la chance d'avoir pu lancer une campagne avec 4 (et peut être plus) joueurs chevronnés. Mon travail actuel, au service de cette campagne, comporte plusieurs aspects et buts.
Les buts:
-offrir à mes joueurs une soirée passionnante, mieux et moins cher que le cinéma!
-leur faire découvrir davantage l'univers de JRRT. Aventure, littérature, poésie, spiritualité...
Les aspects:
-un gros travail de décorticage, de recherche minutieuse de citations, de tri parmi les variantes. Quelqu'un a parlé de cohérence interne dans le fil. Parce que je suis MJ, et que j'incarne l'univers de Tolkien (pour ceux qui ne connaissent pas le JDR, ça peut paraître obscur...) pour le donner en interaction à mes joueurs, je lui donne une cohérence interne absolue. Ils évoluent dedans, il existe vraiment - dans notre imaginaire partagé- et pour cela j'ai effectivement fait le tri entre les variantes du texte. Dans les CLI, différentes versions de l'histoire de Galadriel la situent à plusieurs endroits à la même époque. Comme je n'ai pas choisi de considérer qu'elle a le don de bilocation, j'ai éliminé une version. Mais je choisi aussi parfois de ne pas tout expliquer, clarifier, pour que j'aie moi aussi droit à ma part de mystère.
-une réflexion spirituelle, qui a débuté avec les Lettres et la fameuse "le SdA est une oeuvre catholique" qui nourrira peut être mes joueurs, quelle que soit leur positionnement spirituel personnel.
-un travail de composition poétique, qui vaut ce qu'il vaut. Au détour d'un cours d'eau, dans le bruissement des feuilles, ou sortant de la bouche d'un voyant, poèmes et chants viennent enrichir et guider l'intrigue. C'est aussi parfois des comptines issues du folklore populaire qui peuvent même étonner les sages.
-et enfin un tout petit peu de travail linguistique pour créer les noms et mots qui me manquent, en puisant sans compétences aucune dans les divers lexiques et dictionnaires.
La lumière n'indique pas le bout du tunnel, c'est la lanterne de celui qui comme toi, cherche à sortir.
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