Note de ce sujet :
  • Moyenne : 0 (0 vote(s))
  • 1
  • 2
  • 3
  • 4
  • 5
Les Elfes, les Tuatha Dé Danann et la mythologie irlandaise
#1
Comme beaucoup savent, Tolkien s'est distancié à plusieurs reprises de la mythologie et des traditions celtiques, tout particulièrement de la mythologie irlandaise (voir notamment les Lettres, n° 19 et 165). C'est d'autant plus surprenant que ses Elfes doivent une bonne part de leur nature aux Tuatha dé Danann irlandais. En particulier, on peut comparer la description des tertres donnant accès au Sîdh avec les nombreuses forteresses souterraines des Elfes (Nargothrond, Menegroth, la demeure de Thranduil...)

Je viens de tomber sur un extrait qui rajoute une pierre de bonne taille à cet édifice. Il s'agit d'un extrait du Book of Lecan qui traite des quatre joyaux des Tuatha Dé Danann : la Pierre de Fâl, la lance de Lug, l'épée de Nuada / Nuadu et le Chaudron de Dagda. Voyons notamment ce qui est dit de la lance et de l'épée dans la traduction qu'en donne Georges Dumézil (Tarpeia, Gallimard, 5e éd., 1947, p. 211–212) :

Georges Dumézil a écrit :Aucune bataille n'était soutenue contre la lance de Lug ou contre celui qui l'avait en main. Nul n'échappait à l'épée de Nuadu après avoir été blessé par elle et, quand elle avait été tirée de son fourreau guerrier, nul ne résistait à qui l'avait en main.

Que dit maintenant Tolkien de la lance de Gil-galad et de l'épée d'Elendil dans l'original et la traduction de Ledoux ? Laissons Elrond parler (SdA, II/2) :

J.R.R. Tolkien a écrit :I was at the Battle of Dagorlad before the Black Gate of Mordor, where we had the mastery: for the Spear of Gil-galad and the Sword of Elendil, Aiglos and Narsil, none could withstand.

J.R.R. Tolkien, traduit par Francis Ledoux, a écrit :Je fus à la bataille de Dagorlad devant la Porte Noire de Mordor, où nous eûmes le dessus : Car nul ne pouvait résister à la Lance de Gil-galad et à l'Épée d'Elendil, Aiglos et Narsil.

On dirait une reformulation abrégée du passage précédent, localisée à un moment précis du Légendaire de Tolkien. Le passage est d'autant plus remarquable que si Narsil joue un rôle tout à fait notable dans l'intrigue, ce n'est nullement le cas d'Aiglos / Aeglos, mentionnée à cette seule occasion dans le SdA et à une seule reprise dans la dernière section du Silm., qui reprend le même doublet Aeglos & Narsil. C'est au minimum un clin d'œil appuyé aux spécialistes de la mythologie irlandaise.

D'où ma question : auriez-vous d'autres exemples de ce type à signaler ? J'ai le sentiment qu'il y a largement la matière d'un essai à écrire.

(NB : Il est vraiment étonnant que nul ne semble avoir traité en détail un tel sujet : le présent fuseau apparaît en quatrième position sur Google avec la recherche « elfes tuatha dé danann » et en première position avec la recherche « elfes tuatha dé danann Tolkien ».)
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
Répondre
#2
Mais le SdA n'établit vraiment pas de différence entre Aeglos et Narsil, seul le Silmarillion le fait. Au stade du SdA, qui a eu du mal à révéler l'importance de Narsil (et l'existence même d'Aeglos, qui n'existe pas dans les HoME), il ne s'agit que de deux armes incroyables, cependant réunies.

Il est notable que le Silmarillion insiste du coup sur leur "différence":
Citation : Nul ne tenait devant la lance de Gil-galad, Aeglos, tous tremblaient devant le glaive d’Elendil, les Orcs comme les Humains, tant il brillait sous le soleil et sous la lune, et son nom était Narsil.
Citation :Against Aeglos the spear of Gil-galad none could stand; and the sword of Elendil filled Orcs and Men with fear, for it shone with the light of the sun and of the moon, and it was named Narsil.
(Les Anneaux de Pouvoir...)

Ce passage se prête plus à l'idée d'une "reformulation", je trouve. En revanche, il reste à démontrer que Tolkien "reformule" Dumézil, plutôt que le mythe lui-même.

Concernant des idées, l'idée du fourreau de Nuadu m'évoque simplement le fourreau offert par Galadriel, "‘The blade that is drawn from this sheath shall not be stained or broken even in defeat" ("La lame tirée de ce fourreau ne sera souillée ou brisée, même dans la défaite" SdA II, 8 ).

Dommage que la parenté avec les joyaux des Tuatha Dé Danann semble s'arrêter là, particulièrement pour la Pierre de Fâl.
Répondre
#3
(01.03.2014, 16:30)Tikidiki a écrit : En revanche, il reste à démontrer que Tolkien "reformule" Dumézil, plutôt que le mythe lui-même.

Là n'est certes pas mon propos. Je cite le Book of Lecan d'après Dumézil, parce qu'il le cite lui-même et que je n'en connais pas d'autre traduction française. Il faut dire que mes connaissances en mythologie irlandaise sont relativement limitées et que j'accède aux textes de manière assez indirecte. Je voulais uniquement souligner le fait que Tolkien reformule ici le mythe irlandais, et il ne faut pas tirer d'autre conclusion de ma citation.

D'ailleurs, même là où les récits de Tolkien se conforment à la tripartition souveraineté-force-prospérité/fécondité mise au jour par Dumézil (exemple-type des trois tribus des Elfes), l'évolution des récits tolkieniens montre qu'il s'agit uniquement d'une adaptation littéraire de la matière mythique que Dumézil a étudiée indépendamment, pas d'une réappropriation des thèses de Dumézil, lesquelles n'étaient pas encore formulées. C'est cependant un exemple frappant de convergence à partir de matériaux littéraires chez Tolkien et anthropologiques chez Dumézil, que je compte bien étudier un peu plus à loisir dans les mois qui viennent. Au demeurant, il ne faudrait pas non plus exagérer ce rapprochement : la vision des Valar de Tolkien est étrangère à toute classification dumézilienne, par exemple.

(01.03.2014, 16:30)Tikidiki a écrit : Concernant des idées, l'idée du fourreau de Nuadu m'évoque simplement le fourreau offert par Galadriel, "‘The blade that is drawn from this sheath shall not be stained or broken even in defeat" ("La lame tirée de ce fourreau ne sera souillée ou brisée, même dans la défaite" SdA II, 8 ).

Excellente remarque, qui vient corroborer le lien avec Narsil, puisqu'Anduril n'est que le nouveau nom attribué à cette lame après qu'elle a été reforgée.

(01.03.2014, 16:30)Tikidiki a écrit : Dommage que la parenté avec les joyaux des Tuatha Dé Danann semble s'arrêter là, particulièrement pour la Pierre de Fâl.

Pour autant que j'en puisse juger, c'est plutôt le chaudron de Dagda qui n'a aucun correspondant chez Tolkien. Pour la Pierre de Fal, il y aurait sans doute quelques correspondances à creuser.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
Répondre
#4
(01.03.2014, 22:59)Elendil a écrit : Pour autant que j'en puisse juger, c'est plutôt le chaudron de Dagda qui n'a aucun correspondant chez Tolkien. Pour la Pierre de Fal, il y aurait sans doute quelques correspondances à creuser.

C'est ce que je voulais dire, des liens viennent spontanément pour la Pierre de Fal, et il serait dommage que cela se termine en cul-de-sac, ce qui, après réflexion, ne semble pas être le cas.

Serait-ce l'Arkenstone, pierre unique et symbole de légitimité? Ou les Palantiri, venant de la mer, liées à leur maître par un lien légitime, comme celui qui fait crier la Pierre de Fal pour un roi véritable?

C'est la Pierre d'Erech qui semble constituer l'idée la plus satisfaisante, puisqu'elle est unique, massive (la comparaison physique peut importer) et sert davantage de symbole de légitimité que l'Arkenstone (cette symbolique avec les Parjures n'intervient qu'une fois dans son histoire, somme toute; cependant elle demeure la "Pierre d'Isildur"). Elle est, de surcroît, apportée en Gondor depuis une île, comme la Pierre de Fal.

La Pierre d'Erech est-elle donc une correspondance directe de la Pierre de Fal? La parenté permet en tout cas d'enrichir les interprétations sur le mystère qui entoure cette pierre.

Il est possible d'évoquer enfin la tombe d'Elendil: assurément unique, elle est un symbole de légitimité plus flagrant qu'Erech. Il reste à la faire venir de la mer: c'est bien le cas du corps ou des cendres d'Elendil; quant à la pierre, elle est noire, et pourrait par là avoir la même origine que la Pierre d'Erech (mais les Gondoriens ont élevé tout le premier rempart de Minas Anor en pierre noire). La pierre elle-même est assez mince, si l'on juge qu'elle se trouve aux pieds de Cirion lorsque celui-ci s'y rend. Il dit qu'Isildur "raised it" (CLI3, 2, 3), mais il faut certainement entendre qu'il parle du monticule et non de la pierre pierre gravée, bien distincte puisqu'elle est inaltérée et non couverte par la symbelmynë. Par sa taille et son contenu, la tombe d'Elendil correspond donc moins parfaitement à la Pierre de Fal, mais elle semble bien invoquer la même idée.

Tolkien semble donc avoir été fortement inspiré par ce mythe, au point de l'utiliser à quelques reprises, de manière plus ou moins complète. Il faudrait vérifier si ces correspondances peuvent intervenir dans le légendaire des âges antérieurs. Sinon, il est remarquable de voir que Tolkien l'utilise uniquement pour le Troisième Âge, et particulièrement pour le Gondor. Peut-être parce que le Gondor est la meilleure tentative d'élaboration d'une identité et d'un pouvoir durables, ce qui justifierait son lien avec certains éléments de la mythologie irlandaise?
Répondre
#5
(02.03.2014, 00:31)Tikidiki a écrit : Serait-ce l'Arkenstone, pierre unique et symbole de légitimité? Ou les Palantiri, venant de la mer, liées à leur maître par un lien légitime, comme celui qui fait crier la Pierre de Fal pour un roi véritable?

L'Arkenstone n'est un symbole de légitimité que pour Jackson. Les Silmarils ne sont un symbole de royauté que pour Morgoth, et sont au nombre de trois. Cela semble exclure les deux possibilités que tu mentionnes en premier. De même, je ne suis pas convaincu par l'affaire de la pierre tombale d'Elendil, qui est plus un marqueur géographique qu'un symbole royal.

Plus convainquant peut-être, l'Elendilmir, la pierre verte de guérison que donne Galadriel à Aragorn : le pouvoir de guérison est justement le moyen par lequel Iorwen reconnaît le roi légitime. La rumeur qui bruisse dans la cité de Minas Tirith après les paroles d'Iorwen serait alors comme une version évhémérisée du cri de la Pierre de Fal.

(02.03.2014, 00:31)Tikidiki a écrit : C'est la Pierre d'Erech qui semble constituer l'idée la plus satisfaisante, puisqu'elle est unique, massive (la comparaison physique peut importer) et sert davantage de symbole de légitimité que l'Arkenstone (cette symbolique avec les Parjures n'intervient qu'une fois dans son histoire, somme toute; cependant elle demeure la "Pierre d'Isildur"). Elle est, de surcroît, apportée en Gondor depuis une île, comme la Pierre de Fal.

C'est une très bonne suggestion, excellente même. On peut d'ailleurs ajouter la mention du bruit de cors sortis des cavernes qui semble répondre à l'appel corné par Aragorn quand celui-ci se tient à côté de la Pierre. Les Morts répondent ainsi à l'appel du roi légitime pour la première fois, et cette réponse est liée à la présence d'Aragorn à Erech. Dommage que j'ai manqué ce point dans mon étude sur la Pierre d'Erech. Il faudra que je le mentionne dans la suite de mes investigations sur les monolithes de Terre du Milieu.

(02.03.2014, 00:31)Tikidiki a écrit : Sinon, il est remarquable de voir que Tolkien l'utilise uniquement pour le Troisième Âge, et particulièrement pour le Gondor. Peut-être parce que le Gondor est la meilleure tentative d'élaboration d'une identité et d'un pouvoir durables, ce qui justifierait son lien avec certains éléments de la mythologie irlandaise?

J'aurais tendance à dire que l'ensemble des symboles royaux du SdA, le roman le plus abouti de Tolkien, se ramassent sur Aragorn et le Gondor. Ce n'est donc guère surprenant.

D'autres rapprochements pourraient être faits, notamment avec l'Angbor, la Pierre du Destin au sein de l'Assemblée (Moot) des Haladin, sur laquelle s'assoit de droit leur chef dans « The Wanderings of Húrin ». C'est clairement une pierre de souveraineté, plus encore que les précédentes, mais elle n'a rien de magique.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
Répondre
#6
J'ai parlé des palantiri, non des Silmarils ^^

Effectivement, l'Elendilmir a des traits communs, notamment ceux de la guérison et du pouvoir. Mais la comparaison s'arrête là, car il s'agit d'un joyau, non d'une pierre au sommet d'une colline, et le deuxième Elendilmir ne vient pas de la mer. Le premier oui, mais Aragorn ne le porte pas au moment de la guérison, et il conserve donc pour lui-mêmes sa nature thaumaturge.

(02.03.2014, 09:33)Elendil a écrit : De même, je ne suis pas convaincu par l'affaire de la pierre tombale d'Elendil, qui est plus un marqueur géographique qu'un symbole royal.

Laisse-moi insister. Chaque souverain du Gondor s'y rendait avec son héritier, d'où le terme de "tradition" d'Isildur; et il pouvait y venir "en temps de danger ou de détresse, lorsqu'il éprouverait le besoin d'une sage inspiration" (UT3,2,4). La tombe a donc un usage royal qui dépasse de loin la Pierre d'Erech, et égale celui de la pierre de Fal, qui a couronné tous les rois d'Irlande.
De plus, la colline de l'Eilenaer est sacrée, comme la colline de Tara, alors que celle d'Erech est simplement crainte ("et la terreur des Morts sans Sommeil reste autour de la Colline d'Erech" SdA V 2). Cependant les deux collines d'Erech et d'Eilenaer sont bien liées, dans l'idée, à celle de Tara, centre mythologique du pouvoir et lieu des rites royaux, mais pas du pouvoir effectif.

Par l'épisode des Parjures, la Pierre d'Erech permet de montrer qu'Aragorn est un roi légitime. Mais il en est de même pour la tombe d'Elendil vis-à-vis de tous les souverains du Gondor, puisque son emplacement est tenu secret, et le fait de s'y rendre constituait donc en soi une preuve de légitimité. L'on pourrait objecter que ce n'est qu'une tradition écrite, sans conséquence sur le réel, mais il en est de même de la maîtrise des palantiri: les lieutenants du roi n'avaient naturellement aucun pouvoir sur les pierres, et ce n'est que la décision, peut-être écrite, du souverain, qui permettait de légitimer leur emploi et de leur permettre la maîtrise de la pierre. Le droit permet donc le pouvoir effectif. Consignée sur papier ou a fortiori transmise par le roi lui-même, la Tradition d'Isildur a donc un pouvoir de légitimation du souverain. Par elle, l'héritier obtient d'Elendil lui-même le pouvoir de gouverner le Gondor.
Or, la Pierre d'Erech n'est pas au centre d'une telle préoccupation.
Répondre
#7
(02.03.2014, 14:41)Tikidiki a écrit : Par l'épisode des Parjures, la Pierre d'Erech permet de montrer qu'Aragorn est un roi légitime. Mais il en est de même pour la tombe d'Elendil vis-à-vis de tous les souverains du Gondor, puisque son emplacement est tenu secret, et le fait de s'y rendre constituait donc en soi une preuve de légitimité. L'on pourrait objecter que ce n'est qu'une tradition écrite, sans conséquence sur le réel, mais il en est de même de la maîtrise des palantiri: les lieutenants du roi n'avaient naturellement aucun pouvoir sur les pierres, et ce n'est que la décision, peut-être écrite, du souverain, qui permettait de légitimer leur emploi et de leur permettre la maîtrise de la pierre. Le droit permet donc le pouvoir effectif. Consignée sur papier ou a fortiori transmise par le roi lui-même, la Tradition d'Isildur a donc un pouvoir de légitimation du souverain. Par elle, l'héritier obtient d'Elendil lui-même le pouvoir de gouverner le Gondor.
Or, la Pierre d'Erech n'est pas au centre d'une telle préoccupation.
On pourrait quand même t'objecter qu'Aragorn ne se rend pas sur la tombe et que son importance n'est mentionnée que dans ce texte. Aragorn a trois moments de légitimation selon moi :
- La Pierre d'Erech (où les morts valent en quelques sortes comme une reconnaissance du passé).
- Les guérisons qui suivent la victoire du Pelennor (où il est reconnu comme Roi par son peuple).
- Le couronnement (où il devient de facto souverain du Gondor).

A aucun moment la tombe d'Elendil n'intervient.

(01.03.2014, 14:18)Elendil a écrit : Comme beaucoup savent, Tolkien s'est distancié à plusieurs reprises de la mythologie et des traditions celtiques, tout particulièrement de la mythologie irlandaise (voir notamment les Lettres, n° 19 et 165). C'est d'autant plus surprenant que ses Elfes doivent une bonne part de leur nature aux Tuatha dé Danann irlandais. En particulier, on peut comparer la description des tertres donnant accès au Sîdh avec les nombreuses forteresses souterraines des Elfes (Nargothrond, Menegroth, la demeure de Thranduil...)
Bah ça c'est une information cool. Tu pourrais développer là-dessus ? Ca m'intéresses et ça intéressera sûrement aussi mon ami Turner qui dessine ses Elfes au carrefour du monde Nordique, Celtique et Grec.

Je ne sais pas si c'est ce que tu recherchais (puisque tu parles seulement de l'Irlande) mais justement Turner avait attiré mon attention sur la similarité des divisions entre les peuples des Edain (Beör, Hador et Haleth) et les divisions faites par les scientifiques racistes de la fin du XIXe au sein des européens antiques (Latins/Alpins, Germains et Celtes) et dont les caractéristiques étaient similaires : grands et bruns, grands et blonds et petits et bruns.
Répondre
#8
(04.03.2014, 15:01)Peredhil a écrit : On pourrait quand même t'objecter qu'Aragorn ne se rend pas sur la tombe et que son importance n'est mentionnée que dans ce texte. Aragorn a trois moments de légitimation selon moi :
- La Pierre d'Erech (où les morts valent en quelques sortes comme une reconnaissance du passé).
- Les guérisons qui suivent la victoire du Pelennor (où il est reconnu comme Roi par son peuple).
- Le couronnement (où il devient de facto souverain du Gondor).

Plutôt que le couronnement, j'aurais plutôt dit que la découverte de la pousse de l'arbre blanc légitimait Aragorn, le couronnement n'étant que le résultat de sa légitimité.
What's the point of all this pedantry if you can't get a detail like this right?
Répondre
#9
Et Anduril, son ascendance, sa victoire finale...

(04.03.2014, 15:01)Peredhil a écrit : On pourrait quand même t'objecter qu'Aragorn ne se rend pas sur la tombe et que son importance n'est mentionnée que dans ce texte.
A aucun moment la tombe d'Elendil n'intervient.

Aragorn se rend bien sur Amon Anwar pour renouveler l'amitié avec les Rohirrims (CLI3, 2, note 44). Le lieu n'abritait plus les restes d'Elendil. Mais pendant 2500 ans la tombe d'Elendil a été un symbole du pouvoir du Gondor.

Donc jusqu'à preuve que la Pierre d'Erech soit devenue le nouveau "point d'or" du Gondor d'Elessar, elle n'a d'importance que sur un point très focalisé du légendaire. Mais elle ressemble plus à la Pierre de Fal.

Il n'y a donc pas lieu de faire une bataille Pierre d'Erech/tombe d'Elendil, puisque leurs usages ne sont pas en concurrence.
Répondre
#10
Je repense à un passage qui est peut-être lié à cette question :

The Lord of the Rings, Book II, chapter 3 a écrit :That is true,’ said Legolas. ‘But the Elves of this land were of a race strange to us of the silvan folk, and the trees and the grass do not now remember them: Only I hear the stones lament them: deep they delved us, fair they wrought us, high they builded us; but they are gone. They are gone. They sought the Havens long ago.
Le Seigneur des Anneaux, Livre II, chapitre 3 a écrit :(...) Mais j'entends les pierres les pleurer : Profondément ils nous ont creusés, bellement ils nous ont façonnés, hautement ils nous ont dressés ; mais ils sont partis. (...)

Est-ce que ce passage peut-être relié aux sites de pierres levées et gravées en Irlande (notamment) ? Comme si les Celtes avaient récupérés les ouvrages de peuples plus anciens (ce qui est effectivement le cas) mais qui seraient ici les Noldor/Tuatha dé Danann ?

C'est peut-être tiré par les cheveux mais on ne sait jamais (je crois d'ailleurs utile de préciser que je ne suis pas abusé par la traduction de Ledoux même si elle a sûrement joué sur mon "déclic" : Tolkien utilise "builded" qui évoque plus des constructions que des pierres simplement "dressées"). Mais j'aime bien l'idée que les Noldor élèvent des mégalithes. Smile
Répondre
#11
Au moins, cela illustre le caractère permanent de la pierre contrairement à bien des choses vivantes.

Pour les mégalithes/monolithes je ne suis pas convaincu, car c'est bien l'architecture des Noldor qui est reconnue avant tout notamment avec Gondolin, et je ne vois pas d'exemple soutenant cette idée.
Répondre
#12
Pour moi, il y a ici contresens complet chez Ledoux ; même si je trouve le passage très poétique, mais ce n'est pas la poétique tolkienienne. Il y a bien des mégalithes en Terre du Milieu, mais dans les textes de Tolkien ce sont toujours des œuvres humaines (Hauts des Galgals, Biscornus, Pierre d'Erech, etc.)

Pourquoi cela ? Je pense qu'on pourrait évoquer plusieurs pistes concurrentes ou complémentaires : les mégalithes d'Europe de l'Ouest ont une forme trop grossière, pas assez raffinée pour être l'œuvre des Elfes. Ils sont de plus fortement liés aux Tuatha Dé Danann en Irlande, et au peuple féerique d'inspiration celtique en Grande-Bretagne : raison de plus pour Tolkien de ne pas suivre une tradition qu'il considérait (au moins au début) comme étrangère à celle des « vrais » Elfes. Enfin, les mégalithes de Terre du Milieu ont un aspect indéniablement sinistre, aspect certainement inspiré des légendes chrétiennes à propos des monuments païens que constituaient ces réalisations néolithiques. Il eut été étonnant que Tolkien veuille associer ses Elfes à de telles connotations.

Paradoxalement, il est intéressant de constater que les différentes représentations des entrées de Nargothrond et du palais de Thranduil que dessina Tolkien sont très similaires aux entrées des tumuli néolithiques — ces mêmes tumuli réputés contenir des accès au Sîdh en Irlande. Avec leur linteau monolithique au sommet de deux pierres verticales, ces représentations en sont beaucoup plus proches, par exemple, que les dessins tolkieniens de l'entrée de Cul-de-Sac ou même d'Erebor et de la Moria.

On se retrouve donc avec une dichotomie proche de celle que j'exposais précédemment : ici, des monuments considérés en lien avec la mythologie celtiques (en particulier les Tuatha Dé Danann) se retrouvent relégués au monde des Hommes au travers des descriptions de Tolkien, mais ses dessins sont plus équivoques : les pierres dressées restent exclusivement humaines (voir le dessin de Dunharrow), mais les constructions mégalithiques souterraines sont mises en rapport avec les Elfes.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
Répondre
#13
Effectivement : la traduction de ce passage par Ledoux est plus que bancale mais elle me plaisait trop pour que j'ose faire une proposition qui serait apparue bien fade. ^^

Ton explication sur les mégalithes est tout à fait satisfaisante. Les Galgals sont dressés par les populations humaines avant la venue des Dunedain si je ne me trompe pas : sait-on à quel peuple ils sont apparentés ? Il me semble que les Hommes d'Eriador qui rencontrent les Dunedain sont apparentés aux peuples de Beör et de Hador alors que les gens de Bree sont plus proche des Halethrim. Lesquels vivaient dans la région ? Et sachant que c'est un prince de Cardolan qui est dans le Galgal les Dunedain ont ils poursuivis la tradition ou réutilisés des tertres déjà élevés ?
En tout cas excellente remarque sur les "porches" des constructions Elfes, il faudra que je sois plus attentif aux dessins de Tolkien. Smile
Répondre
#14
Suite de mes investigations irlandaises : lecture en cours du Lebor Gabala Erenn « Livre de la Conquête de l'Irlande » dans une traduction anglaise.

J'ai retrouvé le passage concernant les quatre joyaux des Tuatha Dé Danann. Par ailleurs, j'ai noté un parallèle curieux entre la Dagor Nuin Giliath et la Première bataille de Mag Tuired :

- Chez Tolkien :
> les suivants de Fëanor débarquent au Beleriand et brûlent leurs navires
> ils livrent une bataille victorieuse contre les Orques, qui occupaient la majeure partie du Beleriand après l'avoir ravie aux Sindar
> leur chef, Fëanor, meurt au combat et son héritier Maedhros est capturé
> Maedhros est finalement libéré par Fingon, qui est obligé de lui couper la main droite, après quoi Maedhros peut régner sur les suivants de Fëanor

- Dans le Lebor Gabala Erenn :
> les Tuatha Dé Danann débarquent en Irlande et (selon une version) brûlent leurs navires
> ils livrent une bataille victorieuse contre les occupants actuels du sol, les Fir Bolg, eux-mêmes d'anciens colonisateurs
> leur chef, Nuada Airgetlam, est blessé et se voit amputé du bras droit
> après cela, il est dans l'incapacité de régner jusqu'à ce qu'il soit guéri par Diancecht, à la suite de quoi il retrouve son trône

Je note au passage que les épisodes où un conquérant fait volontairement brûler ses navires pour ôter à ses troupes tout envie de retour sont relativement rares : on connaît essentiellement Agathocle de Syracuse, Guillaume le Conquérant et Hernán Cortés. En littérature, le seul autre épisode qui me revienne en mémoire est celui d'Énée et des Troyens, mais l'incendie est causé par l'ennemi. Aucun de ces exemples n'est lié à une mutilation du bras droit du conquérant.

La suite au prochain épisode. Wink
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
Répondre
#15
Prochain épisode attendu !

Curieux ! Se peut-il que Tolkien ait repris les idées de ces scènes du Lebor Gabala Erenn dans son récit de Dagor Nuin Giliath. Tolkien aura donc certainement lu ce livre: Livre de la Conquête d'Irlande.
Quel est ce livre ?
Comme quoi, même les plus grands peuvent trouver leurs idées ailleurs que dans leur imagination.
L'esprit devient ce qu'en font les pensées, car les pensées de quelqu'un déteignent sur son âme. Marc-Aurèle (121-180)
Répondre
#16
Je dirais plus simplement que l’imagination se nourrit de connaissance et d'expérience et qu'elle ne peut donc être que recréation (ou sub-création ?), on ne crée jamais ex-nihilo. Wink Ce qui est tout à fait la vision du professeur d'ailleurs...
Répondre
#17
Nouveau motif qui ressemble étrangement à deux épisodes chez Tolkien, cette fois dans un récit célèbre intitulé « L'Ivresse des Ulates ». Je traduis de l'anglais en restant au plus proche du texte :

Citation :« Ici devant ceux-là, vers l'est, dehors », dit Crom Deroil, « j'ai vu un trio splendide, actif, habillé de vêtements guerriers. Deux d'entre eux étaient jeunes, semblables à des enfants ; le troisième avait une barbe fourchue, brun-pourpre. Telle étaient la rapidité et la légèreté avec laquelle ils venaient qu'ils n'auraient pas dérangé la rosée sur l'herbe ; c'était comme si nul de la grande armée ne les apercevaient, mais eux voyaient l'armée tout entière.
[...]
« Qui sont-ils ? » demanda Ailill.
« Ce n'est pas difficile », dit Curoi. « Ce sont là trois nobles jeunes des Tuatha De Danann : Delbaeth fils d'Ethliu et Aengus Oc fils du Dagda, et Cermat Bouche-de-miel... »

On retrouve deux motifs fréquents chez les Elfes de Tolkien : ils ressemblent à de jeunes gens et ont une vision d'une acuité extraordinaire. Plus spécifiquement cependant, la description des gouttes de rosée qui ne seraient pas touchées par leur venue m'évoque le passage où Legolas court sur la neige sans laisser de trace, d'autant que dans le récit, il a neigé. Et pour que les trois Tuatha Dé se conforment à la description qui est faite d'eux (légèreté du pas, venue non détectée par l'armée au sein de laquelle ils s'avancent), il faut nécessairement supposer qu'ils ne laissent aucune trace dans la neige ! Enfin, ce motif du passage invisible me fait aussi penser à la dernière chevauchée des Porteurs de l'Anneau, où il est dit que nul ne les vit passer (SdA, VI/9) :

Tolkien a écrit :Though they rode through the midst of the Shire all the evening and all the night, none saw them pass, save the wild creatures; or here and there some wanderer in the dark who saw a swift shimmer under the trees, or a light and shadow flowing through the grass as the Moon went westward.

Une chose en tout cas est sûre : je n'ai vu aucun de ces deux motifs au sujet des Alfes de la mythologie scandinave (au sujet desquels les informations sont très maigres). Par conséquent, si Tolkien les a emprunté, c'est bien à la mythologie irlandaise.

EDIT : On trouve quelques rares articles ou livres qui s'intéressent plus ou moins aux similarités entre les Tuatha Dé Danann et les Elfes de Tolkien :

- Brémont, Aurélie, Les Celtes en Terre-du-Milieu : Inspirations celtiques dans les oeuvres de J.R.R Tolkien, thèse de doctorat, Université Paris-Sorbonne, 2009.
- Burns, Marjorie, Perilous Realms: Celtic and Norse in Tolkien's Middle-earth, University of Toronto Press, 2005, 240 p.
- Delattre, Charles, « Númenor et l’Atlantide : une écriture en héritage », Revue de littérature comparée, n° 323 (2007 n° 3), p. 303–322.
- Fimi, Dimitra, « “Mad” Elves and “Elusive Beauty”: Some Celtic Strands of Tolkien's Mythology », Folklore, vol. 117 n° 2 (2006)
- Fimi, Dimitra, « Tolkien's "'Celtic' type of legends": Merging Traditions », Tolkien Studies n° 4 (2007), p. 51-71
- Flieger, Verlyn, A Question of Time: J. R. R. Tolkien's Road to Faërie, The Kent State University Press, 2001 (1997), 276 p.
- Kinniburgh, Annie, « The Noldor and the Tuatha de Danaan: J.R.R. Tolkien's Irish influences », Mythlore n° 107–108 (2009)
- Lyman-Thomas, J.S., « Celtic: “Celtic Things” and “Things Celtic” — Identity, Language, and Mythology », in A Companion to J.R.R. Tolkien, Stuart Lee (éd.), Wiley Blackwell, 2014, p. 272–285.
- Perlongo, Kassandra Marie, Mythic Archetypes: Welsh Mythology in Tolkien's Lord of the Rings, M.A. Thesis, California State University, 2010.
- Rateliff, John, « Inside Literature: Tolkien's Exploration of Medieval Genres », in Tolkien in the New Century: Essays in Honor of Tom Shippey, John Houghton et al. (ed.), McFarland & Co., 2014, p. 133–152.
- Siewers, Alfred, « Tolkien's Cosmic-Christian Ecology: The Medieval Underpinnings », in Tolkien's Modern Middle Ages, Jane Chance & Alfred Siewers (ed.), Palgrave Macmillan, 2009, p. 139–153.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
Répondre
#18
Intéressant tout cela, il y a en tout cas un lien à n'en pas douter entre les mythes celtiques, et particulièrement Irlandais je pense comme l'a souligné Elendil, et l'oeuvre Tolkienienne. Si ce n'est en tout cas pas par le côté "récit" et événementiel, en tout cas par la "morale" et la thématique, la mythologie celtique Irlandaise étant un grand pilier de la Faërie, ce qu'est l'oeuvre de Tolkien.
Oyez Elfes, vous tous, oyez ! Qu'on ne dise plus jamais des Nains qu'ils sont cupides et désobligeants ! Galadriel
Répondre
#19
Voilà un sujet fort intéressant commencé il y a plusieurs mois sur le forum, sujet peu élaboré en dehors de Tolkiendil.

Merci Elendil pour les articles cités avec les liens. C'est formidable, car peu de gens pourraient en donner autant...
L'esprit devient ce qu'en font les pensées, car les pensées de quelqu'un déteignent sur son âme. Marc-Aurèle (121-180)
Répondre
#20
J'avais le sentiment que les Contes perdus devaient receler encore plus de parallèles que les textes plus tardifs de Tolkien, car dans ces textes de jeunesse, Tolkien laisse transparaître ses sources d'inspiration plus directement.

En première analyse, il semblerait que je n'aie pas tort :

LT1, p. 107 :
J.R.R. Tolkien a écrit :There rode the Fánturi upon a car of black, and there was a black horse upon the side of Mandos and a dappled grey upon the side of Lórien

Les chevaux gris et noir du char évoquent irrésistiblement le Liath Macha (Gris de Macha) et le Dub Sainglend (Noir de Saingliu), les deux chevaux les plus fameux de la littérature irlandaise, qui tirent le char de Cúchulainn. C'est un petit détail, mais je pense qu'une analyse plus fine montrerait qu'il n'est pas seul.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
Répondre
#21
Notes rapides en passant :
- Dans les récits mythologiques irlandais, on trouve un grand nombre de récits où des hommes parviennent à pénétrer dans un Sîdh, que ce soit à l'instigation des habitants du Sîdh (cas de loin le plus fréquent) ou malgré eux. On peut faire le parallèle avec les nombreux cas où un homme parvient à s'introduire dans une contrée elfique (en particulier Beren, Tuor, Túrin, Húrin, Huor).

- La Terre de Promesse est un équivalent du Sîdh. Dans certains récits, c'est là que vivent les Tuatha Dé Danann après leur défaite face aux Fils de Míl. Elle est située dans une terre loin au-delà des mers, vers l'Occident. Là aussi, des héros y parviennent occasionnellement pour y vivre des aventures avant de s'en revenir (ou pas). Le parallèle avec Tol Eressëa et Valinor est frappant.

- Il y a plusieurs récits où un des dieux de la mythologie irlandaise vient à une assemblée et charme l'assistance avec une musique merveilleuse avant de passer un marché avec les gens qui sont présents. J'y vois un parallèle clair avec la découverte des humains par Finrod Felagund et la manière dont il s'introduit parmi eux.

Pour ces trois motifs, je ne vois aucun parallèle équivalent dans la littérature scandinave. Il y a quelques parallèles dans les Mabinogion gallois, mais nettement moins précis que les récits irlandais. Influence probable, donc.

NB : le récit « The Pursuit of the Gilla Decair » semble contenir les principaux motifs (puits magique et son gardien, roi d'une ville enchantée) qui forment l'architecture du conte gallois « Owein, ou le conte de la dame à la fontaine », lequel est étroitement lié au poème Yvain, ou le Chevalier au lion, de Chrétien de Troyes. Pas de parallèle précis chez Tolkien, en revanche.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
Répondre
#22
Je suis en train de lire "La route perdue"; Christopher évoque plusieurs fois ces 'Tuatha' ... (que je ne connais pas du tout) dans première partie, III, (iii).

Si ça peut être utile...
Répondre
#23
Exact, Christopher y fait allusion lorsqu'il cite une note de son père qui envisage d'écrire une suite d'histoire qui relieraient les Alboin et Audoin du XXe siècle aux Elendil et Herendil de Númenor. Parmi celles-ci (LRW, p. 77) :
Christopher Tolkien a écrit :[...] a Norse story of ship-burial (Vinland)’; ‘an English story – of the man who got onto the Straight Road?’; ‘a Tuatha-de-Danaan story, or Tir-nan-Og’ [...]; a story concerning ‘painted caves’; ‘the Ice Age – great figures in ice’...

Une révision de ces idées aboutit à la structure suivante (LRW, p. 78 ) :
Christopher Tolkien a écrit :Chapter III was to be called A Step Backward:Ælfwine and Eadwine – the Anglo-Saxon incarnation of the father and son, and incorporating the legend of King Sheave; Chapter IV ‘the Irish legend of Tuatha-de-Danaan - and oldest man in the world’; Chapter V ‘Prehistoric North: old kings found buried in the ice’...

Ensuite, Tolkien évoque Finntan (LRW, p. 80–81) dans le cadre du récit prévu pour Ælfwine et Eadwine et note que le nom de ce personnage signifie « feu blanc », ce qui peut se traduire en q(u)enya par Narkil. Finntan ne fait pas partie des Tuatha Dé Danann, mais est un personnage mythique qui figure dans le recueil mythologique Lebor Gabála Érenn « livre des invasions de l'Irlande ». Enfin, Christopher Tolkien donne quelques indications sur la mythologie des Irlandais et le Lebor Gabála Érenn pour expliciter les idées que son père a pu envisager.

Pour être complet sur les citations des Tuatha Dé Danann par Tolkien, il faut aussi souligner qu'il parle beaucoup de ceux-ci dans son essai « The Name Nodens » — et pour cause : le dieu celte britannique Nodens est étymologiquement le même personnage que le roi mythique des Tuatha Dé Danann irlandais, Nuada Airgetlám « au bras / à la main d'argent ».

Enfin, un essai de Carl Hostetter et Patrick Wynne intitulé « Stone Towers » (VT 30, p. 8–25) fait le point sur les noms elfiques présents dans les Contes perdus qui semblent être directement inspirés par les récits mythologiques irlandais.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
Répondre
#24
Lentement, mais sûrement, je termine mon exploration de la mythologie irlandaise. À force de lire les différentes versions du Lebor Gabala Erenn, un parallèle me frappe, qui renforce selon moi l'hypothèse que Tolkien ait décidé de réutiliser certains motifs mythologiques irlandais pour ses récits, même si ça ne concerne pas directement les Tuatha Dé Danann ni les Elfes.

En effet, dans la série des six invasions successives de l'Irlande, la première est celle de Cessair, supposée être (dans une perspective chrétienne) une des petites-filles de Noé. Avertie de l'imminence du Déluge, mais interdite d'accès à l'Arche, elle décide de fuir le continent pour une terre qui a moins de chances que les autres d'être inondée : l'Irlande. Bien sûr, la tentative échoue, l'Irlande finit malgré tout par être inondée et tous les compagnons de Cessair meurent, sauf Fintan mac Bóchra, qui survit en se métamorphosant en saumon. J'avoue que ça me rappelle quelque peu l'histoire des Edain qui fuient le Beleriand en bateaux alors que celui-ci s'effondre progressivement sous le niveau de la mer suite à la guerre du Courroux et vont s'établir dans l'île de Númenor, une terre qui sera elle-même ultérieurement submergée. Tant Fintan mac Bóchra qu'Elendil deviennent des personnages qui sont crédités de la préservation du savoir des temps passés, même si bien sûr l'histoire d'Elendil n'a rien à voir avec l'affabulation concernant Fintan.

Les parallèles restent vagues, bien que les liens tissés avec Noé confortent les allusions qui se devinent par ailleurs entre l'histoire de Noé et celle d'Elendil. Toutefois, la lecture de la Deuxième Rédaction du Lebor Gabala Erenn me réservait une surprise, que je vous livre ici (la mise en exergue des points clefs est de moi) :

Citation :The tally of years that there were from the beginning of the world till the Plaguing of the People of Partholon, and the tally of kings that held the world during that time. This is the First Age, from the beginning of the world to the Flood, 1656 years. The Second Age, from the Flood to Abraham, 292 years, or 942 years, was its length : and at the end of 60 years afterwards, Partholon took Ireland : 550 years from the coming of Partholon to the Plaguing of his People.

The tally of kings that took the world at that time. In the Second Age were these deeds transacted : the Tower of Nemrod, and in it was taken the first lordship of the world in Asia, which NINUS s. BELUS took. In the 23rd year of his reign was Abram born. The Thebans governed Egypt at that time ; 140 years was the length of their lordship.

Aegialeus first took the kingship of Greece; he was of the Sicyonians. Fifty-two years was the length of his reign : the last year of his reign was the first year of the reign of Ninus s. Belus. Europs thereafter, 45 years in the kingship of Greece. In the 22nd year of his reign was Abram born. That is the 23rd year of the reign of Ninus. That is the first year of the Third Age of the World; it is the same as the 942nd year from the Flood to Abram.

Même si le concept d'Âges du Monde n'est pas propre à l'Irlande, on a ici un mélange assez unique d'une conception du Temps plutôt cyclique (invasions périodiques de l'Irlande par des personnages qui portent parfois des noms identiques) et caractéristique des peuples indo-européens avec une conception linéaire et clairement biblique. C'est aussi la première fois que je vois un texte qui en l'espace de trois paragraphes parle de trois Âges du Monde et seulement trois. Le lien entre le Déluge et la fin du Premier Âge me fait volontiers penser à la submersion du Beleriand.

De nouveau, ce sont des motifs assez périphériques, que Tolkien semble bien réutiliser dans un but qui lui est propre, mais toujours dans l'optique de mêler dans ses récits les légendes de tous les peuples du Nord de l'Europe. Je note aussi que tous les parallèles que j'ai décelés jusqu'ici concernent des éléments qui font irruption relativement tardivement dans le Légendaire (pas avant le milieu des années 1930), contrairement aux motifs germaniques, finnois ou gallois, plus marqués et plus précoces. À ce titre, il serait très intéressant de savoir à partir de quand Tolkien a commencé à se pencher sur les légendes irlandaises. Si on s'en tient à la liste de ses publications académiques, il est tout à fait possible qu'il n'ait commencé à explorer ce corpus qu'à l'occasion des recherches qui ont donné naissance à son article « The Name “Nodens” », publié en 1932 et dont les premiers brouillons ne peuvent être antérieurs à 1928, date de début de la campagne de fouille à Lydney Park.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
Répondre
#25
Encore une fois c'est passionnant. J'allais faire la remarque sur la chronologie et l'intervention (relativement) tardive de la mythologie irlandaise mais tu y avais déjà pensé (pas étonnant). Wink
Répondre
#26
Hej,

Alors que je poursuis mon travail sur l'étude des Gesta Danorum en relation avec l'oeuvre de Tolkien, un passage dans le texte de Saxo m'avait interpellé il y a quelques mois lorsque je commençais à préparer mon étude, en revenant sur ce court passage chez Saxo, je suis à présent non pas certain mais en grande mesure de voir une répercussion tolkienienne, malgré de la prudence. Dans la traduction de J.-P. Troadec, voir Livre I, VI, vi, p. 45 :

Citation :Comme ils passaient donc la nuit sous un toit de branchages dans le bois qu'on leur avait prédit, Hadingus vit une main d'une grandeur inhabituelle expleroer jusqu'au fond leur abri. Effrayé par cette vision monstrueuse, il se mit à implorer le secours de sa nourrice. Alors Harthgrepa, déployant ses membres et s'allongeant démesurément par un effet de gonflement, s'empara de la main avec force et l'offrit à son nourrisson pour qu'il la coupât. De l'abominable mutilation, il s'écoula plus de sanie que de sang.

Ce passage me fait indubitablement penser à la mutilation de l'Esprit des Tertres dans le Seigneur des Anneaux Livre I, VIII (je ne réécris pas le passage, mais il s'agit de la mutilation faite par Frodo à l'Esprit). Le parallèle me semble intéressant à établir ici. D'autre part, en creusant un peu, j'ai noté des similitudes avec l'histoire de Pwyll, prince de Dyfed, dans le Mabinogion gallois : une main géante passe par la lucarne d'une étable et tente d'emporter un poulain nouveau-né, mais le propriétaire de l'animal parvient à trancher le bras à hauteur du coude, géant qui venait de voler l'enfant de Pwyll. Je n'ai pas la traduction de P.-Y. Lambert chez Gallimard du Mabinogion, si une âme charitable voudrait bien me citer le passage et les références de celui-ci, qu'il soit dès à présent remercié ! Pour en revenir à la tradition germanique, le passage de la mutilation du monstre fait également penser au bras de Grendel arraché par Beowulf et suspendu au toit de la halle de Hrothgar. Enfin à nouveau chez les Scandinaves, ont peu mettre ce passage en relation avec le géant Skrymnir dans l'épisode chez Utgarda-Loki relaté chez Snorri, que nous retrouvons également chez Saxo.
ᛘᛅᛚᚱᚢᚾᛅᚱ ᛋᚴᛅᛚᛏᚢ ᚴᚢᚾᛅ᛬
Répondre
#27
Voici le passage extrait du Mabinogion gallois :

Citation :Il [Teirnon Twrv Vliant, seigneur de Gwent-Is-Coed] avait chez lui une jument : il n'y avait pas de cheval ni de jument plus beaux dans tout le royaume. Tous les ans, la nuit précédant le 1er mai, elle mettait bas, mais personne n'avait jamais de nouvelles de son poulain. Un soir, Teirnon en discuta avec sa femme :
« Femme, dit-il, nous sommes bien négligents de laisser perdre chaque année le petit de notre jument, sans en conserver un seul.
- Que peut-on y faire? dit-elle.
- C'est ce soir la veille du 1er mai, que la punition divine s'abatte sur moi, si je n'arrive pas à savoir quel genre de fléau emporte nos poulains. »
Il fit conduire la jument dans une maison, revêtit son armure et monta la garde. Et, au début de la nuit, la jument mit bas un poulain grand et bien fait, qui fut tout de suite debout. Teirnon se leva et considéra la beauté du cheval.
À ce moment, il entendit un grand vacarme; après ce bruit, une grosse griffe entra par la fenêtre et saisit le poulain par la crinière. Teirnon tira son épée, et coupa le bras à l'articulation du coude, si bien que l'extrémité du bras et le poulain restèrent avec lui à l'intérieur. Là-dessus, il entendit tumulte et vacarme. Il ouvrit la porte et se rua en direction du bruit : il n'en voyait pas la cause car la nuit était obscure. Mais il se précipita à la poursuite. Puis il se souvint qu'il avait laissé la porte ouverte, et il revint sur ses pas.
Contre la porte, dans le coin, il trouva un petit enfant emmailloté dans une étoffe de paile. Il le souleva : c'était un garçon déjà fort pour l'âge qu'il avait.
Il ferma la porte, et gagna la chambre où se trouvait sa femme. [...]

Référence de la citation : Les Quatre Branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen Âge, traduit du moyen gallois, présenté et annoté par Pierre-Yves Lambert, coll. « L'Aube des peuples », Gallimard, 1993, « Les Quatre Branches du Mabinogi », I. « Pwyll, prince de Dyved », p. 52-53.

Amicalement,

Hyarion.
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
Répondre
#28
Merci beaucoup Very Happy ! Je n'avais que la traduction de Jospeh Loth sous la main, raison pour laquelle une référence à une traduction plus actuelle est la bienvenue Wink.

A.
ᛘᛅᛚᚱᚢᚾᛅᚱ ᛋᚴᛅᛚᛏᚢ ᚴᚢᚾᛅ᛬
Répondre
#29
C'est sans doute sans rapport, mais dans l'épopée d'Er-Töshtük, on retrouve l'idée d'une jument qui met bas des poulains chaque année, que l'on ne retrouve jamais. Au quarante et unième, le héros (Er-Töshtük), sommé d'accomplir certaines tâches pour son beau-père, géant du monde souterrain, décide d'assister à la naissance du poulain. Le poulain naît sans encombre, et il a tous les signes d'une excellente monture. Alors surgit une aigle géante, qui l'emporte dans ses serres.

Aventures merveilleuses sous terre et ailleurs de Er-Töshtük, le géant des steppes, Gallimard, Collection Connaissance de l'Orient, chapitre 35

Sauf que là, on n'a pas du tout l'idée de sectionner un membre du monstre ravisseur. Et pour cause, l'aigle géante deviendra la grande amie du héros... qui le sauvera d'ailleurs lors de ses heures les plus sombres, en l'emportant sur son dos (et on retrouve ici le même motif que dans le Kalevala avec Väinämöinen dérivant à la surface des eaux, qu'on retrouve encore avec Gandalf...). Mais tout cela n'a plus rien à voir avec les Tuatha Dé Danann.
Répondre


Sujets apparemment similaires…
Sujet Auteur Réponses Affichages Dernier message
  Tolkien s'est-il inspiré de la mythologie grecque ? Arwen 7 12 619 14.09.2010, 21:13
Dernier message: Elendil
  Tom Bombadil dans la mythologie Tom Bombadil 9 21 371 27.12.2003, 13:29
Dernier message: Silmaril
  de la mythologie tolkieneene folken04 9 14 296 20.03.2003, 14:56
Dernier message: Anfauglir

Atteindre :


Utilisateur(s) parcourant ce sujet : 1 visiteur(s)