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Didier Willis vous propose le second article sur la religion en Terre du Milieu, devant paraître dans la Feuille de la Compagnie n° 3 ( l’Effigie des Elfes) : Parole et pensée chez Tolkien : l’analogie de l’angélologie.
Bonne lecture !
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Salut la Compagnie,
Après lecture de cet essai fort instruit et très intéressant, j'ai une question pour son auteur : pourquoi Aulë invente-t-il un langage pour les Nains, alors que ces derniers sont privés de libre-arbitre et "perçoivent directement l'esprit de leur créateur puisqu'ils exécutent sa volonté aussitôt qu'il l'ordonne vers eux en pensée" ?
Est-ce en raison du rapport pensée/parole plus ou moins équivalent chez les Nains, avant leur libération par Eru, noté dans le schéma des modalités de l' ósanwe donné en conclusion ?
J'avoue que cette partie du dossier reste confuse dans mon esprit...
Merci par avance pour tes éclaircissements Didier
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Comme indiqué en introduction, cet essai a été écrit il y a maintenant plusieurs années - initié il y a presque neuf ans, c'est loin ! Je me souviens seulement avoir hésité à inclure les Nains sur ce tableau en conclusion, étant donné que je n'avais abordé leur cas que très succinctement, dans une note seulement (n. 37*). Mais bon, tu sais combien j'aime aussi les Nains, quitte à prendre quelques risques, ils méritaient bien un peu plus qu'une simple note évasive
Je ne vais pas te mentir, le point que tu soulèves m'avais échappé (oserais-je dire qu'il a probablement aussi échappé à Tolkien ?!). Je crains de ne pas avoir de réponse certaine, en tout cas rien que Tolkien ait pu écrire dans un sens ou dans l'autre par rapport à mon interprétation. Bref, c'est une colle ! A présent, je ne peux que me livrer à quelques extrapolations :
- Soit Aulë leur enseigne le Khuzdul alors qu'Eru ne les a pas encore "affranchis". Là il y aurait effectivement un problème potentiel avec ma théorie - encore qu'il soit possible de concilier les choses en supposant qu'Aulë veuille qu'ils puissent parler entre eux (ce qui reviendrait à dire, compte-tenu de leur absence de libre arbitre à ce stade, qu'il veuille pouvoir les faire parler entre eux). La barrière de leur corps restant un obstacle (entre eux), ils auraient besoin d'une expression langagière.
- Soit Aulë leur enseigne le Khuzdul après qu'Eru les ait affranchis, et la situation décrite en conclusion ne s'applique alors plus - ils sont devenus indépendants de sa volonté et, comme les autres Enfants, auront besoin d'un langue pour dépasser la barrière du leur corps.
Les sources à notre disposition sont peut-être contradictoires :
- Dans le Silmarillion, chap. 3, "dès l'instant qu'Aulë eu achevé son œuvre", il "commence à instruire le Nains dans le langage qu'il avait inventé pour eux" - nous serions alors pleinement dans l'option 1.
- Dans Peoples of Middle-earth p. 323, "Aulë le Vala, la [cette langue] fit pour eux et il l’enseigna aux Sept Pères avant qu’ils soient envoyés dormir jusqu’au temps de leur réveil" - ce qui peut signifier qu'il l'ait fait en réalité après leur affranchissement, en prévision de leur réveil, et nous serions alors dans l'option 2.
C'est peut-être un peu des deux - Aulë ne semble pas avoir conscience d'avoir créé les Nains sans libre arbitre avant qu'Eru ne vienne le sermonner, il pourrait avoir simplement cherché à calquer ce qu'il avait deviné de la nature des Enfants - un point demeurant quand même obscur : à moins d'avoir su lire cela dans la Musique, comme l'impatient Aulë sauraient-il avant que les Enfants apparaissent qu'ils auraient alors une expression langagière ?
Quoi qu'on puisse en conclure, il fallait bien les Nains pour venir mettre un petit caillou dans une belle théorie
Amicalement,
Didier.
*En fin de n. 37, le renvoi à la n. 89 pour le prolongement aux Anneaux de Pouvoir est une coquille, il faut évidemment rectifier n. 83.
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(13.05.2012, 14:22)Hisweloke a écrit : *En fin de n. 37, le renvoi à la n. 89 pour le prolongement aux Anneaux de Pouvoir est une coquille, il faut évidemment rectifier n. 83.
Corrigé
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13.05.2012, 17:30
(Modification du message : 13.05.2012, 17:39 par Tilkalin.)
Hisweloke a écrit :il fallait bien les Nains pour venir mettre un petit caillou dans une belle théorie Oui-da ! C'est bien pour ça qu'ils sont si attachants !
Concernant le point obscur que tu soulèves : ne peut-on considérer Aulë comme le Faber dans la mythologie d'Arda ? A ce titre, le cisellement de langues est l'une des prérogatives des Forgerons Primordiaux. Qu'Aulë invente une langue pour les Nains serait donc dans l'ordre des choses pour un tel démiurge. D'où peut-être le fait qu'il n'ait même pas conscience de leur manque de libre-arbitre quand il conçoit le Khuzdul, et commence à leur instruire avant la venue d'Eru ?
De fait, si les Nains ne pouvaient pas parler entre eux avant l'intervention d'Eru, ne pourrait-on supposer qu'ils pouvaient "parler" avec Aulë quand celui-ci portait son attention sur eux ? Ou plutôt, ne pourrait-on concevoir qu'ils répétaient peu ou prou les propos de leur Faber quand ce dernier s'adressait à eux, tels des perroquets qui reproduisent certains mots ou tels des élèves qui répètent la leçon de leur maître ? Ici, le mythe du golem pourrait peut-être s'avérer intéressant à creuser...
Les propos qu'adresse Eru à Aulë après son intervention auprès des Nains (et après que ces derniers aient manifesté leur crainte d'être détruits sous le marteau de leur Faber en implorant pitié) sont à cet égard intéressants à souligner : "Ne vois-tu pas que ces être ont désormais une vie indépendante, et qu'ils parlent de leur propre voix ?" Peut-être est-ce dans cette perspective qu'il faut alors comprendre la réplique d'Aulë quand il Lui dit : "Qu'Eru bénisse mon oeuvre et l'améliore !"
Ce qu'il fera peut-être, à son humble niveau, en finissant de leur enseigner le Khuzdul avant de les endormir...
Quoi qu'il en soit de ces nouvelles extrapolations, merci en tout cas d'avoir partagé ce bel et bon article
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Merci beaucoup, cher Didier, pour ce passionnant travail que je découvre avec tant de plaisir.
Et en plus, les extrapolations de la journée, en bonus, sont un vrai délice pour l'esprit
I.
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(13.05.2012, 17:30)Tilkalin a écrit : Les propos qu'adresse Eru à Aulë après son intervention auprès des Nains (et après que ces derniers aient manifesté leur crainte d'être détruits sous le marteau de leur Faber en implorant pitié) sont à cet égard intéressants à souligner : "Ne vois-tu pas que ces être ont désormais une vie indépendante, et qu'ils parlent de leur propre voix ?" (...)
Je crois que tu as mis le doigt l'emphase sur le bon passage : c'est donc probablement bien qu'ils parlaient déjà, mais lorsque Aulë voulait les faire parler.
Extrapolations, peut-être, mais heh ! Elles ne sont pas inintéressantes du tout ! Aulë reprendrait alors un peu de sa prérogative mythique de Fabre de Mots (peut-être à comparer aussi avec Sauron, forgeron d'anneaux et "inventeur" du Noir Parler - Sauron qui était d'ailleurs au service d'Aulë avant de rejoindre Melkor).
Didier.
M'excusant au passage pour les nombreuses coquilles orthographiques qui émaillent ma réponse initiale
Merci beaucoup pour ce magnifique travail, Didier. Ci-dessous quelques éléments et questionnements.
Didier Willis a écrit :Le paradoxe est celui de la parole et de la pensée des Valar : pourquoi a-t-on besoin d’une langue quand on peut transmettre directement ses pensées ?
Je présume que la question a une forme rhétorique, dans la mesure où il n'y a pas véritablement de paradoxe. Tout du moins est-ce ce que tu expliques plus loins en introduction du C. Transmission de pensée et volonté.
Didier Willis a écrit :Les Valar n'ignoraient aucune langue.
Sur ce point et la note 22, il est intéressant de noter l'existence (qui se limitera aux seuls Contes Perdus) de « Ómar le Vala qui connaît chaque langue ».
Didier Willis a écrit :« Inutile de dire que j’ai refusé (…) » devait conclure pour sa part Boromir : entre les lignes, nous distinguons le principe du refus d’ouvrir son esprit à l’ósanwe.
L'interprétation que tu fais est d'une magnifique habileté.
Didier Willis (Note 22) a écrit :Avec ce « ou semblent parler », il est possible que nous rejoignions la conception plus tardive, développée plus loin, d’un langage du cœur qui s’imprime directement par transmission de pensée imagée (cf. II, A, 3 et 4), de sorte que chacun se le matérialiserait ensuite simultanément à la raison comme s’il était exprimé dans sa langue propre.
Sur le même thème, il y a un passage très intéressant lorsque Samsagace fait usage de l'Anneau ( Le Seigneur des Anneaux, Livre IV, chapitre x, p. 787) :
Citation :Il écouta. Les Orques du tunnel et ceux qui descendaient s'étaient vus, et les deux troupes se hâtaient de part et d'autre en criant. Il les entendait toutes deux clairement, et il comprenait ce qu'elles disaient. Peut-être l'Anneau conférait-il l'entendement des langues, surtout des serviteurs de Sauron son créateur, de sorte que s'il prêtait attention il comprenait et traduisait la pensée pour lui-même. L'Anneau avait à coup sûr grandement gagné en puissance à l'approche des lieux où il avait été forgé ; (...)
Didier Willis (Note 37) a écrit :Eru les en affranchit en leur restituant le libre-arbitre de leurs actes ...
Les Nains ayant été conçus sans libre-arbitre, il n'y a pas à proprement parler de restitution.
Didier Willis (Note 83) a écrit :Nous relevons que les Nazgûl sont aussi peu indépendants de Sauron que les Nains l’étaient à l’origine d’Aulë.
Si par "à l'origine d'Aulë" tu entends l'état des Nains avant qu'Eru n'intervienne, alors je ne suis pas du tout d'accord. Les Nazgûl ont un libre-arbitre, si biaisé et amenuisé par Sauron soit-il.
Didier Willis (Note 111) a écrit :Il va de soi, comme nous le verrons plus précisément, que les Palantíri de Tolkien procèdent d’une autre réflexion, sans rapport avec la divination, et que la référence occulte s’arrête à cette ressemblance superficielle.
Je ne suis pas tout à fait d'accord. A ce sujet (même si je sors du cadre du thème proposé par l'essai de Didier), j'aime assez l'étude de Thomas Shippey au sujet de la spéculation et des Palantíri, dans l'appendice C de The Road to Middle-earth (dont une VF est disponible ICI).
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Je regroupe les deux remarques suivantes qui me paraissent à rapprocher, en renforcement l'une de l'autre :
(23.05.2012, 13:03)Lomelinde a écrit : Didier Willis (Note 22) a écrit :Avec ce « ou semblent parler », il est possible que nous rejoignions la conception plus tardive, développée plus loin, d’un langage du cœur qui s’imprime directement par transmission de pensée imagée (cf. II, A, 3 et 4), de sorte que chacun se le matérialiserait ensuite simultanément à la raison comme s’il était exprimé dans sa langue propre.
Sur le même thème, il y a un passage très intéressant lorsque Samsagace fait usage de l'Anneau (Le Seigneur des Anneaux, Livre IV, chapitre x, p. 787) :
Citation :Il écouta. Les Orques du tunnel et ceux qui descendaient s'étaient vus, et les deux troupes se hâtaient de part et d'autre en criant. Il les entendait toutes deux clairement, et il comprenait ce qu'elles disaient. Peut-être l'Anneau conférait-il l'entendement des langues, surtout des serviteurs de Sauron son créateur, de sorte que s'il prêtait attention il comprenait et traduisait la pensée pour lui-même. L'Anneau avait à coup sûr grandement gagné en puissance à l'approche des lieux où il avait été forgé ; (...)
Didier Willis (Note 83) a écrit :Nous relevons que les Nazgûl sont aussi peu indépendants de Sauron que les Nains l’étaient à l’origine d’Aulë.
Si par "à l'origine d'Aulë" tu entends l'état des Nains avant qu'Eru n'intervienne, alors je ne suis pas du tout d'accord. Les Nazgûl ont un libre-arbitre, si biaisé et amenuisé par Sauron soit-il.
Comme pour la remarque de Tilkalin sur les Nains plus haut, j'ai (plus que) souvent, dans les notes, pris quelques risques en essayant poussant l'argumentation à son extrême limite et en m'avançant sur le terrain des intuitions - tentant de proposer quelques ouvertures secondaires. Le but de l'article n'était évidemment pas de discourir sur la nature de l'Anneau, mais le lien m'apparaissait néanmoins suffisant pour être abordé en note, dans la n. 83 essentiellement, en prolongement justement de ce que la n. 37 tente de déduire de la situation originelle des Nains.
Le beau passage où Sam "comprend" les langues des Orques, par la médiation supposée de l'Anneau avec un rapprochement explicite avec la transmission de pensée, m'avait échappé et je n'avais pu en rester alors qu'à quelques intuitions ("sans qu’on puisse en préciser les modalités exactes") vis à vis du rapprochement entre ósanwe et Anneau de Pouvoir.
Pour faire bref, l'essentiel repose sur les liens :
- entre ósanwe et Anneau de Pouvoir (cf. donc n. 83 complétée par le passage que tu as très justement relevé)
- entre possibilité de libre arbitre et existence de la barrière du Refus dans l'ósanwe (cf. donc n. 83 dans ce qui procède de la n. 37)
Sur un mode de renforcement comparable à celui des Palantiri quant au principe (mais pas aux effets), l'Anneau m'apparait alors, au travers des éléments cités, être le moyen ingénieux par lequel Sauron s'engage sur la voix qui mène à l’annihilation de la barrière du Refus, prétendument inaliénable - Je ne dis pas nécessairement qu'il puisse la "briser", mais l'altérer et la contourner au point d'en annuler la capacité. Seul, il ne suffit pas, clairement : il a aussi fallu, très probablement, de nombreux mensonges, de nombreuses promesses tendancieuses et de nombreuses années de corruption et de perversité pour complètement assujettir les porteurs d'Anneaux. A mon avis, il est néanmoins l'artefact (le médium) indispensable sur ce chemin. La théorie que j'esquisse se base sur les quelques minces évidences dont nous avons parlé et dont l'interprétation n'est qu'un faisceau de présomptions : c'est (à ma connaissance) une des rares tentative pour essayer d'éclaire la nature réelle et les modalités d'opération de l'Anneau.
Tu avances que les Nazgûl ont (encore) un libre arbitre sous la domination de Sauron... Je serais curieux d'en avoir quelque preuve : sans exclure qu'ils puissent de temps à autres en affirmer une vague réminiscence, je pense néanmoins qu'il n'en ont plus guère, voire en fait plus du tout si l'on considère que la condition du libre arbitre est par essence binaire et exclusive. Le Silmarillion (chap. "les Anneaux de Pouvoir") se montre relativement inflexible : "Lorsqu'il portait l'Anneau Unique, (Sauron) (...) pouvait voir et diriger jusqu'aux pensées de ceux qui les portaient (= les autres anneaux)" -- C'est dire que leurs pensées sont totalement ouvertes à Sauron et entièrement sous sa domination. Dès lors qu'il ordonne ses pensées vers eux, ils sont ses marionnettes, ses ombres esclaves : c'est en cela que le rapprochement avec les Aulë et les Nains avant leur "libération" par Eru peut (peut-être) éclairer la nature des uns et des autres et la perversion qu'incarne l'Anneau.*
Didier
*Au goût des notes de bas de page : "Les Nains se révélèrent rétifs et difficiles à mater, car ils supportaient mal d'être dominés par d'autres, leurs cœurs n'étaient pas faciles à sonder et on ne pouvait en faire des ombres" (mon emphase). Que dire de la nature des Nains, semblant montrer une capacité de fermeture de leur pensée - et donc d'expression du Refus - même face au pouvoir des anneaux ? Peut-on supposer qu'elle procède justement de leur origine, en ce qu'ils ont déjà connu un état de nature semblable, et en sont de quelques façon immunisé ? C'est une piste osée, un pas que je n'ai pas osé franchir dans l'article mais que je vous offre ici à titre de remue-méninge
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24.05.2012, 01:43
(Modification du message : 24.05.2012, 02:05 par Hisweloke.)
(23.05.2012, 13:03)Lomelinde a écrit : Didier Willis (Note 111) a écrit :Il va de soi, comme nous le verrons plus précisément, que les Palantíri de Tolkien procèdent d’une autre réflexion, sans rapport avec la divination, et que la référence occulte s’arrête à cette ressemblance superficielle.
Je ne suis pas tout à fait d'accord. A ce sujet (même si je sors du cadre du thème proposé par l'essai de Didier), j'aime assez l'étude de Thomas Shippey au sujet de la spéculation et des Palantíri, dans l'appendice C de The Road to Middle-earth (dont une VF est disponible ICI).
C'est effectivement un tout autre sujet, mais je n'y vois pas de contradiction fondamentale. Shippey montre avec un certain brio (bien que sur la forme, je ne puisse m’empêcher de me demander pourquoi il lui faut se compromettre à quelque analyse de l'adaptation de Peter Jackson pour en arriver là, noyant un peu son propos) qu'à chaque fois que les utilisateurs de Palantiri spéculent sur ce que leur vis-à-vis accepte de leur montrer, ils en tirent une mauvaise conclusion. Il n'y a là rien de divinatoire, bien au contraire.
(23.05.2012, 13:03)Lomelinde a écrit : Didier Willis a écrit :Le paradoxe est celui de la parole et de la pensée des Valar : pourquoi a-t-on besoin d’une langue quand on peut transmettre directement ses pensées ?
Je présume que la question a une forme rhétorique, dans la mesure où il n'y a pas véritablement de paradoxe. Tout du moins est-ce ce que tu expliques plus loins en introduction du C. Transmission de pensée et volonté.
En quoi est-ce rhétorique ? Ou alors voulais-tu plutôt dire dialectique ?
La transmission de pensée s'oppose à la nécessité d'une langue articulée, d'où une contradiction apparente à disposer concomitamment des deux, sommairement posée en introduction et qui trouve sa résolution ensuite, comme développé en § I.C.
D.
(24.05.2012, 01:24)Hisweloke a écrit : Tu avances que les Nazgûl ont (encore) un libre arbitre sous la domination de Sauron... Je serais curieux d'en avoir quelque preuve : sans exclure qu'ils puissent de temps à autres en affirmer une vague réminiscence, je pense néanmoins qu'il n'en ont plus guère, voire en fait plus du tout si l'on considère que la condition du libre arbitre est par essence binaire et exclusive. Le Silmarillion (chap. "les Anneaux de Pouvoir") se montre relativement inflexible : "Lorsqu'il portait l'Anneau Unique, (Sauron) (...) pouvait voir et diriger jusqu'aux pensées de ceux qui les portaient (= les autres anneaux)" -- C'est dire que leurs pensées sont totalement ouvertes à Sauron et entièrement sous sa domination. Dès lors qu'il ordonne ses pensées vers eux, ils sont ses marionnettes, ses ombres esclaves : c'est en cela que le rapprochement avec les Aulë et les Nains avant leur "libération" par Eru peut (peut-être) éclairer la nature des uns et des autres et la perversion qu'incarne l'Anneau.*
Sur le fait qu'à l'origine, l'état d'ouverture d'esprit des Nains est sans doute proche (mais certainement pas identique) de celui des Nazgûl, tu as raison.
En ce qui concerne le libre-arbitre, nous sommes d'accord pour dire que c'est la faculté de se déterminer par la seule volonté, hors de toute sollicitation extérieure.
Cela, les Enfants d'Eru que sont les Nazgûls en sont encore capables, à la différence des Nains sur lesquels Aulë devait à l'origine nécessairement focaliser sa pensée. Tes citations à ce sujet sont d'ailleurs intéressantes, puisqu'il y est indiqué que « Lorsqu'il portait l'Anneau Unique, (Sauron) (...) pouvait [et non devait] voir et diriger jusqu'aux pensées de ceux qui les portaient (= les autres anneaux) », et tu le dis toi-même également : « Dès lors qu'il ordonne ses pensées vers eux, ils sont ses marionnettes, ses ombres esclaves ».
Donc oui, lorsque Sauron ordonne ses pensées vers eux, ces derniers sont sous son joug et agissent d'une manière proche (mais pas identique) de celle des Nains à leurs création. Il y a une différence fondamentale (et inaliénable) entre ne pas avoir de barrière du Refus et abaisser cette barrière. Donc non, les Nazgûl ne sont pas aussi dépendants de Sauron que les Nains l’étaient à l’origine d’Aulë, car les premiers peuvent, par nature, agir indépendamment, même si nous sommes d'accord pour dire que cette capacité est grandement amenuisée par « la perversion qu'incarne l'Anneau ».
(24.05.2012, 01:43)Hisweloke a écrit : En quoi est-ce rhétorique ? Ou alors voulais-tu plutôt dire dialectique ?
Je voulais bien dire rhétorique puisque cette question n'attend pas de réponse, dans le mesure où il n'y a aucune contradiction de la réalité à établir et dépasser (dialectique). Tout du moins, et on pourra me taxer d'avoir utilisé cet adjectif fort peu à propos, La question ne réside pas dans un paradoxe, mais dans les simples motivations qui poussent à s'exprimer en langue tandis que l'on peut transmettre directement sa pensée. Et il me semble qu'il n'y a nul besoin, en fait.
Citation :La transmission de pensée s'oppose à la nécessité d'une langue articulée, d'où une contradiction apparente à disposer concomitamment des deux, sommairement posée en introduction et qui trouve sa résolution ensuite, comme développé en § I.C.
Apparente, oui.
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24.05.2012, 21:47
(Modification du message : 24.05.2012, 21:57 par Hisweloke.)
Mon "dès lors" peut valoir pour terminus a quo : mon opinion, puisqu'on quitterait là le domaine des déductions ou des intuitions et que je ne maîtrise pas assez la question (qui vaudrait peut-être une recherche d'autant d'années que le reste de cet article*) est que le libre-arbitre comme non-déterminisme est binaire et ne peut être "amoindri", n'admettant pas de gradation (que serait un libre-arbitre restreint ? J'y insiste, je ne maîtrise pas assez le sujet pour m'engager sur ce terrain). Mon opinion toujours, moins nuancée que ce que j'ai dit jusqu'ici et poussée dans ses retranchements, est donc que les Nazgûl seraient entièrement, de manière permanente, sous la domination de Sauron. Vision pessimiste, peut-être, de l'ampleur du Mal : je ne suis pas loin de penser qu'ils ne retrouvent éventuellement leur libre-arbitre que dans le court délai suivant la destruction de l'Anneau, avant d'être réduits à la poussière, « Et au cœur de la tempête, avec un cri qui perçait tous autres sons, déchirant les nuages, jaillirent les Nazgûl, tels des traits enflammés, comme, pris dans la ruine embrasée de la montagne et du ciel, ils craquetaient, se desséchaient et s'éteignaient. » -- Il se peut que ce cri là soit peut-être le seul depuis longtemps à venir d'eux, car auparavant, l'Œil sans Paupière de Sauron n'est jamais fermé. Donc non, nous ne sommes pas complètement d'accord sur le fond, mais je te laisse évidemment libre de tes interprétations à ce sujet. Que la barrière du Refus ne puisse être brisée, c'est ce que dit Pengolodh, mais il dit aussi que la barrière peut être contournée et le refus dissipé. Je suppute que si le contournement est total, la dissipation complète, alors le libre-arbitre disparaît ; et je suppute encore que c'est ce à quoi s'est engagé Sauron par le biais des Anneaux - une tentative bien digne de son ancien maître pour annuler cet únat... Que l'effet soit total comme je le crois, d'une profondeur comparable (dans les objectifs, sinon évidemment dans l'ampleur) à l'Arda maculée par Melkor, ou qu'il soit partiel, laissant une petite bribe de libre-arbitre aux Nazgûl comme tu sembles le penser, cela n'est pas si important et ne change au final que peu de choses (mais je suis preneur d'un référence à un acte de libre-arbitre de la part des Nazgûl**) - Dans l'économie de la note (une seule phrase) que tu discutais par rapport au rapprochement avec les Nains, j'ai déjà dit avoir forcé peut-être un peu le trait pour ouvrir des pistes de lecture, mais je n'irai pas au-delà.
Pour le reste, je ne vais pas jouer avec les mots, si tu tiens tant à la "rhétorique" et autres finesses de vocabulaire, je te les laisse fort volontiers, à chacun son expression
Didier.
*Cet article à la longue rédaction (intuition en 1999, début d'idées posées en 2001 - avec notamment, via Thomas d'Aquin, la "découverte" des motifs d'illumination divine et de transports d’admiration dans les rapports entre Eru et les Valar -, enfin essentiel du développement en 2003-2005 par la lecture de l'ouvrage de Tiziana Suarez-Nani) est déjà aux limites de mon "art" - ceci ne vaut pas pour vantardise, c'est plutôt l'aveu d'être aux limites de mes capacités, et je suppute qu'une réflexion sur le libre-arbitre demanderait encore bien plus de temps et d'ouvrages à lire, à supposer même que j'en aie l'incertaine capacité...
**Comme déjà demandé plus haut
P.S. (EDIT) C'est marrant, ça ne discute que sur les notes de bas de page. Vous connaissez mon goût pour ces dernières, et pourtant vous voudriez me donner l'envie d'un article entièrement constitué de notes de bas de page ?
(24.05.2012, 21:47)Hisweloke a écrit : Mon opinion toujours, moins nuancée que ce que j'ai dit jusqu'ici et poussée dans ses retranchements, est donc que les Nazgûl seraient entièrement, de manière permanente, sous la domination de Sauron.
Qu'ils soient sous son joug, personne ne le nie (« they were entirely enslaved to their Nine Rings, which he now himself held; they were quite incapable of acting against his will »). Et mon idée n'est pas ici d'imaginer un Nazgûl se rebellant, mais un Nazgûl capable de prendre une décision par lui-même (si basique soit-elle) sans nécessairement que Sauron soit obligé d'interférer avec lui. Ce qui n'était pas le cas des Nains, simples pantins avant l'intervention d'Eru.
C'est cette faculté des Nazgûl de se déterminer par eux-mêmes que je défends. Et je reste persuadé que le libre-arbitre peut être amoindri de nombreuses manières, mais comme tu le dis, nous nous engageons sur des chemins qui dépassent sans doute nos compétences respectives.
(24.05.2012, 21:47)Hisweloke a écrit : (mais je suis preneur d'un référence à un acte de libre-arbitre de la part des Nazgûl**)
UT a écrit :But Sauron did not under-esteem the powers and vigilance of the Wise, and the Nazgûl were commanded to act as secretly as they could.
Il leur fut ordonné d'agir aussi secrètement que possible, la manière d'y parvenir (et les choix qui en découlent) leur appartenant en propre et n'étant aucunement du ressort de Sauron.
UT a écrit :The news evidently did not reach the Nazgûl commander of Dol Guldur for some time, and he probably did not inform Barad-dûr until he had tried to learn more of Gollum's whereabouts. It would then no doubt be late in April before Sauron heard that Gollum had been seen again, apparently captive in the hands of a Man.
S'il contrôlait les Nazgûl à l'identique d'Aulë et de ses Nains, pourquoi Sauron ne serait-il pas immédiatement informé de ce que sait le « Nazgûl commander » ? Qui fait vraisemblablement ici le choix de « not inform Barad-dûr until he had tried to learn more of Gollum's whereabouts ».
Donc oui les Nazgûl ont encore un libre-arbitre. Probablement pas celui de refuser où de contrevenir à un ordre de Sauron, mais celui de prendre des décisions et de faire des choix (judicieux ou non) par eux-mêmes pour la mission que leur maître leur a confié, indépendemment de sa seule volonté.
Le fait qu'ils puissent prendre des décisions par eux-mêmes, tout en étant malgré tout sous l'emprise de Sauron, démontre un état d'altération de leur faculté de se déterminer par la seule volonté, leur libre-arbitre.
En définitive, concernant la comparaison entre les Nazgûl et les Nains, je me permets de reprendre les mots de Pengolodh qui résume bien ma pensée (l'emphase est mienne) : « Je dis qu’il n’en est point ainsi. Les choses peuvent paraître semblables, mais si leur nature est différente, elles doivent être distinguées. ».
(24.05.2012, 21:47)Hisweloke a écrit : Pour le reste, je ne vais pas jouer avec les mots, si tu tiens tant à la "rhétorique" et autres finesses de vocabulaire, je te les laisse fort volontiers, à chacun son expression.
Aucune finesses de vocabulaire, juste dire qu'il me semble qu'il n'y a aucun paradoxe à ce qu'un être pouvant transmettre directement sa pensée veuille faire usage d'une langue. Je pensais que ta question n'en était pas véritablement une, tout comme ce paradoxe. Mais tu sembles penser le contraire.
Quoiqu'il en soit, au-delà de cette discussion, merci beaucoup pour cet essai qui nous a ouvert les yeux (et l'esprit ).
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