Effectivement, cela demande un minimum de travail sur soi, mais je pense que l'on peut faire cet effort.
Au sujet du préjugé présenté par Druss ci-dessus, il me semble, mais cela n'engage que moi, que si EJK a longtemps été extrêmement virulent concernant les pratiques sur la Toile, il semble que son opinion ait quelque peu évoluée avec le temps, ou du moins l'a-t-il formulée différemment.
1. "Laisser faire les professionnels"
Cette vision est trop restrictive et ne sert pas à grand chose, dans la mesure où,
stricto sensu, il est quasiment le seul véritable professionnel dans ce domaine, et je ne parle pas uniquement à l'échelle de l'hexagone.
Le premier demi-siècle de linguistique tolkienienne nous a démontré que des passionnés motivés pouvaient faire aussi bien qu'un professionnel lambda. Cela nous le voyons tous les jours. Certes, la passion ne comble pas tous les vides de connaissances académiques qu'un professionnel aura acquis par le biais d'une formation adaptée (faculté, université, etc.). Mais l'expérience et la motivation me semblent être des moteurs tous aussi puissants (voire même plus).
Ainsi, des gens comme Carl Hostetter, Patrick Wynne ou Chris Gilson sont des autodidactes brillants et passionnés qui ont permis à de merveilleux projets d'aboutir (et c'est loin d'être fini !). Pensons également à Taum Santoski, qui s'investit énormément dans plusieurs volumes des HoMe et qui s'est vu dédicacer le volume IX (
cf. HoMe IX p. xii).
Les professionnels ne sont donc pas les seuls à pouvoir traiter de tels sujets, même si leur apport est fondamental. Vouloir les "laisser faire", c'est à mon sens rejeter en bloc un vivier de passionnés motivés, intelligents, volontaires et dont les connaissances et les expériences ne peuvent qu'enrichir la discipline.
2. Néo-elfique
Bien que je ne puisse l'attesté avec certitude, je pense que c'est le sujet qui tiend à coeur Órerámar dans sa dernière remarques.
Le néo-elfique, c'est cet intérêt né de la découverte des langues de Tolkien. Intérêt qui se traduit généralement par une première étude de ses langues (la linguistique tolkienienne ou son embryon) et qui, pour certaines personnes, devient ensuite une envie de voir ces langues "vivrent" en les utilisant.
Le problème est simple : il n'existe pas
un quenya ou
un sindarin (pour ne citer que celles qui succitent le plus d'intérêt) mais un ensemble de textes et de documents couvrant l'évolution de ces deux langues depuis 1915 (
qenya et
goldogrin) jusqu'aux conceptions les plus tardives du
quenya et du
sindarin (
cf. par exemple la lettre n°347 en date du 17 décembre 1972,
Letters pp. 424-8 ).
Et Tolkien n'a jamais voulu donner à ses langues un aspect définitif.
Aussi, faire usage de ces langues, c'est avant tout déterminer un ensemble de règles "finies" pour encadrer les divers éléments qui la compose (les pluriels, la négation, la conjugaison, etc.). Il peut donc sembler contradictoire de vouloir "finir" une langue que Tolkien fit constamment évoluer. Ce sujet est important car il légitime ou non l'existence de ces néo-langues.
Et c'est là que les préjugés entre en scène : car de nombreux passionnés des langues de Tolkien nourrissent une certaine aversion envers ces néo-langues et leurs utilisateurs. Certains allant même jusqu'à considérer cette branche des passionnés comme une espèce de "sous-classe".
Cela s'explique en partie par le fait que les utilisateurs de ces néo-langues se réfèrent à des documents créés par Helge Fauskanger (autrefois) et Thorsten Renk (à présent) qui contiennent des choix personnels des auteurs que l'ont peut remettre en cause.
J'ai moi-même longuement expérimenté ce préjugé, en partie parce que j'aii découvert les langues de Tolkien par le biais du premier dictionnaire d'Edouard Kloczko et que j'ai longtemps accepté sa vision des langues elfiques et des néo-langues comme un "canon" (faute de pouvoir objectivement juger par moi-même). Aussi ai-je moi-même contribué un certain temps à dénigrer, de manière totalement aveugle, les néo-langues et leurs utilisateurs.
C'est une grossière erreur. Tout d'abord, il faut dissocier trois choses :
1)
le concept des néo-langues (pouvoir utiliser les langues de Tolkien),
2)
les supports qui sont disponibles (documents de Renk et Fauskanger entre autres),
3)
l'usage que les gens font de ces supports et la manière dont ils appréhendent ce concept.
Ainsi, nous pouvons discuter du concept et de sa légitimité vis-à-vis de la vision de Tolkien, même si nous ne pouvons objectivement tirer aucune conclusion définitive. Même en ce qui concerne l'idée de les parler, il peut y avoir discussion.
Les supports sont toujours sujets à discussion et/ou polémique dans la mesure où ils procèdent d'un choix et d'une vision personnelle. Certains pensent qu'il vaut mieux s'en tenir aux toutes dernières visions de Tolkien, tandis que d'autres préféreront une théorie basée sur le plus large spectre de textes possibles, arguant que Tolkien changea souvent d'avis et que les derniers concepts ne sont pas forcément les plus valables (
cf. notamment le problème épineux de la négation en quenya).
Enfin, la manière dont les gens font usage des ces néo-langues est également un problème. Les gens ont pour très mauvaise habitude de se dire "je vais traduire le mot xxxx ou la phrase yyyy en sindarin/quenya/adunaïque" et se mettent à torturer les mots et les concepts grammaticaux au-delà du raisonnable. C'est une erreur et au-delà, cela peut donner l'impression (à tort ou à raison) que la personne procède de manière égoïste ("je veux ma phrase en elfique, quoi qu'il en coûte à ces langues"). Nous devons apprendre à modérer nos ardeurs et à plier nos envies aux langues de Tolkien, non l'inverse. Carl Hostetter l'explique très bien dans
L'elfique comme elle est parlait, dont je conseille la lecture.
En définitive, ceux qui subordonnent ou dénigrent aveuglément les néo-langues oublient :
1) que ce domaine possèdent plusieurs approches (concept/supports/utilisateurs),
2) que la linguistique tolkienienne et les néo-langues n'ont pas les mêmes objectifs et ne peuvent donc être juger l'une par rapport à l'autre.
Il nous faut simplement ne pas tomber dans un autre préjugé : celui de croire que ce que l'on crée est purement tolkienien au prétexte que l'on suit un modèle de 1966 ou des mots de 1937, bien souvent, ce n'est pas le cas.
Enfin, et c'est un autre point abordé par Carl, il ne faut pas prétendre proposer une langue de Tolkien lorsqu'il s'agit d'une néo-langue. C'est un acte simple d'honnêteté intellectuelle et d'humilité que nous devons toujours penser à faire, et ce quelque soit notre niveau et nos compétences (professionnelles ou non).
Voilà pour deux points qui me semblent importants. Au(x) suivant(s) !