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[fan-fiction] Pour l'Honneur des Mirdain
#31
Comme promis, la suite!
N'hésitez surtout pas à donner votre avis, et à être le plus franc possible! Car en fin de compte, je n'écris pas cette histoire que pour moi, mais pour vous aussi, et je ne voudrais pas que cela fut en vain Wink

Citation :
Chapitre II
Le Jugement




[Place vide en attente d'un poème, entamé depuis deux semaines, qui malgré mes efforts ne rime à rien!
L'auteur ayant quelque difficulté à mettre en vers -hors de ses sujets de prédilection- la beauté, et plus encore le bonheur.
Important : le poème parle d'un pays imaginaire, paradisiaque.]



- C'est une chanson de votre pays?
- Si l'on veut. Mais dans mon pays les feuilles ne sont pas d'or et nos forêts ne sont pas remplies de lumière. Nous autres, elfes Sylvains, l'appelons Vertbois-le-Grand, tandis que pour les peuples mortels il s'agit simplement de la Forêt Noire.
- Alors que chantiez-vous?
- Le pays de mes rêves je présume...
Accoudé à la balustrade, l'elfe fixait rêveusement les étoiles dans un ciel de pourpre et de feu. En contre-bas Ost-in-Edhil brûlait. Ses arbres, ses chaumières faisaient l'effet de charbons ardents dans l'âtre du soir. De leurs ruines s'élevaient des colonnes de fumée noire qui masquaient les astres du ciel, le Pentangle étoilé, Eärendil la bien-aimée, et même la lune devenue blâfarde. Face aux ténèbres, elles étaient comme des phares au milieu d'une mer démontée, que les vagues submergaient et occultaient sans cesse.
Alors l'elfe porta son regard aussi loin qu'il le put dans la vallée. Là les collines se chevauchaient et montaient toujours plus haut en direction de l'est. Portefleurie était la plus en contre-bas, puis venait Terremère, et par-dessus Agora, elle-même surplombée au sud de Château-de-Lune et du Mont-de-Fer au nord. Sauron n'avait pas encore envahi ce dernier, trop bien défendu par les Gwaith-i-Mirdains -même en sous-nombre. En ce moment même, siégeant sur le Trône d'Eregion et plongé dans de ténébreuses pensées, il préparait l'assaut final, l'ultime assaut contre les forces de Celebrimbor.
Déjà les orques s'avançaient aux pieds de la colline. Leurs torches et leurs bannières se mouvaient parmis les ruines défuntes de la Cité. Et ceux qui n'en portaient pas ne pouvaient demeurer invisibles aux yeux des elfes. « Ce sont les orques, se disaient-ils les uns aux autres. Ils arrivent ». Et tous redoutaient le funeste destin qui les attendait.
Alors retentit dans les ténèbres un lugubre appel long et croassant, comme si le cri d'une oie et le râle d'un corbeau étaient venus se mêler. Aussitôt tous les regards se portèrent sur Château-de-Lune et beaucoup frémirent de ce qu'ils virent là-bas : une créature ailée, gigantesque, à la semblance d'un charognard difforme, élevé et torturé dans les plus noires profondeurs de la Tour Sombre. Lovée tel un serpent entre les arcades et les tours de l'édifice, ses serres d'acier étraignaient la pierre et la lézardaient. Accrochés aux pinacles d'ivoire, ses vastes ailes dénudées, sans penne ni plume, ressemblaient à des palmures de peau entre des doigts cornus. Elles étaient couvertes par endroit de tâches livides, comme marquées au fer rouge, à la forme de crânes et de symboles occultes. D'autres jallonaient son cou long et nu, duquel émergeait au niveau de son échine des épines de métal plantées dans ses os.
Une armure d'acier lui recouvrait le crâne ; et une autre d'un genre différent -organique- lui recouvrait le corps. Elle était constituée d'araignées géantes, de la taille d'un nourrisson, n'ayant pas encore atteint l'âge adulte. Aggripées au charognard, elles grouillaient tout autour de son tronc et y tissaient des toiles qu'aucune lame ne saurait trancher. Celles-ci étaient d'ailleurs si nombreuses, et leurs fils si étroitement liés, qu'ils ne laissaient entrevoir aucune parcelle de son épais cuir tavelé. Sous le ventre, on aurait dit une cotte de fines mailles. Mais par dessus, lui recouvrant le dos et tombant sur les côtés, les toiles avaient l'apparence d'un linceul auquel le sang, la cendre et les araignées se mêlaient. Seuls ses ailes et son bec demeuraient dénudés ; et ces yeux de braise au fond desquels couvait une sombre malice.
De nouveau la créature poussa son cri, et en bas les orques s'immobilisèrent. Ils n'avaient même pas encore atteint l'Arc de Fer qui encerclait le domaine des Gwaith-i-Mirdain. Pourtant ils demeuraient là et ne semblaient pas vouloir lancer l'assaut...
- Pourquoi? s'étonna l'elfe tout en s'adressant à son voisin. Que peuvent-ils bien attendre?
Il n'eut pas de réponse.
- Mais je ne me suis pas présenté, réalisa-t-il soudain en se tournant face à son interlocuteur, un inconnu tout drapé de vert, encapuchonné, dont l'ombre et le haut col dissimulaient et les yeux et le menton. Je m'appelle Adenor, fils d'Adereth le Luthier et de la dame Lanorië. Je viens du royaume de Thranduil.
- Oui, j'avais compris, répondit l'autre rompant son mutisme. Le cousin du seigneur Celebrimbor n'est hélas pas passé inaperçu en ces sombres heures...
L'elfe frémit. Il y avait quelquechose de dur et de glacial dans le ton de l'inconnu, un tranchant capable d'ouvrir des blessures que nul ne saurait guérir. Pendant un court instant, Adenor eut la vision d'un serpent aux anneaux d'émeraude, enroulé autour d'une boîte maudite, une boîte qui contiendrait en son sein tous les maux de la terre.
- Qui êtes-vous? s'enquit-il perplexe. Je ne crois pas vous avoir déjà vu auparavant.
- Peu de gens le peuvent en effet, répliqua l'autre. Et bien moins encore seraient capables de dire ce qu'ils ont vu. C'est un secret qu'ils emportent avec eux dans la tombe -s'ils en ont une.
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#32
Tant que mes études me le permettent, je vais essayer de maintenir un rythme régulier à raison d'un extrait par semaine. la suite donc:
Citation :- Qui êtes-vous? s'enquit-il perplexe. Je ne crois pas vous avoir déjà vu auparavant.
- Peu de gens le peuvent en effet, répliqua l'autre. Et bien moins encore seraient capables de dire ce qu'ils ont vu. C'est un secret qu'ils emportent avec eux dans la tombe -s'ils en ont une.
L'inconnu releva alors son capuchon et découvrit un visage pâle, androgyne, sans barbe ni sourcil, recouvert sur le côté droit de sombres tatouages et d'entrelacs mystérieux.
- Je n'ai pas de nom, sinon celui d'Empoisonneur, déclara-t-il (elle?). Et ce que je suis, nul ne le sait. Mais ce que vous devez savoir, c'est que pour l'instant présent, vous n'avez rien à craindre de moi.
Adenor ne sut que répondre à cette présentation. Il observait intrigué l'énigmatique personnage. Avec le vague souvenir de l'avoir aperçu au cours de la bataille, telle une ombre furtive, un fantôme parmi les orques qui tombaient foudroyés d'une mort insidieuse. Quant à son arme, Adenor ne l'avait jamais vue.
- Mais je suis aussi le Guérisseur, reprit l'androgyne. Car telle est la nature du poision : il rend la vie ou bien la prend!
Puis il tendit une main de cire, fine et laiteuse, et dit : « Montrez-moi votre bras. »
Adenor s'exécuta. Il avait la main gauche gantée d'or et d'argent et le poignet protégé par un ... de cuir gravé d'une harpe d'ithildin. Mais plus haut et jusqu'au coude, la manche de sa tunique dorée était déchirée, tandis qu'un épais bandage recouvrait son bras blessé. La cendre et la boue s'y mêlaient et malgré un solide garot, le tissu était imprégné de sang noir séché. L'androgyne défit le bandage et découvrit une affreuse plaie qui courait le long de son avant-bras. Il l'effleura de ses longs doigts blancs effilés et l'elfe frémit à son contact.
- Quelle maladresse a pu vous inspirer une telle blessure? susurra-t-il.
- Un pieu..., répondit hésitant Adenor, dans une mauvaise chute... Il y avait un troll, et je...
Il ne put en dire plus. D'une douloureuse pression de la main, l'androgyne venait de serrer son avant-bras et l'elfe fut soudain pris de vertige. Les cris, la douleur fusèrent autour de lui, dans un tourbillon de cendre et de fumées noires, d'images folles se succédant dans son esprit, d'un pieu qui lui déchirait le bras, de la tête décapitée d'une femme, de la face mugissante d'un troll. Tout se mêlait dans une effroyable explosion tandis qu'il revivait sa chute sur les toits. [scène coupée] Puis l'ombre se dissipa, la douleur s'estompa, et Adenor se retrouva de nouveau face à l'androgyne.
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#33
Et on continue...

Citation :Puis l'ombre se dissipa, la douleur s'estompa, et Adenor se retrouva de nouveau face à l'androgyne. Pendant un instant il resta sans voix, observant simplement l'autre à l'ouvrage. Celui-ci, avec un bout de tissu vert, pressait la plaie et en retirait le pus jusqu'à ce qu'il n'en sorte plus que du sang écarlate.
- Un maître dans mon pays, commença Adenor, m'avait dit que parmi les rangs des Gwaith-i-Mirdain se comptait un guérisseur de grand renom, un savant dont les pouvoirs dépassaient ceux-mêmes de l'anneau Vilya...
Puis il dévisagea l'androgyne dont le regard ne quittait pas l'avant-bras et demanda :
- Sagissait-il de vous?
Les doigts blancs s'immobilisèrent. La face bicolore du guérisseur se leva et ses yeux vitreux se posèrent sur Adenor.
- Non, répondit-il. L'elfe dont vous parlez n'est plus. Mort peut-être. Ou, à ce que l'on dit, il aurait quitté ces terres pour la mer et le pays de l'Ouest... Je ne sais. Quant à l'Anneau de Guérison, il n'y a rien d'étonnant à ce que la copie soit toujours plus imparfaite que le modèle.
- Voulez-vous dire que...
- Oui. Mais il n'a pas forgé l'anneau. Celebrimbor était l'artiste, lui le modèle. Il n'a fait que transmettre son savoir et sa volonté à l'objet, comme il me les a transmis à moi son disciple.
L'androgyne fouilla alors dans les plis de son manteau, en sortit trois épines bleues et dit :
- Il existe dans les forêts de l'est une fleur mortelle ; une fleur dont les épines changent de couleur selon les saisons. Au printemps elles viennent juste de naître, vertes et pratiquement inoffensives -du moins si l'on considère qu'une forte fièvre ne peut en rien causer la mort... Puis à l'été elles deviennent rouges ; ces épines ont alors un pouvoir anticoagulant très puissant et s'il est grièvement blessé, le guerrier se vide de son sang jusqu'à en mourir. Enfin à l'automne elles sont noires et à l'instar des rouges, les plaies qu'elles provoquent se referment très vite. En contre-partie le sang ne cesse de s'épaissir, provoquant la mort d'une crise cradiaque ou bien encore d'une attaque au cerveau. Quant aux bleues, commença-t-il...
L'androgyne ne finit pas sa phrase. Il planta brusquement les trois épines dans l'avant-bras d'Adenor qui se retint de gêmir. Mais aussitôt une effroyable pensée lui traversa l'esprit.
- Et les bleues? parvint-il à articuler d'une voix blême.
L'androgyne fixa alors son regard sur lui, et ce faisant ses lèvres esquissèrent un sourire narquois.
- Les bleues, dit-il, ne vous feront bien entendu aucun mal. Car à l'hiver cette fleur meurt, ses pétales tombent et il ne lui reste plus que des épines bleues. Celles-là seules ont le pouvoir de purifier toutes les plaies du corps ; même les plus mortelles.
L'elfe soupira, rassuré.
- Mais si je puis me permettre, suggéra le guérisseur qui commençait à panser la blessure, vous auriez pu choisir de mourir dans un endroit qui vous convienne mieux...
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#34
Citation :- Mais si je puis me permettre, suggéra le guérisseur qui commençait à panser la blessure, vous auriez pu choisir de mourir dans un endroit qui vous convienne mieux...
- Pardon?! s'exclama l'elfe dont l'étonnement en avait presque fait oublier la douleur de son bras.
- Je veux dire qu'il suffit de vous regarder pour s'apercevoir que vous n'êtes pas ici à votre place. Il y a un vieux proverbe qui dit « à chacun son caveau ». Ainsi le mendiant meurt sans sépulture ; le guerrier est enterré dans la cendre, sur les champs de batailles, et les rois dans le marbre. Mais vous, ajouta-t-il en finissant le bandage, vous ne méritez ni la cendre, ni le marbre.
- Qu'est-ce que je mérite?
- Les feuilles d'or, une colline, une nef d'argent ou un tapis de neige... Qu'en sais-je? Sinon que votre monde est fait de toutes ces choses. Vous les chantez et vous les avez même brodés sur votre tunique d'or. Pour autant, existent-elles vraiment?
- Et pourquoi pas? s'emporta Adenor. Croyez-vous que seule la cendre qui se trouve sous vos yeux soit réelle?
Le guérisseur ne répondit pas. Sans même le regarder, il tourna le dos à l'elfe et se tint immobile devant lui. Le vent se tut. Le silence tomba sur la scène. Et l'ombre vint...
Adenor se retrouva soudain au bord d'une clairière entourrée d'arbre touffus. Ceux-ci masquaient le ciel, et pourtant il ne faisait plus nuit, mais jour. Et l'androgyne se tenait là aussi.
- La cendre, oui, répondit-il en se fondant dans la verdure. Et le sang, et les ruines. Car toutes ces choses...
- Je peux les voir! s'exclama une voix sortie d'un arbre.
- Je peux les toucher! s'écria une autre.
- Les modifier si je veux!
- Mais la cendre... souffla l'androgyne à l'oreille d'Anedor.
Il était apparu derrière lui et tenait dans ses mains un papillon aux ailes multicolores. Croisant un instant le regard de l'elfe, il sourit, puis laissa l'insecte s'envoler. Alors de ses bras tendus il désigna le coeur de la clairière et s'écria:
- Contemple ton rêve, Adenor, et dis-moi s'il existe!
Là scintillait un arbre de lumière, gigantesque et millénaire. Et sous ses ramures tombait une pluie de poussière dorée. Emerveillé, l'elfe en oublia toute notion de réalité. Il s'avança.
- Rien n'existe si ce n'est dans l'espace et dans le temps! déclara soudain l'androgyne. Car l'existence présupose la naissance au monde. Ainsi tout ce qui existe est matière, engendrée dans la matière et non le rêve...
Rêves-tu Adenor?
Mais l'elfe n'écoutait pas et s'approchait toujours plus près de l'arbre.
- Qui donc a créé cet arbre?
Arrivé face au tronc, il posa un genou à terre et vit là entre ses racines une fleur couleur de neige. Levant le bras, il tendit ses doigts vers elle.
- Peux-tu engendrer tant de merveilles?
Mais lorsqu'il fut tout près de la toucher, il hésita. À cet instant il découvrit avec horreur que sa main était couverte de sang. De stupeur, il la retira. Alors le rêve se brisa. Car aussitôt le vent souffla et décrocha les pétales de la fleur. L'arbre lui-même se mit à gémir. Ses branches mourraient. Son tronc se délitait. On l'aurait dit rongé par quelque acide invisible qui le dissolvait inexorablement. Et à la place de l'écorce apparut un vide béant donnant sur le néant.
Horrifé, Adenor se jeta contre l'arbre, aggripant de part et d'autre ce qu'il restait de son tronc, comme s'il pouvait l'empêcher de disparaître.
- Non! vociférait-il. Non!
Mais ses cris furent couverts par le chaos qui régnait là. La lumière de l'arbre n'était plus. Le vent, mué en tempête, lui fouettait le visage. Et les feuilles tombaient, mortes, des branches.
Soudain s'éleva une voix dans la tourmente qui clamait:
- Rien de tout cela n'existe, Adenor! Pourquoi lutter? Il n'y a pas de vie dans le néant et les rêves, pas de matière, pas de naissance! Vois : la réalité est douloureuse et imparfaite. Mais c'est elle qui t'a engendré! Qu'il s'agisse d'Eru ou de la nature, qu'importe : c'est elle qui t'a créé! Et c'est elle qui aujourd'hui encore se donne à toi toute entière... La renieras-tu pour un néant de mensonges dorés?
Au pied de l'arbre millénaire presque disparu, l'elfe pleurait. Il n'osait comprendre ; il ne voulait pas comprendre! Tout autour de lui, la clairière avait été anéantie. Le sol même s'était affescé. La cendre, la fumée, les ruines, le sang, tout cela réapparaissait à leur place. La réalité reprenait le dessus.
Alors le rêve s'effondra tout à fait, et Adenor tomba dans le vide.

Bien sûr, un ou deux avis sur ce/ces extraits seraient les bienvenus Wink
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#35
Citation :Alors le rêve s'effondra tout à fait, et Adenor tomba dans le vide.

- Est-ce que ça va?
Accroupi par terre, les mains à plat sur le sol, Adenor inspirait à grand bruit, essoufflé. Des gouttes de sueur perlaient sur son front livide et certains de ses membres tremblaient encore. Sauf à un endroit : son épaule. Une main était posée là, gantée de blanc, robuste mais inquiète. Adenor la saisit :
- Oui, rassura-t-il d'une voix brisée. Je vais... aller mieux, je crois...
Puis tournant la tête, il vit agenouillé à ses côtés un soldat. Son uniforme était vert et noir, sans casque ni armure. Il n'en dissimulait pas moins une cotte de fines mailles sous sa veste ; ses bottes étaient bardées de fer, et son ample manteau dissimulait une longue épée. Levant plus haut son regard, il reconnut alors Kelromiel, le commandant de l'armée.
- Commandant! s'exclama-t-il gêné.
Et il voulut se lever. Mais la main gantée de blanc le retint.
- Doucement, le tempéra Kelromiel. Commencez donc par reprendre vos esprits.
Mais Adenor insista. Il s'aggripa au manteau du soldat qui l'aida à se mettre debout. Ce faisant, l'elfe sylvain aperçut le guériseur qui se tenait assis sur la balustrade.
- Toi! rugit Kelromiel en le fixant du doigt. Combien de fois t'ai-je dit de ne pas pénétrer l'esprit de tes patients sans les en avoir averti?!
Cependant l'androgyne ricana.
- Il n'est nul besoin de politesse pour rendre la vue aux aveugles! répliqua-t-il froidement. Tu devrais le savoir... toi qui n'a pas hésité à combattre ton propre père autrefois.
À ces paroles, Kelromiel se raidit.
- Il vaut mieux voir son père mort que soumis aux artifices de Sauron! rétorqua durement le soldat.
- Mais tu ne l'as pas tué, et en cela tu as été faible, fils de Progonas. Heureusement pour toi, il a fini par retrouver la vue, suivant ainsi en toute chose son maître, Celebrimbor. Mais le mal demeure, quelque part au fond de leurs coeurs, comme une graine enfouie... une graine maudite...
Son regard et ses pensées se perdirent alors dans le vide. Puis se levant, il rabattit son capuchon sur sa tête et se détourna pour partir. Mias au dernier moment il s'immobilisa.
- Quant à toi Adenor, déclara-t-il soudain, je dirai encore ceci : fuis! Fuis tant que tu le peux ce pays, et laisse-le plonger dans l'oubli. Car la mort approche, et elle te prendra, toi et tes rêves, plus tôt que tu ne le penses. Namarië! L'ombre est sur toi. Adieu!
Alors que cette prédiction résonnait encore dans l'esprit de l'elfe sylvain, l'androgyne, lui, avait disparu dans la nuit. Il lui sembla alors qu’il sortait d’un rêve profond et que celui-ci s’effaçait dans l’oubli. Lentement, il leva son avant-bras. Puis posant son regard sur sa blessure, il constata qu’elle n’était pas bandée, mais recousue. Elle semblait d’ailleurs parfaitement désinfectée et ne lui procurait plus aucune douleur. Il pouvait de nouveau s’en servir.
- Depuis combien de temps rêvé-je ? demanda-t-il en se tournant vers Kelromiel.
- Qui saurait le dire ? répondit-il. Probablement depuis plus longtemps que vous ne le croyez…
Le soldat s’était assis sur le sol, adossé à la balustrade. Sa tête était basculée en arrière et son regard vide trahissait une fatigue extrême. Près de lui, Adenor observait son avant-bras sans comprendre. Il cherchait la marque des trois épines enfoncées, ou bien celle d’un quelconque bandage. Mais seuls demeuraient des points de sutures noirs et saillants. Pourtant il ne se souvenait de rien.
- Comment a-t-il… ? commença-t-il.
- Vous n’avez jamais rien vécu de tel, n’est-ce pas ? demanda le soldat amusé. Seul le Guérisseur maîtrise aussi parfaitement l’art de l’illusion chez ses patients. On pourrait même dire que c’est sa pratique favorite.
- L’illusion ? Pourquoi ?
- À cause de la douleur. La plupart des guérisons qu’il opère se font au prix de grandes souffrances pour ses patients : amputations, jambe remise, bras recousu ; et peu sont capables de les supporter. Aussi a-t-il besoin d’un genre assez particulier d’anesthésiant : l’illusion.
- Alors… il aurait pu me trancher le bras sans que je ne me rende compte…
- Effrayant, non ? sourit Kelromiel. Se voir transformer en marionnette dans les mains d’un autre n’a rien de rassurant. Heureusement pour nous, le Guérisseur ne l’a jamais fait avec de mauvaises intentions, même si son attitude peut nous laisser penser le contraire.
Adenor commençait à comprendre. Il ne savait pas exactement quand il avait perdu pied hors de la réalité, mais au moins s’expliquait-t-il son étrange vision, cette clairière, cet arbre, ces ténèbres, cette voix…
« Rien de tout cela n’existe Adenor ! Pourquoi lutter ? »
« Fuis ! Fuis tant que tu le peux ! »
« Car la Mort approche et elle te rendra, toi et tes rêves, plus tôt que tu ne le penses. »

- Et pour la prédiction, s’enquit l’elfe sylvain, croyez-vous qu’elle va se réaliser ?
Le soldat ne répondit pas tout de suite. Il se leva et fixa d’un air las la Maison des Mirdain.
- Cela fait longtemps que je m’y suis résigné, déclara-t-il alors. Tôt ou tard la mort viendra nous prendre tous. Tôt ou tard cette maison tombera et avec elles les derniers grands forgerons de ce monde. Tel est notre Destin. Mais voici ce que je crois : seule la fin est inéluctable. La vie est un grand livre Adenor, et toutes ses pages sont blanches, à l’exception de la première, et de la dernière. Comment cette fin adviendra, nul ne peut l’écrire, pas même Eru. Ou plutôt si ! Eru peut l’écrire, mais il ne sera pas le seul. Nous aussi nous avons à écrire notre propre histoire, nous aussi nous pouvons écrire notre fin.
- Comment ?
- Par nos paroles et nos actes, par tes choix Adenor, dit-il en le pointant du doigt.
- Mais ne pourrait-on pas les prédire ?
- Le peux-tu Adenor ? sourit Kelromiel. Même Eru dans sa grande clairvoyance ne serait pas à l’abri d’une erreur ! Même le Guérisseur et ses prédictions. Aussi rassure-toi, le réconforta-t-il en posant sa main gantée de blanc sur l’épaule de l’elfe sylvain, le Guérisseur a certes le don de soigner le corps et l’esprit, mais le don de voyance jamais !
- Alors pourquoi affirme-t-il ces choses ?
- Parce qu’il connait le passé sur lequel on bâtit l’avenir ; il connait le passé de ceux qu’il côtoie et qu’il soigne, enparlant avec eux ou en pénétrant leur esprit. Il connait ton passé, celui des Mirdain, et même… le mien.
Adenor se souvint : « Il n’est nul besoin de politesse pour rendre la vue aux aveugles ! répliquait l’androgyne froidement. Tu devrais le savoir… toi qui n’as pas hésité à combattre ton propre père autrefois ! »
- Est-ce vrai pour votre père ? L’avez-vous réellement combattu ?
Kelromiel ne répondit pas. La bise glaciale souffla entre eux dans un silence figé. Elle semblait avoir changé le soldat en une inexpressive statue de pierre. L’instant d’après, il s’en était allé.
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#36
Citation :L’instant d’après, il s’en était allé.

L’elfe sylvain demeura seul, accoudé à la balustrade. Il aperçut l’arbre qu’il avait tracé dans la poussière et du bout de son index, il se mit à faire des cercles incessants autour du dessin. Son esprit se perdait au bord d’un rêve qu’il ne comprenait pas…
Tout à coup une effroyable explosion retentit à l’intérieur de la Maison des Mirdain.
- Qu'est-ce que c'était?
Un elfe avait soudain surgit de la nuit. Mais personne ne lui répondit.
Brusquement, la Grande Porte des Mirdain s’ouvrit. Sur le haut du perron apparut, terrible et majestueux, Celebrimbor, Maître de la guilde et Seigneur de la Cité. Il traînait à ses pieds la masse informe et mutilée d’un corps, d’un vieillard en haillons, borgne, manchot, estropié et pourtant toujours vivant. Humain autrefois, monstre aujourd’hui, il avait nom Salmar et la mort l’attendait. Aux côtés du maître se tenait également Progonas, son serviteur, à la tunique légèrement brûlée et au visage recouvert de moitié du sang d’un autre. Il se tenait appuyé sur son épée, exténué, mais au fond de ses yeux, sa volonté infléchie continuait de défier le destin.
Effrayé par cette scène, Kelromiel s’était précipité sur le perron, appelant : « Père ! » Mais lorsqu’il arriva en haut des marches pour le soutenir, Progonas le fixa de son regard dur et fier. Alors le soldat se souvint qu’un mur depuis longtemps le séparait de son père. Il recula.
À son tour Adenor s’écria :
- Mon cousin ! Que signifie cela ?
Or la voix de Celebrimbor le stoppa net :
- Reste où tu es, noble parent du Royaume Sylvestre, et contemple l’ignominie qui grouillait en ma demeure !
Puis saisissant Salmar au col, il déclara :
- Cet homme, ce rejeton de la race de …, a tué deux des nôtres ! Il les a lâchement abattus par traîtrise ; il a souillé de ses crimes le Marteau de Mithril, volé l’anneau maudit d’Annatar ; et il a tenté d’ôter la vie à mon serviteur et à votre maître ! Honte à celui qui aura pitié de son âme !
Alors il lança la dépouille gémissante de Salmar au bas des marches et commanda d’une voix forte :
- Mon épée !
- Son épée ! reprit aussitôt Progonas. Que l’on apporte son épée au seigneur Celebrimbor !
Sur le parvis de la maison, les elfes demeuraient stupéfaits. Certains s’agitèrent n’osant croire à la réalité de tels crimes. D’autres commençaient à tenir des propos haineux envers le traître. Mais au milieu de tous, Adenor se tenait silencieux, sans les entendre.
La souffrance et le mal conjugués gémissaient là, à ses pieds, sous les traits difformes d’un humain. Comment pouvait-il encore vivre ? Le côté gauche de son tronc était ravagé où, parmi la chair fondue et les organes brûlés, jaillissaient ses os brisés. De son bras gauche arraché ne restait qu’un moignon calciné. De l’autre s’écoulait un sang noir vicié. Il avait la mâchoire démise, l’œil crevé, plus de nez ni d’oreille gauche. Et tout son corps était planté de débris de métal, celui-là même que les Mirdain utilisaient pour confectionner leurs explosifs.
Alors Adenor tomba à genoux, ébranlé. On lui avait donné à voir l’indicible horreur d’une guerre mécanique, sans vertu, sans noblesse, sans héros ni victoire. Une guerre faite de machines et de monstres, qui ne laissait derrière elle qu’un épouvantable charnier. Une guerre de cendres et de larmes que nul jamais ne chanterait, ni n’oublierait.
Soudain l’elfe comprit le vide qui avait rongé, dans son rêve, l’arbre de lumière. Et dans son cœur résonna la mise en garde du Guérisseur : « Fuis ! Fuis aussi vite que tu le peux ce pays et laisse-le plonger dans l'oubli. Car la Mort approche et elle te prendra, toi et tes rêves, plus tôt que tu ne le penses. »
Suite et fin du chapitre 2 dans le prochain post! Razz
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