09.10.2022, 20:09
Chapitre 6.3
C’est à ce moment que notre seigneur Morwen m’envoya à Osgiliath, capitale du Gondor. Le but de ce voyage était double : informer le roi des périls que nous affrontions, et solliciter de sa part une aide militaire. J’accueillis avec joie cette nouvelle mission, conscient que Morwen cherchait à m’éloigner des zones de combat. Cette marche longue, simple et sans danger, où mon bâton ne me servait que d’appui me fit momentanément le plus grand bien. Accompagné de deux soldats et d’un secrétaire, nous parvînmes sans encombre à la capitale. Un grand chambellan nous fit bon accueil au nom du roi, mais après deux jours de repos et d’attente la réponse fut conforme à nos craintes. Le roi avait bien reçu notre demande, et il enjoignait toutes les forces du pays à garder espoir et unité. Les rebelles venaient de lancer une phase de raids côtiers qui promettait d’être longue, et partout dans le royaume orques et trolls se réveillaient. Il nous faudrait nous débrouiller avec nos propres forces. Le séjour dans la capitale me permit cependant de faire une rencontre intéressante : un groupe d’Akôèmes, qui comme moi avaient fuit les sorciers de Desdursyton, installés dans la région depuis quelques années. L’un d’eux me fit alors des révélations qui firent ressurgir mon trouble.
« J’ai bien connu ton grand-père. Comme toi il portait le bâton, don du Sage-bleu. Il ne craignait rien, les créatures des ténèbres reculaient devant lui et on le suivait les yeux fermés. Jusqu’au jour où les orques furent trop nombreux. Blessé il perdit son bâton. Alors que rejoint par d’autres membres du clan, dont ton père, qui firent la chasse aux orques partis avec un jeune captif, il se mit à divaguer, errant et marmonnant des 'je l’ai perdu, je l’ai perdu'. Après quelques jours d’une traque couronnée de succès on retrouva ton grand-père mort, après s’être jeté d’une falaise. Ton père avait retrouvé le bâton, abandonné en chemin par les orques. Mais il ne le porta jamais, et ce n’est qu’à contrecœur, sachant que tu partais pour l’ouest qu’il te le confia »
À mon retour à Lond galen, Morwen eut la sagesse de me tenir à nouveau à l’écart des zones de combat. Elle m’envoya sur la côte, dans un village de pêcheurs où pendant deux ans je contribuai à nourrir la population de la cité. Sur un bateau de pêche mon bâton ne m’était d’aucune utilité mais chaque soir je rentrais en tremblant, espérant qu’il n’avait pas disparu et ne m’endormais qu’après l’avoir serré dans ma main. J’étais à la fois spectateur de ce rituel, et prisonnier.
Les patrouilles d’Orodreth étaient redevenues efficaces, mais le danger croissait toujours. Les orques se multipliaient, nous harcelaient chaque jour davantage. Mais le ver n'attaquait pas... Pas encore. Morwen était parvenue à convaincre Turgon et les seigneurs du nord à passer outre leur antipathie pour les Dunnéens, qui s’étaient installés nombreux dans le sud. Cette population neuve fut un grand bienfait, tant pour l’agriculture que pour les combattants. Leur départ du plateau aride de l’Ered ethryn avait cependant laissé le champ libre à d’autres créatures venues du nord grossir les troupes de Durbatul. Un secours inattendu nous vint alors de Pelargir : trois chevaliers, de noble ascendance númenoréenne, images des héros de jadis se présentèrent aux portes de Lond galen. Équipés pour la guerre, accompagnés de leurs écuyers, ils venaient nous délivrer du Sinistre ver Durbatul. Morwen ne put les dissuader d’accomplir une telle folie, mais si noble était leur port, si impressionnant leur armement que toute la ville crut la fin des tourments arrivée. Hélas, quelques jours plus tard un seul revint vivant à la cité. En haillon, de nombreuses brûlures sur les membres, il n’était plus qu’un corps brisé sans esprit dont la bouche ne prononçait plus que ces quelques mots : « je suis Durbatul, je suis votre maître… »
Le moral de la cité tomba alors bien bas et Morwen profita de ce moment pour venir prendre de mes nouvelles. Nous marchions sur la plage, échangeant quelques nouvelles. Que ce soit avec la vieille Lué-nian ou avec d’autres Akôèmes, elle aimait partager avec nous. Notre point de vue d’étrangers, le désir de liberté si jeune qui nous habitait l’aidait à prendre du recul face aux événements qu’elle devait gérer. Je l’écoutais avec peine, tant mon esprit était tourné vers mon bâton. Avec un filet dans les mains et les embruns rafraîchissant mon visage j’avais l’esprit en paix. Mais pas là. Mes pieds s’arrêtèrent sur le sable, Morwen fit de même. J’étais si préoccupé que je n’entendais plus le ressac. Les vagues étaient comme ralenties, le vent s’était tu. Une falaise de rochers tranchants, brisés par quelque main titanesque. Des vagues s’y jetant avec force et au milieu un petit navire blanc, se jouant des remous, s’appuyant sur le vent passe par une arche de pierre jusque-là invisible.
« Edhellond » murmurai-je. Morwen me regardait attentivement et prit à son tour la parole :
« Voix du sage, oreille des humbles. Vous autres Akôèmes m’êtes une bénédiction ! »
Elle apporta à mon étonnement quelques explications :
« Dans ce miroir que vous avez ramené du bosquet aux araignées, vont et viennent de nombreuses images et scènes, toutes de souffrance et de malheur. Alors qu’il semble être une belle chose, œuvre des plus grands orfèvres de Númenor. C’est pourquoi je songeais le montrer à des maîtres du savoir ancien, les elfes d’Edhellond »
Chapitre 6.4
Le vent reprit son chant profond, les vagues fouettèrent de nouveau la grève. Morwen avait autre chose en tête, mais s’interdisait de m’en parler.
La nouvelle fit le tour de la ville : un jeune soldat venait d’être retrouvé pendu dans une grange. Il s’était mordu les bras jusqu’au sang, s’était arraché les cheveux avant de se donner la mort. C’était un de mes plus fervents admirateurs, un jeune soldat qui patrouillait avec nous deux ans auparavant. Ses proches l’avaient entendu plusieurs fois désespérer de ne pouvoir m’égaler alors, et il avait un comportement étrange, comme indifférent aux autres depuis quelque temps. Je saisis alors mon bâton, prêt à en découdre : cela ressemblait tant à des intrigues de sorciers, ceux de Desdursyton, ceux d’Umbar. Fé-dan se mettait de nouveau en route, tous rassemblés derrière son bâton ! Et je revis Hirluin chuter, mon grand-père rongé de désespoir, j’entendis Orodreth s’écrier « Nous sommes encore repérés ! ». Je voulais simplement être libre. Je passai la nuit assis, les mains crispées sur mon bâton. Au lever du jour je me présentai à Morwen : « je souhaite aller à Edhellond. J’ai moi aussi un objet à montrer »
C’est ainsi que nous nous retrouvâmes réunis, Orodreth, Lothíriel, Vorondil, Mardil et moi-même, longeant la côte, à la recherche de la très discrète cité elfique d’Edhellond. Nous y étions attendus, car au moment même où nous apercevions l’embouchure de la Morthond, une voix résonna dans l’esprit de chacun d’entre nous. La Dame était inquiète et souhaitait nous apporter son aide. Elle ajouta pour moi ces quelques mots :
« Grande est la puissance de cet objet entre vos mains, si forte est sa personnalité que ce n’est plus lui l’outil, mais vous qui êtes à son service. Grande est la mission qui lui a été confiée par son maître, combien noble cette lutte contre les sorciers de l’orient. Mais grande est votre crainte de devenir alors un esclave, pensant libérer son peuple »
La Dame des elfes avait entendu les échos de la lutte entre la puissance de mon bâton et les forces ténébreuses qui s’éveillaient depuis quelque temps dans la région. La haine qui poussait les rebelles d’Umbar, la terreur qui répondait au nom de Durbatul avançaient, lentement mais sûrement. Et ce bâton, autant qu'il pouvait en contrer ses serviteurs, excitait et attirait les Ténèbres autour de lui. Le miroir quant à lui avait été perverti, souillé volontairement dans le but de briser et désespérer les âmes de tous ceux qui finiraient par y trop plonger leur regard.
Les vierges et les mères versèrent des larmes, les orfèvres composèrent et gravèrent bénédictions et complaintes propres à contrer le fiel de Durbatul ; et le miroir fut purifié.
« Débarrassé de l’emprise de Durbatul il vous renverra un reflet de vous-même, sans mensonge, un écho de votre présence, tel le sillage d’un navire qui reflète en tous sens la lumière de la soleil, tel votre passage dans la musique qui baigne ce monde »
Puis me conduisant devant une large cheminée où crépitait un feu joyeux, dans une salle emplie de chants parfois joyeux, parfois durs, mais toujours mêlés d’une forme de mélancolie, la Dame me parla de mon bâton.
« Taillé dans une simple branche, prise à un arbre du lointain orient, cet objet est l’œuvre d’un sage de la terre bénie de Valinor, qui cru bon de se servir de vous pour accomplir sa propre mission. Au lieu d'éveiller en vous les moyens de lutter pour votre liberté»
Tout compte fait je n’avais entre les mains qu’un bout de bois, orné de gravures et j’étais fatigué de ces sorciers, ces Puissances, Valinor ou Morgoth, Silmarils ou nuit originelle, légendes que Vorondil tentait vainement de m’inculquer.
Je brisai d’un coup sec le bâton sur mon genou et le jetai au feu. Il brûla doucement, d’une flamme vive et claire. J’étais libre.
Avant de repartir pour Lond galen, la Dame nous invita à regarder alors dans le miroir. Vorondil reconnu un réseau de grottes et de galeries de mines anciennes, grouillantes d’orques et abritant une forme sombre, plus noire que les ténèbres environnantes. Puis une vision de Hirluin titubant dans ces ténèbres, une autre de Golasgil fuyant ces grottes terrorisé. Mardil, quant à lui reconnu les eaux lumineuses de la baie d’Umbar, qui se couvraient d’une ombre sale, projetée par une colonne de fumée âcre. Enfin ce fut un îlot, semblable à ceux qu’on aperçoit au large de Lond galen. Un escalier, des jeunes gens s’agitant dans des tombeaux souterrains, et accompagnant la vision un souffle glacial qui nous fit frémir. Des âmes en peine, esprits torturés de seigneurs de jadis, spectres lugubres assaillant ces jeunes gens, et eux qui se livraient au désespoir, sacrifiant des animaux sur un autel, et un bébé, lié de bandelettes et levé à bout de bras, encerclé par trois poignards déjà maculés de sang.
La vision avait cessé, une sueur froide coulait le long de mon dos. Mes compagnons étaient tous blêmes. La Dame prit la parole :
« Une ombre s’est glissé jusqu’au cœur de votre cité, derrière vos patrouilles et vos fortifications. Il vous faudrait être revêtus du voile de Lúthien pour la surprendre. Recevez cependant ces capes, couleur de nuit, de cette nuit qui fut pour les premiers nés baignée d’étoiles. »
Puis elle ajouta, alors qu’un jeune elfe s’avançait :
« Radladen vous accompagnera. Les elfes ne craignent pas les morts et il sera pour vous un soutien dans les ténèbres »
Enfin elle offrit à chacun de nous un cadeau. À Mardil une flûte « dont le son rappelle le chant de Mélian, quand elle faisait de son anneau un havre de paix ». Pour moi elle me tendit un nouveau bâton « prenez ce bâton de marche, il a été taillé dans une branche de mallorne, et n’a d’autre pouvoir que de donner un appui à celui qui marche. Qu’un jour il vous accompagne pour ramener vos frères de l’esclavage à la liberté »
Nous quittâmes Edhellond et j’entendis une dernière fois la Dame s’adresser à mon esprit :
« Soyez à l’écoute de désir de liberté qui vous a conduit de l’orient jusqu’à ici ; il est bien plus intime à vous-même que tout objet de puissance entre vos mains »
C’est à ce moment que notre seigneur Morwen m’envoya à Osgiliath, capitale du Gondor. Le but de ce voyage était double : informer le roi des périls que nous affrontions, et solliciter de sa part une aide militaire. J’accueillis avec joie cette nouvelle mission, conscient que Morwen cherchait à m’éloigner des zones de combat. Cette marche longue, simple et sans danger, où mon bâton ne me servait que d’appui me fit momentanément le plus grand bien. Accompagné de deux soldats et d’un secrétaire, nous parvînmes sans encombre à la capitale. Un grand chambellan nous fit bon accueil au nom du roi, mais après deux jours de repos et d’attente la réponse fut conforme à nos craintes. Le roi avait bien reçu notre demande, et il enjoignait toutes les forces du pays à garder espoir et unité. Les rebelles venaient de lancer une phase de raids côtiers qui promettait d’être longue, et partout dans le royaume orques et trolls se réveillaient. Il nous faudrait nous débrouiller avec nos propres forces. Le séjour dans la capitale me permit cependant de faire une rencontre intéressante : un groupe d’Akôèmes, qui comme moi avaient fuit les sorciers de Desdursyton, installés dans la région depuis quelques années. L’un d’eux me fit alors des révélations qui firent ressurgir mon trouble.
« J’ai bien connu ton grand-père. Comme toi il portait le bâton, don du Sage-bleu. Il ne craignait rien, les créatures des ténèbres reculaient devant lui et on le suivait les yeux fermés. Jusqu’au jour où les orques furent trop nombreux. Blessé il perdit son bâton. Alors que rejoint par d’autres membres du clan, dont ton père, qui firent la chasse aux orques partis avec un jeune captif, il se mit à divaguer, errant et marmonnant des 'je l’ai perdu, je l’ai perdu'. Après quelques jours d’une traque couronnée de succès on retrouva ton grand-père mort, après s’être jeté d’une falaise. Ton père avait retrouvé le bâton, abandonné en chemin par les orques. Mais il ne le porta jamais, et ce n’est qu’à contrecœur, sachant que tu partais pour l’ouest qu’il te le confia »
À mon retour à Lond galen, Morwen eut la sagesse de me tenir à nouveau à l’écart des zones de combat. Elle m’envoya sur la côte, dans un village de pêcheurs où pendant deux ans je contribuai à nourrir la population de la cité. Sur un bateau de pêche mon bâton ne m’était d’aucune utilité mais chaque soir je rentrais en tremblant, espérant qu’il n’avait pas disparu et ne m’endormais qu’après l’avoir serré dans ma main. J’étais à la fois spectateur de ce rituel, et prisonnier.
Les patrouilles d’Orodreth étaient redevenues efficaces, mais le danger croissait toujours. Les orques se multipliaient, nous harcelaient chaque jour davantage. Mais le ver n'attaquait pas... Pas encore. Morwen était parvenue à convaincre Turgon et les seigneurs du nord à passer outre leur antipathie pour les Dunnéens, qui s’étaient installés nombreux dans le sud. Cette population neuve fut un grand bienfait, tant pour l’agriculture que pour les combattants. Leur départ du plateau aride de l’Ered ethryn avait cependant laissé le champ libre à d’autres créatures venues du nord grossir les troupes de Durbatul. Un secours inattendu nous vint alors de Pelargir : trois chevaliers, de noble ascendance númenoréenne, images des héros de jadis se présentèrent aux portes de Lond galen. Équipés pour la guerre, accompagnés de leurs écuyers, ils venaient nous délivrer du Sinistre ver Durbatul. Morwen ne put les dissuader d’accomplir une telle folie, mais si noble était leur port, si impressionnant leur armement que toute la ville crut la fin des tourments arrivée. Hélas, quelques jours plus tard un seul revint vivant à la cité. En haillon, de nombreuses brûlures sur les membres, il n’était plus qu’un corps brisé sans esprit dont la bouche ne prononçait plus que ces quelques mots : « je suis Durbatul, je suis votre maître… »
Le moral de la cité tomba alors bien bas et Morwen profita de ce moment pour venir prendre de mes nouvelles. Nous marchions sur la plage, échangeant quelques nouvelles. Que ce soit avec la vieille Lué-nian ou avec d’autres Akôèmes, elle aimait partager avec nous. Notre point de vue d’étrangers, le désir de liberté si jeune qui nous habitait l’aidait à prendre du recul face aux événements qu’elle devait gérer. Je l’écoutais avec peine, tant mon esprit était tourné vers mon bâton. Avec un filet dans les mains et les embruns rafraîchissant mon visage j’avais l’esprit en paix. Mais pas là. Mes pieds s’arrêtèrent sur le sable, Morwen fit de même. J’étais si préoccupé que je n’entendais plus le ressac. Les vagues étaient comme ralenties, le vent s’était tu. Une falaise de rochers tranchants, brisés par quelque main titanesque. Des vagues s’y jetant avec force et au milieu un petit navire blanc, se jouant des remous, s’appuyant sur le vent passe par une arche de pierre jusque-là invisible.
« Edhellond » murmurai-je. Morwen me regardait attentivement et prit à son tour la parole :
« Voix du sage, oreille des humbles. Vous autres Akôèmes m’êtes une bénédiction ! »
Elle apporta à mon étonnement quelques explications :
« Dans ce miroir que vous avez ramené du bosquet aux araignées, vont et viennent de nombreuses images et scènes, toutes de souffrance et de malheur. Alors qu’il semble être une belle chose, œuvre des plus grands orfèvres de Númenor. C’est pourquoi je songeais le montrer à des maîtres du savoir ancien, les elfes d’Edhellond »
Chapitre 6.4
Le vent reprit son chant profond, les vagues fouettèrent de nouveau la grève. Morwen avait autre chose en tête, mais s’interdisait de m’en parler.
La nouvelle fit le tour de la ville : un jeune soldat venait d’être retrouvé pendu dans une grange. Il s’était mordu les bras jusqu’au sang, s’était arraché les cheveux avant de se donner la mort. C’était un de mes plus fervents admirateurs, un jeune soldat qui patrouillait avec nous deux ans auparavant. Ses proches l’avaient entendu plusieurs fois désespérer de ne pouvoir m’égaler alors, et il avait un comportement étrange, comme indifférent aux autres depuis quelque temps. Je saisis alors mon bâton, prêt à en découdre : cela ressemblait tant à des intrigues de sorciers, ceux de Desdursyton, ceux d’Umbar. Fé-dan se mettait de nouveau en route, tous rassemblés derrière son bâton ! Et je revis Hirluin chuter, mon grand-père rongé de désespoir, j’entendis Orodreth s’écrier « Nous sommes encore repérés ! ». Je voulais simplement être libre. Je passai la nuit assis, les mains crispées sur mon bâton. Au lever du jour je me présentai à Morwen : « je souhaite aller à Edhellond. J’ai moi aussi un objet à montrer »
C’est ainsi que nous nous retrouvâmes réunis, Orodreth, Lothíriel, Vorondil, Mardil et moi-même, longeant la côte, à la recherche de la très discrète cité elfique d’Edhellond. Nous y étions attendus, car au moment même où nous apercevions l’embouchure de la Morthond, une voix résonna dans l’esprit de chacun d’entre nous. La Dame était inquiète et souhaitait nous apporter son aide. Elle ajouta pour moi ces quelques mots :
« Grande est la puissance de cet objet entre vos mains, si forte est sa personnalité que ce n’est plus lui l’outil, mais vous qui êtes à son service. Grande est la mission qui lui a été confiée par son maître, combien noble cette lutte contre les sorciers de l’orient. Mais grande est votre crainte de devenir alors un esclave, pensant libérer son peuple »
La Dame des elfes avait entendu les échos de la lutte entre la puissance de mon bâton et les forces ténébreuses qui s’éveillaient depuis quelque temps dans la région. La haine qui poussait les rebelles d’Umbar, la terreur qui répondait au nom de Durbatul avançaient, lentement mais sûrement. Et ce bâton, autant qu'il pouvait en contrer ses serviteurs, excitait et attirait les Ténèbres autour de lui. Le miroir quant à lui avait été perverti, souillé volontairement dans le but de briser et désespérer les âmes de tous ceux qui finiraient par y trop plonger leur regard.
Les vierges et les mères versèrent des larmes, les orfèvres composèrent et gravèrent bénédictions et complaintes propres à contrer le fiel de Durbatul ; et le miroir fut purifié.
« Débarrassé de l’emprise de Durbatul il vous renverra un reflet de vous-même, sans mensonge, un écho de votre présence, tel le sillage d’un navire qui reflète en tous sens la lumière de la soleil, tel votre passage dans la musique qui baigne ce monde »
Puis me conduisant devant une large cheminée où crépitait un feu joyeux, dans une salle emplie de chants parfois joyeux, parfois durs, mais toujours mêlés d’une forme de mélancolie, la Dame me parla de mon bâton.
« Taillé dans une simple branche, prise à un arbre du lointain orient, cet objet est l’œuvre d’un sage de la terre bénie de Valinor, qui cru bon de se servir de vous pour accomplir sa propre mission. Au lieu d'éveiller en vous les moyens de lutter pour votre liberté»
Tout compte fait je n’avais entre les mains qu’un bout de bois, orné de gravures et j’étais fatigué de ces sorciers, ces Puissances, Valinor ou Morgoth, Silmarils ou nuit originelle, légendes que Vorondil tentait vainement de m’inculquer.
Je brisai d’un coup sec le bâton sur mon genou et le jetai au feu. Il brûla doucement, d’une flamme vive et claire. J’étais libre.
Avant de repartir pour Lond galen, la Dame nous invita à regarder alors dans le miroir. Vorondil reconnu un réseau de grottes et de galeries de mines anciennes, grouillantes d’orques et abritant une forme sombre, plus noire que les ténèbres environnantes. Puis une vision de Hirluin titubant dans ces ténèbres, une autre de Golasgil fuyant ces grottes terrorisé. Mardil, quant à lui reconnu les eaux lumineuses de la baie d’Umbar, qui se couvraient d’une ombre sale, projetée par une colonne de fumée âcre. Enfin ce fut un îlot, semblable à ceux qu’on aperçoit au large de Lond galen. Un escalier, des jeunes gens s’agitant dans des tombeaux souterrains, et accompagnant la vision un souffle glacial qui nous fit frémir. Des âmes en peine, esprits torturés de seigneurs de jadis, spectres lugubres assaillant ces jeunes gens, et eux qui se livraient au désespoir, sacrifiant des animaux sur un autel, et un bébé, lié de bandelettes et levé à bout de bras, encerclé par trois poignards déjà maculés de sang.
La vision avait cessé, une sueur froide coulait le long de mon dos. Mes compagnons étaient tous blêmes. La Dame prit la parole :
« Une ombre s’est glissé jusqu’au cœur de votre cité, derrière vos patrouilles et vos fortifications. Il vous faudrait être revêtus du voile de Lúthien pour la surprendre. Recevez cependant ces capes, couleur de nuit, de cette nuit qui fut pour les premiers nés baignée d’étoiles. »
Puis elle ajouta, alors qu’un jeune elfe s’avançait :
« Radladen vous accompagnera. Les elfes ne craignent pas les morts et il sera pour vous un soutien dans les ténèbres »
Enfin elle offrit à chacun de nous un cadeau. À Mardil une flûte « dont le son rappelle le chant de Mélian, quand elle faisait de son anneau un havre de paix ». Pour moi elle me tendit un nouveau bâton « prenez ce bâton de marche, il a été taillé dans une branche de mallorne, et n’a d’autre pouvoir que de donner un appui à celui qui marche. Qu’un jour il vous accompagne pour ramener vos frères de l’esclavage à la liberté »
Nous quittâmes Edhellond et j’entendis une dernière fois la Dame s’adresser à mon esprit :
« Soyez à l’écoute de désir de liberté qui vous a conduit de l’orient jusqu’à ici ; il est bien plus intime à vous-même que tout objet de puissance entre vos mains »
La lumière n'indique pas le bout du tunnel, c'est la lanterne de celui qui comme toi, cherche à sortir.