01.09.2022, 13:56
(Modification du message : 01.09.2022, 16:40 par Hofnarr Felder.)
Concernant les questions de représentation, j’ai finalement trouvé quelque chose à dire.
Je pense qu’il faut distinguer ici trois questions, ou plutôt trois niveaux, que je suis tenté d’appeler : le niveau conceptuel, le niveau sémiotique, le niveau pragmatique.
Le niveau conceptuel consiste à considérer si, oui ou non, les Elfes et les Nains de la Terre du Milieu, chez Tolkien, présentent une diversité comparable à celle d’une société métropolitaine américaine contemporaine (car c’est de cette diversité dont il s’agit, pas de la diversité en général). On peut toujours arguer que le contraire n’est pas explicitement dit, mais que je sache, cela permettrait de légitimer la présence d’à peu près n’importe quoi en Terre du Milieu.
Le niveau sémiotique est plus intéressant ; car l’acteur n’est pas un personnage, il est le signe de ce personnage. Ce décalage permet, par exemple, d’accepter que différents acteurs jouent un même personnage (par exemple, Spock dans les différentes séries Star Trek), ou qu’un acteur ne présente pas nécessairement les caractéristiques que l’on associerait au personnage. L’important ici, c’est de déterminer quelles sont les caractéristiques qui paraissent pertinentes pour camper le personnage. Si effectivement la couleur de peau n’a pas d’importance, alors qu’un acteur noir interprète un Nain ou un Elfe ne pose, a priori, aucune sorte de problème. Ce n’est effectivement pas la même chose de dire « il y a des Nains noirs en Terre du Milieu » que de dire « il n’y a aucun obstacle à ce qu’un acteur noir interprète un Nain de la Terre du Milieu ». Bien sûr, on peut en débattre, surtout dans un contexte plus fermement historique : Omar Sy pourrait-il jouer Louis XIV ? On s’est accommodé de Christian Bale dans le rôle Moïse encore tout récemment ; je pense aussi à Tinda Swilton qui prête ses traits à l’archange Gabriel dans Constantine, à mon avis un choix de casting réussi. Personne n'a ne serait-ce que haussé le sourcil en voyant un acteur d'ascendance irlandaise endosser le costume d'un roi grec dans 300. Mais là encore, cela revient à poser la question de l'importance de la carnation dans l’inventaire des caractéristiques physiques ; car, de fait, et je le répète, on s’est accommodé de toutes sortes d’entorses avec une cohérence historique stricte (qui supposerait par ailleurs de pouvoir comparer le lignage génétique des acteurs avec celui des personnages historiques, ce qui est non seulement impossible, mais pose certainement son lot de problèmes éthiques).
Le niveau pragmatique enfin ; il faut voir ce que l’on cherche à faire d’une œuvre, quel message on cherche à véhiculer. La série Amazon s’adresse, avant tout, à un public américain. Or la société américaine est divisée, elle souffre de cicatrices graves et vivaces, de fractures toujours systémiques (je me suis retrouvé une ou deux fois dans les ghettos noirs quand je vivais à Atlanta, et ça m’a fait comprendre quelques réalités). On sait que cette série est vouée à rencontrer un certain succès – par les lettres de noblesse qu’elle produit en invoquant le nom de Tolkien, par son budget, etc. En tant que producteurs, souhaite-ton que cette série laisse pour compte, dans sa représentation, une frange de la société qui souffre déjà d’être mise à la marge ? Du point de vue pragmatique, du point de vue de l’effet et de l’impact sur la société qu’on espère donner à son œuvre, surtout à une œuvre dont la large diffusion est assurée d’avance, il fait sens de chercher à envoyer un message positif, à montrer l’unité de la nation derrière certaines différences physiques choisies. Ce choix est sans doute en porte-à-faux avec le niveau conceptuel ; on peut débattre de sa pertinence sur le plan sémiotique ; mais sur le plan pragmatique, il me paraît se défendre assez bien.
Je pense qu’il faut distinguer ici trois questions, ou plutôt trois niveaux, que je suis tenté d’appeler : le niveau conceptuel, le niveau sémiotique, le niveau pragmatique.
Le niveau conceptuel consiste à considérer si, oui ou non, les Elfes et les Nains de la Terre du Milieu, chez Tolkien, présentent une diversité comparable à celle d’une société métropolitaine américaine contemporaine (car c’est de cette diversité dont il s’agit, pas de la diversité en général). On peut toujours arguer que le contraire n’est pas explicitement dit, mais que je sache, cela permettrait de légitimer la présence d’à peu près n’importe quoi en Terre du Milieu.
Le niveau sémiotique est plus intéressant ; car l’acteur n’est pas un personnage, il est le signe de ce personnage. Ce décalage permet, par exemple, d’accepter que différents acteurs jouent un même personnage (par exemple, Spock dans les différentes séries Star Trek), ou qu’un acteur ne présente pas nécessairement les caractéristiques que l’on associerait au personnage. L’important ici, c’est de déterminer quelles sont les caractéristiques qui paraissent pertinentes pour camper le personnage. Si effectivement la couleur de peau n’a pas d’importance, alors qu’un acteur noir interprète un Nain ou un Elfe ne pose, a priori, aucune sorte de problème. Ce n’est effectivement pas la même chose de dire « il y a des Nains noirs en Terre du Milieu » que de dire « il n’y a aucun obstacle à ce qu’un acteur noir interprète un Nain de la Terre du Milieu ». Bien sûr, on peut en débattre, surtout dans un contexte plus fermement historique : Omar Sy pourrait-il jouer Louis XIV ? On s’est accommodé de Christian Bale dans le rôle Moïse encore tout récemment ; je pense aussi à Tinda Swilton qui prête ses traits à l’archange Gabriel dans Constantine, à mon avis un choix de casting réussi. Personne n'a ne serait-ce que haussé le sourcil en voyant un acteur d'ascendance irlandaise endosser le costume d'un roi grec dans 300. Mais là encore, cela revient à poser la question de l'importance de la carnation dans l’inventaire des caractéristiques physiques ; car, de fait, et je le répète, on s’est accommodé de toutes sortes d’entorses avec une cohérence historique stricte (qui supposerait par ailleurs de pouvoir comparer le lignage génétique des acteurs avec celui des personnages historiques, ce qui est non seulement impossible, mais pose certainement son lot de problèmes éthiques).
Le niveau pragmatique enfin ; il faut voir ce que l’on cherche à faire d’une œuvre, quel message on cherche à véhiculer. La série Amazon s’adresse, avant tout, à un public américain. Or la société américaine est divisée, elle souffre de cicatrices graves et vivaces, de fractures toujours systémiques (je me suis retrouvé une ou deux fois dans les ghettos noirs quand je vivais à Atlanta, et ça m’a fait comprendre quelques réalités). On sait que cette série est vouée à rencontrer un certain succès – par les lettres de noblesse qu’elle produit en invoquant le nom de Tolkien, par son budget, etc. En tant que producteurs, souhaite-ton que cette série laisse pour compte, dans sa représentation, une frange de la société qui souffre déjà d’être mise à la marge ? Du point de vue pragmatique, du point de vue de l’effet et de l’impact sur la société qu’on espère donner à son œuvre, surtout à une œuvre dont la large diffusion est assurée d’avance, il fait sens de chercher à envoyer un message positif, à montrer l’unité de la nation derrière certaines différences physiques choisies. Ce choix est sans doute en porte-à-faux avec le niveau conceptuel ; on peut débattre de sa pertinence sur le plan sémiotique ; mais sur le plan pragmatique, il me paraît se défendre assez bien.