23.08.2022, 18:42
Chapitre 1.2
À l’entrée de la cité les gardes nous dévisageaient avec étonnement : nos yeux légèrement pincés, nos cheveux noirs et notre peau mate leur faisait penser que nous étions des Orientaux, avec lesquels ils n’avaient pas de bonnes relations mais notre accent, notre démarche leur disait quelque chose. Cependant après avoir posé notre question pour la dernière fois : « Je cherche Hirluin, d’Anfalas » l’étonnement quitta leur visage. Ils s’assombrirent, échangèrent quelques mots à voix basse et l’un d’eux partit.
« Mon nom Fé-dan, moi ami Puè-lan Hérion » dis-je avec application en Ouistrain, cette langue que partageaient les hommes de l’ouest.
« Alors vous êtes du peuple de Hué-teng, du lointain pays de Kôème ! » s’exclama un des gardes. Mais son regard s’assombrit à nouveau.
« Nous savoir, malheur, guerre-frères, mais roi Eldacar revenir » de nous tous, c’était Sia-nian la plus douée pour cette langue.
« Comme si ça ne suffisait pas, un autre malheur est arrivé » répondit l’autre garde.
Sur ces entrefaites le troisième garde revint, accompagné d’un homme de grande de taille, mince, avec un regard sévère et de grands yeux gris où se lisait comme une certaine tristesse. Nos cœurs se réjouirent quand il prononça la salutation traditionnelle de notre peuple. Lui aussi avait un fort accent !
Il nous posa quelques questions, afin de s’assurer de notre bonne foi puis nous fit conduire dans une grande demeure de pierre au centre de la cité. Là on nous proposa un peu de pain et de l’eau fraîche :
« Prenez là un peu de repos, quelqu’un va s’occuper de vous » nous dit-il en prenant congé.
Les gardes, en nous accompagnant, avaient entamé le dialogue : leurs gestes semblaient désigner là un bâtiment, là une direction mais même Sia-nian n’avait compris que quelques mots. Nous répondions poliment par des 'mmh' des 'ah' et des hochements de tête. Lond galen n’avait pas souffert d’un siège violent comme Pelargir, et ses habitants vaquaient à leurs occupations, certains avec empressement, d’autres posément. Nous, peuple Kôème, étions des semi-nomades, alternant pêche et cueillette autour de la baie de Lurdâne, entre mer de Fostisyr et monts de Lotan. Nos huttes légères retournaient à l’humus de saison en saison. Par leur solidité, ces demeures de pierre, ces fortifications ressemblaient à celles des cités des sorciers de notre région, mais il y avait ici un sentiment de paix, la finesse des formes était belle à voir. Rien que le temps de passer de la porte au cœur de la cité nous avions entendu des éclats de rires, vu des enfants courir, et même remarqué des femmes cheveux au vent ! Quant aux soldats qui nous accompagnaient, leur équipement militaire contrastait avec leur regard bienveillant : rien à voir avec cette lueur de haine des combattants sorciers.
Nous attendions donc depuis moins d’une main de soleil quand une des portes s’ouvrit vivement pour laisser entrer une vieille femme qui s’exclama dans notre langue :
« Ils sont arrivés, quel bonheur de vous voir, nous attendions depuis si longtemps ! »
Elle serra dans ses bras chacun de nous, cherchant à un détail dans le regard, dans la tenue, à deviner de quel clan nous faisions partie.
Quelle fierté pour nous d’être accueilli par Luè-nian, femme de Huè-teng, premiers des Akôèmes à avoir atteint la terre de l’ouest !
Quatre-vingts années s’étaient écoulées depuis ce jour, cinquante après le retour de Puè-lan Hérion, si peu d’entre nous étaient partis et combien avaient péri en route ?
Cependant que Lué-nian parlait, allant de l’un à l’autre, une seconde femme entra, tout en restant en retrait. Quoique un peu moins mince, elle était semblable à celle qui nous avait accueilli, avec un regard empli de tristesse. Après avoir soigneusement établi la généalogie, la position sociale de chacun d’entre nous, s’être enquis des changements divers intervenus depuis son départ, elle s’interrompit brusquement, se tourna vers la dame qui restait là à nous observer.
« Comme je suis impolie, je ne vous ai pas encore présenté Ivriniel. Asseyons-nous tous, je vais essayer de traduire notre conversation. »
La tristesse d’Ivriniel avait, au spectacle de nos joyeuses effusions, laissé place à un large sourire, que soutenait une profonde détermination, quelque chose d’une dureté et d’une énergie qui évoquait une statue de pierre. Pas ces sculptures hideuses que font les sorciers, mais plutôt ces personnages dressés sur des stèles ou décorant les bâtiments que nous avions vu tout le long de notre traversée du Gondor.
« Gens de Kôème, c’est un honneur et une joie pour moi de vous accueillir ici. C’est au nom de Morwen, seigneur de Lond galen que je vous souhaite la bienvenue »
Elle nous expliqua que dans un premier temps Lué-nian nous guiderait le temps de découvrir la cité, et d’en être présentés aux habitants. Mais que dès que possible elle se mettrait en retrait et nous serions séparés afin d’acquérir au plus vite les bases de ce qui devait devenir notre seconde langue.
C’est Mé-tan qui osa le premier poser cette question délicate :
« Et Hirluin, pouvons-nous le voir ? »
Lué-nian baissa les yeux, et Ivriniel soupira avant de répondre :
« Comme vous l’avez déjà appris, le Gondor sort de dix années de douleur dont je ne souhaite pas parler maintenant. Eldacar notre roi a retrouvé son trône et sa charge ; le pays aspire à la reconstruction, dans l’unité. Cependant Hirluin, qui était mon époux, montrait depuis quelque temps des signes inquiétants. Il était anormalement anxieux, préoccupé, comme si son esprit était ailleurs. C’est à cette époque qu’ Eldacar commença son retour. Y a-t-il un lien ? Je ne le sais. Toujours est-il que Golasgil notre seigneur, l’époux de Morwen, changea lui aussi de comportement. Hirluin me fit alors une sorte de testament incompréhensible et parti brusquement. Commença alors le siège de Pélargir et c’est à ce moment que Golasgil disparu avec son jeune fils Bergil. Le bruit cours qu’ils ont étés tués par un certain Kaluidh. De retour d’une pêche au poulpe c’est le corps déchiqueté de mon époux qu’un pêcheur de Reuvon me ramena. Comment est-il tombé de cette falaise ? Je n’ai pas de réponse. La charge de seigneur de Lond galen avait été abandonnée au moment de la débâcle de Pélargir ; Golasgil mort, c’est ma belle-sœur Morwen qui s’est retrouvée de droit en charge de la seigneurie »
Nous échangeâmes encore quelque temps, puis Ivriniel nous laissa aux bons soins de Lué-nian avec qui nous évoquâmes les destinées du Gondor, des Akôèmes, ceux qui avaient déjà fait le voyage, et ceux qui partiraient un jour.
Dans les jours qui suivirent Lué-nian nous fit découvrir la cité et ses environs, nous entrepris sur les coutumes et nous fit connaître de ses habitants. Rapidement nous devînmes pour tous les Lheinakôème.
Mais trop vite je me retrouvais seul en compagnie d’un gondorien qui ne parlait pas un mot de ma langue. Orodreth est le fils de Golasgil et Morwen, une de ses missions est de veiller à la sécurité autour des mines situées au nord. Un dernier sourire d’encouragement de notre vieille traductrice et me voilà parti pour Verlamin.
À l’entrée de la cité les gardes nous dévisageaient avec étonnement : nos yeux légèrement pincés, nos cheveux noirs et notre peau mate leur faisait penser que nous étions des Orientaux, avec lesquels ils n’avaient pas de bonnes relations mais notre accent, notre démarche leur disait quelque chose. Cependant après avoir posé notre question pour la dernière fois : « Je cherche Hirluin, d’Anfalas » l’étonnement quitta leur visage. Ils s’assombrirent, échangèrent quelques mots à voix basse et l’un d’eux partit.
« Mon nom Fé-dan, moi ami Puè-lan Hérion » dis-je avec application en Ouistrain, cette langue que partageaient les hommes de l’ouest.
« Alors vous êtes du peuple de Hué-teng, du lointain pays de Kôème ! » s’exclama un des gardes. Mais son regard s’assombrit à nouveau.
« Nous savoir, malheur, guerre-frères, mais roi Eldacar revenir » de nous tous, c’était Sia-nian la plus douée pour cette langue.
« Comme si ça ne suffisait pas, un autre malheur est arrivé » répondit l’autre garde.
Sur ces entrefaites le troisième garde revint, accompagné d’un homme de grande de taille, mince, avec un regard sévère et de grands yeux gris où se lisait comme une certaine tristesse. Nos cœurs se réjouirent quand il prononça la salutation traditionnelle de notre peuple. Lui aussi avait un fort accent !
Il nous posa quelques questions, afin de s’assurer de notre bonne foi puis nous fit conduire dans une grande demeure de pierre au centre de la cité. Là on nous proposa un peu de pain et de l’eau fraîche :
« Prenez là un peu de repos, quelqu’un va s’occuper de vous » nous dit-il en prenant congé.
Les gardes, en nous accompagnant, avaient entamé le dialogue : leurs gestes semblaient désigner là un bâtiment, là une direction mais même Sia-nian n’avait compris que quelques mots. Nous répondions poliment par des 'mmh' des 'ah' et des hochements de tête. Lond galen n’avait pas souffert d’un siège violent comme Pelargir, et ses habitants vaquaient à leurs occupations, certains avec empressement, d’autres posément. Nous, peuple Kôème, étions des semi-nomades, alternant pêche et cueillette autour de la baie de Lurdâne, entre mer de Fostisyr et monts de Lotan. Nos huttes légères retournaient à l’humus de saison en saison. Par leur solidité, ces demeures de pierre, ces fortifications ressemblaient à celles des cités des sorciers de notre région, mais il y avait ici un sentiment de paix, la finesse des formes était belle à voir. Rien que le temps de passer de la porte au cœur de la cité nous avions entendu des éclats de rires, vu des enfants courir, et même remarqué des femmes cheveux au vent ! Quant aux soldats qui nous accompagnaient, leur équipement militaire contrastait avec leur regard bienveillant : rien à voir avec cette lueur de haine des combattants sorciers.
Nous attendions donc depuis moins d’une main de soleil quand une des portes s’ouvrit vivement pour laisser entrer une vieille femme qui s’exclama dans notre langue :
« Ils sont arrivés, quel bonheur de vous voir, nous attendions depuis si longtemps ! »
Elle serra dans ses bras chacun de nous, cherchant à un détail dans le regard, dans la tenue, à deviner de quel clan nous faisions partie.
Quelle fierté pour nous d’être accueilli par Luè-nian, femme de Huè-teng, premiers des Akôèmes à avoir atteint la terre de l’ouest !
Quatre-vingts années s’étaient écoulées depuis ce jour, cinquante après le retour de Puè-lan Hérion, si peu d’entre nous étaient partis et combien avaient péri en route ?
Cependant que Lué-nian parlait, allant de l’un à l’autre, une seconde femme entra, tout en restant en retrait. Quoique un peu moins mince, elle était semblable à celle qui nous avait accueilli, avec un regard empli de tristesse. Après avoir soigneusement établi la généalogie, la position sociale de chacun d’entre nous, s’être enquis des changements divers intervenus depuis son départ, elle s’interrompit brusquement, se tourna vers la dame qui restait là à nous observer.
« Comme je suis impolie, je ne vous ai pas encore présenté Ivriniel. Asseyons-nous tous, je vais essayer de traduire notre conversation. »
La tristesse d’Ivriniel avait, au spectacle de nos joyeuses effusions, laissé place à un large sourire, que soutenait une profonde détermination, quelque chose d’une dureté et d’une énergie qui évoquait une statue de pierre. Pas ces sculptures hideuses que font les sorciers, mais plutôt ces personnages dressés sur des stèles ou décorant les bâtiments que nous avions vu tout le long de notre traversée du Gondor.
« Gens de Kôème, c’est un honneur et une joie pour moi de vous accueillir ici. C’est au nom de Morwen, seigneur de Lond galen que je vous souhaite la bienvenue »
Elle nous expliqua que dans un premier temps Lué-nian nous guiderait le temps de découvrir la cité, et d’en être présentés aux habitants. Mais que dès que possible elle se mettrait en retrait et nous serions séparés afin d’acquérir au plus vite les bases de ce qui devait devenir notre seconde langue.
C’est Mé-tan qui osa le premier poser cette question délicate :
« Et Hirluin, pouvons-nous le voir ? »
Lué-nian baissa les yeux, et Ivriniel soupira avant de répondre :
« Comme vous l’avez déjà appris, le Gondor sort de dix années de douleur dont je ne souhaite pas parler maintenant. Eldacar notre roi a retrouvé son trône et sa charge ; le pays aspire à la reconstruction, dans l’unité. Cependant Hirluin, qui était mon époux, montrait depuis quelque temps des signes inquiétants. Il était anormalement anxieux, préoccupé, comme si son esprit était ailleurs. C’est à cette époque qu’ Eldacar commença son retour. Y a-t-il un lien ? Je ne le sais. Toujours est-il que Golasgil notre seigneur, l’époux de Morwen, changea lui aussi de comportement. Hirluin me fit alors une sorte de testament incompréhensible et parti brusquement. Commença alors le siège de Pélargir et c’est à ce moment que Golasgil disparu avec son jeune fils Bergil. Le bruit cours qu’ils ont étés tués par un certain Kaluidh. De retour d’une pêche au poulpe c’est le corps déchiqueté de mon époux qu’un pêcheur de Reuvon me ramena. Comment est-il tombé de cette falaise ? Je n’ai pas de réponse. La charge de seigneur de Lond galen avait été abandonnée au moment de la débâcle de Pélargir ; Golasgil mort, c’est ma belle-sœur Morwen qui s’est retrouvée de droit en charge de la seigneurie »
Nous échangeâmes encore quelque temps, puis Ivriniel nous laissa aux bons soins de Lué-nian avec qui nous évoquâmes les destinées du Gondor, des Akôèmes, ceux qui avaient déjà fait le voyage, et ceux qui partiraient un jour.
Dans les jours qui suivirent Lué-nian nous fit découvrir la cité et ses environs, nous entrepris sur les coutumes et nous fit connaître de ses habitants. Rapidement nous devînmes pour tous les Lheinakôème.
Mais trop vite je me retrouvais seul en compagnie d’un gondorien qui ne parlait pas un mot de ma langue. Orodreth est le fils de Golasgil et Morwen, une de ses missions est de veiller à la sécurité autour des mines situées au nord. Un dernier sourire d’encouragement de notre vieille traductrice et me voilà parti pour Verlamin.
La lumière n'indique pas le bout du tunnel, c'est la lanterne de celui qui comme toi, cherche à sortir.