(07.08.2019, 21:02)MrBathory a écrit : Tout d'abord, je crois comprendre que tu vois en Nietzsche un certain nationalisme, en opposition avec le germanisme porté par Tolkien. Nietzsche n'était pas spécialement nationaliste, pas plus que Tolkien ne l'était de son côté. En effet, Nietzsche est plutôt européen que purement nationaliste.
Je m'amende là-dessus, j'ai été fort avec le mot "nationaliste".
(07.08.2019, 21:02)MrBathory a écrit : Quand j'ai qualifié Frodo de surhomme, j'ai utilisé ce terme dans sa terminologie nietzschéenne et non dans la définition que l'usage courant lui donne. Il surmonte sa nature de hobbit, avec tout ce que cela comporte comme présupposés, pour partir à l'aventure et aboutir à la destruction de l'anneau. En cela, il se dépasse et devient autre que lui-même. Il perd d'ailleurs une partie de lui-même. De plus, il n'est pas du tout passif, dès le départ il envie les aventures de Bilbo et, dès le départ de ce dernier, il est de plus en plus éloigné du Comté au profit du monde extérieur. Il n'hésitera pas à partir le moment venu. Je ne le trouve pas si passif que ça !
Surhomme, bien sûr au sens de Nietzsche : il n'a jamais été question d'un Übermensch ou je ne sais quoi. Oui, Frodo fait preuve d'héroïsme, mais Bilbo avant lui, et avec lui toute la Communauté ! Pourquoi veux-tu faire de Frodo l'image du surhomme alors que Gandalf, Sam ou Aragorn sont également d'excellents candidats ? N'est-il pas plus raisonnable de penser qu'ils sont en fait tous héros et donc également "surhomme" si c'est ta grille de lecture ? Je pourrais même inventer deux-trois signes qu'Aragorn, par exemple, est l'image du Surhomme : en maîtrisant le Palantir, il fait preuve de sa volonté de puissance, preuve de sa force vitale qu'il accepte et clame ; etc.
(07.08.2019, 21:02)MrBathory a écrit : Es-tu familier avec les mythes et les représentations qu'ils véhiculent ? Car dans ce cas, pour reprendre l'image que tu donnes concernant Gimli, il représente à lui seul, la quintessence de ce que peut être un nain selon Tolkien. Je considère que ce dernier n'a rien laissé au hasard, ou en tout cas pas grand chose, et que par exemple, l'herbe à pipe que tu mentionnes peut être rattachée à un certain contact avec la nature qu'entretiennent les hobbits (ou peut-être aussi au parallèle à faire entre les hobbits et les anglais). Dans un mythe, chaque chose a un sens et une nécéssité et je suis persuadé que Tolkien en avait conscience.
Pourquoi Gimli serait-il la quintessence du nain, et pas plutôt Thorin, Bofur, Bifur ou Bombur (je ne vais pas te faire la liste, d'autres la connaissent mieux que moi) ? En vertu de quoi est-il davantage représentatif ? Tolkien a-t-il jamais dit que Gimli était vraiment plus "nain" que tous ses autres personnages ?
Pourquoi l'herbe à pipe symboliserait-elle le lien entre hobbit et nature ? Les Elfes, très proches de la nature, ne fument pourtant pas d'herbe à pipe. Et pourquoi cela serait-il vraiment le symbole de cette "naturalité" alors que les hobbits ont déjà des trous, habitent généralement un milieu très rural, et sont habitués au travail du champ ? En fait, pour tout te dire, je ne doute pas que l'herbe à pipe donne un côté naturel, voire "franchouillard" aux personnages, mais je doute que ce soit un symbole en tant que tel, et que Tolkien l'ait pensé comme tel.
Plus généralement, Tolkien n'aimait pas que l'on donne un sens à tous les éléments de son œuvre, que l'on en fasse une allégorie de telle ou telle chose : "I cordially dislike allegory in all its manifestations, and always have done so since I grew old and wary enough to detect its presence. I much prefer history – true or feigned– with its varied applicability to the thought and experience of readers. I think that many confuse applicability with allegory, but the one resides in the freedom of the reader, and the other in the purposed domination of the author".
Il y a des choses, dans l’œuvre de Tolkien, que l'on n'explique pas, qui n'appartiennent pas à une systématisation méticuleuse. M'expliquerais-tu pourquoi il est question d'un ragoût de lapin et non de quelque autre gibier ? Cela a-t-il un sens caché et révélateur ? Non, clairement, bien des éléments sont sans avoir de raison d'être : comme Bombadil, ils sont car ils sont. Point.
(07.08.2019, 21:02)MrBathory a écrit : Où je veux en venir est que je pense qu'elle peut être vue comme une réponse au tremblement de terre que fut l'irruption de la pensée nietzschéenne et de sa philosophie à coup de marteau dans le paysage intellectuel. Nietzsche est connu pour sa célèbre phrase : Dieu est mort. Je pense justement que toute l'oeuvre de Tolkien est une réponse à cette phrase et se pose en contradiction directe avec cette dernière. Tolkien, en voulant créer une mythologie et en utilisant la morale dans son récit se pose comme un défenseur du bien. En cela, face au renversement de toutes les valeurs proné par Nietzsche il réplique en disant que ce n'est pas pour tout de suite. Je pense que Tolkien ressort grandi si l'on passe sa pensée au crible de celle d'autres penseurs pour en faire ressortir les éléments les plus saillants. J'ai essayé, modestement, de couper court à une éventuelle récupération de Tolkien en justement mettant en avant la particularité de son oeuvre écrite après celle de Nietzsche et en essayant de faire dialoguer les deux. J'aurais d'ailleurs aimé trouver plus d'informations sur les rapports que Tolkien entretenait avec la philosophie nietzschéenne.
Mon texte fut nourri, peut-être maladroitement, par le pressentiment que Tolkien était un anti-Nietzsche par excellence. Et c'est bien ce que je voulais démontrer, que le mythe si il parle encore au lecteur est supérieur à la philosophie et que dans ce cas s'y oppose de manière frontale.
Je trouve que tu sur-estimes bien l'influence de notre Moustachu dans l'histoire. Tout depuis son oeuvre n'est pas réaction à son oeuvre.
Connais-tu le principe de rasoir d'Ockham ? Il dit que, lorsqu'on hésite entre deux hypothèses, la plus simple doit être privilégiée. Voici donc nos deux hypothèses : 1°) Tolkien propose son oeuvre en réaction à la pensée nietzschéenne, alors qu'on n'a que peu d'éléments marquants sur sa lecture et son appréciation du Moustachu 2°) Tolkien propose une oeuvre fondamentalement chrétienne (comme il le dit dans ses Lettres) car il a été imprégné de cette vision des choses depuis son enfance, qu'il a également adopté la religion catholique et donc les messages qui sont les siens. La seconde est clairement plus vraisemblable : de fait, Tolkien n'est pas plus un anti-Nietzsche que tout autre auteur ayant écrit dans le sens du message chrétien après Nietzsche. En vérité, même des auteurs non-chrétiens sont tellement imprégnés du message chrétien (vanter la petitesse, penser que le faible n'est pas si faible) qu'ils pourraient eux-mêmes être vus comme anti-Nietzschéen.
Bref, Tolkien n'est pas plus l'anti-Nietzsche que n'importe qui (Buzzati, Marc Lévy ou je ne sais pas qui). Quand tu y regardes de plus près, il y a même peu d'écrivains qui vont en fait dans le sens de Nietzsche et prêche le surhomme, la volonté de puissance ou l'éternel retour (d'une manière directe ou non, je précise)...
Si tu veux en parler plus avant, je suis souvent disponible sur le Discord, on peut peut-être se caler un moment pour voir ça de plus près.
Doctus cŭm libro
― Proverbe latin
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