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Le temps des choix *
#1
Voilà une nouvelle que j'ai écrite il y a quelque temps suite à une conversation que j'avais eu avec des ami(e)s concernant le choix d'Elrohir et d'Elladan, les fils d'Elrond.

Loin de moi l'envie de faire polémique sur ce qui a été dit ou pas, nous sommes parti(e)s, après lecture des différents ouvrages sur le sujet, du principe que tout comme leur père (bien qu'il soit parti avant eux) ils avaient aux aussi la possibilité de choisir.

Voici ma version légèrement "romancée" sur ce sujet.


Le temps des choix

Imladris, la dernière maison simple des Elfes
Qui fut jadis un havre de paix,
Juste une demeure aujourd’hui.
Le temps a repris sa course
Assombrissant inexorablement
Le cœur de ceux qui y vivaient encore.


Notre père bien aimé s’en était allé et avec lui, les derniers vestiges d’une civilisation et d’une époque révolue. Le temps des Elfes en Terre du Milieu n’était plus qu’un souvenir à la fois agréable et douloureux. Les Hommes dorénavant forgeraient seuls leur propre histoire.

Mon frère et moi-même avions toujours apprécié la compagnie des humains. Pendant longtemps, nous avions chevauché auprès des Dúnedain. Nous avions également participés aux batailles des Champs du Pelennor et de la Morannon. La paix revenue, notre père ayant accompli son devoir, était monté avec les siens à bord du seul bateau restant en partance pour Aman.

Que nous restait-il ?

Nous ne sommes pas partis avec eux, nous n’avons pas quitté la demeure qui nous avait vus naître.

Pourtant…

Nous n’étions pas des Haut-Elfes. Nous n’avions jamais vu la douce lumière des arbres de Valinor. Nous n’étions simplement que des Elfes et dans notre sang coulait aussi celui des Hommes, celui de Tuor et Beren. Cette part d’humanité avait toujours eu un fort ascendant sur nous, du moins le supposais-je jusqu’à ce qu’une étrange émotion me saisisse. Mon jumeau avait-il ressenti la même chose, lui qui possédait dans son nom l’héroïsme des Elfes ?

Et le temps suivait son cours tandis que les feuilles des arbres changeaient de couleur et que cette maison que nous aimions tant s’affaiblissait dans ses fondations même.

Puis mon âme se tourna vers le passé. Des réminiscences qui me confortèrent dans mon choix. Je revis sa chevelure argentée comme si c’était hier et mon cœur se serra de chagrin, et aussi de joie à l’idée de la revoir un jour.

oO§Oo

Notre mère bien-aimée, la douce et belle Celebrían rendait régulièrement visite à ses chers parents. Les routes pour se rendre jusqu’aux bois de la Lothlórien étaient de moins en moins sûres à cause des serviteurs du Mal qui rôdaient un peu partout. C’est pourquoi notre père lui avait permis d’emmener quelques soldats avec elle pour la protéger, un cortège d’Elfes réputés pour leur grande maîtrise des arts de la guerre. Malheureusement, on leur tendit une embuscade quand ils franchirent le Col de Cornerouge. Ma mère se retrouva seule et sans défense et des orques en profitèrent pour l’enlever. Ils la ramenèrent dans un de leurs repères sur les Monts Brumeux.

Mon cœur cogna férocement dans ma poitrine, mon fëa me faisant revivre ce jour où nous l’avions retrouvée, mon frère et moi.

Il faisait beau alors. Les feuilles des arbres bruissaient tandis que nous galopions sans prendre de pause. Le paysage ensoleillé s’était peu à peu transformé, laissant place à des roches mornes et grises. Nous mîmes peu de temps à franchir les plus hauts cols. L’air s’était considérablement rafraîchi et les nuages s’amoncelaient au-dessus de nos têtes, prêts à déverser leur fureur sur nous.

— Elladan ! hurla Elrohir qui se trouvait devant moi, ses longs cheveux de la même couleur que les miens dansant sauvagement contre son dos.

Je fronçai les sourcils tout en protégeant ses arrières.

— J’entends quelque chose, comme des gémissements non loin de nous, reprit-il.

Une peur incontrôlable me saisit. Un tambour assourdissant cognait contre mon crâne. Sans attendre, je suivis mon jumeau à travers les dédales de pierres. Nous avions laissé nos montures plus bas, nos chevaux se sentant bien trop apeurés par cet endroit qui renfermait dans ses entrailles les monstres de Morgoth et de son sous-fifre Sauron.

Nous ne fûmes guère longs à repérer l’entrée d’une grotte dissimulée derrière de maigres fourrés. Trois pas de plus et des Orques nous sautèrent à la gorge, prêts à nous occire. Nous dégainâmes aussitôt chacun une épée et pourfendîmes les créatures en quelques coups bien sentis. Quand nous fûmes débarrassés de nos ennemis, plus rien ne nous empêcha de pénétrer à l’intérieur de la cavité.

L’air vicié et nauséabond nous prit à la gorge. C’était irrespirable. Par sécurité, nous nous passâmes de torche. Notre vue était bien plus aiguisée que celle des Hommes et nous arrivions à voir correctement même dans les endroits les plus sombres. En quelques rapides enjambées, nous finîmes par trouver la place où ils avaient pris leur quartier.

— Qu’Ilúvatar et les Valar nous viennent en aide ! s’exclama Elrohir d’une voix étouffée par son avant-bras qu’il gardait replié contre son nez.

J'avais moi-même mis un mouchoir sur mon visage pour éviter d’être incommodé par l’odeur de pourriture ambiante.

Je plissai les yeux en le voyant trembler comme s’il était sur le point de défaillir. J’aurais aimé pouvoir allumer une torche pour mieux cerner ce qu’il voyait. Je savais toutefois qu’il s’agissait d’une mauvaise idée. Je ne doutais pas qu’une nouvelle faction d’Orques devait se trouver non loin de nous et nous sauterait dessus au moindre moment d’inattention.

J’inspirai à travers le tissu pour me donner le courage d’avancer. Quand je fus aux côtés d’Elrohir, je sentis la colère m’inonder pour finir par exploser violemment en moi. Mon fëa réclamait une vengeance immédiate. Mais pour l’heure, c’était impossible. Je devais me calmer.

Expirer, inspirer.

Reprendre pied dans la réalité.


Je tombai à genoux, me souciant exclusivement de la malheureuse qui gisait à même le sol. Elle était pieds et poings liés et je pouvais voir qu’elle avait été blessée en maints endroits. Je la pris délicatement entre mes bras et je fis signe à Elrohir de me suivre. Nous ne devions pas nous attarder plus longuement. Je fus le premier à sortir, puis vint mon frère qui couvrait mes arrières.

La peur au ventre nous récupérâmes nos montures et prîmes le chemin vers la demeure de notre père, priant pour ne pas être attaqués.

oO§Oo

Le voyage jusqu’à Imladris ne semblait pas avoir de fin. De temps en temps, mon frère jetait des regards inquiets sur le corps inanimé de notre mère que je transportais contre moi.

Mon bien le plus précieux, et une vague de terreur me submergea à l’idée de ce qu’il adviendrait si la douce et belle Reine d’Argent venait à nous quitter.

Elrohir pensait certainement la même chose.

oO§Oo

Ce fut notre sœur qui nous accueillit sur le parvis de la demeure. Ses yeux se remplirent de larmes quand elle vit dans quel état nous ramenions notre mère. Derrière elle se tenait notre père, le sage Elrond. Quand je vis son regard se charger d’ombres, je détournai le mien par pudeur et par respect pour son chagrin. Le besoin de ramener moi-même notre mère jusqu’à sa chambre fut forte mais je me retins pour laisser ce privilège à mon père. Nos yeux se croisèrent quelques instants et j’y lus une telle reconnaissance empreinte de gravité que je dus me retenir pour ne pas m’écrouler.

Nous suivîmes mon père qui la ramena dans leurs appartements et l’allongea avec une grande délicatesse sur la couche.

— Elle a besoin de soins, déclarai-je d'une voix rauque, me retenant de gémir de douleur.

oO§Oo

Jamais l’attente ne nous parut aussi longue et éprouvante. Les jours se succédèrent sans que la santé de notre mère ne montrât une quelconque amélioration. Le Seigneur d’Imladris passait beaucoup de temps à ses côtes, ne la quittant que lorsque le devoir l’appelait.

Quant à nous, ses enfants, nous priâmes, autant que nous le pussions et jusqu’à ce que les mots sortant d’entre nos lèvres ne soient plus que souffle et mirage.

Puis, un jour, notre père vint à nous pour nous entretenir d’une importante nouvelle.

— Votre mère a émis le souhait de partir pour les Terres Immortelles.

Ma sœur nous contempla le regard voilé de tristesse avant de se tourner vers notre père.

— Est-ce donc là la seule solution possible ? demanda-t-elle du bout des lèvres.

— Hélas ! s’exclama-t-il. Votre mère a été touchée par une lame empoisonnée. Elle est lasse de cette vie en ces terres et n’espère que le doux repos éternel qu’Aman pourra lui octroyer.

— Allez-vous l’y accompagner ? demanda mon frère, inquiet.

Notre père fit quelques pas avant de revenir vers nous, ses bras croisés derrière son dos.

— J’y ai songé mais mon temps en Terre du Milieu n’est pas encore arrivé à son terme.

— Est-ce raisonnable de laisser mère partir seule pour un si long et périlleux voyage ? protesta Elrohir.

Je partageais son avis, bien que l’idée de savoir notre père encore parmi nous me rasséréna plus que tout.

— Je ne laisserai jamais partir ma chère épouse sans escorte. Quelques Elfes de notre maisonnée ont émis le souhait de l’accompagner et je doublerai les effectifs de soldats liés à leur protection.

oO§Oo

La veille de son départ, notre mère, dans l’un de ses rares moments de lucidité, nous convia à son chevet.

Elle eut un mot pour chacun de ses enfants et confia son pendentif, l’Elessar qu’elle avait eu de sa mère, à notre chère Arwen. Cette dernière le reçut avec toute la précaution qu’il sied à un tel objet. Plus que sa valeur curative, c’était une part du cœur de Celebrían qu’il renfermait.

.

C'est ainsi que notre mère partit, le regard hanté par les horreurs qu'aucun être, Elfe ou Humain, ne devrait avoir à subir un jour.

oO§Oo

Malgré tout, et bien des années plus tard, nous ne parlâmes pas de ce choix que nous aurions à faire quand notre père quitterait à son tour la Terre du Milieu. Nous continuâmes à entretenir de très bons rapports avec les Hommes de tous horizons. Finalement, après la destruction de l’Anneau, la paix revint et nous l’espérions définitive.

Notre père prit à son tour le bateau pour Aman en compagnie des Hobbits et de nos grands-parents. Avec lui, ce furent les derniers vestiges d’une faste période en Imladris qui s’achevait. Les saisons passèrent et un jour, enfin, à l’aube de notre choix, tandis que la Terre du Milieu changeait inexorablement et que notre sœur avait épousé un Homme du nord, choisissant de fait la mortalité de son époux, nous nous retrouvâmes mon frère et moi à devoir choisir le destin qui nous attendait.

Imladris n’était plus que l’ombre de ce qu’elle avait jadis été. La plupart des Elfes étaient partis les uns après les autres et nous étions là, devant la Bruinen à contempler l’eau qui courait jusqu’à la Belegaer, la grande mer.

Une douce fragrance me remplit les narines d’une nostalgie que je ne comprenais pas. Mon cœur se mit à battre plus fort, mon âme appelait une chose que mes doigts ne pouvaient saisir. Était-ce donc cela, l’appel de l’Ouest ?

Plus les jours passèrent, plus cette envie se transforma en un besoin vital. Mes parents me manquaient, et cet endroit que je n’avais jamais vu m’appelait de toutes ses forces.

Aman.

oO§Oo

Pris d’une frénésie proche de la folie, je me mis en tête de construire un bateau. Je fus aidé dans mon entreprise par mon frère jumeau, qui semblait aussi enthousiaste que moi bien qu’il ne le montra pas. Il nous fallut plusieurs mois pour la construire. Quand l’embarcation fut prête, je sus que l’heure était venue.

.

Nous étions à la croisée de notre vie et je ne pus empêcher mon cœur de battre d'allégresse à l'idée de bientôt fouler cette terre qui n'attendait plus que nous. C'est avec la gaieté d'un enfant que je gravis le ponton avant de sauter dans la nef. Je me retournai vers mon jumeau, m’attendant à le trouver derrière moi.

Mon sourire se fana, remplacé par l’incompréhension.

— Elrohir, que fais-tu à terre ? demandai-je d’une voix lourde de l’angoisse qui venait de me saisir.

Il secoua la tête tout en me dévisageant avec tristesse.

— C’était ton idée, mon frère, me rappela-t-il. Je t’ai aidé, mais jamais je ne t’ai dit que je voulais partir avec toi.

— Comment cela ? m’écriai-je, surpris.

Je ne comprenais plus rien. Si moi, Elladan, avait senti cette envie, il était certain qu’il en irait de même pour lui. N’étions-nous pas connectés ?

— Quelle ironie, diraient certains de nos amis s’ils étaient encore en vie ou non déjà partis, déclara Elrohir. Toi Elladan dont le nom est proche des hommes et qui finalement a choisi la voie des Elfes.

Je clignai plusieurs fois les yeux avant de comprendre que la décision de mon frère irrémédiable et certains détails me percutèrent en plein cœur. Pourquoi ne l’avais-je pas remarqué avant ? Pourquoi maintenant au moment où j’allais prendre la voile.

Les cheveux de mon frère étaient striés de blanc et la peau de son visage comportait quelques petites rides à peine visibles.

— Elladan, je t'aime, tu fais partie de moi comme je fais partie de toi, tu le sais, n'est-ce pas ? dit Elrohir d’une voix enrouée.

J’acquiesçai ému par ce qu’il me disait.

— Tu as choisi la voie des Hommes, déclarai-je.

Le dire à haute voix n’en rendit cette vérité que plus pénible et réelle pour moi. Pourtant Elrohir semblait heureux.

— J’en suis enchanté pour toi, mon frère, si tel est le destin que tu t’es choisi.

— Nous avons eu cette chance grâce à la lignée de notre père, dit Elrohir. Allons, Elladan, toi qui as choisi l’immortalité. Vas ! Pars et ne reviens jamais ! Mais sache ô mon, jumeau, que ce ne sont pas des adieux, car une part de moi vivra à jamais à travers toi. N’oublie pas de le dire à notre mère, la belle Reine d’Argent. Embrasse notre père et sois heureux pour moi. Avec moi.

Je n’eus pas le temps de lui répondre qu’une secousse ébranla le bateau. Elrohir venait de défaire le nœud du ponton et déjà la coque était éprise de liberté.

Nous ne nous quittâmes pas des yeux un seul instant, jusqu’à ce que le cours de la rivière change de direction et nous enlève l’un à l’autre.

oO§Oo

Ainsi se termina l’histoire d’Elladan et Elrohir, les jumeaux d’Elrond.

FIN
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Messages dans ce sujet
Le temps des choix * - par Annalia - 26.06.2018, 22:44

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