(24.10.2015, 16:11)Tikidiki a écrit : La présence des chameaux à côté des éléphants évoque davantage l'Afrique du Nord que l'Inde, m'est avis.
Pour un regard contemporain occidental, a priori oui, probablement, mais même sans aller jusqu'aux déserts froids des chameaux de Bactriane à deux bosses, le dromadaire à une bosse des déserts chauds ne se trouve pas seulement en Afrique du Nord, mais bien sûr aussi au Moyen-Orient et même plus loin vers l'Est, jusqu'au delà de la Perse. Et quand je parle de l'Inde, comme de l'Éthiopie, c'est évidemment dans un sens antique, repris dans l'Occident médiéval, venant du fait que Grecs et Romains appelaient Indiens et Éthiopiens les peuples qu'ils situaient loin au sud et à l'est du monde connu. Pierre Schneider a consacré à cette confusion antique – relative – entre Inde et Éthiopie une solide étude, éditée par l'École Française de Rome en 2004 et dans laquelle est notamment abordée la question des éléphants (évoquée jusque dans l'illustration de couverture).
Concernant précisément cette question, Schneider fait remarquer que l'éléphant antique occupait un territoire en Asie et en Afrique bien plus étendu qu'aujourd'hui, les Anciens eux-mêmes ne l'associant pas exclusivement à l'Inde et à l'Éthiopie, puisqu'il était aussi vraisemblablement aussi présent dans le golfe Arabique, ainsi qu'en Afrique du Nord semble-t-il jusqu'au IIe siècle après J.-C.. Schneider fait en outre remarquer qu'Hérodote signale d'énormes éléphants en Éthiopie mais semble ignorer ceux de l'Inde, dont pour lui l'animal caractéristique est... le chameau. Ctésias décrira un peu plus tard des éléphants indiens dressés à briser des murailles. Par la suite, les Anciens procèderons à des comparaisons entre éléphants indiens et libyens (ou éthiopiens).
À noter que s'agissant des 20 éléphants de combat que le roi d'Épire Pyrrhus Ier présenta avec son armée face aux Romains en Italie en 280 av. J.-C., selon Robert Delort (auteur notamment des ouvrages Les Éléphants, piliers du monde et Les Animaux ont une histoire), il s'agissait d'éléphants indiens, ce qui n'a bien sûr pas empêché certaines représentations modernes d'animaux de combat aux grandes oreilles évoquant a priori plutôt une espèce africaine.
En tout cas, par rapport aux possibilités laissées par les indications de Tolkien, Pauline Baynes a bien sûr fait ensuite ses propres choix pour sa carte de 1969, aussi visible sur le site officiel de l'illustratrice : http://paulinebaynes.com/?what=artifacts...461&cat=79
La version finale de la carte de Baynes indiqué par Druss permet de voir davantage les détails, et s'agissant de l'éléphant, il est possible en effet que ce soit une représentation africaine dans un sens contemporain qui ait été privilégiée. Cependant, vu la conception médiévalisante – voire aussi antiquisante par certains aspects, via notamment justement cette fameuse question des éléphants – de l'univers de la Terre du Milieu, mon impression est plutôt celle d'un certain flou volontairement entretenu par Tolkien lui-même sur ce point comme sur d'autres, d'où mes quelques remarques n'entendant pas faire pencher la question des inspirations africaine ou asiatique dans un sens ou dans l'autre.
Amicalement,
Hyarion.
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)