(29.07.2015, 22:17)Crayon Volant a écrit : Mais je ne me suis jamais aventuré à me poser des questions sur l' oeuvre de Tolkien de sorte qu' elles m' obligent à plier les arguments à ma propre volonté. Ceci est l' éternel problème des livres. Soit vous faites honneur à l' oeuvre en trouvant et en lui rendant ce qui lui appartient, soit vous faites honneur à vôtre étude et à vôtre propre intelligence en déballant du matériel que vous prenez pour *servir* le but que vous avez décidé pour vous-même.
Le problème est le même que l' homme entretient avec la nature, toute discipline confondue: il prend. Pourtant, en toute logique, s' il veut la "dompter" et apprendre à la connaître, il lui faut apprendre d' abord à se soumettre à ses lois. Il me semble que c' est ce qu' un artiste comme Tolkien s' efforce de faire, et de faire savoir. C' est d' ailleurs cela qu' il appelle une "sub-création". Ce n' est donc pas ma définition, c' est la sienne. Vous pouvez vérifier son exposé.
... Et il faut donc pour cela consulter un livre, avec l'éternel problème que cela suppose... En l’occurrence, en relisant « Du conte de fées », qui est un essai de Tolkien et non un de ses récits de fiction, on trouve bien ce que tu dis... sauf que bien souvent, le lecteur tolkienophile a tendance a rester prisonnier de deux grilles de lecture qui constituent autant de bornes intellectuelles (et spirituelles) : soit, pour résumer, une grille de lecture rationaliste/positiviste/scientiste et une grille de lecture religieuse chrétienne, des grilles de lecture devenues tellement habituelles, routinières, que l'on ne fait même pas (ou plus) attention à ce qu'elles peuvent avoir de pertinent ou non.
Car tu sais bien, Xavier, que rien qu'en mentionnant le mot "sub-création", par exemple, on pourra venir te rappeler la dimension religieuse du concept, lié à ce que Tolkien considérait comme un "mythe vrai" par rapport à d'autres, et on pourra avoir volontiers tendance à borner (religieusement) ainsi la portée de la chose, tout en se positionnant paradoxalement hors d'autres bornes, celles du rationalisme. Et d'un autre côté, si l'on parle du Rohan, comme ici, d'autres viendront rappeler la dimension historique et culturelle (médiévale) lié à cet aspect de la création de Tolkien, en restant dans le domaine des sciences humaines... ce que j'ai moi-même d'ailleurs plutôt fait dans mon premier message (même si je n'oublie surtout pas l'aspect littéraire et artistique de l'objet d'étude), car que je ne vais pas renier mon passé universitaire même si des horizons autres qu'analytiques m'intéressent également !
Mais donc ainsi, dans un cas comme dans l'autre, c'est vrai que l'on reste prisonnier et que l'on tourne en rond... On sent bien que Tolkien, comme d'autres auteurs, a pu toucher du doigt quelque-chose avec son œuvre, au point qu'elle puisse parler au cœur (on en a parlé ailleurs), hors de toutes bornes intellectuelles ou spirituelles, et cependant, in fine, on n'ose pas sortir de sa "zone de confort", celles de certitudes et de savoirs supposés "maitrisés", souvent qui plus est sous prétexte de fidélité à "Tolkien l'universitaire" et/ou à "Tolkien le catholique"... et c'est ce que je regrette, personnellement, au bout de toutes ces années à suivre le mouvement des études tolkieniennes(*)...
Mais revenons à cette histoire de noblesse au Rohan, et à la subcréation aussi en même temps, forcément : peut-être, pour ce sujet comme pour d'autres, devrions-nous aborder les choses en commençant par ne pas trop segmenter notre vision de l'œuvre, notamment dans ses dimensions "interne" et "externe" (mais pas seulement) ? Cela peut peut-être permettre de donner moins de poids inutile à certaines grilles de lecture, même si elles conservent leurs légitimités et leur intérêt, et de mieux nous donner à voir, autrement. Dans ce contexte, je crois qu'effectivement, il me parait d'autant plus pertinent de ne pas isoler valeur et fonction, comme l'a écrit Xavier. J'avais d'abord moi-même initialement évoqué le fait que la question de Tikidiki renvoie à la définition du terme "noblesse" : quitte à partir d'une "zone de confort" analytique, on pourrait déjà commencer par étudier la notion en question dans toutes ces dimensions possibles vis-à-vis de l'œuvre littéraire concernée. Déjà, l'horizon serait sans doute plus ouvert... pour essayer de voir autrement, encore une fois. Car, au fond, même si Tolkien disait préférer la littérature à la peinture pour évoquer la fantasy (ça aussi, c'est dans « Du conte de fées »), c'est bien souvent à des images, à des tableaux même, que nous avons affaire... et ce qu'ils nous donnent à voir ne peut sans doute s'appréhender seulement avec des grilles de lecture toutes faites et qui peuvent finir par cacher plutôt que par faire apparaître. Il s'agit pas ici de renoncer à son rationalisme ou à sa foi chrétienne, mais simplement de ne se fixer aucune borne pour essayer de mieux percevoir et mieux entendre.
Je ne sais pas si je fais bien d'écrire tout cela, ni même si ça vaut le coup... Enfin, bref : puisse quelque lecteur y trouver éventuellement de l'intérêt !
Amicalement,
Hyarion.
(*): si jamais cela intéresse quelqu'un, il est possible de discuter éventuellement de ce constat fait avec regret, mais ailleurs que sur ce fuseau.
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)