Je ne suis absolument pas d'accord pour qualifier d' « erreur » cette francisation de -o en -on, il s'agit d'un choix délibéré de traduction. Choix à propos duquel Francis Ledoux a écrit à J. R. R. Tolkien lui-même, rapportent Vincent Ferré, Daniel Lauzon et David Riggs dans leur article Traduire Tolkien en français : On the Translation of Tolkien's Works into French paru dans le recueil Tolkien in Translation sous la direction de Thomas Honegger chez Walking Tree Publishers en 2003 :
Sur le fond, la terminaison -a de Fróda est la forme vieil-anglaise du nominatif masculin faible. On en retrouve l'équivalent dans les autres langues germaniques anciennes sous la forme -i en vieux norrois et -o en vieux haut-allemand.
Lorsqu'il s'est agi d'adapter des noms germaniques en latin, cette terminaison a été rendue par le suffixe latin -ō (accusatif -ōnem). Ce suffixe avait déjà été utilisé pour rendre les noms grecs en -ôn (ex.Drakôn, Solôn, Platôn). Même si ce n'était pas fait consciemment, c'était un choix étymologiquement exact : ces suffixes latins et grecs et la déclinaison faible germanique ont une origine commune dans un suffixe indo-européen en n qui devait avoir une valeur individualisante (d'où son emploi de prédilection dans les noms propres des langues filles).
Le suffixe -on du français moderne est l'évolution naturelle de l'accusatif latin. En ancien français, il existait encore une opposition entre un cas sujet (CS, dérivé du nominatif latin) et un cas régime (CR, toutes les autres fonctions ; principalement dérivé de l'accusatif latin). Pour des raisons de phonétique historique que je ne détaillerai pas ici, le suffixe -on s'est retrouvé, entre autres usages, à marquer le cas régime de certains noms masculins. Ex : CS li ber / CR le baron, CS li lerre / CR le larron, CS li garz / CR le garçon.
Héritage des masculins faibles germaniques adaptés au latin, les prénoms masculins avaient très souvent ce cas régime en -on : on a ainsi Charles / Charlon, Gui / Guyon, Hugues / Hugon, Eudes / Odon, Dreux / Drogon. Cela s'est même étendu à des noms d'origine latine, ex. Pierre / Perron. On retrouve encore certaines de ces formes « fossilisées » dans la toponymie : ex. La Roche-Guyon, Châtelperron (parce que le cas régime des noms propres pouvait suffire à lui seul à indiquer l'appartenance).
Le suffixe -on a servi plus tard à adapter au français les mots latins en -ō (et par leur intermédiaire, les mots grecs en -ôn) : ex. Caton, Scipion, Junon, Dracon, Solon, Platon, etc. Il est notable que l'anglais a ici préféré le nominatif en -o : en anglais, on dit Cato, Scipion, Juno, Draco, Solo, Plato. Et c'est de ce latinisme en -o qu'a dû venir la finale des noms hobbits, plutôt que de la terminaison de masculin faible, qui s'est réduite à rien au cours de l'évolution de l'anglais.
La francisation en -on est donc un choix parfaitement défendable linguistiquement. Mais ce l'est encore plus, à mon sens, par les associations stylistiques préjudiciables d'une finale en -o. Les mot se terminant par la voyelle [o] sont fréquents en français, mais ne s'orthographient jamais en -o dans le vocabulaire ancien, mais plutôt -aud, -aut, -(e)au(x), -ot. Ceux qui se terminent en -o sont soit des emprunts étrangers (kimono, macho, soprano, paréo, polo, etc.), soit des troncatures de composés gréco-latins modernes (vélo, radio, stylo, auto, métro, etc.), soit des mots plus ou moins argotiques (apéro, clodo, dingo, réglo, travelo, ventilo, etc.). Ces associations avec l'étranger et l'actuel sont hautement indésirables pour nommer les hobbits. La Comté est une idylle pastorale où des allusions trop modernes seraient déplacées (sauf pour les Sharcoux et leurs acolytes), et elle représente surtout, tant pour les personnages principaux que sont les hobbits que pour le lecteur dans son processus d'identification, le chez-soi d'où l'on part pour l'aventure.
Stylistiquement et narrativement, il est également nécessaire d'obtenir un effet d'homogénéité de la nomenclature là où il s'en trouve dans l'original : il est peu raisonnable d'en franciser une partie les noms) en en laissant une autre (les prénoms), quoi qu'ait pu en dire Tolkien.
J'aimerais enfin insister sur le fait qu'un auteur n'est probablement pas celui qui sera le mieux à même de juger d'un effet linguistique dans une langue qui n'est pas la sienne. Surtout quand le dit auteur a plusieurs fois insisté sur son peu de goût pour la langue en question :
Il me semble que Tolkien a de toute façon mis au début du Guide to the Names (que je n'ai pas sous le nez à l'heure où j'écris, c'est donc à vérifier) un avertissement général comme quoi ses propositions devaient être prises comme des conseils et des suggestions, pas comme des sommations. Et qu'une invention heureuse du traducteur pouvait être préférable même au prix d'un écart. (Je dirais que Fondcombe en français fait partie de cette catégorie.)
Je terminerai par un peu de tissage vers divers fuseaux de JRRVF, où le sujet fut déjà abordé - c'est à vrai dire un serpent de mer...
Citation :.... It is worth reporting that F. Ledoux even told his publisher, Christian Bourgois, that he had written to J.R.R. Tolkien about the translation of such names as "Bilbo", "Frodo", etc., to justify his choices of "Bilbon" and "Frodon", which contradict the author's explicit instructions in Tolkien's "Guide to the Names in The Lord of the Rings...
Sur le fond, la terminaison -a de Fróda est la forme vieil-anglaise du nominatif masculin faible. On en retrouve l'équivalent dans les autres langues germaniques anciennes sous la forme -i en vieux norrois et -o en vieux haut-allemand.
Lorsqu'il s'est agi d'adapter des noms germaniques en latin, cette terminaison a été rendue par le suffixe latin -ō (accusatif -ōnem). Ce suffixe avait déjà été utilisé pour rendre les noms grecs en -ôn (ex.Drakôn, Solôn, Platôn). Même si ce n'était pas fait consciemment, c'était un choix étymologiquement exact : ces suffixes latins et grecs et la déclinaison faible germanique ont une origine commune dans un suffixe indo-européen en n qui devait avoir une valeur individualisante (d'où son emploi de prédilection dans les noms propres des langues filles).
Le suffixe -on du français moderne est l'évolution naturelle de l'accusatif latin. En ancien français, il existait encore une opposition entre un cas sujet (CS, dérivé du nominatif latin) et un cas régime (CR, toutes les autres fonctions ; principalement dérivé de l'accusatif latin). Pour des raisons de phonétique historique que je ne détaillerai pas ici, le suffixe -on s'est retrouvé, entre autres usages, à marquer le cas régime de certains noms masculins. Ex : CS li ber / CR le baron, CS li lerre / CR le larron, CS li garz / CR le garçon.
Héritage des masculins faibles germaniques adaptés au latin, les prénoms masculins avaient très souvent ce cas régime en -on : on a ainsi Charles / Charlon, Gui / Guyon, Hugues / Hugon, Eudes / Odon, Dreux / Drogon. Cela s'est même étendu à des noms d'origine latine, ex. Pierre / Perron. On retrouve encore certaines de ces formes « fossilisées » dans la toponymie : ex. La Roche-Guyon, Châtelperron (parce que le cas régime des noms propres pouvait suffire à lui seul à indiquer l'appartenance).
Le suffixe -on a servi plus tard à adapter au français les mots latins en -ō (et par leur intermédiaire, les mots grecs en -ôn) : ex. Caton, Scipion, Junon, Dracon, Solon, Platon, etc. Il est notable que l'anglais a ici préféré le nominatif en -o : en anglais, on dit Cato, Scipion, Juno, Draco, Solo, Plato. Et c'est de ce latinisme en -o qu'a dû venir la finale des noms hobbits, plutôt que de la terminaison de masculin faible, qui s'est réduite à rien au cours de l'évolution de l'anglais.
La francisation en -on est donc un choix parfaitement défendable linguistiquement. Mais ce l'est encore plus, à mon sens, par les associations stylistiques préjudiciables d'une finale en -o. Les mot se terminant par la voyelle [o] sont fréquents en français, mais ne s'orthographient jamais en -o dans le vocabulaire ancien, mais plutôt -aud, -aut, -(e)au(x), -ot. Ceux qui se terminent en -o sont soit des emprunts étrangers (kimono, macho, soprano, paréo, polo, etc.), soit des troncatures de composés gréco-latins modernes (vélo, radio, stylo, auto, métro, etc.), soit des mots plus ou moins argotiques (apéro, clodo, dingo, réglo, travelo, ventilo, etc.). Ces associations avec l'étranger et l'actuel sont hautement indésirables pour nommer les hobbits. La Comté est une idylle pastorale où des allusions trop modernes seraient déplacées (sauf pour les Sharcoux et leurs acolytes), et elle représente surtout, tant pour les personnages principaux que sont les hobbits que pour le lecteur dans son processus d'identification, le chez-soi d'où l'on part pour l'aventure.
Stylistiquement et narrativement, il est également nécessaire d'obtenir un effet d'homogénéité de la nomenclature là où il s'en trouve dans l'original : il est peu raisonnable d'en franciser une partie les noms) en en laissant une autre (les prénoms), quoi qu'ait pu en dire Tolkien.
J'aimerais enfin insister sur le fait qu'un auteur n'est probablement pas celui qui sera le mieux à même de juger d'un effet linguistique dans une langue qui n'est pas la sienne. Surtout quand le dit auteur a plusieurs fois insisté sur son peu de goût pour la langue en question :
- L’anglais et le gallois, dans Les monstres et les critiques p. 236 : « Le français m’a procuré moins de plaisir que toute autre langue que je connaisse suffisamment pour émettre un tel jugement » (Tolkien parle de plaisir esthétique)
- Lettres, p. 406 (p. 288 de l’édition anglaise) : « je n’aime pas le français et préfère l’espagnol à l’italien ».
Il me semble que Tolkien a de toute façon mis au début du Guide to the Names (que je n'ai pas sous le nez à l'heure où j'écris, c'est donc à vérifier) un avertissement général comme quoi ses propositions devaient être prises comme des conseils et des suggestions, pas comme des sommations. Et qu'une invention heureuse du traducteur pouvait être préférable même au prix d'un écart. (Je dirais que Fondcombe en français fait partie de cette catégorie.)
Je terminerai par un peu de tissage vers divers fuseaux de JRRVF, où le sujet fut déjà abordé - c'est à vrai dire un serpent de mer...
Le langage a à la fois renforcé l'imagination et a été libéré par elle. Qui saura dire si l'adjectif libre a créé des images belles et bizarres ou si l'adjectif a été libéré par de belles et étranges images de l'esprit ? - J. R. R. Tolkien, Un vice secret