30.09.2013, 22:57
Bonjour à tous,
Je suis actuellement en train de lire les lettres de Tolkien. Elles sont passionnantes et souvent drôles.
Il y aurait beaucoup à dire (et je n'en suis rendu qu'à la moitié), mais voilà, une m'a particulièrement frappée, non qu'elle soit la plus riches en informations diverses, mais parce qu'elle contient un petit passage qui m'a beaucoup étonné. Jugez plutôt :
183. Note concernant la critique du Retour du Roi faite par Auden p. 258 (Pocket) [238] (édition anglaise)
Sur le fond "théologique", il n'y a rien de fondamentalement étonnant. Que le Mal Absolu n'existe pas chez Tolkien, c'est une évidence pour toute personne qui connaît l'opposition profonde qui existe entre le catholicisme et le manichéisme.
Il y a dans le catholicisme identification de l'Être, de Dieu et du Bien. Ce qui est est bon, et ce qu'il y a de mauvais n'est mauvais que par privation du bien, et non par participation à un Mal Absolu qui n'a pas d'être, qui n'est pas, qui n'existe.
Les manichéens pensaient au contraire l'existence de deux "entités", une du Bien et une du Mal.
Satan est déchu, c'est-à-dire qu'il a été bon, mais il a refusé Dieu, il a voulu être son propre maître et s'est donc privé de lui-même de la source de tout bien (il reste que Satan existe et est donc participant en cela, en tant que créature, du Bien.).
Au fond, c'est aussi le cas de Morgoth. S'il tombe bien vite dans le légendaire de Tolkien, il reste que Morgoth n'était pas toujours habité par de mauvaises intentions, mais sa volonté d'être Créateur l'a totalement corrompu jusqu'à n'être quasiment plus qu'un destructeur.
Car si le Bien peut-être foncièrement assimilé à l'Être, c'est en ce sens que créer est en soi un acte d'amour, et qu'un désir de création qui se coupe de la source du Bien par orgueil ne peut, in fine, qu'aboutir à la destruction.
Donc, sur ce plan, ce texte ne révèle rien qu'un peu de connaissance de la théologie catholique et de la vie de Tolkien ne permettaient de voir immédiatement à la lecture du Silmarillon (Eru fait "advenir à l'être" dans le Silmarillon, c'est de la pure terminologie thomiste !) et du Seigneur des Anneaux.
En revanche ce qui m'a personnellement frappé, c'est cette phrase :
"Dans le Seigneur des Anneaux, le conflit ne concerne pas foncièrement la liberté, bien que naturellement elle soit en jeu. Il concerne Dieu, et Son droit unique à la vénération divine."
Car enfin on peut toujours reconnaître comme évident que Sauron est une figure de Satan voulant être un dieu parmi les hommes et être maître du monde (Tolkien parle de "pouvoir temporel", le propos est précis. Le pouvoir spirituel n'appartient qu'à Dieu. Sauron ne peut donc pas l'obtenir.)
Il reste que cette phrase, si elle ne change pas le "fond théologique" qui structure l'œuvre de Tolkien, éclaire en revanche (pour moi du moins qui découvre cette lettre) d'une lumière nouvelle, ma lecture du Seigneur des Anneaux.
Je n'avais jamais lu le Seigneur des Anneaux comme le récit de la lutte pour le droit unique à la vénération due à Dieu (Eru). Mais plutôt, comme Tolkien le remarque, comme celui de la lutte pour la préservation de la liberté contre un être qui, c'est manifeste, se prend pour un dieu.
L'éclairage est vraiment différent, le récit s'épaissit d'une dimension qui le rattache directement au mythe de Numénor.
Qu'en pensez-vous ? Est-ce selon-vous une phrase qui peut être au fond "anecdotique", ne relever que d'une impression de Tolkien sur son œuvre à un moment précis, ou au contraire une "révélation" de l'un des sens profond du Seigneur des Anneaux ?
Je suis actuellement en train de lire les lettres de Tolkien. Elles sont passionnantes et souvent drôles.
Il y aurait beaucoup à dire (et je n'en suis rendu qu'à la moitié), mais voilà, une m'a particulièrement frappée, non qu'elle soit la plus riches en informations diverses, mais parce qu'elle contient un petit passage qui m'a beaucoup étonné. Jugez plutôt :
183. Note concernant la critique du Retour du Roi faite par Auden p. 258 (Pocket) [238] (édition anglaise)
Citation :Dans mon histoire, je ne parle pas du Mal Absolu. Je ne crois pas qu'il existe une telle chose, puisqu'elle équivaut au Zéro. Je ne crois pas en tout cas qu'aucun être rationnel soit totalement malfaisant. Satant a chuté. Dans ma mythologie, Morgoth a chuté avant la création du monde physique. Dans mon histoire Sauron représente ce qui s'approche aussi près que possible de la volonté totalement malfaisante. Il a suivit le chemin de tous les tyrans : commençant bien, du moins dans le sens que, tout en souhaitant ordonner toute chose en fonction de son propre jugement, il prenait encore en compte, au début, le bien-être (économique) des autres habitants de la Terre. Mais il est allé plus loin que les tyrans humains dans son orgueil et son désir de domination, étant à l'origine un esprit immortel (angélique. Note : de même nature que Saruman et Gandalf, mais d'un ordre bien supérieur.). Dans le Seigneur des Anneaux, le conflit ne concerne pas foncièrement la liberté, bien que naturellement elle soit en jeu. Il concerne Dieu, et Son droit unique à la vénération divine. Les Eldar et les Numenoréens croyaient en l'Unique, le Dieu véritable, et considéraient que tout culte rendu à une autre personne était une abomination. Sauron souhaitait être un Dieu-roi, et était vu comme tel par ses serviteurs. S'il avait été victorieux, il aurait exigé de toutes les créatures rationnelles cette vénération divine, et un pouvoir temporel absolu sur le monde entier.
Sur le fond "théologique", il n'y a rien de fondamentalement étonnant. Que le Mal Absolu n'existe pas chez Tolkien, c'est une évidence pour toute personne qui connaît l'opposition profonde qui existe entre le catholicisme et le manichéisme.
Il y a dans le catholicisme identification de l'Être, de Dieu et du Bien. Ce qui est est bon, et ce qu'il y a de mauvais n'est mauvais que par privation du bien, et non par participation à un Mal Absolu qui n'a pas d'être, qui n'est pas, qui n'existe.
Les manichéens pensaient au contraire l'existence de deux "entités", une du Bien et une du Mal.
Satan est déchu, c'est-à-dire qu'il a été bon, mais il a refusé Dieu, il a voulu être son propre maître et s'est donc privé de lui-même de la source de tout bien (il reste que Satan existe et est donc participant en cela, en tant que créature, du Bien.).
Au fond, c'est aussi le cas de Morgoth. S'il tombe bien vite dans le légendaire de Tolkien, il reste que Morgoth n'était pas toujours habité par de mauvaises intentions, mais sa volonté d'être Créateur l'a totalement corrompu jusqu'à n'être quasiment plus qu'un destructeur.
Car si le Bien peut-être foncièrement assimilé à l'Être, c'est en ce sens que créer est en soi un acte d'amour, et qu'un désir de création qui se coupe de la source du Bien par orgueil ne peut, in fine, qu'aboutir à la destruction.
Donc, sur ce plan, ce texte ne révèle rien qu'un peu de connaissance de la théologie catholique et de la vie de Tolkien ne permettaient de voir immédiatement à la lecture du Silmarillon (Eru fait "advenir à l'être" dans le Silmarillon, c'est de la pure terminologie thomiste !) et du Seigneur des Anneaux.
En revanche ce qui m'a personnellement frappé, c'est cette phrase :
"Dans le Seigneur des Anneaux, le conflit ne concerne pas foncièrement la liberté, bien que naturellement elle soit en jeu. Il concerne Dieu, et Son droit unique à la vénération divine."
Car enfin on peut toujours reconnaître comme évident que Sauron est une figure de Satan voulant être un dieu parmi les hommes et être maître du monde (Tolkien parle de "pouvoir temporel", le propos est précis. Le pouvoir spirituel n'appartient qu'à Dieu. Sauron ne peut donc pas l'obtenir.)
Il reste que cette phrase, si elle ne change pas le "fond théologique" qui structure l'œuvre de Tolkien, éclaire en revanche (pour moi du moins qui découvre cette lettre) d'une lumière nouvelle, ma lecture du Seigneur des Anneaux.
Je n'avais jamais lu le Seigneur des Anneaux comme le récit de la lutte pour le droit unique à la vénération due à Dieu (Eru). Mais plutôt, comme Tolkien le remarque, comme celui de la lutte pour la préservation de la liberté contre un être qui, c'est manifeste, se prend pour un dieu.
L'éclairage est vraiment différent, le récit s'épaissit d'une dimension qui le rattache directement au mythe de Numénor.
Qu'en pensez-vous ? Est-ce selon-vous une phrase qui peut être au fond "anecdotique", ne relever que d'une impression de Tolkien sur son œuvre à un moment précis, ou au contraire une "révélation" de l'un des sens profond du Seigneur des Anneaux ?