20.07.2013, 14:44
Parler de féminisme au singulier est déjà problématique, et il vaudrait mieux parler de féminismes au pluriel, car il ne saurait y avoir de référence unique en la matière. Certaines personnes, par exemple, se prétendent féministes tout en tenant un discours revanchard aux arrières-pensées misandres, pour le moins éloigné d'une véritable revendication d'égalité entre les genres. D'autres personnes, sous couvert de féminisme, défendent une forme de conservatisme basé sur la restriction sexuelle en refusant de remettre en cause l'enfermement des femmes dans des fonctions maternelles et familiales. Là encore, on est loin de l'idéal d'égalité censé être incarné dans la notion de féminisme (définition du TLF : « Mouvement social qui a pour objet l'émancipation de la femme, l'extension de ses droits en vue d'égaliser son statut avec celui de l'homme, en particulier dans le domaine juridique, politique, économique »). Bref, dans ce domaine comme dans tant d'autres, derrière les étiquettes se cachent souvent bien des paradoxes...
S'agissant des propos contenus dans le Dictionnaire Tolkien, ceux d'Emeric Moriau dans « Femmes dans l’œuvre de Tolkien (Les) » et d'Anne Salamon dans « Lectures féministes et Gender studies », je les trouve assez équilibrés même si leur caractère synthétique en font des textes à compléter par d'autres lectures. Parlant des opinions — au conservatisme catholique avéré, me semble-t-il — de Tolkien concernant les femmes et le féminisme, Anne Salamon parle « de ce que de tels propos ont de politiquement incorrect pour le lecteur moderne », ce qui renvoie simplement au fait que notre époque est profondément marqué par la remise en cause des relations entre les hommes et les femmes, voire par la remise en cause des identités sexuelles en général. Anne Salamon n'est personnellement certainement pas indifférente aux idées féministes (on l'est rarement quand on aborde le sujet), mais elle ne le met pas particulièrement en avant dans son article. Quant à Emeric Moriau, il entend simplement se limiter à une analyse littéraire, même si l'on sent bien qu'il a le souci de défendre Tolkien face à des idées reçues... comme beaucoup d'autres contributeurs du Dictionnaire. Faudrait-il s'en étonner ?
Au-delà de la question féministe, les regards que l'on porte sur Tolkien sont, de toute façon, rarement neutres et encore moins susceptibles de convenir à tout le monde. Du politiquement correct ou de la « bien-pensance », on peut éventuellement en trouver, par exemple, dans certains discours dédouanant Tolkien de l'accusation de racisme, discours mettant sans cesse en exergue les propos qu'il a tenu contre l'antisémitisme nazi et contre l'apartheid, alors que ces propos, s'ils témoignent effectivement de l'absence a priori chez lui de préjugés racistes, ne font pas pour autant de lui un « gentil antiraciste » tel qu'on peut le concevoir aujourd'hui, et ne signifient pas davantage que son esprit était totalement imperméable à la notion — inepte — de race telle qu'on la concevait assez communément en Occident dans la première moitié du XXe siècle — au point de la faire alors figurer explicitement dans les manuels scolaires.
Bref, comme dirait Vincent, « à chacun son Tolkien », et on n'est pas obligé d'adhérer aux parti pris idéologiques — voire religieux — pouvant éventuellement apparaître en toile de fond dans les analyses publiées sur l'homme et sur son œuvre. Quelles que soient leur pertinence, elles nous en apprennent autant sur notre époque, avec ses qualités et ses défauts, que sur le sujet qu'elles entendent traiter. Les grilles de lecture, qu'elles soient féministes, marxistes, libérales, antiracistes, éco-critiques, chrétiennes, athées, nihilistes, situationnistes, ou que-sais-je encore, ne sont jamais que des grilles de lecture... qui peuvent toujours être discutés, tout comme le choix que font certains de n'étudier l’œuvre de Tolkien que sous certains angles d'approche, qu'ils soient « internes » ou « externes ».
J'en profite pour ajouter que la critique du Dictionnaire Tolkien par Thomas Barège (« Tolkien de A à W », Acta fabula, vol. 14, n° 3, Notes de lecture, Mars-Avril 2013, URL : http://www.fabula.org/lodel/acta/index.php?id=7688), déjà évoquée plus haut, me parait tout-à-fait pertinente, et je partage notamment le regret de Barège concernant l'absence dans l'ouvrage d'un article consacré spécifiquement à la question de la traduction. Par ailleurs, même s'il ne saurait constituer une somme « définitive », ce Dictionnaire est, de mon point de vue, un bon outil de travail.
Cordialement,
Hyarion... qui ne fait que passer...
S'agissant des propos contenus dans le Dictionnaire Tolkien, ceux d'Emeric Moriau dans « Femmes dans l’œuvre de Tolkien (Les) » et d'Anne Salamon dans « Lectures féministes et Gender studies », je les trouve assez équilibrés même si leur caractère synthétique en font des textes à compléter par d'autres lectures. Parlant des opinions — au conservatisme catholique avéré, me semble-t-il — de Tolkien concernant les femmes et le féminisme, Anne Salamon parle « de ce que de tels propos ont de politiquement incorrect pour le lecteur moderne », ce qui renvoie simplement au fait que notre époque est profondément marqué par la remise en cause des relations entre les hommes et les femmes, voire par la remise en cause des identités sexuelles en général. Anne Salamon n'est personnellement certainement pas indifférente aux idées féministes (on l'est rarement quand on aborde le sujet), mais elle ne le met pas particulièrement en avant dans son article. Quant à Emeric Moriau, il entend simplement se limiter à une analyse littéraire, même si l'on sent bien qu'il a le souci de défendre Tolkien face à des idées reçues... comme beaucoup d'autres contributeurs du Dictionnaire. Faudrait-il s'en étonner ?
Au-delà de la question féministe, les regards que l'on porte sur Tolkien sont, de toute façon, rarement neutres et encore moins susceptibles de convenir à tout le monde. Du politiquement correct ou de la « bien-pensance », on peut éventuellement en trouver, par exemple, dans certains discours dédouanant Tolkien de l'accusation de racisme, discours mettant sans cesse en exergue les propos qu'il a tenu contre l'antisémitisme nazi et contre l'apartheid, alors que ces propos, s'ils témoignent effectivement de l'absence a priori chez lui de préjugés racistes, ne font pas pour autant de lui un « gentil antiraciste » tel qu'on peut le concevoir aujourd'hui, et ne signifient pas davantage que son esprit était totalement imperméable à la notion — inepte — de race telle qu'on la concevait assez communément en Occident dans la première moitié du XXe siècle — au point de la faire alors figurer explicitement dans les manuels scolaires.
Bref, comme dirait Vincent, « à chacun son Tolkien », et on n'est pas obligé d'adhérer aux parti pris idéologiques — voire religieux — pouvant éventuellement apparaître en toile de fond dans les analyses publiées sur l'homme et sur son œuvre. Quelles que soient leur pertinence, elles nous en apprennent autant sur notre époque, avec ses qualités et ses défauts, que sur le sujet qu'elles entendent traiter. Les grilles de lecture, qu'elles soient féministes, marxistes, libérales, antiracistes, éco-critiques, chrétiennes, athées, nihilistes, situationnistes, ou que-sais-je encore, ne sont jamais que des grilles de lecture... qui peuvent toujours être discutés, tout comme le choix que font certains de n'étudier l’œuvre de Tolkien que sous certains angles d'approche, qu'ils soient « internes » ou « externes ».
J'en profite pour ajouter que la critique du Dictionnaire Tolkien par Thomas Barège (« Tolkien de A à W », Acta fabula, vol. 14, n° 3, Notes de lecture, Mars-Avril 2013, URL : http://www.fabula.org/lodel/acta/index.php?id=7688), déjà évoquée plus haut, me parait tout-à-fait pertinente, et je partage notamment le regret de Barège concernant l'absence dans l'ouvrage d'un article consacré spécifiquement à la question de la traduction. Par ailleurs, même s'il ne saurait constituer une somme « définitive », ce Dictionnaire est, de mon point de vue, un bon outil de travail.
Cordialement,
Hyarion... qui ne fait que passer...
All night long they spake and all night said these words only : "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish." "Dirty Chu-bu," "Dirty Sheemish," all night long.
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)
(Lord Dunsany, Chu-Bu and Sheemish)