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Bonjour,
M’interrogeant sur une éventuelle lecture nietzschéenne de l’œuvre de Tolkien, les recherches que je fis me menèrent à la rédaction de ce texte. J’ai essayé, modestement, d’esquisser certaines perspectives de comparaison et d’éventuelles manifestations de la philosophie nietzschéenne, notamment dans le SdA. Attention, je ne me pose pas comme une autorité ni sur l’un ni sur l’autre. Je ne veux pas non plus prouver quoi que ce soit mais bien ouvrir un débat, partager mes hypothèses et mes réflexions. Je ne souhaite pas prouver non plus une éventuelle influence de Nietzsche sur Tolkien mais bien utiliser l’un pour analyser l’autre. De toute manière, la lecture de ce petit texte, si il est assez clair, mène d’ailleurs à une opposition assez nette entre les démarches de ces deux auteurs ainsi qu’entre les conclusions et les réponses qu’ils apportent, bien qu’il y ai des points communs entre eux, à commencer par la philologie.
En tant que terre retirée de la TdM, uniquement accessible par des navires elfes, Aman est un lieu protégé, une terre bénie. Néanmoins, Tolkien dans ses lettres expliqua le destin des mortels en cette terre. Il ne s’agit pas pour ces derniers d’y obtenir l’immortalité, mais bien d’y être « soigné », on peut alors y voir un purgatoire avant leur départ définitif vers l’inconnu de la mort (lettre 325). La mort chez Tolkien est un thème central, aussi il faut se garder de toute interprétation définitive (un livre est d’ailleurs disponible sur le sujet : Death and Immortality in Middle-earth: Proceedings of The Tolkien Society Seminar 2016). Néanmoins, les arrières-mondes sont bien présents chez J.R.R. En cela, Tolkien n’est pas nietzschéen pour un sous car il existe des dimensions supérieures et une morale du bien et du mal à laquelle les personnages participent en voulant par exemple la destruction de Sauron et de l’anneau unique. La victoire du bien sur le mal est d’ailleurs centrale dans le SdA.
D’ailleurs, Nietzsche souhaite aller « par-delà le bien et le mal » et nier ces deux concepts au profit d’une morale supérieure. Ce qu’il faut comprendre, c’est la négation par Nietzsche, entre autres, de la morale chrétienne. Tolkien, auteur catholique, a, par son œuvre, montré qu’une morale existe, basée sur des sentiments positifs. Pour Nietzsche, la morale chrétienne est faite par les faibles et pour les faibles. Il est néanmoins simple de voir le respect que Tolkien avait pour les êtres dits faibles, à travers notamment le peuple des hobbits qui, sous une apparente faiblesse, sont porteurs d’une force bien plus grande qu’il n’y parait. De plus, il nie la force brute imposée par la violence, le pouvoir des forts sur les faibles, au profit d’une force morale intérieure, basée, entre autres, sur le sacrifice de soi pour une cause supérieure. Encore une fois, on ne peut donc voir sous cet aspect un nietzschéisme de Tolkien bien que les elfes puissent être perçus comme des êtres par-delà le bien et le mal (on pourra d’ailleurs se référer à la première rencontre des hobbits avec les elfes et les réactions de Sam suite à cette dernière), la question reste ouverte et nécessiterait un article entier. D’ailleurs, on pourrait aussi réfléchir au couple Apollon/Dionysos mis en évidence dans la Naissance de la Tragédie et à une éventuelle manifestation de ce couple au sein du peuple elfe, peuple fait de joies et de peines, pouvant être perçu comme peut-être la résolution de l’opposition Apollon/Dionysos.
L’amor fati et l’éternel retour sont deux concepts clefs et liés dans la pensée de Nietzsche. En effet, il considère que l’on doit aimer son destin, dans les bons comme dans les mauvais moments, et l’accepter. En cela, l’attitude de Frodo est celle de l’acceptation de ce dernier, de la nécessité de détruire l’anneau et de la responsabilité qu’il a en tant que porteur. Malgré toutes les souffrances endurées, la difficulté de son parcours et la perte de la vie qu’il menait, ainsi que de son innocence, il accepte son fardeau.
Pour Nietzsche, qui a une conception cyclique du temps, la vie est amenée à se répéter encore et encore. Un parallèle peut être fait avec l’œuvre de Tolkien. Cette dernière est la négation pure de l’éternel retour car il y a une victoire définitive du bien sur le mal. L’anneau est détruit définitivement, Sauron de même. Le SDA est la fin d’un cycle et mènera à une nouvelle ère et non à une répétition éternelle. C’est un changement de paradigme qui abouti à une rupture définitive et à la création de quelque chose de neuf.
La volonté de puissance est un autre des grands axes de la pensée nietzschéenne. Dans la « généalogie de la morale », il la définit comme « la pulsion la plus forte, [...] celle qui dit le plus oui à la vie [...] - la volonté de puissance » (III, 1 . Il ne s’agit pas d’une puissance au sens d’un déchaînement de force brutale. Il s’agit de la manifestation de l’affirmation de la puissance vitale, de l’expression de l’être la plus totale. En cela, on peut voir la destruction de l’anneau comme l’ultime victoire de la Vie, de la Volonté. Car l’anneau prive justement les êtres de leur puissance vitale et les mène vers un asservissement, vers la négation de l’être au profit d’une servitude.
Frodo, de part son action et sa volonté, ne se laisse pas envahir par un ressentiment passif et paralysant mais bien dans un mouvement. Heidegger considérait la fin du ressentiment comme un des préalables à la pensée nietzschéenne du surhomme, ce dernier étant débarrassé de ce qu’il portait comme négativité pour être acteur de son destin et dépasser ainsi un certain immobilisme entretenant la souffrance chez l’individu. Est-ce alors possible de voir dans Frodo une manifestation du surhomme annoncé dans Ainsi parlait Zarathoustra ? Je n’y apporterai pas de réponse définitive mais la question mérite d’être posée.
De plus, la place de la religion dans l’œuvre de Tolkien est pour le moins trouble. On peut y voir la manifestation du fait que les événements décrits sont situés au sein d’un âge d’or, et qu’ils sont alors purement religieux car reliés au caractère divin et créateur de l’existence. Ils incarnent des archétypes, des valeurs et des moments d’une époque révolue pouvant être perçue comme a-religieuse car étant des manifestations de l’être les plus pures, les plus proches de la Vie.
Enfin, je me bornerais à mentionner un point commun qu’unifie Tolkien et Nietzsche, à savoir la personne de Wagner (avec par exemple un article en ligne sur Tolkiendil du côté de J.R.R. et certaines œuvres de Nietzsche ayant pour sujet Wagner) mais aussi l’importance pour les deux auteurs des mythes et du Mythe.
Pour conclure, bien que ces deux auteurs possèdent une culture et des centres d’intérêt communs, on voit bien que de nombreuses différences mènent à une nette opposition. La place de la morale est un exemple criant de cette dernière. Alors oui, on peut effectivement lire Tolkien sous le prisme de Nietzsche et interpréter des aspects de son œuvre à travers ce dernier, comme on pourrait le faire d’ailleurs avec de nombreux autres penseurs, mais, face à une œuvre aussi dense, aussi universelle, cette démarche est-elle vraiment pertinente ?
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Je ne suis pas familier de Nietzsche, mais je ne comprends pas ta démarche. Qu'est-ce qui t'amène à cette comparaison ou à la proposition que la lecture nietzschéenne pourrait éventuellement s'appliquer globalement à Tolkien ? Pourquoi lui et pas Rousseau ou Derrida ?
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07.08.2019, 15:49
(Modification du message : 07.08.2019, 15:52 par MrBathory.)
Tout d'abord parce que Nietzsche est un penseur que je connais depuis quelques temps maintenant et qu'il présente certains points communs avec Tolkien (formation, admiration de Wagner et de la mythologie etc).
Cependant, comme tu l'as souligné, et comme j'ai essayé de dire dans ma conclusion, tout penseur peut être "utilisé" pour essayer d'expliquer une oeuvre. Mais on pourrait aussi bien trouver des similitudes avec la pensée de Kant par exemple.
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Salut,
J'ai lu avec attention ce que tu as écrit ; j'apprécie ton goût pour la philosophie occidentale d'une part, et la compréhension de l'oeuvre de Tolkien d'autre part ; j'apprécie également le travail bibliographique que tu as réalisé.
Cependant, je ne vois pas trop l'intérêt de tout ce que tu racontes là.
D'abord, comme Tiki, je ne comprends pas le pourquoi de cet intérêt pour Nietzsche. Oké, goût personnel – même si j'aime Pascal, je ne suis pas encore au point de le comparer à Tolkien. L'admiration pour Wagner que tu cites est assez ambivalente, le Professeur se refusant même à ce que l'on compare son Anneau à celui des Nibelungen (de même pour Nietzsche, d'ailleurs, qui a une période très Wagner puis plus du tout). La formation philologique peut sembler pertinente, mais dans les travaux de l'un et de l'autre, je ne vois guère de connexion. Enfin, effectivement, le plus notable est le fond de culture germanique des deux auteurs, mais qui diffère clairement de par son utilisation : Nietzsche pouvait se revendiquer du germanisme, mais c'était davantage un marqueur identitaire qu'autre chose ; la démarche de Tolkien est clairement autre (en tous cas, clairement pas "nationaliste"). Mref, les différences sont assez profondes, à mon sens.
Ensuite, je trouve l'intérêt de tes paragraphes assez réduit, attendu qu'ils ne font généralement que contraster Nietzsche par rapport à Tolkien. Pour caricaturer, on est souvent sur du schéma "Tolkien pense ça tandis que Nietzsche pense ça". Il n'y a pas d'éclairage mutuel, pour la plupart du temps.
Enfin, quand tu tâches d'éclairer l’œuvre de Tolkien par celle de Nietzsche, je trouve que ce que tu apportes a vraisemblablement peu de pertinence. Pourquoi faudrait-il interpréter l'Anneau en terme de puissance vitale ? La fin de Frodo en terme d'amor fati ? Et surtout, est-ce que cela éclaire vraiment le propos de l'oeuvre ? On en arrive à des absurdités, comme se demander si Frodo n'est pas une figure du surhomme – ce qui est à mon avis aussi absurde que de demander s'il est l'Antéchrist.
Le pire, en fait, c'est que relire une oeuvre (celle de Tolkien, par exemple) à la lumière d'une autre peut aboutir à certains contresens (tu verrais cela sur certains Essais sur le site), qu'on observe quelquefois chez toi : "les elfes puissent être perçus comme des êtres par-delà le bien et le mal" (voir Fëanor et l'Interdit de ressortir des cavernes de Mandos qu'il a subi ; ou encore la malédiction de Mandos en tant que telle : les Elfes ne sont pas des êtres supra-moraux, guidés par l'esthétique de l'acte plus que par son caractère moral) ; "Frodo, de part son action et sa volonté, ne se laisse pas envahir par un ressentiment passif et paralysant mais bien dans un mouvement" (je ne suis pas forcément d'accord là-dessus, je trouve Frodo très passif, voire révolté contre son sort – quand il prend l'Anneau – peut-être est-ce la réalisation de P. Jackson qui m'a trop donné cette impression) ; "De plus, la place de la religion dans l’œuvre de Tolkien est pour le moins trouble. On peut y voir la manifestation du fait que les événements décrits sont situés au sein d’un âge d’or" (le troisième âge n'est clairement pas un âge d'or, mais plutôt décadent, tragique – une Peste à l'Âge d'or ?) "qu’ils sont alors purement religieux car reliés au caractère divin et créateur de l’existence" (pardon ?). "Ils incarnent des archétypes, des valeurs et des moments d’une époque révolue pouvant être perçue comme a-religieuse car étant des manifestations de l’être les plus pures, les plus proches de la Vie." (incompréhensible, d'où l'herbe à pipe ou Gimli serait-il archétypal ?). Pourtant, tu décèles quelquefois des oppositions intéressantes, comme celle Apollon/Dionysos (qui dépasse largement l'oeuvre de Nietzsche)
Bref, ta question finale (quoiqu'ambiguë puisqu'elle laisse un flou sur l'auteur de ladite oeuvre) me semble bien rhétorique : "face à une œuvre aussi dense, aussi universelle, cette démarche est-elle vraiment pertinente ?" Si tu t'es posé la question, tu dois bien te douter de la réponse.
Ce que j'essaie de faire, en te molestant gentiment, c'est dire qu'un essai a avant tout pour but d'éclairer la signification, les inspirations ou la portée d'une oeuvre ; ce n'est pas un faire-valoir intellectuel, ou un exercice de style. La question de la pertinence (au-delà de celle de la compréhensibilité) me semble être centrale dans ta démarche. Par exemple, à aucun moment, tu ne t'es demandé comment Nietzsche avait pu (ou non) influencer Tolkien. Tolkien a-t-il lu Nietzsche ? L'a-t-il commenté ? Qu'en a-t-il pensé ? Tout cela serait éclairant pour ta contribution.
Je ne doute pas que tes contributions puissent être intéressantes, pertinentes et éclairantes, mais il faut alors qu'elles soient guidées par un intérêt intrinsèque, pas juste pour l'envie d'être nietzschéen, freudien ou jungien, et d'appliquer une grille de lecture à l’œuvre de Tolkien. En ce sens, je trouve méritoire que tu te sois procuré des tomes de l'Histoire de la Terre du Milieu, puisque cela te permettra de découvrir l’œuvre du Professeur telle qu'elle est, et non à travers tel ou tel prisme. Ce n'est qu'en partant de cela que, peu à peu, par ta compréhension personnelle, tu pourras mettre en perspective plusieurs éléments récurrents, tenter d'en expliquer la signification, et proposer une interprétation qui vaille le coup.
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Bon, je vais essayer de répondre à ce long texte du mieux que je puisse.
Tout d'abord, je crois comprendre que tu vois en Nietzsche un certain nationalisme, en opposition avec le germanisme porté par Tolkien. Nietzsche n'était pas spécialement nationaliste, pas plus que Tolkien ne l'était de son côté. En effet, Nietzsche est plutôt européen que purement nationaliste.
Quand j'ai qualifié Frodo de surhomme, j'ai utilisé ce terme dans sa terminologie nietzschéenne et non dans la définition que l'usage courant lui donne. Il surmonte sa nature de hobbit, avec tout ce que cela comporte comme présupposés, pour partir à l'aventure et aboutir à la destruction de l'anneau. En cela, il se dépasse et devient autre que lui-même. Il perd d'ailleurs une partie de lui-même. De plus, il n'est pas du tout passif, dès le départ il envie les aventures de Bilbo et, dès le départ de ce dernier, il est de plus en plus éloigné du Comté au profit du monde extérieur. Il n'hésitera pas à partir le moment venu. Je ne le trouve pas si passif que ça !
Es-tu familier avec les mythes et les représentations qu'ils véhiculent ? Car dans ce cas, pour reprendre l'image que tu donnes concernant Gimli, il représente à lui seul, la quintessence de ce que peut être un nain selon Tolkien. Je considère que ce dernier n'a rien laissé au hasard, ou en tout cas pas grand chose, et que par exemple, l'herbe à pipe que tu mentionnes peut être rattachée à un certain contact avec la nature qu'entretiennent les hobbits (ou peut-être aussi au parallèle à faire entre les hobbits et les anglais). Dans un mythe, chaque chose a un sens et une nécéssité et je suis persuadé que Tolkien en avait conscience.
Je te rejoins sur l'utilisation du terme d'age d'or qui est après refléxion un peu exagéré.
Je vais, pour conclure, détailler un peu la démarche qui a été la mienne afin qu'elle soit la plus claire pour tout le monde. Je pense que l'oeuvre de Tolkien, au dela de son interêt littéraire ou linguistique, a une portée philosophique conséquente et porte en elle même une vision du monde. Comme toute vision du monde, elle a été nourrie de l'époque dans laquelle elle a été composée, de la culture dominante etc. Où je veux en venir est que je pense qu'elle peut être vue comme une réponse au tremblement de terre que fut l'irruption de la pensée nietzschéenne et de sa philosophie à coup de marteau dans le paysage intellectuel. Nietzsche est connu pour sa célèbre phrase : Dieu est mort. Je pense justement que toute l'oeuvre de Tolkien est une réponse à cette phrase et se pose en contradiction directe avec cette dernière. Tolkien, en voulant créer une mythologie et en utilisant la morale dans son récit se pose comme un défenseur du bien. En cela, face au renversement de toutes les valeurs proné par Nietzsche il réplique en disant que ce n'est pas pour tout de suite. Je pense que Tolkien ressort grandi si l'on passe sa pensée au crible de celle d'autres penseurs pour en faire ressortir les éléments les plus saillants. J'ai essayé, modestement, de couper court à une éventuelle récupération de Tolkien en justement mettant en avant la particularité de son oeuvre écrite après celle de Nietzsche et en essayant de faire dialoguer les deux. J'aurais d'ailleurs aimé trouver plus d'informations sur les rapports que Tolkien entretenait avec la philosophie nietzschéenne.
Mon texte fut nourri, peut-être maladroitement, par le pressentiment que Tolkien était un anti-Nietzsche par excellence. Et c'est bien ce que je voulais démontrer, que le mythe si il parle encore au lecteur est supérieur à la philosophie et que dans ce cas s'y oppose de manière frontale.
Je tiens à te remercier pour ta franchise et pour le temps passé à me répondre. En effet le débat d'idée est primordial !
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07.08.2019, 21:59
(Modification du message : 07.08.2019, 22:01 par Dwayn.)
(07.08.2019, 21:02)MrBathory a écrit : Tout d'abord, je crois comprendre que tu vois en Nietzsche un certain nationalisme, en opposition avec le germanisme porté par Tolkien. Nietzsche n'était pas spécialement nationaliste, pas plus que Tolkien ne l'était de son côté. En effet, Nietzsche est plutôt européen que purement nationaliste.
Je m'amende là-dessus, j'ai été fort avec le mot "nationaliste".
(07.08.2019, 21:02)MrBathory a écrit : Quand j'ai qualifié Frodo de surhomme, j'ai utilisé ce terme dans sa terminologie nietzschéenne et non dans la définition que l'usage courant lui donne. Il surmonte sa nature de hobbit, avec tout ce que cela comporte comme présupposés, pour partir à l'aventure et aboutir à la destruction de l'anneau. En cela, il se dépasse et devient autre que lui-même. Il perd d'ailleurs une partie de lui-même. De plus, il n'est pas du tout passif, dès le départ il envie les aventures de Bilbo et, dès le départ de ce dernier, il est de plus en plus éloigné du Comté au profit du monde extérieur. Il n'hésitera pas à partir le moment venu. Je ne le trouve pas si passif que ça !
Surhomme, bien sûr au sens de Nietzsche : il n'a jamais été question d'un Übermensch ou je ne sais quoi. Oui, Frodo fait preuve d'héroïsme, mais Bilbo avant lui, et avec lui toute la Communauté ! Pourquoi veux-tu faire de Frodo l'image du surhomme alors que Gandalf, Sam ou Aragorn sont également d'excellents candidats ? N'est-il pas plus raisonnable de penser qu'ils sont en fait tous héros et donc également "surhomme" si c'est ta grille de lecture ? Je pourrais même inventer deux-trois signes qu'Aragorn, par exemple, est l'image du Surhomme : en maîtrisant le Palantir, il fait preuve de sa volonté de puissance, preuve de sa force vitale qu'il accepte et clame ; etc.
(07.08.2019, 21:02)MrBathory a écrit : Es-tu familier avec les mythes et les représentations qu'ils véhiculent ? Car dans ce cas, pour reprendre l'image que tu donnes concernant Gimli, il représente à lui seul, la quintessence de ce que peut être un nain selon Tolkien. Je considère que ce dernier n'a rien laissé au hasard, ou en tout cas pas grand chose, et que par exemple, l'herbe à pipe que tu mentionnes peut être rattachée à un certain contact avec la nature qu'entretiennent les hobbits (ou peut-être aussi au parallèle à faire entre les hobbits et les anglais). Dans un mythe, chaque chose a un sens et une nécéssité et je suis persuadé que Tolkien en avait conscience.
Pourquoi Gimli serait-il la quintessence du nain, et pas plutôt Thorin, Bofur, Bifur ou Bombur (je ne vais pas te faire la liste, d'autres la connaissent mieux que moi) ? En vertu de quoi est-il davantage représentatif ? Tolkien a-t-il jamais dit que Gimli était vraiment plus "nain" que tous ses autres personnages ?
Pourquoi l'herbe à pipe symboliserait-elle le lien entre hobbit et nature ? Les Elfes, très proches de la nature, ne fument pourtant pas d'herbe à pipe. Et pourquoi cela serait-il vraiment le symbole de cette "naturalité" alors que les hobbits ont déjà des trous, habitent généralement un milieu très rural, et sont habitués au travail du champ ? En fait, pour tout te dire, je ne doute pas que l'herbe à pipe donne un côté naturel, voire "franchouillard" aux personnages, mais je doute que ce soit un symbole en tant que tel, et que Tolkien l'ait pensé comme tel.
Plus généralement, Tolkien n'aimait pas que l'on donne un sens à tous les éléments de son œuvre, que l'on en fasse une allégorie de telle ou telle chose : "I cordially dislike allegory in all its manifestations, and always have done so since I grew old and wary enough to detect its presence. I much prefer history – true or feigned– with its varied applicability to the thought and experience of readers. I think that many confuse applicability with allegory, but the one resides in the freedom of the reader, and the other in the purposed domination of the author".
Il y a des choses, dans l’œuvre de Tolkien, que l'on n'explique pas, qui n'appartiennent pas à une systématisation méticuleuse. M'expliquerais-tu pourquoi il est question d'un ragoût de lapin et non de quelque autre gibier ? Cela a-t-il un sens caché et révélateur ? Non, clairement, bien des éléments sont sans avoir de raison d'être : comme Bombadil, ils sont car ils sont. Point.
(07.08.2019, 21:02)MrBathory a écrit : Où je veux en venir est que je pense qu'elle peut être vue comme une réponse au tremblement de terre que fut l'irruption de la pensée nietzschéenne et de sa philosophie à coup de marteau dans le paysage intellectuel. Nietzsche est connu pour sa célèbre phrase : Dieu est mort. Je pense justement que toute l'oeuvre de Tolkien est une réponse à cette phrase et se pose en contradiction directe avec cette dernière. Tolkien, en voulant créer une mythologie et en utilisant la morale dans son récit se pose comme un défenseur du bien. En cela, face au renversement de toutes les valeurs proné par Nietzsche il réplique en disant que ce n'est pas pour tout de suite. Je pense que Tolkien ressort grandi si l'on passe sa pensée au crible de celle d'autres penseurs pour en faire ressortir les éléments les plus saillants. J'ai essayé, modestement, de couper court à une éventuelle récupération de Tolkien en justement mettant en avant la particularité de son oeuvre écrite après celle de Nietzsche et en essayant de faire dialoguer les deux. J'aurais d'ailleurs aimé trouver plus d'informations sur les rapports que Tolkien entretenait avec la philosophie nietzschéenne.
Mon texte fut nourri, peut-être maladroitement, par le pressentiment que Tolkien était un anti-Nietzsche par excellence. Et c'est bien ce que je voulais démontrer, que le mythe si il parle encore au lecteur est supérieur à la philosophie et que dans ce cas s'y oppose de manière frontale.
Je trouve que tu sur-estimes bien l'influence de notre Moustachu dans l'histoire. Tout depuis son oeuvre n'est pas réaction à son oeuvre.
Connais-tu le principe de rasoir d'Ockham ? Il dit que, lorsqu'on hésite entre deux hypothèses, la plus simple doit être privilégiée. Voici donc nos deux hypothèses : 1°) Tolkien propose son oeuvre en réaction à la pensée nietzschéenne, alors qu'on n'a que peu d'éléments marquants sur sa lecture et son appréciation du Moustachu 2°) Tolkien propose une oeuvre fondamentalement chrétienne (comme il le dit dans ses Lettres) car il a été imprégné de cette vision des choses depuis son enfance, qu'il a également adopté la religion catholique et donc les messages qui sont les siens. La seconde est clairement plus vraisemblable : de fait, Tolkien n'est pas plus un anti-Nietzsche que tout autre auteur ayant écrit dans le sens du message chrétien après Nietzsche. En vérité, même des auteurs non-chrétiens sont tellement imprégnés du message chrétien (vanter la petitesse, penser que le faible n'est pas si faible) qu'ils pourraient eux-mêmes être vus comme anti-Nietzschéen.
Bref, Tolkien n'est pas plus l'anti-Nietzsche que n'importe qui (Buzzati, Marc Lévy ou je ne sais pas qui). Quand tu y regardes de plus près, il y a même peu d'écrivains qui vont en fait dans le sens de Nietzsche et prêche le surhomme, la volonté de puissance ou l'éternel retour (d'une manière directe ou non, je précise)...
Si tu veux en parler plus avant, je suis souvent disponible sur le Discord, on peut peut-être se caler un moment pour voir ça de plus près.
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07.08.2019, 22:32
(Modification du message : 07.08.2019, 22:33 par MrBathory.)
Je me permets de penser que la figure du héros, j’ai pris ici l’exemple de Frodo mais tu as raison de citer Aragorn ou surtout Gandalf, est une manifestation du dépassement de soi qu’on pourrait rapprocher du surhomme nietzschéen. Libre à toi de ne pas me suivre là dessus hein !
Pour Gimil, en tant que membre de la communauté (ou de la fraternité) de l’anneau il incarne son peuple tout entier et le dévouement de ce dernier envers le bien et contre le mal. Il n’y a d’ailleurs pas beaucoup d’autres nains dans le SDA. En ce sens je le considère comme archétype de son « espèce ».
L’influence de Nietzsche sur toute la pensée occidentale semble t’échapper alors qu’elle est considérable et représentative d’un mouvement de déchristianisation des sociétés. Je doute qu’en tant que catholique, dans un pays anglican qui plus est, Tolkien n’ai pas été sensible à ce mouvement et à un certain relativisme moderne. Il était lui-même plutôt anti moderne d'ailleurs, comme sa position sur la technique le montre si bien. Je pense justement que, et pas nécessairement consciemment, l’œuvre de Tolkien est une réponse à la perte de sens amenée par les événements du XIX, comme l’industrialisation, et dont le point culminant fut la Première Guerre mondiale. En ce sens, lui qui fut dévasté par cette expérience indicible et fratricide s’est positionné pour un retour du sens dans l’existence à travers la morale véhiculée par les mythes. Morale qui fut, qu’on le veuille ou non, combattue par Nietzsche. Qu’on le veuille ou non, se positionner après Nietzsche comme un auteur chrétien est une résistance à ce dernier et à ce qu’il incarne. Et Tolkien était conscient du caractère réactionnaire de son œuvre.
Je vais terminer sur l’herbe à pipe, car c’est assez curieux d’entendre dire que c’est aussi hasardeux que le parfum du ragoût dégusté à midi. Les hobbits sont vus par Tolkien comme les représentants les plus proches du peuple anglais, peuple rural et qui aime la bonne chère. Les elfes, eux, de par leur côté évanescent et quasi entre-deux mondes perdent peu à peu leurs liens avec la TdM, ils s’exilent et sont de moins en moins nombreux. Le fait qu’ils ne fument pas d’herbe à pipe est plutôt logique, car ils sont moins rattachés à la terre, et plus aux autres éléments, que ne le sont les hobbits. De plus, la pipe est un des attributs de Sherlock Holmes, une des figures anglaises les plus connues et ce n’est pas un hasard.
Je me permets de terminer en mentionnant une évidence. Un auteur est tributaire du passé littéraire et intellectuel de son époque. Je ne dis pas qu’il fait tout, je dis juste qu’une œuvre s’inscrit au milieu d’autres et fait partie, qu’on le veuille ou non, de quelque chose de plus large. Les œuvres dialoguent entre elles. Je n’ai jamais dit que Tolkien avait fait tout ce travail juste pour critiquer Nietzsche. Je dis juste que ces deux auteurs sont représentatifs de tendances opposées qui s’inscrivent dans leurs œuvres respectives. Tolkien reste un auteur, je ne dirais pas non plus comme un autre, mais il reste l’auteur d’une œuvre ayant une portée philosophique représentant une époque donnée. On en arrive un peu à la controverse Sainte Beuve vs Proust, et le gagnant ne fut pas Proust. Les auteurs, en tant que représentants des tendances d’une époque sont eux-mêmes des archétypes. Et, parfois à leur insu et parfois non, s’opposent à d’autres auteurs. C’est naturel. Et c’est tant mieux.
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Ton propos me semble reposer sur des angles distincts que je différencierais ainsi :
1) "Les idées de Tolkien pourraient être vues (j'adoucis l'assertion) comme une réaction envers celles de Nietzsche, même si cette opposition n'a pas été pensée comme telle par l'auteur notamment parce qu'on ignore si jamais Tolkien a effectivement lu Nietzsche (j'adoucis à nouveau)"
C'est l'idée qui m'irait, et dans ce cas, l'intérêt de cette comparaison est moins "l'influence de Nietzsche" sur Tolkien, que leurs affinités ou oppositions sur le plan des idées. C'est d'ailleurs l'angle suivi par le seul article qui mette résolument les deux auteurs en parallèle : Peter M. Candler, "Tolkien or Nietzsche, philology and nihilism", Tolkien among the Moderns. Il faudrait voir ce qu'il y aurait à dire de plus sur le sujet.
2) "Tolkien ayant écrit après Nietzsche, son œuvre reprend obligatoirement certaines idées de son aîné et la lecture nietzschéenne de l'oeuvre de Tolkien est sans aucun doute pertinente" (je simplifie l'assertion)
Ici en revanche, l'idée selon laquelle "une œuvre s'inscrit dans un contexte donné" et "par la force du contexte, untel a eu une influence sur toute la pensée de untel" est loin de justifier réellement un lien entre deux œuvres d'une même époque : sans compter la perception déformée du contexte (temporel ? culturel ?) et des influences (si elles sont si notables, pourquoi n'en a-t-on aucune trace ?), on peut aussi bien soutenir que toute œuvre ayant été écrite auparavant est propre à être une influence, et dans ce cas, quid de Hegel, Marx, Freud, et ainsi de suite jusqu'à l'épopée de Gilgamesh ? Peut-on soutenir la multiplication de ces prismes de lecture ?
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Je vais surtout rebondir sur le deuxième point. Tolkien, en tant qu'universitaire à Oxford, et en tant que philologue, était consciemment tributaire d'une longue tradition littéraire, comme le montre ses travaux sur Beowulf par exemple. Sa passion pour les anciens textes médiévaux, pour les différentes mythologies européennes et sa volonté de créer un passé à l'Europe montre bien qu'il s'inscrivait dans une lignée. De plus, une langue est tributaire d'un peuple, d'une vue du monde et d'une culture.
Tu cites quatre oeuvres qui justement pourraient être utilisées pour une eventuelle analyse de l'oeuvre de J.R.R. Hegel par exemple eut une influence énorme sur la manière dont l'histoire fut perçue. Je pense qu'une mise en parallèle de Tolkien et d'Hegel est d'ailleurs possible dans ce sens, car Tolkien fit un réel travail d'historien sur son oeuvre.
La question principale en fin de compte est la suivante : Quelles sont les différentes méthodes pour analyser une oeuvre littéraire ? Comment penser, de manière philosophique, une oeuvre ? Et, enfin, doit-on le faire ?
Je pense sincèrement que l'oeuvre de Tolkien recelle un contenu philosophique qui gagnerait à être mis en avant. Je suis convcaincu que son oeuvre, de par son sérieux et sa profondeur, peut être classée parmi celle des grandes figures philosophiques. Je suis convaincu qu'analyser Tolkien à travers la philosophie serait profitable. Car l'oeuvre de J.R.R. en analysant le réel offre des réponses aux questions considérées comme philosophiques, voir comme métaphysiques. Et des réponses aussi sérieuses que celles de philosophes confirmés. L'oeuvre de Tolkien est une réponse à des questions éternelles. Essayer de la traiter sérieusement est justement une manière de dégager de celle-ci ce qui en fait son génie. C'est à dire, la victoire de l'imaginaire, mais aussi du réel sur la barbarie. La victoire de la culture, sur la technique. Bien sur que certains penseurs sont éloignés de Tolkien et ne peuvent être rapprochés de lui, cependant, dès qu'il est possible de le faire, il faut essayer. Car si on considère, comme moi, que Tolkien peut être vu comme un "philosophe", alors le confronter à ces derniers est envisageable, au même titre que par exemple on pourrait discuter de l'évolution de l'histoire de Hegel à Marx.
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(Modification du message : 08.08.2019, 11:34 par Hofnarr Felder.)
(07.08.2019, 21:59)Dwayn a écrit : Si tu veux en parler plus avant, je suis souvent disponible sur le Discord, on peut peut-être se caler un moment pour voir ça de plus près.
Permettez-moi de ne pas le souhaiter ; la conversation est riche, intéressante, et si tu (Dwayn) es parmi l'un des plus investis à l'animer, d'autres la suivent. L'enterrer sous Discord, où elle ne laissera pas de trace sinon par fragments enterrés sous des tonnes de conversation hétéroclite, serait dommage, et une perte pour le forum.
(07.08.2019, 21:02)MrBathory a écrit : Quand j'ai qualifié Frodo de surhomme, j'ai utilisé ce terme dans sa terminologie nietzschéenne et non dans la définition que l'usage courant lui donne. [...] De plus, il n'est pas du tout passif, dès le départ il envie les aventures de Bilbo et, dès le départ de ce dernier, il est de plus en plus éloigné du Comté au profit du monde extérieur. Il n'hésitera pas à partir le moment venu. Je ne le trouve pas si passif que ça !
J'aurais une lecture différente. Frodo s'intéresse aux aventures de Bilbo, comme il s'intéresse aux langues des Elfes. Il est curieux d'esprit et ces aventures nourrissent une certaine appétence chez lui. De là à dire qu'il les envie, au sens où il aimerait les vivre, je n'en suis pas convaincu.
Quand Bilbo part pour la Quête d'Erebor, il part en toute liberté, il part parce qu'il se sent appelé à l'aventure. Il aurait tout autant le choix de décliner de ne pas y aller. Ces histoires de Nains, après tout, ne le concernent aucunement. Quand Frodo part pour sa Quête à lui, le contexte est tout différent. Il sait bien que c'est le destin entier de la Terre du Milieu qui repose sur lui. Il n'est pas libre de partir ou non, finalement ; certes, il accepte sa responsabilité, il ne rechigne pas, mais c'est quelque chose qu'il faut faire, pas quelque chose qu'il a envie de faire. Il ne manifeste donc jamais la même joie que Bilbo à partir à l'aventure.
Cette différence est d'ailleurs soulignée habilement par Tolkien dans la différence entre la chanson de Bilbo 'The Road Goes Ever On', et sa reprise par Frodo des années plus tard : le changement de tonalité est révélateur (je reste concis car tout ceci est exprimé très joliment dans ce très beau texte de Clément Pierson, voir § III B).
Pardonnez-moi d'avoir quelque peu dévié du sujet ; n'ayant pas lu Nietzsche et ne m'intéressant pas spécialement à cet auteur, je ne sais pas du coup si cela va plus ou moins dans le sens du sur-homme.
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(Modification du message : 08.08.2019, 11:46 par Dwayn.)
(07.08.2019, 22:32)MrBathory a écrit : Je me permets de penser que la figure du héros, j’ai pris ici l’exemple de Frodo mais tu as raison de citer Aragorn ou surtout Gandalf, est une manifestation du dépassement de soi qu’on pourrait rapprocher du surhomme nietzschéen. Libre à toi de ne pas me suivre là dessus hein !
Je ne suis pas en train de me demander si cette interprétation est vraie ou fausse : je demande surtout si elle est réellement pertinente. Vu la multitude de héros qui existent, il n'y a plus aucune pertinence à l'appliquer à Frodo ou même à l'oeuvre de Tolkien. D'autre part, tous les membres de la communauté se dépassent (ce qu'on peut éventuellement lier à la volonté de puissance) mais peu le font de leur propre force (exemple de Frodo soutenu par de nombreuses personnes) ; aucun ne cherche un éternel retour, ou je ne sais quoi d'autre.
En fait, je trouve cette interprétation si dénuée d'intérêt qu'elle pourrait même être appliquée à Gollum, qui par sa volonté dépasse sa condition de Hobbit, acquiert une longévité incroyable, et trouve avec l'anneau (rond, c'est un signe !) un éternel retour, une situation cyclique.
Mref, des billevesées de ce genre, on pourrait en inventer à la pelle : dès lors, la question est celle de la pertinence, comme je ne cesse de le répéter. Quel lien y a-t-il réellement entre Tolkien et Nietzsche ? Quelle influence avérée ? Surtout, quel sens cela apporte-t-il à l'oeuvre de Tolkien ? Tu vois bien que tes interrogations sur la nature "surhumaine" de Frodo finissent en eau de boudin, puisque tu ne cherches même pas à répondre à ta question, en pesant le pour et le contre.
En un sens (pour me répéter encore), je trouve que tu ne fais qu'appliquer une grille de lecture à l'oeuvre du Professeur, et que l'on a autant de pertinence à se demander quelle est la position du prolétariat dans l'oeuvre du Professeur, ou ce que symbolise véritablement la tombe de Balin d'un point de vue jungien.
(07.08.2019, 22:32)MrBathory a écrit : Pour Gimil, en tant que membre de la communauté (ou de la fraternité) de l’anneau il incarne son peuple tout entier et le dévouement de ce dernier envers le bien et contre le mal. Il n’y a d’ailleurs pas beaucoup d’autres nains dans le SDA. En ce sens je le considère comme archétype de son « espèce ».
Cet argument ne tient clairement pas : faire partie de la Communauté (ou Fratenité, comme tu dis ) ne rend en rien représentatif (plutôt l'inverse, même). Dirais-tu que Sam, Frodo, Merry et Pippin soient très représentatifs ? Au contraire, ils sont assez mal vus en Comté. Aragorn, plus représentatif que je ne sais quel péon que l'on croise dans le livre ? Non, car même s'ils portent le symbole de leur race dans la Communauté, on ne peut les prétendre représentatif. Gimli en particulier, qui finit en prenant la mer avec l'Elfe ; qui est issu d'une des Sept communautés de nains dans la Terre du Milieu (et donc à ce titre encore moins représentatif). Non, Gimli n'est pas Le Nain, pas plus que Legolas n'est L'Elfe, etc.
Je noterai avec amusement ton "le dévouement de ce dernier envers le bien et contre le mal" en sachant que les Nains, dans le Légendaire, ne sont clairement pas aussi... gentils que ce que tu indiques. On notera particulièrement la mise à sac de Doriath, l'épisode de Mîm (clairement ambivalent), la folie de Thror, l'avidité et le renfermement général des Nains.
"Il n’y a d’ailleurs pas beaucoup d’autres nains dans le SDA" : même s'ils sont davantage en arrière plan, tu en trouveras un certain nombre (surtout issus du Hobbit, où leur personnalité est décrite avec plus de précision).
En vérité, à part cette velléité de symbolisme et de voir des choses plus profondes qu'elles ne sont en réalité, qu'est-ce-qui t'empêche de voir en Gimli un personnage comme un autre – avec certes, toujours une dimension symbolique, mais qui ne masque en rien son individualité, sa personnalité, sa spécificité.
(07.08.2019, 22:32)MrBathory a écrit : L’influence de Nietzsche sur toute la pensée occidentale semble t’échapper alors qu’elle est considérable et représentative d’un mouvement de déchristianisation des sociétés.
En quoi cette influence serait-elle plus forte que celle de Freud ? Ou Marx ? Ou Darwin ? Ou je ne sais quel penseur contemporain qui va dans le sens du courant moderne ? Oseras-tu me dire qu'en terme de renommée et d'héritage, de publication et de lecture, les trois auteurs que j'ai cités là sont clairement moins marquants que notre Moustachu ?
Nietzsche n'est qu'un auteur de la modernité, à la suite d'un grand nombre (d'Ockham, Descartes, Kant, etc.).
Là où je te rejoins, c'est sur ta conclusion, en disant que Tolkien et Nietzsche s'inscrivent dans des courants opposés et, de fait, peuvent être contrastés. Mais les deux ont tellement peu à voir (malgré les points communs que tu as cités car, en vérité, tu n'en exploites aucun dans ton essai) que leur rapprochement n'apporte rien au schmilblick.
(07.08.2019, 22:32)MrBathory a écrit : Je doute qu’en tant que catholique, dans un pays anglican qui plus est, Tolkien n’ai pas été sensible à ce mouvement et à un certain relativisme moderne. Il était lui-même plutôt anti moderne d'ailleurs, comme sa position sur la technique le montre si bien. Je pense justement que, et pas nécessairement consciemment, l’œuvre de Tolkien est une réponse à la perte de sens amenée par les événements du XIX, comme l’industrialisation, et dont le point culminant fut la Première Guerre mondiale. En ce sens, lui qui fut dévasté par cette expérience indicible et fratricide s’est positionné pour un retour du sens dans l’existence à travers la morale véhiculée par les mythes.
Pourquoi l'oeuvre de Tolkien devrait-elle être une réponse philosophique au malaise du siècle ? Non pas qu'elle n'en soit point imprégnée (clairement pas), mais pourquoi ne serait-elle pas simplement à visée esthétique ? Je veux dire, tu sais comme moi que le fondement de l'oeuvre de Tolkien est son travail linguistique, et que cette création linguistique est avant tout une recherche de la beauté pour elle-même. De même pour la vision mythopoïétique : les légendes d'Arda ont un but esthétique, ce sont des histoires qui valent la peine d'être contées, pas avant tout une réponse aux questions philosophiques du temps.
Encore une fois, je ne nie pas que Tolkien s'inscrive dans son temps et, de fait, d'une manière ou d'une autre, s'approprie des questions de son siècle. Mais pourquoi réduire son oeuvre à une réponse ? En quoi les tengwar, la grammaire quenyarine ou la calligraphie de Namarie sont-elles une réponse, voire une réaction aux questions philosophiques de son siècle ? Il en est de même pour sa mythopoïesis... Le primat n'est pas au sens, mais à l'esthétique. Sans quoi il aurait écrit un essai – et Le Seigneur des Anneaux n'est pas un anti-Zarathoustra.
Tu dramatises trop les choses, à mon sens, à force d'y chercher un sens caché, et tu fais du mal à l'oeuvre en la contraignant à ta grille de lecture. C'est tout le sens, à mon avis, de bien des passages dans ses Lettres, où le Professeur récrimine à chaque instrumentalisation et relecture de son oeuvre.
(07.08.2019, 22:32)MrBathory a écrit : Les hobbits sont vus par Tolkien comme les représentants les plus proches du peuple anglais, peuple rural et qui aime la bonne chère. Les elfes, eux, de par leur côté évanescent et quasi entre-deux mondes perdent peu à peu leurs liens avec la TdM, ils s’exilent et sont de moins en moins nombreux. Le fait qu’ils ne fument pas d’herbe à pipe est plutôt logique, car ils sont moins rattachés à la terre, et plus aux autres éléments, que ne le sont les hobbits. De plus, la pipe est un des attributs de Sherlock Holmes, une des figures anglaises les plus connues et ce n’est pas un hasard. Je te rejoins sur ce que tu dis là : l'herbe à pipe comme un élément anglicisant. Mais cela semble s'arrêter là, l'herbe à pipe n'est pas un symbole absolu, et n'est pas qu'un symbole.
C'est comme le fait de donner un monocle à un personnage : de par la connotation du monocle, cela confère à mon personnage un passif bourgeois et/ou distingué. Mais en rien ce monocle n'est qu'un signifiant, il doit aussi être pris pour ce qu'il est, c'est-à-dire un objet concret permettant de donner une caractéristique personnalisante au personnage.
En mot de fin, je t'enjoins véritablement à toujours te poser la question de la pertinence. Qu'est-ce que cela apporte ? Est-ce que cela éclaire réellement ? Est-ce qu'un lecteur pourrait mieux saisir la portée de l'oeuvre en ayant lu ce que tu dis ?
@Hofnarr : entendu pour la question du Discord, désolé de ne pas y avoir pensé
Deuxième édit(h) :
(08.08.2019, 11:06)MrBathory a écrit : La question principale en fin de compte est la suivante : Quelles sont les différentes méthodes pour analyser une oeuvre littéraire ? Là-dessus, je t'ai dit ce que j'en pensais : partir de l'oeuvre sans se munir (autant que possible) de ses grilles de lecture. La prendre pour ce qu'elle est.
(08.08.2019, 11:06)MrBathory a écrit : Je suis convcaincu que son oeuvre, de par son sérieux et sa profondeur, peut être classée parmi celle des grandes figures philosophiques. Car l'oeuvre de J.R.R. en analysant le réel offre des réponses aux questions considérées comme philosophiques, voir comme métaphysiques. Et des réponses aussi sérieuses que celles de philosophes confirmés. L'oeuvre de Tolkien est une réponse à des questions éternelles. Essayer de la traiter sérieusement est justement une manière de dégager de celle-ci ce qui en fait son génie. C'est à dire, la victoire de l'imaginaire, mais aussi du réel sur la barbarie. La victoire de la culture, sur la technique.
A nouveau, je trouve que tu te montes la tête et cherches à ne pas voir la simplicité où elle est. Oui, Tolkien a des positions sur la place de l'art, de la technique, de la religion, qui transparaissent dans son oeuvre. Mais peut-on vraiment prendre son oeuvre comme une réponse philosophique à ces questions ? Les positionnements de Tolkien, si on les isole, sont globalement des positions du référentiel chrétien-thomiste, sans guère plus de détail. La mort comme un don et non une condamnation, l'histoire comme ayant une fin et alimentée par la Providence, l'art comme sub-création donc marque de la présence du Créateur dans ses créatures. Tout cela n'est guère nouveau et, même si cela reste intéressant à souligner, il ne faut pas plus dramatiser la chose en faisant de Tolkien un philosophe confirmé, victoire et lumière de l'imaginaire sur la barbarie, des hauts arts sur l'inhumanité – déclaration que je trouve être à la limite du ridicule, mais du mauvais côté de cette limite.
Oui, la mise en perspective philosophique a du sens, mais tu ne peux pas en espérer la même chose que la confrontation entre deux écrits philosophiques. Et, ce faisant, tu rates le coeur de l'oeuvre du Professeur.
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08.08.2019, 11:47
(Modification du message : 08.08.2019, 11:49 par Hofnarr Felder.)
(08.08.2019, 11:35)Dwayn a écrit : En mot de fin, je t'enjoins véritablement à toujours te poser la question de la pertinence. Qu'est-ce que cela apporte ? Est-ce que cela éclaire réellement ? Est-ce qu'un lecteur pourrait mieux saisir la portée de l'oeuvre en ayant lu ce que tu dis ?
Honnêtement, j'ai vu passer des tentatives de comparaison moins pertinentes (même sous ta plume, Dwayn ) ; finalement, une analyse apporte autant qu'elle nous donne de l'enthousiasme à causer, et c'est le cas ici.
Je viens de consulter le livre The Lord of the Rings and Philosophy, où se trouve un article intitulé " Überhobbits: Tolkien, Nietzsche, and the Will to Power", justement ! Je n'ai fait que le lire très en diagonale, mais finalement, et c'est peut-être symptomatique du fait que les deux auteurs relèvent de deux paradigmes très différents qui ne se parlent finalement que très peu, l'auteur ne conclut pas grand-chose. Il suggère que Sauron est peut-être bien un genre de sur-homme, mais que ce n'est pas dit quand même (je crois que je résume assez bien).
En tout cas l'auteur avance surtout l'idée que Tolkien est une "alternative" à Nietzsche, une "vision rivale de la réalité". Et de fait les valeurs mises en avant sont à l'opposé de celles de Nietzsche. La comparaison, le parallèle, conduit donc à juxtaposer deux visions qui peuvent paraître antagonistes.
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Je vais me cantonner, pour restreindre le sujet, et parce que ça revient depuis le début, sur la question de la pertinence de mon analyse. Je vais d'abord dire que je ne souhaite pas expliquer tout Tolkien à travers Nietzsche. Cela n'aurait aucun sens, et tout voir à travers un oeil unique n'a que peu d'interêt et fini souvent mal (cf Sauron ^^).
Ce que je pense nénanmoins, c'est que réfléchir aux liens entre deux oeuvres est primordial. Je ne nie aucunement le caractère esthétique de l'oeuvre de Tolkien. Ca non. Cependant, je pense que Tolkien a aussi voulu répondre à une perte de sens, à un vide intérieur constitué par un manque mythologique. Un mythe est par définition une réponse, une explication des problématiques humaines. Si on veut traiter cette question, on arrive rapidement à des interrogations philosophiques. Ces interrogations sont présentes dans les écrits de nombreux autres auteurs, dont Nietzsche. Ce dernier offre une réponse différente de Tolkien, certes. Mais il répond aux mêmes questions ! Et en cela, comparer les deux peut être une solution pour approfondir l'oeuvre, mais non pour l'expliquer totalement. Je ne pense pas du tout me monter la tête mais simplement l'utiliser pour faire ressortir l'intéret de Tolkien et ainsi essayer de promouvoir une oeuvre qui le mérite.
@Hofnarr Felder
Je ne connais pas du tout ce livre (LOTR and philosophy) et te remercie de me le faire découvrir, je vais essayer de me le procurer si il est encore disponible !
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(08.08.2019, 11:58)MrBathory a écrit : Un mythe est par définition une réponse, une explication des problématiques humaines.
C'est là, je pense, que réside notre différend. A mon sens, le mythe n'est pas qu'étiologique : il est aussi une histoire qui est intéressante à lire et à raconter, qu'il est toujours intéressante de ré-entendre, tant elle est riche. Autrement, on en arrive à une vision trop déterministe, où chaque mythe devrait apporter une réponse, être une réponse, ne contenir pour ainsi dire que cela. Et de fait, il faudrait trouver un sens à chaque élément, y compris aux castagnettes d'Hercule (cf. Lac de Stymphale)
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Un mythe a de nombreux aspects, en plus d'un aspect de divertissement pur. C'est justement là l'interêt. Que chacun y trouve son compte. C'est d'ailleurs ce qui en fait son caractère universel et fédérateur.
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08.08.2019, 12:12
(Modification du message : 08.08.2019, 12:13 par Hofnarr Felder.)
Je suis assez d'accord avec l'idée que parfois, en tant que lecteur, on peut être amené à établir une connexion entre deux œuvres alors même qu'il n'en existait pas au préalable, à les faire dialoguer l'une avec l'autre. Cela ne signifie pas que ces deux œuvres soient liées par un lignage, comme peuvent l'être a contrario Hegel et Marx, ou William Morris et Tolkien, mais bien que ça nous apporte quelque chose, à nous, de les mettre en regard, pour voir ce que cela produit de nouveau sur la pensée. Je pense par exemple à ces expositions d'art qui font se croiser une œuvre occidentale et une œuvre d'Extrême-Orient (un exemple précis m'échappe sur le moment). Il y a, je crois, un droit à tout comparer, à tout juxtaposer. Qu'on en tire quelque chose de valable ou non en fin de compte, cela dépend de nous.
Par ailleurs, pour les mythes, j'ai aussi une vision plus large de ce qu'ils apportent et représentent, et je rejoins assez largement Dwayn. C'est d'ailleurs la position explicite de Tolkien, qui souligne que les éléments les plus étranges et rétifs à toute interprétation, dans les mythes, subsiste non pas tant en dépit de leur étrangeté et parce qu'ils auraient une signification cachée, mais bien parce que, étant étranges, ils frappent l'esprit et se laissent garder en mémoire. Cf. la conférence "Du conte de fées".
Ensuite, que le "légendaire" de Tolkien ouvre à des interrogations philosophiques, c'est un fait : il suffit de voir l'Athrabeth, par exemple.
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La définition de ce qu'est un mythe est un travail de longue haleine, d'autant plus que cette dernière a évoluée avec le temps et selon les auteurs. Elle est passée par de nombreuses évolutions suivant les sociétés dans lesquelles elle avait une place. Je pense, mais ce n'est que mon opinion, que le mythe est d'abord quelque chose qui mérite d'être raconté et qui, de part la place centrale qu'il occupait notamment dans les sociétés traditionnelles, a une valeur d'exemple. Le mythe est en quelque sorte une ritualisation de la réalité, une inscription de l'existence individuelle et des moments qui la compose au sein d'une histoire plus ample, d'une tradition. On pourra notamment lire à ce sujet l'interprétation de Mircea Eliade dans son "Aspects du mythe".
Au-dela donc du caractère possiiblement divertissant et esthétique, on peut y trouver des clefs pour interpréter le réel, et ce n'est d'ailleurs pas pour rien si les premiers philosophes grecs se placèrent contre les mythes véhiculés notamment par Homère. La philosophie tenta de répondre différemment aux questions posées par les mythes. Il s'agit de positions qui évidemment mènent à un débat où chacun peut exprimer son ressenti mais on ne peut occulter le fait que la philosophie fut perçue comme une tentative de subversion des mythes (cf la mort de Socrate). Je pense que le sentiment d'étrangeté des mythes est aussi une manière de les fixer durablement dans les esprits, afin de faire ressortir certains aspects plus évidents par contraste mais aussi pour montrer que tout ne peut pas s'expliquer, que l'inconnu fait partie de l'existence.
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(08.08.2019, 11:28)Hofnarr Felder a écrit : Quand Bilbo part pour la Quête d'Erebor, il part en toute liberté, il part parce qu'il se sent appelé à l'aventure. Il aurait tout autant le choix de décliner de ne pas y aller.
Frodo comme Bilbo sont pressés par la nécessité : Bilbo s'est empâté (comme on l'apprend dans les CLI) et ne désire pas vraiment partir, si bien que Gandalf ne lui laisse finalement pas le choix. C'est pourquoi Bilbo se lamente dès le départ ("I wish I was at home in my nice hole by the fire, with the kettle just beginning to sing! It was not the last time that he wished that!" Bilbo, ch.2).
De la même manière, au moment de faire son choix, Frodo éprouve un profond désir de demeurer près de Bilbo ("An overwhelming longing to rest and remain at peace by Bilbo’s side in Rivendell filled all his heart. At last with an effort he spoke, and wondered to hear his own words, as if some other will was using his small voice", SdA II.2).
Dans les deux cas, Frodo et Bilbo sont les instruments d'une volonté supérieure et quasi-impératrice, même si pour Frodo, le sacrifice est plus évident à bien des égards.
(08.08.2019, 11:35)Dwayn a écrit : (07.08.2019, 22:32)MrBathory a écrit : Pour Gimil, en tant que membre de la communauté (ou de la fraternité) de l’anneau il incarne son peuple tout entier et le dévouement de ce dernier envers le bien et contre le mal. Il n’y a d’ailleurs pas beaucoup d’autres nains dans le SDA. En ce sens je le considère comme archétype de son « espèce ».
Cet argument ne tient clairement pas : faire partie de la Communauté (ou Fratenité, comme tu dis ) ne rend en rien représentatif (plutôt l'inverse, même). Dirais-tu que Sam, Frodo, Merry et Pippin soient très représentatifs ? Au contraire, ils sont assez mal vus en Comté. Aragorn, plus représentatif que je ne sais quel péon que l'on croise dans le livre ? Non, car même s'ils portent le symbole de leur race dans la Communauté, on ne peut les prétendre représentatif. Gimli en particulier, qui finit en prenant la mer avec l'Elfe ; qui est issu d'une des Sept communautés de nains dans la Terre du Milieu (et donc à ce titre encore moins représentatif). Non, Gimli n'est pas Le Nain, pas plus que Legolas n'est L'Elfe, etc.
Tolkien dit bien que les membres de la Communauté sont des représentants de leur peuple :
Citation :"For the rest, they shall represent the other Free Peoples of the World: Elves, Dwarves, and Men. Legolas shall be for the Elves; and Gimli son of Glóin for the Dwarves." SdA, II.3
Par ailleurs, leur rôle dans le roman est cohérent avec celui de leur peuple :
Citation :"In Sauron's final overthrow, Elves were not effectively concerned at the point of action. Legolas probably achieved least of the Nine Walkers." CLI 3, Istari
Enfin, le roman va jusqu'à une identifier le destin du représentant avec celui de son peuple dans le cas d'Aragorn, héritier d'un peuple errant dont le nom peut tomber dans l'oubli si lui-même échoue. Fort à propos, sa ressemblance frappante avec Elendil, créateur des royaumes dunedain (via sa ressemblance avec Elendur, son petit-fils) tend à montrer qu'il est littéralement une incarnation de cette chance de faire renaître les deux royaumes ("It is said that in later days those (such as Elrond) whose memories recalled him were struck by the great likeness to him, in body and mind, of King Elessar, the victor in the War of the Ring" CLI3.1).
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(08.08.2019, 14:24)Tikidiki a écrit : Tolkien dit bien que les membres de la Communauté sont des représentants de leur peuple :
Citation :"For the rest, they shall represent the other Free Peoples of the World: Elves, Dwarves, and Men. Legolas shall be for the Elves; and Gimli son of Glóin for the Dwarves." SdA, II.3
Nuance, tout de même, entre la représentation "diplomatique", officielle, et la représentativité symbolique dont je parlais plus haut
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En même temps, l'individu archétypique n'est pas l'individu moyen, prototypique ; quelque part, l'individu archétypique exalte et magnifie les qualités de la classe qu'il représente. Que les membres de la Communauté soient pour l'essentiel des princes (Boromir, Legolas) ou à tout le moins des membres de la noblesse (Gimli, dans une certaine mesure très hobbitique, Merry), n'est donc pas un hasard, et tend à souligner leur statut d'archétype.
On pourrait presque dire que ce n'est qu'avec la Dissolution de la Communauté que les personnages s'individualisent et sortent de leur position archétypale ; pendant les premiers chapitres du livre II, Gimli et Legolas se comportent en archétypes presque parfaits, en se détestant cordialement pour faire bonne mesure, avec la nécessité pour Gandalf de les rappeler à l'ordre.
Petite citation pour le goûter :
SdA, II, 3 a écrit :Even Gimli, as stout as any dwarf could be, was grumbling as he trudged.
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(08.08.2019, 14:35)Dwayn a écrit : Nuance, tout de même, entre la représentation "diplomatique", officielle, et la représentativité symbolique dont je parlais plus haut
Tu mets des guillemets, car il ne s'agit pas de représentants officiels. Ils n'ont pas de pouvoir d'agir au nom de leur peuple (sauf au Conseil d'Elrond pour Boromir, Legolas, etc.), d'ailleurs l'objectif n'est pas diplomatique. Les Hobbits n'ont pas de mandat du tout de leur peuple, et Elrond n'a aucune légitimité à choisir untel plutôt qu'un autre. Ils n'ont donc aucune obligation vis-à-vis de leur peuple ou de quiconque, et on est très loin d'une ambassade.
"Représenter" signifie que tous les peuples libres sont présents dans la Communauté à travers ces individus : c'est clairement le symbole (mot interdit) d'une union face à un objectif. La présence d'untel est "symbolique", dans le sens où un autre Elfe aurait été aussi efficace, mais là il faut représenter tous les peuples. Bref, pas si évident.
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(08.08.2019, 15:20)Tikidiki a écrit : (08.08.2019, 14:35)Dwayn a écrit : Nuance, tout de même, entre la représentation "diplomatique", officielle, et la représentativité symbolique dont je parlais plus haut
Tu mets des guillemets, car il ne s'agit pas de représentants officiels. Ils n'ont pas de pouvoir d'agir au nom de leur peuple (sauf au Conseil d'Elrond pour Boromir, Legolas, etc.), d'ailleurs l'objectif n'est pas diplomatique. Les Hobbits n'ont pas de mandat du tout de leur peuple, et Elrond n'a aucune légitimité à choisir untel plutôt qu'un autre. Ils n'ont donc aucune obligation vis-à-vis de leur peuple ou de quiconque, et on est très loin d'une ambassade.
"Représenter" signifie que tous les peuples libres sont présents dans la Communauté à travers ces individus : c'est clairement le symbole (mot interdit) d'une union face à un objectif. La présence d'untel est "symbolique", dans le sens où un autre Elfe aurait été aussi efficace, mais là il faut représenter tous les peuples. Bref, pas si évident.
Meh : ce que je signifiais, c'est que cette symbolique est interne à l'histoire, dans le sens où si, par exemple, il n'y avait pas eu de nain ou d'elfe dans la Communau·Fraterni·té (R.I.P. les yeux d'Elendil), il y aurait eu des remous au conseil d'Elrond (et Elrond lui-même, je pense, n'aurait pas trouvé ça juste).
Mais cela n'implique pas que, dans la symbolique (externe) de l'histoire, Gimli soit représentatif des Nains ou Legolas des Elfes. En ce sens, je trouve le paragraphe d'Hofnarr très sensé.
Doctus cŭm libro
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La distinction entre interne et externe est-elle utile ? Si Gimli symbolise de fait l'engagement des Nains et que cette image est explicite dans le roman, cela signifie-t-il qu'elle n'est pas aussi pertinente à l'externe ? Si je te dis "Aragorn est fils d'Arathorn" (ou : le sceptre d'Annuminas symbolise le pouvoir de l'Arnor), tu me réponds "oui, mais pas à l'externe" ? Vraie question.
On est d'accord que la "représentativité" de ces représentants avec leur peuple est limitée, mais si tu es d'accord avec le fait que Legolas et Gimli se comportent au début comme des archétypes de leur peuple, avec le fait que les CLI font un lien clair entre l'engagement de Legolas et celui des Elfes, je pense qu'on peut dire qu'il y a une part de symbolique dans les membres de la Communauté, non ? Je ne vais pas plus loin personnellement !
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D'entrée, je postulerais volontiers qu'il est souvent intéressant d'examiner un auteur littéraire au prisme d'une tradition, disons, philosophique, pour en faire ressortir des éléments saillants, et ce même si l'auteur en question ne se revendique pas, voire même ignore la tradition en question. Bien sûr, le prisme choisi déterminera ce qu'on en tirera, qui sera plus ou moins riche, et laissera nécessairement au moins autant d'aspects dans l'ombre qu'il n'en mettra en lumière.
A ce titre, même une interprétation chrétienne de Tolkien ne sera qu'une analyse partielle de son oeuvre. Mais pour en revenir à des courants que Tolkien ne devait connaître que superficiellement, voire pas du tout, j'ai déjà lu d'excellentes analyses jungiennes ou duméziliennes de certains passages des romans de Tolkien. Il est vrai qu'à partir du moment où l'on considère l'une et l'autre tradition comme dotée d'un pouvoir explicatif, il est logique que les mythes que remploie Tolkien puissent contenir des fragments de l'idéologie tripartite mise en évidence par Dumézil ou que Tolkien ait inconsciemment mis en lumière des archétypes au sens jungien du terme.
Pour Nietzsche, on peut effectivement se poser la question de la pertinence. De fait, mes maigres compétences en la matière m'amèneraient à penser que les deux hommes se sont confrontés à des questions similaires, auxquelles ils ont répondu très différemment. On pourrait contraster avec Marx, par exemple, auquel Tolkien est entièrement hermétique. On pourrait certes faire une critique marxiste de Tolkien, mais il me semblerait vain de chercher chez lui la moindre notion influencée par le marxisme, ne serait-ce qu'en réaction à celui-ci.
(08.08.2019, 11:35)Dwayn a écrit : En fait, je trouve cette interprétation si dénuée d'intérêt qu'elle pourrait même être appliquée à Gollum, qui par sa volonté dépasse sa condition de Hobbit, acquiert une longévité incroyable, et trouve avec l'anneau (rond, c'est un signe !) un éternel retour, une situation cyclique.
Pour le coup, j'irais jusqu'à dire qu'une critique aussi caricaturale a tendance à déconsidérer le point de vue qu'elle défend, parce qu'il est assez aisé de montrer que Gollum est quasiment l'opposé du surhomme nietzschéen. Dans une perspective nietzschéenne (dont la pertinence serait à démontrer, je le répète), j'aurais plutôt tendance à assimiler Gollum au Dernier Homme ( der letzte Mensch) de Zarathoustra, sachant que les Hobbits ont intrinsèquement en eux cette tendance à pencher de ce côté des choses. En fait, j'inclinerais à penser que le fait que Gandalf commente cette tendance hobbitique et que Tolkien revienne dessus dans ses Lettres est sans doute un indice du fait qu'il connaît au moins superficiellement Nietzsche, ne serait-ce que par ses conversations avec ses pairs.
(08.08.2019, 11:35)Dwayn a écrit : Cet argument ne tient clairement pas : faire partie de la Communauté (ou Fratenité, comme tu dis ) ne rend en rien représentatif (plutôt l'inverse, même). Dirais-tu que Sam, Frodo, Merry et Pippin soient très représentatifs ? Au contraire, ils sont assez mal vus en Comté.
Faux à plusieurs titres, je le crains. D'abord parce qu'avec Frodo, Sam et Merry (Pippin étant un ajout de dernière minute), on a un très bon panorama de la société hobbite. Ensuite parce que tous les Hobbits de la Fraternité, sauf Frodo, jouissent d'une popularité extrême en Comté après leur retour. Et puisque Frodo est l'exception, c'est qu'il est intrinsèquement exceptionnel, ce sur quoi Gandalf ne s'est pas trompé. Pour le reste, je rejoins globalement Tikidiki dans ses réponses à cette remarque.
(08.08.2019, 11:35)Dwayn a écrit : En vérité, à part cette velléité de symbolisme et de voir des choses plus profondes qu'elles ne sont en réalité, qu'est-ce-qui t'empêche de voir en Gimli un personnage comme un autre – avec certes, toujours une dimension symbolique, mais qui ne masque en rien son individualité, sa personnalité, sa spécificité.
Le propre du mythe n'est-il pas précisément de mélanger de manière inextricable symbolisme et individualité des personnages qui y figurent ?
(08.08.2019, 11:35)Dwayn a écrit : Pourquoi l'oeuvre de Tolkien devrait-elle être une réponse philosophique au malaise du siècle ? Non pas qu'elle n'en soit point imprégnée (clairement pas), mais pourquoi ne serait-elle pas simplement à visée esthétique ? Je veux dire, tu sais comme moi que le fondement de l'oeuvre de Tolkien est son travail linguistique, et que cette création linguistique est avant tout une recherche de la beauté pour elle-même. De même pour la vision mythopoïétique : les légendes d'Arda ont un but esthétique, ce sont des histoires qui valent la peine d'être contées, pas avant tout une réponse aux questions philosophiques du temps.
Il faudrait tout de même revenir un peu à Tolkien, notamment lorsqu'il dit que mythologie et langage sont indissociables, ou qu'il exprime son ambition passée de créer une série de mythes qu'il pourrait dédier à l'Angleterre. Ce n'est pas qu'une question esthétique, même si c'en est aussi une. Incidemment, c'est un autre axe possible de rapprochement avec Nietzsche, qui mériterait d'être traité : la forme. Ce n'est pas un hasard si Nietzsche n'a pas fait de la philosophie à la manière de Descartes ou de Spinoza, à coups d'axiomes, de lemmes et de démonstrations...
(08.08.2019, 11:35)Dwayn a écrit : C'est tout le sens, à mon avis, de bien des passages dans ses Lettres, où le Professeur récrimine à chaque instrumentalisation et relecture de son oeuvre.
Pas exactement. Tolkien proteste contre l'utilisation allégorique de son oeuvre. Pas contre son applicabilité. Il y a une nuance très sérieuse entre prétendre que Frodo serait une allégorie du surhomme et affirmer que le personnage de Frodo possède un certain nombre de traits qui permettraient de le rapprocher de la figure du surhomme dans une certaine perspective.
(08.08.2019, 11:35)Dwayn a écrit : Les positionnements de Tolkien, si on les isole, sont globalement des positions du référentiel chrétien-thomiste, sans guère plus de détail.
Sans guère plus de détails, cela m'étonnerait. Devaux, qui a une connaissance de la philosophie thomiste bien plus approfondie que la mienne, a suffisamment montré que les positions de Tolkien à ce propos étaient particulièrement fouillées et nuancées.
(08.08.2019, 15:20)Tikidiki a écrit : Les Hobbits n'ont pas de mandat du tout de leur peuple, et Elrond n'a aucune légitimité à choisir untel plutôt qu'un autre. Ils n'ont donc aucune obligation vis-à-vis de leur peuple ou de quiconque, et on est très loin d'une ambassade.
"Représenter" signifie que tous les peuples libres sont présents dans la Communauté à travers ces individus : c'est clairement le symbole (mot interdit) d'une union face à un objectif. La présence d'untel est "symbolique", dans le sens où un autre Elfe aurait été aussi efficace, mais là il faut représenter tous les peuples. Bref, pas si évident.
De fait, ce n'est sûrement pas un hasard non plus si Tolkien, par la bouche d'Elrond, choisit d'envoyer Legolas plutôt que Glorfindel. Ce dernier est représentatif des Elfes du Premier Âge, mais plus de ceux du Troisième...
Pour conclure, j'invite évidemment les participants à ce fuseau à consulter les textes de Tolkien à portée philosophiques parues dans les Tolkien Studies, ainsi que les trois courtes "Pensées philosophiques" calligraphiées en tengwar (hé oui) parues dans le PE 20. A ce titre, je vous mets la conclusion de la troisième, qui montre assez ce que Tolkien pensait de la philosophie post-nietzschéenne (cf. PE 20, p. 115) :
J.R.R. Tolkien a écrit :We also talked of idealist philosophy and atheist - the latter of which has always been to me unintelligible: I have never understood how anyone nowadays could remain in such a position if position it can be called.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
— La Chanson de Roland
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NB : Il y a un article de Mickaël Devaux sur Tolkien et la philosophie dans Tolkien et les sciences. C'est d'ailleurs un des articles les plus intéressants et les mieux renseignés du volume. Coïncidence amusante, il cite entre autres les « Pensées philosophiques » dont je parlais dans le message précédent, en les remettant bien mieux dans leur contexte que je n'aurais su le faire.
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(15.10.2019, 08:42)Elendil a écrit : NB : Il y a un article de Mickaël Devaux sur Tolkien et la philosophie dans Tolkien et les sciences. C'est d'ailleurs un des articles les plus intéressants et les mieux renseignés du volume. Coïncidence amusante, il cite entre autres les « Pensées philosophiques » dont je parlais dans le message précédent, en les remettant bien mieux dans leur contexte que je n'aurais su le faire.
Merci de mettre cet article en lumière, je le lirai avec attention !
But do not despise the lore that has come down from distant years; for oft it may chance that old wives keep in memory word of things that once were needful for the wise to know.
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