19.10.2019, 22:52
Bosko décida d’entrer seul dans la Vieille Forêt. Il attendait ses camarades de confrérie depuis plusieurs heures déjà et il avait d’autres quêtes à accomplir dans la journée. Celle-ci était en général accomplie par des groupes, s’il devait en croire les discussions qu’il avait pu avoir au Poney Fringant. Mais le Hobbit n'était pas fait de la même étoffe que ses congénères, et sa qualité de Gardien lui conférait du courage et de la vaillance au combat.
Dès qu’il franchit les premières frondaisons, il sentit sur son échine que de multiples yeux l’observaient. Refusant de céder à l’intimidation, il se retint de lever la tête, se concentrant sur la carte que lui avait remis Janelle Fierbois à proximité de l’hôtel de ville de Bree. Celle-ci indiquait précisément –en principe- quel chemin parcourir, à l’arbre près, pour parvenir sans coup férir dans l’antre de la Tisseuse. La direction générale de ses pas allait donc vers le sud, mais il devrait faire plusieurs détours, la Vieille Forêt n’étant pas exempte de pièges. C’était la première fois qu’il y pénétrait, et les histoires d’arbres errants ou autres animaux terrifiants qui couraient chez les aventuriers de la région n’étaient pas faits pour le rassurer.
Tandis qu’il contournait un frêne de belle taille, il entendit un bruissement inhabituel. Sur sa droite un arbre s’agitait étrangement. Devant ses yeux ébahis, il le vit s’arracher à la terre, et se mettre à se déplacer vers lui. Saisissant sa hache, il se dirigea d’un pas décidé vers le végétal baladeur. Celui-ci balançait ses branches de façon presque comique, mais le Hobbit se méfiait, car les rameaux étaient de belle taille. Il essaya de trancher l’un d’eux avec son épée, mais reçut en représailles un énorme coup sur la tempe. Légèrement sonné, malgré son casque en mithril, il parvint cependant à battre un peu en retraite pour reprendre ses esprits. Il se sentait un peu lourdaud dans la nouvelle armure qu’il venait d’acquérir, ses mouvements n’étaient pas aussi aisés qu’il l’aurait aimé. Mais il n’eut pas le temps de pousser plus avant ses réflexions car l’arbre se dirigeait gauchement vers lui. Bosko décida d’en finir. Ignorant les lianes et les petites branches qui commençaient à l’effleurer, il se jeta en avant, visant l’une des grosses racines qui semblait tenir lieu de jambes au végétal. Son premier coup, maladroit, ébranla cependant son assaillant, et le Hobbit profita de son avantage pour brandir sa hache puis asséner plusieurs autres coups au même endroit, finissant par trancher la racine. L’arbre laissa alors échapper un gémissement étrange, presque humain, tout en vacillant sur sa fondation tranchée, qui laissait échapper des flots de sève.
Après avoir achevé l’arbre errant, le Gardien s’avisa de sa situation. Son combat ne l’avait pas trop écarté de son chemin, et il put reprendre sa marche sans perdre beaucoup de temps. La sensation oppressante lui retomba dessus presque aussitôt. La forêt, déjà assez touffue, s’était encore assombrie et de nombreuses ombres inquiétantes semblaient le suivre derrière le rideau d’arbres. Mais curieusement, la Vieille Forêt était exempte des bruits habituels des sous-bois : pas de grillons, aucun cri d’oiseau. Le vent, lui, était bien présent, mais s’exprimait dans des tons inquiétants, plus proches des murmures caverneux que des caresses zéphyrines dont son cher Comté était coutumier. Renforçant sa vigilance, il continua son chemin dans les sous-bois obscurs.
Sa progression dura plusieurs heures. Malgré sa précision, la carte de Janelle Fierbois ne lui permettait pas d’éviter tous les obstacles, et la Vieille forêt en recélait beaucoup. Il fut le témoin d’étranges choses ; des animaux de belle taille capturés et momifiés dans d’énormes toiles d’araignée, par exemple. Arachnophobe, il ne pouvait s’empêcher de frissonner en essayant d’évaluer la taille des arachnides ayant fabriqué ces pièges soyeux et gluants. Il vit également des fleurs très belles, peut-être uniques, qui trouveraient sans doute preneurs à Bree. Mais il n’était pas là pour ça. A un moment son chemin l’emmena en surplomb d’une petite retenue d’eau au pied d’une cascade. Il s’arrêta pendant plusieurs minutes, promenant son regard sur les alentours. Il aperçut une femme de haute taille, belle comme le jour, qui semblait regarder le miroir aquatique avec mélancolie. Mais lorsqu’il descendit à sa rencontre, il ne la trouva pas au bord de la mare. Il repartit donc en sens inverse, l’ascension étant moins aisée que la descente avec son armure. Pendant son trajet il fut attaqué à plusieurs reprises par des loups monstrueux, mais curieusement, jamais en bande, toujours des individus isolés. Il eut à combattre d’autres arbres errants, parfois aidés par des racines vindicatives.
C’est donc à la tombée de la nuit, beaucoup plus tard que ce qu’il espérait, qu’il arriva en vue de l’Antre de la Tisseuse. Il ne savait pas trop à quoi s’attendre, les récits des aventuriers du Poney Fringant divergeant beaucoup. C’était dans une clairière assez sombre, mais de petite superficie. Le regard était automatiquement attiré par des trames luisantes vers le fond. S’approchant doucement, Bosko se rendit compte que les trames en question étaient tout simplement des fils de soie qui cachaient en partie un énorme chêne mort. Lorsqu’il leva les yeux, il ne put s’empêcher d’ouvrir la bouche d’émerveillement. La Tisseuse avait brodé un réseau complexe entre tous les arbres de la clairière, les fils s’entrecroisant fréquemment et formant ça et là des renflements. Certains d’entre eux semblaient d’ailleurs palpiter, s’agiter de façon inquiétante… Bosko ne put s’empêcher de frissonner en imaginant l’engeance monstrueuse qui devait se trouver là, dans ces cocons, attendant d’avoir suffisamment grandi pour déchirer les membranes chitineuses et déferler sur le monde, assoiffée.
Tandis qu’il parcourait des yeux cette toile complexe, un frémissement lui parcourut l’échine. Malgré la pénombre qui recouvrait la clairière, il vit une ombre gigantesque s’avancer au-dessus de lui. Il se déplaça juste avant qu’un projectile l’atteigne. Se relevant, il vit une masse sombre, dotée de nombreuses pattes souples, fondre sur lui. Et à l’avant de la masse, de multiples surfaces réfléchissant les faibles éclats de lumière encore présents dans la clairière. Les yeux de la Tisseuse. Bosko se mit à couvert, là où la Tisseuse aurait du mal à l’atteindre à cause de sa masse prodigieuse. Lorsqu’elle atterrit avec agilité sur le sol et s’arrêta pour l’observer, il put en faire autant. Il évalua sa taille à celle de sept ou huit Hobbits, et la longueur de son corps, entre ses crochets et la fin de son abdomen, à une dizaine de mètres. L’arachnide géant fit quelques pas sur ses fines pattes chitineuses, puis se dressa afin de mieux projeter son poison gluant. Le Hobbit se déplaça sur le côté, juste à temps pour voir la place où il se trouvait précédemment véritablement engluée. Il prit alors son arc et une flèche, et tenta de toucher la tête du monstre. L’animal bougea, et le trait atteint tout de même le côté de son abdomen, provoquant un sifflement de douleur chez la Tisseuse. Le Hobbit profita de son avantage pour tirer sa courte épée, abandonnant sa hache, trop lourde, sur le sol. Mais son adversaire se ressaisit et recommença à expulser de nouveaux crachats gluants tout en essayant de le faucher avec ses pattes antérieures. Bosko donnait quelques coups au hasard avec sa dague, et l’un d’eux porta, puisqu’il sentit d’abord une résistance, puis la lame rencontra à nouveau l’air libre : il avait tranché l’une des pattes ! A nouveau la Tisseuse fit entendre son sifflement dérangeant, et elle redoubla de frénésie, rendue folle par la douleur. Le Hobbit reçut quelques coups, heureusement sans conséquence. Il se mit à courir pour contourner la créature. Celle-ci eut du mal à le suivre, malgré la finesse de ses pattes. Cependant le dard situé à l’arrière de son abdomen lui effleura la joue. Il n’y prit pas garde, essayant de trouver un moyen d’échapper à sa vigilance. Il finit par monter, avec difficulté à cause de sa cotte de mailles, sur les branches d’un gros arbre à côté de son antre, et se retrouva derrière la bête, momentanément paniquée à l’idée d’avoir perdu sa proie dodue. Le Gardien n’hésita qu’un instant, surmontant sa répugnance, et dégaina à nouveau sa courte épée, et se lança sur l’échine de son adversaire. Dès qu’elle le sentit, elle lança aussitôt des ruades sauvages. Heureusement Bosko put se saisir d’une touffe de poils à l’arrière de la tête pour se maintenir. Il manqua à plusieurs reprises tomber de son énorme monture. Lâchant sa prise, il brandit son épée à deux mains et l’enfonça profondément dans le cerveau de la Tisseuse, juste au-dessus de ses yeux multiples. Le cri strident fut poussé à son paroxysme, et le Hobbit lâcha son arme pour se boucher les oreilles. Une ultime ruade l’envoya bouler parmi les herbes hautes de la clairière. Le corps raidi de l’araignée géante ne tarda pas à suivre le même chemin, et l’écrasement fut évité de justesse.
Le Hobbit récupéra ses armes éparpillées dans toute la clairière, éventra –non sans répugnance- les rejetons de la créature dans leurs cocons (car c’étaient bien des bébés Tisseurs qui se trouvaient là) et contempla son œuvre. Il n’oublia pas d’extraire délicatement un œil de l’arachnide monstrueux, en guise de preuve de ses exploits. La Tisseuse n'était plus. Le Maire de Bree allait être content, et l’accomplissement de cette mission allait lui permettre de renflouer ses finances.
Mais il sentit soudain une étrange langueur s’emparer de lui. L’aiguillon de la Tisseuse contenait-il un poison ? Bosko passa sa main gantée sur son visage ; il avait saigné, mais curieusement il ne sentit pas sa main. Un léger vertige le prit, et il sut qu’il était en grand péril. Il voulut repartir mais la désorientation s’empara de lui. De plus, il n’arrivait pas à remettre la main sur la carte de Janelle Fierbois. Il s’avança donc droit devant lui, déjà vacillant, se souvenant vaguement qu’un cours d’eau coulait à l’ouest de l’Antre de l’arachnide. Peu à peu ses sens connaissaient des faiblesses : sa vue devenait trouble, il entendait un bourdonnement étrange, sa bouche devenait pâteuse. Ses pas aussi se firent hésitants, ses muscles peu à peu gagnés par la paralysie. Il discerna entre les arbres un cours d’eau coulant en contrebas. Il se défit lentement de sa cotte de mailles et de sa hache, ne gardant que sa tunique et sa dague, et jeta ses dernières forces dans un saut dans la rivière. Il s’accrocha à l’un des vieux troncs d’arbre qui descendaient le courant à l’aide de la sangle de son carquois. Puis sombra dans l’inconscience.
Ce ne fut que quelques jours après qu’il recouvra ses esprits. Il se trouvait chez un pêcheur de Château-Brande, bourgade hobbite située sur les rives du Brandevin, dans lequel se jetait le ruisseau qu’il avait rejoint au sud de la Vieille Forêt. Celui-ci l’avait vu passer alors qu’il pêchait paisiblement dans la rivière, et c’est avec l’aide des bateliers de la rive opposée qu’il avait pu le sauver. Bosko avait perdu nombre de ses possessions dans sa dérive, mais avait réussi à conserver l’œil de la Tisseuse. Remis d’aplomb par les soins de la femme du pêcheur, il pourrait bientôt se remettre à arpenter la Terre du Milieu…
Dès qu’il franchit les premières frondaisons, il sentit sur son échine que de multiples yeux l’observaient. Refusant de céder à l’intimidation, il se retint de lever la tête, se concentrant sur la carte que lui avait remis Janelle Fierbois à proximité de l’hôtel de ville de Bree. Celle-ci indiquait précisément –en principe- quel chemin parcourir, à l’arbre près, pour parvenir sans coup férir dans l’antre de la Tisseuse. La direction générale de ses pas allait donc vers le sud, mais il devrait faire plusieurs détours, la Vieille Forêt n’étant pas exempte de pièges. C’était la première fois qu’il y pénétrait, et les histoires d’arbres errants ou autres animaux terrifiants qui couraient chez les aventuriers de la région n’étaient pas faits pour le rassurer.
Tandis qu’il contournait un frêne de belle taille, il entendit un bruissement inhabituel. Sur sa droite un arbre s’agitait étrangement. Devant ses yeux ébahis, il le vit s’arracher à la terre, et se mettre à se déplacer vers lui. Saisissant sa hache, il se dirigea d’un pas décidé vers le végétal baladeur. Celui-ci balançait ses branches de façon presque comique, mais le Hobbit se méfiait, car les rameaux étaient de belle taille. Il essaya de trancher l’un d’eux avec son épée, mais reçut en représailles un énorme coup sur la tempe. Légèrement sonné, malgré son casque en mithril, il parvint cependant à battre un peu en retraite pour reprendre ses esprits. Il se sentait un peu lourdaud dans la nouvelle armure qu’il venait d’acquérir, ses mouvements n’étaient pas aussi aisés qu’il l’aurait aimé. Mais il n’eut pas le temps de pousser plus avant ses réflexions car l’arbre se dirigeait gauchement vers lui. Bosko décida d’en finir. Ignorant les lianes et les petites branches qui commençaient à l’effleurer, il se jeta en avant, visant l’une des grosses racines qui semblait tenir lieu de jambes au végétal. Son premier coup, maladroit, ébranla cependant son assaillant, et le Hobbit profita de son avantage pour brandir sa hache puis asséner plusieurs autres coups au même endroit, finissant par trancher la racine. L’arbre laissa alors échapper un gémissement étrange, presque humain, tout en vacillant sur sa fondation tranchée, qui laissait échapper des flots de sève.
Après avoir achevé l’arbre errant, le Gardien s’avisa de sa situation. Son combat ne l’avait pas trop écarté de son chemin, et il put reprendre sa marche sans perdre beaucoup de temps. La sensation oppressante lui retomba dessus presque aussitôt. La forêt, déjà assez touffue, s’était encore assombrie et de nombreuses ombres inquiétantes semblaient le suivre derrière le rideau d’arbres. Mais curieusement, la Vieille Forêt était exempte des bruits habituels des sous-bois : pas de grillons, aucun cri d’oiseau. Le vent, lui, était bien présent, mais s’exprimait dans des tons inquiétants, plus proches des murmures caverneux que des caresses zéphyrines dont son cher Comté était coutumier. Renforçant sa vigilance, il continua son chemin dans les sous-bois obscurs.
Sa progression dura plusieurs heures. Malgré sa précision, la carte de Janelle Fierbois ne lui permettait pas d’éviter tous les obstacles, et la Vieille forêt en recélait beaucoup. Il fut le témoin d’étranges choses ; des animaux de belle taille capturés et momifiés dans d’énormes toiles d’araignée, par exemple. Arachnophobe, il ne pouvait s’empêcher de frissonner en essayant d’évaluer la taille des arachnides ayant fabriqué ces pièges soyeux et gluants. Il vit également des fleurs très belles, peut-être uniques, qui trouveraient sans doute preneurs à Bree. Mais il n’était pas là pour ça. A un moment son chemin l’emmena en surplomb d’une petite retenue d’eau au pied d’une cascade. Il s’arrêta pendant plusieurs minutes, promenant son regard sur les alentours. Il aperçut une femme de haute taille, belle comme le jour, qui semblait regarder le miroir aquatique avec mélancolie. Mais lorsqu’il descendit à sa rencontre, il ne la trouva pas au bord de la mare. Il repartit donc en sens inverse, l’ascension étant moins aisée que la descente avec son armure. Pendant son trajet il fut attaqué à plusieurs reprises par des loups monstrueux, mais curieusement, jamais en bande, toujours des individus isolés. Il eut à combattre d’autres arbres errants, parfois aidés par des racines vindicatives.
C’est donc à la tombée de la nuit, beaucoup plus tard que ce qu’il espérait, qu’il arriva en vue de l’Antre de la Tisseuse. Il ne savait pas trop à quoi s’attendre, les récits des aventuriers du Poney Fringant divergeant beaucoup. C’était dans une clairière assez sombre, mais de petite superficie. Le regard était automatiquement attiré par des trames luisantes vers le fond. S’approchant doucement, Bosko se rendit compte que les trames en question étaient tout simplement des fils de soie qui cachaient en partie un énorme chêne mort. Lorsqu’il leva les yeux, il ne put s’empêcher d’ouvrir la bouche d’émerveillement. La Tisseuse avait brodé un réseau complexe entre tous les arbres de la clairière, les fils s’entrecroisant fréquemment et formant ça et là des renflements. Certains d’entre eux semblaient d’ailleurs palpiter, s’agiter de façon inquiétante… Bosko ne put s’empêcher de frissonner en imaginant l’engeance monstrueuse qui devait se trouver là, dans ces cocons, attendant d’avoir suffisamment grandi pour déchirer les membranes chitineuses et déferler sur le monde, assoiffée.
Tandis qu’il parcourait des yeux cette toile complexe, un frémissement lui parcourut l’échine. Malgré la pénombre qui recouvrait la clairière, il vit une ombre gigantesque s’avancer au-dessus de lui. Il se déplaça juste avant qu’un projectile l’atteigne. Se relevant, il vit une masse sombre, dotée de nombreuses pattes souples, fondre sur lui. Et à l’avant de la masse, de multiples surfaces réfléchissant les faibles éclats de lumière encore présents dans la clairière. Les yeux de la Tisseuse. Bosko se mit à couvert, là où la Tisseuse aurait du mal à l’atteindre à cause de sa masse prodigieuse. Lorsqu’elle atterrit avec agilité sur le sol et s’arrêta pour l’observer, il put en faire autant. Il évalua sa taille à celle de sept ou huit Hobbits, et la longueur de son corps, entre ses crochets et la fin de son abdomen, à une dizaine de mètres. L’arachnide géant fit quelques pas sur ses fines pattes chitineuses, puis se dressa afin de mieux projeter son poison gluant. Le Hobbit se déplaça sur le côté, juste à temps pour voir la place où il se trouvait précédemment véritablement engluée. Il prit alors son arc et une flèche, et tenta de toucher la tête du monstre. L’animal bougea, et le trait atteint tout de même le côté de son abdomen, provoquant un sifflement de douleur chez la Tisseuse. Le Hobbit profita de son avantage pour tirer sa courte épée, abandonnant sa hache, trop lourde, sur le sol. Mais son adversaire se ressaisit et recommença à expulser de nouveaux crachats gluants tout en essayant de le faucher avec ses pattes antérieures. Bosko donnait quelques coups au hasard avec sa dague, et l’un d’eux porta, puisqu’il sentit d’abord une résistance, puis la lame rencontra à nouveau l’air libre : il avait tranché l’une des pattes ! A nouveau la Tisseuse fit entendre son sifflement dérangeant, et elle redoubla de frénésie, rendue folle par la douleur. Le Hobbit reçut quelques coups, heureusement sans conséquence. Il se mit à courir pour contourner la créature. Celle-ci eut du mal à le suivre, malgré la finesse de ses pattes. Cependant le dard situé à l’arrière de son abdomen lui effleura la joue. Il n’y prit pas garde, essayant de trouver un moyen d’échapper à sa vigilance. Il finit par monter, avec difficulté à cause de sa cotte de mailles, sur les branches d’un gros arbre à côté de son antre, et se retrouva derrière la bête, momentanément paniquée à l’idée d’avoir perdu sa proie dodue. Le Gardien n’hésita qu’un instant, surmontant sa répugnance, et dégaina à nouveau sa courte épée, et se lança sur l’échine de son adversaire. Dès qu’elle le sentit, elle lança aussitôt des ruades sauvages. Heureusement Bosko put se saisir d’une touffe de poils à l’arrière de la tête pour se maintenir. Il manqua à plusieurs reprises tomber de son énorme monture. Lâchant sa prise, il brandit son épée à deux mains et l’enfonça profondément dans le cerveau de la Tisseuse, juste au-dessus de ses yeux multiples. Le cri strident fut poussé à son paroxysme, et le Hobbit lâcha son arme pour se boucher les oreilles. Une ultime ruade l’envoya bouler parmi les herbes hautes de la clairière. Le corps raidi de l’araignée géante ne tarda pas à suivre le même chemin, et l’écrasement fut évité de justesse.
Le Hobbit récupéra ses armes éparpillées dans toute la clairière, éventra –non sans répugnance- les rejetons de la créature dans leurs cocons (car c’étaient bien des bébés Tisseurs qui se trouvaient là) et contempla son œuvre. Il n’oublia pas d’extraire délicatement un œil de l’arachnide monstrueux, en guise de preuve de ses exploits. La Tisseuse n'était plus. Le Maire de Bree allait être content, et l’accomplissement de cette mission allait lui permettre de renflouer ses finances.
Mais il sentit soudain une étrange langueur s’emparer de lui. L’aiguillon de la Tisseuse contenait-il un poison ? Bosko passa sa main gantée sur son visage ; il avait saigné, mais curieusement il ne sentit pas sa main. Un léger vertige le prit, et il sut qu’il était en grand péril. Il voulut repartir mais la désorientation s’empara de lui. De plus, il n’arrivait pas à remettre la main sur la carte de Janelle Fierbois. Il s’avança donc droit devant lui, déjà vacillant, se souvenant vaguement qu’un cours d’eau coulait à l’ouest de l’Antre de l’arachnide. Peu à peu ses sens connaissaient des faiblesses : sa vue devenait trouble, il entendait un bourdonnement étrange, sa bouche devenait pâteuse. Ses pas aussi se firent hésitants, ses muscles peu à peu gagnés par la paralysie. Il discerna entre les arbres un cours d’eau coulant en contrebas. Il se défit lentement de sa cotte de mailles et de sa hache, ne gardant que sa tunique et sa dague, et jeta ses dernières forces dans un saut dans la rivière. Il s’accrocha à l’un des vieux troncs d’arbre qui descendaient le courant à l’aide de la sangle de son carquois. Puis sombra dans l’inconscience.
Ce ne fut que quelques jours après qu’il recouvra ses esprits. Il se trouvait chez un pêcheur de Château-Brande, bourgade hobbite située sur les rives du Brandevin, dans lequel se jetait le ruisseau qu’il avait rejoint au sud de la Vieille Forêt. Celui-ci l’avait vu passer alors qu’il pêchait paisiblement dans la rivière, et c’est avec l’aide des bateliers de la rive opposée qu’il avait pu le sauver. Bosko avait perdu nombre de ses possessions dans sa dérive, mais avait réussi à conserver l’œil de la Tisseuse. Remis d’aplomb par les soins de la femme du pêcheur, il pourrait bientôt se remettre à arpenter la Terre du Milieu…