25.05.2017, 13:25
(Modification du message : 25.05.2017, 13:26 par Chiara Cadrich.)
Un petit conte d'espoir pour dépasser les heures sombres.
Tu feras le pitre. Il rira à gorge déployée.
Il pleurera à chaude larme. Tu chanteras une comptine.
Tu grimperas aux arbres. Il te suivra, coûte que coûte.
Il trouvera du bois. Tu allumeras le feu.
Tu manqueras ta cible à la chasse. Il posera des collets.
Il trouvera des champignons. Tu jetteras les vénéneux.
Il aura faim. Toi aussi.
Tu lui enseigneras la prudence. Il t’apprendra la patience.
Tu le laisseras gagner à la course. Il te laissera gagner aux échecs.
Tu seras blessé. Il donnera son sang.
Tu écarteras ses doutes. Il t’expliquera tes rêves.
Tu lui diras la guerre. Il te dira la paix.
Tu garderas ses secrets. Il honorera tes serments.
Tu lui montreras l’arc-boutant qui soutient la voûte. Il te dévoilera la voute qui soutient les étoiles.
Tu comprendras la tactique. Il étudiera la stratégie. Mais aucun des deux ne parviendra à comprendre les filles.
Tu finiras ses harangues. Il finira tes poèmes.
Tu le prendras de haut. Il se rebellera.
Vous vous querellerez. Vous vous réconcilierez pour vous présenter devant votre père.
Tu aimeras le jour éclatant. Il préférera la douce nuit.
Mais ensemble vous vénérerez le Gondor, aussi nécessaires l’un à l’autre que tous deux à votre patrie.
Nouveaux Départs à Rath Dinen
.oOo.
.oOo.
Thorongil s’avançait sous la haute voûte sombre de Rath Dînen. Des bustes majestueux le toisaient d’un regard aigu, drapés dans leurs toges de gypse. Ses pas réveillaient en écho le chuchotement des Rois, comme si chaque souverain annonçait à son voisin, la visite de l’un des leurs.
A la mort d’Ecthelion , à peine Thorongil avait-il eu le droit d’assister aux obsèques. A présent, avant de quitter le royaume, le rôdeur ressentait le besoin de faire ses adieux au vieux sire.
La lignée des rois et des reines descendant d’Anarion, et les intendants de la maison de Mardil, reposaient là, dans le sanctuaire au cœur de la montagne. De hauts dais protégeaient de leurs dentelles de marbre, les gisants de granit des grands capitaines et des maitres du savoir, qui tous avaient détenu le sceptre d’Osgiliath. Chaque stèle rappelait la lutte des siècles, la longue défaite et l’espoir renouvelé des hommes. L'oriflamme de pierre, sertie de gemmes aux lueurs pâles, courait d’un cintre à l’autre, gage de permanence du pouvoir royal dans sa résistance au Mordor. Les figures hiératiques de basalte semblaient intimer au visiteur, l’ordre muet de prendre sa part du glorieux fardeau.
Pourtant, parmi les colonnades endeuillées de grisaille, une flamme de couleur vive palpitait, caressée d’un rayon diaphane, que jetait par une lucarne le Mindolluin enneigé. Une minuscule forme ébouriffée, recroquevillée sur elle-même, sanglotait au pied du catafalque d’Ecthelion.
Le petit Boromir, écrasé par la solennité des regards de pierre, tenait ses jambes écorchées entre ses bras, le visage caché dans ses genoux.
Voilà donc pourquoi sa voix intérieure insistait tellement pour que Thorongil rendît cette dernière visite ? Le rôdeur sourit tristement à l’effigie d’Ecthelion, dont le regard d’aigle sembla s’adoucir.
Le rôdeur s’assit à côté du garçon, que secouaient des sanglots muets.
Regardant dans le vague devant lui, il attendit que l’enfant parlât de lui-même.
Au bout d’un moment, le petit lui jeta un regard de biais, et essuya discrètement ses larmes. Remarquant la tenue passée de l’adulte - cuir usé et cape délavée de rôdeur - il demanda :
- Tu t’en vas, Thorongil ?
- Oui, je suis venu dire au revoir à ton grand-père.
- … Tu crois qu’il nous entend ?
- Bien sûr. Et je l’entends, aussi, parfois.
- Tu l’entends ? Comment tu fais ?
- Je viens ici, comme toi. Je fais le silence dans mon cœur. Et puis je l’imagine assis tranquillement dans son étude, au milieu de ses livres préférés, sous le portrait de ta grand-mère. Alors, j’écoute bien attentivement… et parfois il me parle.
- Tu crois qu’il voudrait me parler aussi ?
Thorongil passa son bras autour des petites épaules :
- J’en suis sûr. Respire bien profondément, ferme les yeux et pense à lui… Imagine qu’il t’écoute… Qu’es-tu venu lui dire ?
A nouveau les écluses de ses yeux se rompirent, inondant le visage enfantin.
- Je ne veux pas qu’il soit parti !
Thorongil serra l’enfant contre lui et attendit qu’il se calmât.
- Ton grand-père aurait bien voulu rester, mais son corps était trop malade. Il se repose maintenant au pays des héros…
- Maman m’a expliqué. Mais il me manque tellement… Il m’emmenait avec lui. Il me racontait les Rois. Il s’occupait de moi. Maintenant qu’il est parti, c’est Papa qui fait tout. Papa et Maman ne rient plus. Ils ne s’occupent plus que du bébé. Alors quand je suis tout seul, je viens ici…
- C’est donc ça que tu voulais confier à ton grand-père… Tu sais il faut laisser un peu de temps à tes parents pour s’habituer. Ils sont tristes eux aussi. Tu devrais peut-être leur dire.
- Moi je suis sûr que ça ne va rien changer du tout : depuis que le bébé est là, c’est comme si je n’existais plus ! Ça sert vraiment à rien, un petit frère !
- … Je crois que ton grand-père t’a entendu. Et il n’est pas tout-à-fait d’accord. Il dit qu’un frère, ça sert à tout. Ecoute…
A la mort d’Ecthelion , à peine Thorongil avait-il eu le droit d’assister aux obsèques. A présent, avant de quitter le royaume, le rôdeur ressentait le besoin de faire ses adieux au vieux sire.
La lignée des rois et des reines descendant d’Anarion, et les intendants de la maison de Mardil, reposaient là, dans le sanctuaire au cœur de la montagne. De hauts dais protégeaient de leurs dentelles de marbre, les gisants de granit des grands capitaines et des maitres du savoir, qui tous avaient détenu le sceptre d’Osgiliath. Chaque stèle rappelait la lutte des siècles, la longue défaite et l’espoir renouvelé des hommes. L'oriflamme de pierre, sertie de gemmes aux lueurs pâles, courait d’un cintre à l’autre, gage de permanence du pouvoir royal dans sa résistance au Mordor. Les figures hiératiques de basalte semblaient intimer au visiteur, l’ordre muet de prendre sa part du glorieux fardeau.
Pourtant, parmi les colonnades endeuillées de grisaille, une flamme de couleur vive palpitait, caressée d’un rayon diaphane, que jetait par une lucarne le Mindolluin enneigé. Une minuscule forme ébouriffée, recroquevillée sur elle-même, sanglotait au pied du catafalque d’Ecthelion.
Le petit Boromir, écrasé par la solennité des regards de pierre, tenait ses jambes écorchées entre ses bras, le visage caché dans ses genoux.
Voilà donc pourquoi sa voix intérieure insistait tellement pour que Thorongil rendît cette dernière visite ? Le rôdeur sourit tristement à l’effigie d’Ecthelion, dont le regard d’aigle sembla s’adoucir.
Le rôdeur s’assit à côté du garçon, que secouaient des sanglots muets.
Regardant dans le vague devant lui, il attendit que l’enfant parlât de lui-même.
Au bout d’un moment, le petit lui jeta un regard de biais, et essuya discrètement ses larmes. Remarquant la tenue passée de l’adulte - cuir usé et cape délavée de rôdeur - il demanda :
- Tu t’en vas, Thorongil ?
- Oui, je suis venu dire au revoir à ton grand-père.
- … Tu crois qu’il nous entend ?
- Bien sûr. Et je l’entends, aussi, parfois.
- Tu l’entends ? Comment tu fais ?
- Je viens ici, comme toi. Je fais le silence dans mon cœur. Et puis je l’imagine assis tranquillement dans son étude, au milieu de ses livres préférés, sous le portrait de ta grand-mère. Alors, j’écoute bien attentivement… et parfois il me parle.
- Tu crois qu’il voudrait me parler aussi ?
Thorongil passa son bras autour des petites épaules :
- J’en suis sûr. Respire bien profondément, ferme les yeux et pense à lui… Imagine qu’il t’écoute… Qu’es-tu venu lui dire ?
A nouveau les écluses de ses yeux se rompirent, inondant le visage enfantin.
- Je ne veux pas qu’il soit parti !
Thorongil serra l’enfant contre lui et attendit qu’il se calmât.
- Ton grand-père aurait bien voulu rester, mais son corps était trop malade. Il se repose maintenant au pays des héros…
- Maman m’a expliqué. Mais il me manque tellement… Il m’emmenait avec lui. Il me racontait les Rois. Il s’occupait de moi. Maintenant qu’il est parti, c’est Papa qui fait tout. Papa et Maman ne rient plus. Ils ne s’occupent plus que du bébé. Alors quand je suis tout seul, je viens ici…
- C’est donc ça que tu voulais confier à ton grand-père… Tu sais il faut laisser un peu de temps à tes parents pour s’habituer. Ils sont tristes eux aussi. Tu devrais peut-être leur dire.
- Moi je suis sûr que ça ne va rien changer du tout : depuis que le bébé est là, c’est comme si je n’existais plus ! Ça sert vraiment à rien, un petit frère !
- … Je crois que ton grand-père t’a entendu. Et il n’est pas tout-à-fait d’accord. Il dit qu’un frère, ça sert à tout. Ecoute…
.oOo.
Tu feras le pitre. Il rira à gorge déployée.
Il pleurera à chaude larme. Tu chanteras une comptine.
Tu grimperas aux arbres. Il te suivra, coûte que coûte.
Il trouvera du bois. Tu allumeras le feu.
Tu manqueras ta cible à la chasse. Il posera des collets.
Il trouvera des champignons. Tu jetteras les vénéneux.
Il aura faim. Toi aussi.
Tu lui enseigneras la prudence. Il t’apprendra la patience.
Tu le laisseras gagner à la course. Il te laissera gagner aux échecs.
Tu seras blessé. Il donnera son sang.
Tu écarteras ses doutes. Il t’expliquera tes rêves.
Tu lui diras la guerre. Il te dira la paix.
Tu garderas ses secrets. Il honorera tes serments.
Tu lui montreras l’arc-boutant qui soutient la voûte. Il te dévoilera la voute qui soutient les étoiles.
Tu comprendras la tactique. Il étudiera la stratégie. Mais aucun des deux ne parviendra à comprendre les filles.
Tu finiras ses harangues. Il finira tes poèmes.
Tu le prendras de haut. Il se rebellera.
Vous vous querellerez. Vous vous réconcilierez pour vous présenter devant votre père.
Tu aimeras le jour éclatant. Il préférera la douce nuit.
Mais ensemble vous vénérerez le Gondor, aussi nécessaires l’un à l’autre que tous deux à votre patrie.
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Le rôdeur interrogea la moue dubitative du petit Boromir. Il n’avait pas tout compris.
Pourtant au fond de sa pupille, une flammèche trahissait une certaine jubilation, une attente fébrile, à la perspective de cette ainesse si exaltante, de ce partage si étonnant, et peut-être de toutes ces bêtises dont les punitions seraient allégées, puisque partagées !
Thorongil entraîna le garçon. Après un bref regard rasséréné et un petit salut de la main vers la statue du grand-père, ils quittèrent les lieux consacrés.
- Tu sais, les petits frères, c’est traitre : plus tu t’en occupes, plus tu as envie de t’en occuper ! Tu risques de ne plus avoir de temps pour tes parents…
Pourtant au fond de sa pupille, une flammèche trahissait une certaine jubilation, une attente fébrile, à la perspective de cette ainesse si exaltante, de ce partage si étonnant, et peut-être de toutes ces bêtises dont les punitions seraient allégées, puisque partagées !
Thorongil entraîna le garçon. Après un bref regard rasséréné et un petit salut de la main vers la statue du grand-père, ils quittèrent les lieux consacrés.
- Tu sais, les petits frères, c’est traitre : plus tu t’en occupes, plus tu as envie de t’en occuper ! Tu risques de ne plus avoir de temps pour tes parents…
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NOTES
[1] Au décès de leur grand-père Ecthelion, Boromir est âgé de six ans, et Faramir d’un an.
[1] Au décès de leur grand-père Ecthelion, Boromir est âgé de six ans, et Faramir d’un an.