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Dernier jour dans la vie d'un père *
#1
Dernier jour dans la vie d’un père
.oOo.
En réponse à un défi sur le thème "Vie et Mort", un détournement éhonté de notre JPS national.
.oOo.
Le crépuscule embrasait la cataracte de la vallée cachée. La Dernière Maison Simple, suspendue aux falaises d’albâtre, luisait sous les larmes que dispensait une douce giboulée.
Quittant le porche de sa demeure, Elrond fit quelques pas sur le marbre immaculé, et observa avec attention les traînées de feu qui s’effilochaient dans les cieux pourpre. Une journée de fer et de sang s’achevait. La rumeur du combat avait volé jusqu’à lui sur l’aile des vents du nord.
Un doute menaçant avait plané un moment au-dessus de la combe fendue, mais ils étaient bien trois guerriers, à redescendre ses pentes verdoyantes. Elrond rasséréné s’avança à leur rencontre, sa robe de soie sombre claquant dans la brise du soir.
Ses jumeaux, chasseurs impitoyables et fléaux des créatures des Fourrés aux Trolls, encadraient un jeune homme, à la forte carrure mais au front juvénile. Aucun ne semblait blessé, pourtant une grave sollicitude marquait les beaux visages des deux aînés lorsque les jeunes gens s’inclinèrent devant le maître de Fondcombe.
- Ada ! Estel s’est élevé au rang des puissants capitaines de jadis !, dit Elrohir. Son jugement est aussi prompt dans la bataille que son regard est acéré au tir. Jusqu’ici Elladan et moi l’avons protégé et encadré comme vous nous l’aviez assigné. Pourtant aujourd’hui, sans la valeur de notre cadet, notre compagnie aurait été détruite. Les gobelins ont déjoué notre embuscade et pris notre escouade en tenaille. Mais Estel, affecté à l’arrière avec quelques archers, s’en est aperçu à temps, et a dirigé la contre-attaque avec une détermination mortelle.
Le jeune homme semblait encore sous le choc de ses exploits. Elrond remercia ses fils d’un hochement de tête reconnaissant et entraîna son protégé :
- Ta mère sera fière de te voir marcher si tôt dans les traces glorieuses de tes pères ! Mais je vois que tu restes marqué par ce combat…
- C’est la première fois que j’ai craint pour la vie de mes frères, et que j’ai dû les défendre à l’arme blanche… Pendant le combat, je n’ai pas eu le temps d’hésiter, mais là, je n’arrête pas d’y penser, mes mains tremblent, je ne peux pas m’en empêcher…
- Alors c’est cela…Croiser le regard de l’ennemi en fait un être de chair et de sang. Mon fils, il te fallait en passer par là…
- Pourtant je n’ai aucun remords à avoir - ces orques sont une vermine infâme, juste bonne pour l’extermination…
Comme ils déambulaient sous les frises de marbre du grand hall, Elrond considéra gravement le jeune homme :
- Même des créatures aussi viles méritent que leur mort ne soit pas un acte banal d’éradication. Le malaise qui t’habite est salutaire, je te souhaite de t’en souvenir, la vie durant !
Estel contempla au passage les tronçons de Narsil, souvenirs d’un espoir déchu, qui reposaient dans l’attente du destin. Psalmodiant un linod (1), Elrond prit doucement dans les siennes les mains du jeune homme, qui enfin put se calmer:
- La vie d’un Dunadan ne saurait se réduire à occire ce à quoi il renie le droit de vivre. Endurcis ton cœur, sans le laisser gagner par l’indifférence… Du reste, les orques ne furent pas toujours ce qu’ils sont devenus…
Estel à présent respirait plus librement :
- Que voulez-vous dire, Père ?
Elrond poussa un soupir fataliste avant de répondre :
- Nos plus anciens contes rapportent qu’orques et gobelins sont les descendants d’elfes, odieusement pervertis par le noir ennemi du monde. Car le mal, borné à moquer ou corrompre, ne peut créer la vie par lui-même.
Dans ses appartements, Elrond raviva le feu et fit s’étendre Estel pour lui prodiguer ses soins. Perplexe, le jeune homme demanda :
- Les orques sont-ils donc immortels, comme les elfes ?
- Est-ce vraiment là l’essentiel pour toi ? Ne sois pas trop prompt à envier aux elfes leur immortalité. Tu ignores la longue défaite des siècles de douleur…
Le maître de Fondcombe, un moment irrité, se leva pour prendre le temps de la réflexion. Il ouvrit une commode ouvragée. Une fragrance de fruits mûrs se répandit dans la pièce, évoquant la douceur du foyer et la sécurité d’un intérieur préservé. D’une fiole ambrée, il versa quelques gouttes cristallines dans un gobelet d’argent, qu’il tendit au jeune homme. Scrutant par la fenêtre, au-delà du crépuscule, vers la demeure séculaire des siens, il poursuivit :
- La tragédie de Numénor l’engloutie nous enseigne le prix des aspirations impies… Mais surtout, tu dois déjà savoir que tout don n’échoit qu’en contrepartie d’un fardeau. Pour les elfes, annoncés par le premier thème de la Grande Musique avant tout méfait de Melkor, l’essence précède l’existence.
- Ada, vous parlez encore par énigmes !
- Maître questionneur, lorsque l’on s’interroge sur la portée de la vie et la signification de la mort, il faut s’attendre à des réponses difficiles ! », lança Elrond avec un sourire complice.
Devant le regard fatigué d’Estel, le maître d’Imladris consentit tout de même une petite explication :
- La nature des elfes, indissociable des cercles de ce monde, les y maintient, par-delà la destruction de leur corps. Qu’ils le veuillent ou non, ils y perdurent, souffrant éternellement de sa corruption croissante et de leur propre amoindrissement.
Pensif, Estel laissa le Miruvor couler dans sa gorge. En quelques instants, la lassitude des membres et du cœur s’estompa. Aussi le jeune homme revint-il à l’assaut :
- Et qu’en est-il des hommes, Ada ?
- Pour les hommes, à l’inverse, l'existence précède l'essence. (2) Bien qu’annoncés dans le chœur des Aïnur au dernier thème, ils sont apparus après qu’une blessure infligée au monde en a altéré l’intention. Le chaos de cette cacophonie les laissa libres de maîtriser leur destinée, individuellement et en tant que peuples.
Ainsi l'homme forge sa nature, invente sa conduite, façonne son essence au cours de son existence. Sa destinée est inconnue de tous, hormis l’Unique. La destination de l’esprit des hommes après la perte de leur corps n’est pas connue des elfes, mais elle est certainement déterminée par la nature que se forge chacun d’eux jusqu’à son départ.
- Je serais donc libre au cours de ma courte vie d’homme ? N’êtes-vous pas libre vous aussi ?
- Je suis libre de mes actions, mais le sens de ma vie, inscrit tout entier dans les limites de ce monde, s’est implacablement imposé à moi.
- Mais n’avez-vous pas choisi de devenir qui vous êtes ?
- Contrairement aux jeunes humains, qui semblent prendre la mesure de leurs possibles destinées lorsqu’ils atteignent la maturité physique, les jeunes elfes se sentent tôt ou tard, rattrapés par un destin qui s’impose à eux. Lorsque j’ai ressenti cet appel irrésistible, j’ai su que j’étais elfe, au contraire de mon frère Elros. Depuis je tâche, sans espoir, de préserver la grâce de mon peuple.
Estel resta silencieux, quelque peu oppressé par l’évocation d’une destinée multi-millénaire. Satisfait, Elrond qui l’observait attentivement, ajouta avec légèreté :
- Mais la vie d’Elfe offre malgré tout des surprises, des défis, et d’immenses satisfactions, telles qu’éduquer un jeune humain profondément imprévisible !
Estel sourit à son père adoptif.
- Ada, vous attendez de moi que je prenne en main mon destin. Mais voyez-vous un espoir sous le ciel, face à nos ennemis en cet âge du monde ?
- Pourquoi crois-tu que l’on te nomma « Estel » ? Tout est possible en l’âge des hommes,… pourvu qu’il advienne !
- Alors, Père, je crois que la part elfique de mon héritage a prévalu, car la destinée m’a déjà souri !
Le jeune homme s’abstint d’en dire plus, le regard égaré au-delà des montagnes, vers la belle Lothlorien, où l’Etoile du Soir (3) s’en était retournée pour un temps.
Maître Elrond perçut, dans le gris acier de ces yeux perdus dans les étoiles, une détermination inflexible et un espoir insensé. Le vénérable semi-elfe ne connaissait qu’un seul levier, un seul mobile, à même de conférer une telle foi, humaine ou elfique…
Elrond sut alors que ce jeune homme, qu’il aimait comme un fils, lui ravirait bientôt, transfiguré par l’amour, la grâce de ses jours de père.
.oOo.
NOTES
(1) Vers elfiques, proverbe, charme ou sortilège.
(2) Théorie empruntée à l'existentialisme.
(3) Autre nom d'Arwen Undomiel, fille d'Elrond et amour secret d'Estel
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#2
Je développe un peu ici ce que j'ai déjà eu loisir de t'écrire par courriel: j'aime vraiment beaucoup ce texte écrit d'une plume habile et fluide qui mêle sans lourdeur réflexions philosophiques et métaphysiques au conte. On se retrouve spectateur médusé de cette discussion entre Elrond et Aragorn qui pourrait être un fragment perdu du Seigneur des Anneaux ou plus vraisemblablement du Silmarillon. En tous les cas, chapeau. Je ne suis pas assez expert dans l'oeuvre de notre auteur préféré pour émettre un avis pertinent sur la cohérence du fond développé ici avec les idées sous-tendant l'oeuvre de JRR mais j'en apprécie pas moins la forme plaisante ainsi que les références à la philosophie de Sartre. Un vrai régal en un mot.
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#3
Je partage le sentiment de maître Baradon. Merci beaucoup pour ce partage qui illumine la section Arts.
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#4
Merci pour ce texte, on croirait un appendice original du SdA retrouvé par miracle au fond d'un tiroir...
Je vais donc lire tes prochains messages !

Pour pinailler: Tolkien a progressivement écarté l'hypothèse des Elfes corrompus comme source des Orques, mais ça n'enlève rien à la qualité de ton texte.

JPS: c'est quoi ?
La lumière n'indique pas le bout du tunnel, c'est la lanterne de celui qui comme toi, cherche à sortir.
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#5
Bonjour Sam.

Il me semble que le point que tu soulèves est assez important.
Les Valar sont-ils capables d'engendrer la vie d'êtres de conscience ?
Oui, puisque Aulë crée les pères des nains sans y être invité. On peut imaginer que Melkor, le plus fort des Aïnur, en est également capable (disons, au plan de la "puissance").

Les orques ont été engendrés par Melkor, le seigneur des ténèbres, ce qui outrepasse le cours assigné au monde et contrevient à la suprématie d'Eru (et donc voilà un crime de plus).

Mais l'Ombre a-t-elle pu générer toute seule ces horreurs, ou sur la base des créature existantes ? Le "Mal" a-t-il cette limitation intrinsèque de ne pouvoir créer la vie (dans les oeuvres de JRR)?

En me basant sur le Sil et SdA, je dirais plutôt oui, mais les choses ne sont pas si claires :

- Je constate que dans le Silmarillion, on n'entend pas parler des orques avant les elfes. On parle de créatures envoyées par Morgoth pour corrompre les Elfes.

- Quelquepart dans le SdA, il est dit que les trolls ont été faits "en moquerie des ents", de même que les orques vis-à-vis des elfes.
Mais les trolls semblent de nature très différentes (à moins que les ents-femmes aient été les mères des trolls ? Quelle horreur!) Et les gobelins le seraient-ils au regard des nains ? Bon mais je diverge... En tout cas on ne compare pas là les orques aux humains. On peut donc imaginer l'apparition des orques entre celle des elfes et celle des humains ?

- l'expression utilisée (moquerie ou dérision) n'indique pas une perversion directe de la matière ou de l'âme même des elfes. Par contre elle implique une imitation perverse, un détournement de l'essence.

- Le croisement effectué par Saroumane entre les orques de la main blanche, et les hommes, est mentionné je crois quelquepart dans le SdA (mais où ? je ne trouve plus...) Ce qui à mon avis montre 2 choses :
1) une proximité des races vivantes. Et donc l'hypothèse d'une source initiale unique ? A débattre

2) Au troisième âge il semble que plus aucun pouvoir ne soit capable de créer la vie : il n'y a que des perversions (uruks et autre semi-orcs)

Bon j'arrête de divaguer. Dieu merci la littérature se prête au doute et à l'interprétation !

JPS : Jean-Paul Sartre, grand-prêtre de l'existentialisme
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#6
Je crois que la question du lien elfes-orques a été débattue sur ce forum, Tolkien s'en explique dans les ' Lettres '. Après coup, en relecture de son oeuvre, il y a un problème avec la possibilité d'une âme d'orque immortelle, car issue d'elfe (je maîtrise mal le sujet des âmes et des cavernes de Mandos...). En tout cas, dans ses écrits tardifs il envisage plutôt l'option d'orques venant d'une perversion des hommes.
Mais je suis bien d'accord avec toi: Dieu merci la littérature se prête au doute et à l'interprétation !

Edit:
extrait du Silm II : Car de moi tu as reçu le don de l'existence, pour toi seul et rien de plus, par conséquent les êtres créés de ta main et de ton esprit ne peuvent vivre que de ta seule existence, bouger lorsque tu penses à les faire bouger, rester comme [...]
Les Nains n'ont d'existence autonome qu'avec l'intervention d' Eru : Ne vois-tu pas que ces êtres ont désormais une vie indépendante et qu'ils parlent de leur propre voix ?
à partir de là je dirais que les Valar n'ont pas strictement la capacité d'engendrer la vie d'êtres de conscience.
La lumière n'indique pas le bout du tunnel, c'est la lanterne de celui qui comme toi, cherche à sortir.
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#7
(30.07.2016, 17:10)Chiara Cadrich a écrit : Oui, puisque Aulë crée les pères des nains sans y être invité. On peut imaginer que Melkor, le plus fort des Aïnur, en est également capable (disons, au plan de la "puissance").

Les orques ont été engendrés par Melkor, le seigneur des ténèbres, ce qui outrepasse le cours assigné au monde et contrevient à la suprématie d'Eru (et donc voilà un crime de plus).

Mais l'Ombre a-t-elle pu générer toute seule ces horreurs, ou sur la base des créature existantes ? Le "Mal" a-t-il cette limitation intrinsèque de ne pouvoir créer la vie (dans les oeuvres de JRR)?

En me basant sur le Sil et SdA, je dirais plutôt oui, mais les choses ne sont pas si claires

Non seulement le Mal mais également le Bien sont incapables de créer. Seul Ilùvatar le peut, il est le seul détenteur du Feu secret que Melkor recherche dans le Vide lors de l'Ainulindalë. Comme Sam le remarque, Aulë ne crée que des pantins sans conscience et c'est Eru qui leur donne leur indépendance.

Le Mal est fasciné par la création, mais comme il ne peut créer véritablement, il s'accommode de la perversion. Les Orques en sont l'exemple éclatant. Ils naissent de la terre dans les premiers écrits, puis deviennent des Elfes corrompus, avant de tirer leur origine des Hommes... on ne saurait trop conseiller cette excellente synthèse sur Tolkiendil : https://www.tolkiendil.com/essais/peuples/nature-orques

Il y a d'autres tentatives qui illustrent cette soif de création, comme l'apparition de la race des Dragons, beaucoup plus originale que celles des Orques en un sens, mais qui n'en demeure pas moins issue de corruptions d'autres éléments (débattus par ailleurs).

(30.07.2016, 17:10)Chiara Cadrich a écrit : - Je constate que dans le Silmarillion, on n'entend pas parler des orques avant les elfes. On parle de créatures envoyées par Morgoth pour corrompre les Elfes.

- Quelquepart dans le SdA, il est dit que les trolls ont été faits "en moquerie des ents", de même que les orques vis-à-vis des elfes.
Mais les trolls semblent de nature très différentes (à moins que les ents-femmes aient été les mères des trolls ? Quelle horreur!) Et les gobelins le seraient-ils au regard des nains ? Bon mais je diverge... En tout cas on ne compare pas là les orques aux humains. On peut donc imaginer l'apparition des orques entre celle des elfes et celle des humains ?

- l'expression utilisée (moquerie ou dérision) n'indique pas une perversion directe de la matière ou de l'âme même des elfes. Par contre elle implique une imitation perverse, un détournement de l'essence.

- Le croisement effectué par Saroumane entre les orques de la main blanche, et les hommes, est mentionné je crois quelquepart dans le SdA (mais où ? je ne trouve plus...) Ce qui à mon avis montre 2 choses :
1) une proximité des races vivantes. Et donc l'hypothèse d'une source initiale unique ? A débattre

2) Au troisième âge il semble que plus aucun pouvoir ne soit capable de créer la vie : il n'y a que des perversions (uruks et autre semi-orcs)

Tu vas peut-être tomber des nues, mais le Silmarillion n'est pas la Bible du monde de Tolkien (au sens de référence absolue). Il faut savoir qu'il s'agit d'une compilation de textes parfois réécrits par son fils après la mort de Tolkien. Cela a donné lieu à certain nombre d'incohérences, comme l'origine elfique des Orques (alors que Tolkien était revenu explicitement dessus).

Les Gobelins sont le nom donné aux Orques dans le Hobbit, ce n'est pas une race à part.

Les Elfes et les Hommes sont Enfants d'Ilùvatar et les unions entre ces races ne sont pas rares. Puisque les Orques sont issus des Hommes (voire des Elfes dans les versions antérieures), ils peuvent également s'unir aux Elfes et aux Hommes. Même si on a tendance à "déshumaniser" les orques, ils se reproduisent naturellement, et peuvent passer par le viol des populations humaines, je suppose.

Le Mal ne crée donc pas plus (qualitativement) la vie au Premier qu'au Troisième Âge, d'autant que Sauron donne également naissance à de nouvelles races d'ourouks et de trolls. C'est l'effort et la tentative de création qui étaient beaucoup plus importants chez Melkor. Mais parce que Melkor et Sauron n'avaient pas exactement les mêmes buts. Sauron se serait contenté de gouverner des esclaves mais Melkor était monstrueusement plus complexé !
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#8
Concernant les orques, je recommande la lecture de deux de nos essais pour y voir plus clair :
- De la nature des Orques
- Gobelins, Orques, Uruk-hai et Snaga
"L'urgent est fait, l'impossible est en cours, pour les miracles prévoir un délai."
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#9
Flèche 
Quelle avalanche d'expertise ! Je vais musarder dans les sections recommandées. Merci pour votre intérêt.

Je vois avec satisfaction, toute l'utilité de rester dans une demi-teinte littéraire. Je tâcherai à l'avenir de nimber d'un doute salutaire, les assertions d'Elrond sur des sujets aussi épineux.

Indépendamment des intentions changeantes du maître sur la question de l'origine, voire de l'hypothétique immortalité des orques, leur durée de vie moyenne ne résiste pas au taux de mortalité induit par leurs principes de gouvernement !

Les orques issus des humains : c'était à craindre... Entre nous, je serais mortifié de croiser un snaga dans les salles de Mandos, chacun attendant son tour...
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#10
Un texte captivant, qui donne lieu à une discussion passionnante... Quelle excellente pioche !

Tu as raison en tout cas de rappeler que le cadre strictement littéraire des théories que tu avances te permet l'erreur en quelque sorte : car Elrond, si grand soit son savoir, ne sait pas forcément tout. On peut même imaginer que les différentes théories développées par Tolkien sur l'origine des Orcs, sont toutes mutuellement compatibles si on les considère non pas comme des vérités, mais comme le produit des réflexions de différents individus à différents moments. Peut-être les Valar les croient-ils nés de la terre (ils seraient alors la corruption d'Arda, en quelque sorte), les Elfes y voient leur propre corruption, et les Hommes à leur tour la leur.

Et ces trois stades de la réflexion de Tolkien correspondraient aux trois périodes dominantes et successives de son écriture (une chronologie de l'écriture et surtout du foyer de l'attention portée qui fait comme un parallèle à la chronologie cosmique d'Arda, comme le rappelle Isabelle Pantin dans son article paru dans le tout récent numéro d'Europe consacré à Tolkien) : dans les premiers Contes avant les Âges, c'est la vision des Valar qui domine, puis celle des Elfes, puis celles des Hommes, et Tolkien, en créateur inspiré et comme possédé par une œuvre indépendante de lui, suivrait le mouvement de la pensée qui domine dans son univers mouvant et essentiellement diachronique.

Car les Orcs, finalement, tout comme Melkor leur maître, sont l'image même de la corruption, et chaque race croit s'y trouver reflétée (en ce sens les Gobelins des Hobbits sont leur propre projection, là encore). C'est bien l'image qui se dégage le plus des Orcs lorsqu'on lit ses Lettres, et qu'il décrit la part orque en chacun de nous, profondément inscrite dans l'humanité. Ainsi, lorsqu'il décrit certains épisodes de l'histoire, il mentionne ce règne des Orcs (probablement pas en ces termes), ce qui va bien dans le sens de l'idée que les Orcs ne sont pas une race à part, mais la matérialisation, en quelque sorte, de la corruption intrinsèque à chacune.

Donc pour les Elfes, les Orcs seraient Elfes corrompus, pour les Hommes ils seraient Hommes corrompus... Toutes les différentes théories de Tolkien ne seraient alors, finalement, que différents points de vue portés par les peuples du Légendaire eux-mêmes.
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#11
Une jolie réflexion Hofnarr Wink
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#12
Je viens de finir l'articles sur les orques. Tout cela est assez clair et bien documenté.

Il y a cependant un point auquel je n'adhère pas : je pense que les uruks d'Isengard ont été "élevés" par une volonté et des méthodes (pour faire soft) différents de ceux du Mordor.

Leur physique est distinct (yeux en oblique, grande taille, membres déliés), leurs chefs bien plus aptes au commandement, la troupe plus disciplinée. Leur obédience est mue d'abord par la fierté, au contraire des isengardiens, tenus par la peur.

Bien sûr je l'imagine utilisant des techniques ignobles de croisement, plutôt qu'une magie "brute", mais je crois que ces Uruk semi-hommes sont une invention de son cru.

Ce vieux grigoux de Saroumane a développé une puissance en propre, espérant la cacher assez longtemps pour en jouer le moment venu. Et ce moment est venu lorsque l'opportunité de capturer l'anneau s'est présentée. Il a manqué son coup, mais de peu. S'il s'était approprié l'anneau, il aurait pu faire jeu égal avec Barad-Dur.

Les orques, une projection universelle de la corruption : j'adopte cette acception !

Merci, Hofnarr
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#13
Je me joins à Tikidiki pour saluer l'élégance et l'originalité de la théorie de Hofnarr! Wink

Je veux aussi saluer la qualité du texte de Chiara. Si les premières lignes m'ont laissé de glace, j'ai ensuite été aspiré par l'histoire, par la densité des dialogues et ce qui est suggéré de la relation entre Elrond et Aragorn. J'ai passé un excellent moment et j'attends avec impatience un autre texte.

Enfin je ne suis pas sûr que Saroumane, fort de l'Unique, eût pu faire longtemps jeu égal avec Sauron. Même si ce "long temps" doit être considéré du point de vue d'un Elfe ou Maia. L'Unique est Sauron et si il peut sembler s'accommoder un temps de la volonté d'un autre Possesseur ou Porteur il est tout entier tourné vers son Maître. Sauron est d'une autre trempe que Saroumane condamné à un corps d'homme par son statut d'Istar. Il ne faut guère de temps à celui qui fut Maeron, le plus remarquable des Maiar, pour se glisser dans son esprit par l'intermédiaire du Palantir tout en laissant au maître d'Ortanc l'impression qu'il joue une partie gagnable.
L'Anneau est une illusion puissante, vecteur d'idées séduisantes pour qui le désire, et je pense que, par exemple, Galadriel renonce non pas à l'Anneau mais, plus profondément et moins matériellement, à l'illusion même qu'elle puisse être une Reine du Monde, fût-elle redoutable, grâce à lui.
Dorées les feuilles tombent, mais le rêve se poursuit
Là où l'espoir demeure, les eaux chantent sous la nuit
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#14
Faerestel, malheureusement le pouvoir conféré par l'Anneau n'est pas une illusion. Sauron est bien un maître en illusions et tromperies (Gorlim, Annatar et les Anneaux de Pouvoir, les Marais des Morts) mais l'Unique n'en est pas une : il n'était pas destiné à quelqu'un d'autre que Sauron. Le risque est bien réel comme l'explique l'excellente lettre 246 :

Citation :Gandalf comme Seigneur de l'Anneau (Ring-Lord) aurait été bien pire que Sauron. Il serait resté "droit", mais de manière subjective. Il aurait continué à gouverner et ordonner pour le "bien" et le bonheur de ses sujets selon sa propre sagesse (qui était et qui serait resté grande). Alors que Sauron multipliait (...) le mal, il laissa le "Bien" clairement distinct. Gandalf aurait rendu le Bien détestable et semblable au Mal. (ma traduction).

Sur Saroumane contre Sauron, le pronostic est sans doute le même qu'avec Gandalf : difficile à trancher. La lettre 246 met en lumière "d'un côté l'allégeance de l'Unique à Sauron, de l'autre la force supérieure de Gandalf car Sauron ne serait pas en possession de l'Anneau" avant d'envisager la victoire de Gandalf, comme mentionné juste au-dessus Smile
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#15
C'est une des choses que j'aime dans les écrits de Tolkien : le flou ne nuit pas à la cohérence interne de l'oeuvre, au contraire. La multiplicité des interprétations de cette discussion montre bien la grande résilience de l'oeuvre. Et ces divagations sont bien agréables !

Pour ce qui est de la théorie de l'orque symbole et cristallisation des perversions de l'âge en cours :
Cette idée m'enthousiasme. J'espère qu'il n'y aura pas d'âge où il représentera la perversion des hobbits. Mais je crois tout de même à une certaine convergence - "les orques sont un peu en nous". Cela rejoint un peu la construction de JL Fetjaine, qui fond plusieurs races pour en faire le nouvel humain, propre à l'époque moderne où tout est possible.

Pour ce qui est du "Jeu égal" :

Sauron est très diminué par la perte de son anneau. Sa peur semble immense, lorsque Aragorn le confronte dans le palantir, ou que la présence de l'anneau au bord du Sammath Naur est révélée.

Sans cette possibilité de "jeu égal" - même fantasmée par certains personnages - d'Aragorn, Galadriel ou du magicien multicolore, l'intrigue guerrière tomberait à plat. Pourquoi Sauron devrait-il absolument récupérer son anneau avant qu'un autre assez fort s'en empare ? Par orgueil, ou parce qu'il juge - dans sa malice propre - qu'il y a danger ?
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#16
Sur ta dernière question : je suppose que le "jeu égal" est différent selon qu'il s'agit d'une confrontation directe, où seuls Saroumane et Gandalf pourraient l'emporter, ou d'une confrontation à armées interposées.
Dans tous les cas, Sauron mène une stratégie offensive. Il attaque prématurément Minas Tirith parce qu'Aragorn s'est déclaré, sans que personne n'ait revendiqué l'Unique. Mais dans le chapitre Last Debate, avant l'assaut sur la Morannon, Gandalf pense savoir que Sauron "guettera un temps de conflit, avant que l'un des grands parmi nous ne s'impose comme maître et domine les autres" avant que d'attaquer.
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#17
@Tikidiki

Il faut bien évidemment comprendre que l'illusion ne s'applique pas à Sauron lui-même bien que je ne l'ai pas précisé, mais à ceux que l'Anneau corrompt et et à qui il dispense ses petits cadeaux empoisonnés témoignant de son pouvoir effectif. Je pense malgré cette lettre 246 que je connais bien qu'une victoire contre Sauron qui s'appuierait sur l'Anneau ne pourrait être que provisoire à moins de détruire Sauron. Sans cela les choses dussent-elles prendre des milliers d'années l'Unique reviendrait à son seul maître légitime. Et l'Anneau lui-même survivrait-il à la destruction de Sauron sachant que la destruction de l'Anneau l'anéantit (bien que l'on puisse aussi s'interroger sur le caractère absolu de cet événement)?

Si l'on considère qu'Arda est l'Anneau de Melkor, on peut convenir que le lien entre eux a été coupé depuis la relégation du Vala "au-delà des cercles du monde". Mais aucun des deux n'est détruit... Arda marrie engendre toujours le mal, notamment surtout sous la forme de Sauron et de ses créatures, voire même un temps plus tard sous la forme de Sharcoux et ses sbires mais aussi à travers n'importe quel péché. Ce mal ne sera extirpé qu'à la destruction d'Arda. L'Anneau de Melkor, comme celui de Sauron doit être détruit et leur utilisation maléfique est vaine au regard de la destinée du monde.
Dorées les feuilles tombent, mais le rêve se poursuit
Là où l'espoir demeure, les eaux chantent sous la nuit
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#18
Je ne crois pas que la victoire soit provisoire, ce serait oublier l'assertion de la même lettre :

Citation :If Gandalf proved the victor, the result would have been for Sauron the same as the destruction of the Ring ; for him it would have been destroyed, taken from him for ever. But the Ring and all its works would have endrured. It would have been the master in the end."

"Si Gandalf remportait la victoire, l'issue pour Sauron serait identique à la destruction de l'Anneau ; pour lui il serait détruit, et il lui serait enlevé pour toujours. Mais l'Anneau et toutes ses réalisations auraient perduré. A la toute fin il serait devenu le maître".) (ma traduction)

Les illusions et fantasmes que proposent l'Anneau (Sam et ses jardins, par exemple), sont aussi des visions réalisables : SdA VI, 1 : "Il savait au fond de son coeur qu'il n'était pas de taille à porter un tel fardeau, même si de telles visions n'étaient pas un leurre destiné à le tromper." ("not a mere cheat to betray him").
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