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18.04.2018, 22:11
(Modification du message : 28.04.2018, 13:21 par Chiara Cadrich.)
Tranches de vices, première partie
.oOo.
Almaren, cavernes d'Aulë…
Le colosse à la barbe cuivrée observait son apprenti travailler un torque d'argent dans la fournaise des forges. L'Aïnu couvait son œuvre d'un regard sombre, comme s'il eût voulu transmuer la matière par la seule force de sa volonté.
- « Mairon, tes œuvres montrent une grande concentration et un vif désir de parfaire ton art. Tu domines ton sujet avec puissance, mais tes efforts s'acharnent sur ton seul but intérieur…
- Comment cela, Seigneur Aulë ?, interrogea l'apprenti d'une voix rauque et avide.
- Ouvre-toi aux autres ! Prends exemple sur Curumo ! Son exigence d'excellence le pousse sans cesse à échanger avec ses pairs, sur leurs motivations, leurs projets, leurs pratiques… »
Mairon, le plus puissant des suivants d'Aulë, se replongea dans son travail, concentrant rageusement sa volonté vers la perfection.
Son maître soupira, le laissant face à son besoin de dominer la matière, et passa à l'atelier suivant. Un Aïnu gracile surchargeait un bracelet d'or d'élégantes arabesques.
-« Tes pièces font preuve d'une grande subtilité et d'une finesse remarquable pour y mêler les idées nouvelles...
- Mais, Seigneur Aulë ? Car il y a certainement un « Mais », n'est-ce pas ?, s'enquit l'apprenti d'une voix souple et mélodieuse.
- En effet, Curumo… Tu te disperses trop à sonder le cœur de tes pairs. Prends confiance en ton inspiration et mène tes idées à leur propre terme. Suis l'exemple de ton aîné Mairon, focalise ta volonté vers ton but ! »
Les deux apprentis s'épièrent un instant, se jaugeant à travers les volutes étouffantes. Le temps d'un regard, la subtile mais hésitante tournure d'esprit de l'un moqua la puissante mais vaine obstination de l'autre.
Cette rivalité entretenue par leur maître finirait bien par porter des fruits. Il faudrait qu'un jour, le chef d'œuvre de l'un subjugue l'autre…
.oOo.
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Si jeune et déjà l'arpète Mairon fait des siennes ! Bravo pour cette imagination et pour ce plaisir que je retrouve à chaque lecture de ces petits bijoux que sont tes textes.
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Excellent texte à la manière d'une short story qui nous plonge aux premiers temps du monde!
Bravo Chiara!
Petite remarque: il serait plus juste je pense de situer l'action à Almaren et non à Valinor. Il est certain qu'au moment de l'installation des Valar à Aman Mairon a déjà rejoint Melkor et il est très probable que sa trahison soit connue des Valar.
Dorées les feuilles tombent, mais le rêve se poursuit
Là où l'espoir demeure, les eaux chantent sous la nuit
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19.04.2018, 22:27
(Modification du message : 19.04.2018, 22:28 par Chiara Cadrich.)
Diantre, il y aurait donc anachronisme !
C'est fâcheux.
Je m'en vais éradiquer cette imposture cosmogonique !
Merci Faërestel et Daeron !
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(19.04.2018, 22:27)Chiara Cadrich a écrit : Je m'en vais éradiquer cette imposture cosmogonique !
Dorées les feuilles tombent, mais le rêve se poursuit
Là où l'espoir demeure, les eaux chantent sous la nuit
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J'aime beaucoup ton idée !
Elle me fait d'ailleurs beaucoup penser aux Nouveaux départs à Rath Dinen où tu présentais également un parallèle intéressant et poétique (je pense que, parmi toutes tes contributions, ce texte reste celui que je préfère !).
Dans les deux cas j'avoue regretter un peu que tu n'aies pas développé la narration sur un format plus long (tu aimes pourtant beaucoup écrire de longs textes ! ).
La notion d'aîné/cadet parmi les Maiar (ou parmi les Ainur de manière générale) m'interpelle un peu... Étant donné qu'ils existaient avant la création j'ai du mal à imaginer une notion de temporalité et donc d'âge parmi les Ainur. A part le concept de parents/enfants envisagé à un moment par Tolkien parmi les Ainur, y a-t-il une notion d'ancienneté qui est restée ?
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20.04.2018, 09:41
(Modification du message : 20.04.2018, 09:41 par Dwayn.)
Je n'ai pas grand-chose à rajouter par rapport aux autres, j'apprécie beaucoup également ! À la fois plaisant et limpide.
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Merci à tous pour vos commentaires !
Il est vrai que j'ai parfois tendance à m'épancher... Mais les textes longs fatiguent le lecteur ! Et la qualité poétique a tendance à se déliter au fil des paragraphes...
Mais je vous promets une suite !
Pour ce qui est de la notion d'aînesse, je crois bien que je n'y ai jamais réfléchi. C'est évidemment une façon pratique d'élider le vocabulaire traduisant la "puissance" ou le "grade" - le "niveau", diraient les rôlistes - des différents Aïnur, puisqu'ils ne sont pas tous égaux.
Je me les représente comme des esprits, dont la maturité ou l'appétence à l'égard d'Arda peuvent s'avérer très variables, au point que certains d'entre eux se contentent de s'immerger et d'incarner des éléments. (Ex. les balrogs pour la lave/le feu, la "mère des baleines" pour les profondeurs de l'océan encerclant, la mère de Baie d'Or comme nymphe du Withy-windle, etc.) Certains sont proches des animaux et pourraient même se croiser avec eux ; d'autres s'intéressent aux elfes ou aux humains, etc.
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Épanche toi mon ami, épanche toi !
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J'aime beaucoup, j'ai hâte de lire la suite.
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(18.04.2018, 22:11)Chiara Cadrich a écrit : .oOo.
- En effet, Curumo… Tu te disperses trop à sonder le cœur de tes pairs. Prends confiance en ton inspiration et mène tes idées à leur propre terme. Suis l'exemple de ton aîné Mairon, focalise ta volonté vers ton but ! »
Un détail : Mairon n'est pas l'aîné de Curumo.
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24.04.2018, 21:41
(Modification du message : 28.04.2018, 13:19 par Chiara Cadrich.)
Tranches de vices 2nde partie – Les hâvres
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Chose promise, chose due. Mais nous changeons d'âge...
Les Istari débarquent aux havres gris…
Une passerelle fut jetée vers la nef et un chœur de jeunes elfes entonna un lai de Valinor. Une nuée de papillons s’éleva des berges gazonnées, se dispersant vers l’azur des montagnes ourlées d’argent.
Descendit sur le quai de marbre, un homme vêtu d’une riche robe immaculée. Sa haute taille et sa prestance de grand seigneur exigeaient des égards. Une profonde clairvoyance illuminait son regard pénétrant. Mais ni la détermination de son noble front, ni l’adresse de ses longues mains, ni même la sagesse de bien des âges qui éclairait son visage aquilin, ne frappèrent l’assistance autant que sa voix.
Lorsqu’il prit la parole devant l’assemblée des belles gens venues l’accueillir, ce fut comme si le verbe des Seigneurs de Valinor fût descendu parmi eux, sur ces rivages de la terre du milieu : les fautes de jadis seraient pardonnées, le mal mystérieux qui s'était levé serait percé à jour, les vaines alliances d’antan seraient forgées à neuf, la sage vigilance de l’envoyé des Valar éclairerait la destinée du peuple des étoiles.
Captivant son auditoire, Curumo épiait sur les visages, les stigmates des années de doute et de souffrance, s’évanouir sous le charme de ses savantes modulations.
Soudain il s'avisa d'un détail. Un personnage hirsute, descendu comme lui de la nave elfique, avait sauté au bas du quai. Pataugeant dans les algues, une mouette décatie sur l’épaule, il semblait absorbé dans la contemplation passionnée d’un banc de moules.
Une onde d'irritation altéra la puissante harmonie des nobles propos de Curumo. D’un auguste geste d’autorité, il frappa sèchement la dalle de son bâton blanc.
-« Aïwendil ! Ne me faites pas regretter d’avoir accordé la faveur de votre présence à Dame Kementari ! »
Apostrophé, le bonhomme ébouriffé et hagard renifla vivement, fit mine de disperser les crabes qui s’accrochaient à sa robe de laine brune et gravit gauchement les marches du quai, tandis que sa mouette lui fientait sur l’oreille avec un cri réprobateur à l’adresse du mage blanc.
La paupière lourde de mépris, Curumo dédaigna son grotesque comparse avec un rictus de dégoût et un soupir de résignation. Se détournant vers un grand elfe à la courte barbe claire, il l’entreprit d’un air grave.
Cependant un troisième personnage descendait la passerelle, embarrassé d’une grosse malle de chêne cerclée d’argent. Quelques elfes gris vinrent à son secours, évitant que le précieux bagage ne terminât dans les eaux de la baie. Ajustant son propre balluchon, le vieillard, voûté et grisonnant, remercia ses sauveurs et tira bruyamment le coffre sur les pavés, s'attirant un regard lourd de reproches de la part de Curumo.
Passant outre cette seconde interruption, le mage blanc entraina Cirdan, l’entretenant de ses hautes vues pendant qu'Olorin s’occupait de ses malles. Le plus urgent, disait-il de sa voix profonde et captivante, était de retrouver la trace des sorciers bleus qu’il avait envoyés en éclaireurs. Alors il s’attellerait à coordonner les efforts de l’ordre des sorciers au grand complet…
.oOo.
A suivre…
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28.04.2018, 13:18
(Modification du message : 28.09.2018, 20:04 par Chiara Cadrich.)
Tranches de vices, 3ème partie – Angrenost
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Tiers Age 2759
Les Dunedain s'étaient repliés au sommet du grand escalier. Les gardes valides traînèrent leurs blessés sur le perron tandis que leur capitaine, le bras en écharpe, déverrouillait la porte d'Angenost.
La horde des assaillants avait investi les remparts extérieurs qui encerclaient Nan Isen et déferlaient à présent dans la vallée en exterminant les soldats isolés.
Les défenseurs épuisés, assaillis depuis plus d'une lune, avaient dû céder devant le sauvage assaut de ces montagnards du Pays de Dun.
Des cris retentirent dans la pénombre du soir glacé : un petit groupe de fuyards avait été aperçu par les pillards.
Aussitôt les torches rouges convergèrent vers le groupe. Les arcs de Númenor chantèrent en choeur : sur le perron le capitaine avait ordonné une salve.
Plusieurs torches tombèrent, et les fuyards en profitèrent pour se frayer un chemin vers la tour. A leur tête un vaillant vieillard frappait de taille et d'estoc, rameutant les blessés à la lueur vacillante de son bâton.
Enfin les rescapés gravirent les marches et se réfugièrent à l'intérieur de la haute tour, suivis des archers qui refermèrent la lourde porte.
Les défenseurs s'entre-regardèrent avec effroi : un écho de sépulcre hantait les colonnades. Peu d'entre eux avaient accompagné leurs officiers à l'intérieur de l'antique place forte, vestige de Númenor et de sa puissance évanouie. La plupart découvrait la sévérité des piliers et la majesté des hautes voûtes. Mais à présent la tour, réputée imprenable, leur paraissait devoir devenir leur tombeau.
.oOo.
Les jours qui suivirent furent atroces. Nombre de blessés succombèrent, leurs plaies noircies par les poisons que les assaillants avaient probablement utilisés. Le magicien gris, la mort dans l'âme, ne put rien pour eux et fit mettre en bière leurs dépouilles.
Trop peu de vivres et de fournitures de premier secours avaient été stockées dans la tour même, et le moral des défenseurs commençait à sombrer. Les pigeons voyageurs lâchés pour demander de l'aide au Rohan, avaient été interceptés par des crebains noirs et rapides.
Le capitaine avait bien du mal à maintenir la discipline. A l'extérieur s'élevaient les cris des prisonniers, que les brigands de Dun torturaient sous les yeux des défenseurs. La peur et la faim viendraient plus sûrement à bout de la combativité des Dunedain, que l'odieuse bande de pillards qui rôdait au-dehors.
.oOo.
Ainsi résistèrent les dunedain d’Angrenost, derniers représentants des gardiens que l’Intendant Beren avait assignés à sa forteresse occidentale.
Lorsque les vivres vinrent à manquer, les hommes s’exprimèrent à haute voix : plutôt qu’une agonie de rats pris dans une souricière, tous préféraient une fin glorieuse, les armes à la main, brandissant la bannière du Gondor sous le ciel.
Gandalf, qui veillait souvent au sommet de la tour, les convainquit quelques temps d‘attendre un secours qui s’approchait. Mais lorsque les conseils du magicien firent défaut, il ne put s’opposer à ce suicide, et l’officier dut se rendre aux prières de ses hommes.
.oOo.
Avant l’aube, la troupe se glissa au-dehors, espérant surprendre les sentinelles et s’enfuir dans la pénombre avec la clé d’Orthanc. Pour tromper leur ennemi, Gandalf conseilla de s’orienter vers les collines, et non le long de l’Isen.
Mais son espoir les trahit. Ils furent repérés par une meute et pris en chasse.
Environnés des cris de leurs ennemis, complètement encerclés, ils déployèrent l’insigne de Gondor sur une motte rocailleuse et se préparèrent à entrer dans les chansons.
Ils ployaient sous une pluie de traits empoisonnés - un à un ils succombaient. La garde du chef de clan s’avança alors pour l’hallali. Dans un dernier baroud, les dunedain enfonçèrent leur ligne, et s’ensuivit une lutte au corps-à-corps, acharnée et féroce. La haine des Daen, chassés jadis des Montagnes Blanches par les Gondoriens, se lisait dans le regard des guerriers farouches, qui combattaient torse nu.
Mais soudain l’espoir changea de camp. Un cor retentit dans les collines, et les brigands furent pris à revers par des assaillants.
A suivre...
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Très beau ! Ça prend une toute autre tournure que les parties précédentes, mais c'est toujours aussi réussi.
(28.04.2018, 13:18)Chiara Cadrich a écrit : Lorsque les vivres vinrent à manquer, les hommes s’exprimèrent à haute voix : plutôt qu’une agonie de rats pris dans une souricière, tous préféraient une fin glorieuse, les armes à la main, brandissant la bannière du Gondor sous le ciel.
Gandalf, qui veillait souvent au sommet de la tour, les convainquit quelques temps d‘attendre un secours qui s’approchait. Mais lorsque les conseils du magicien firent défaut, il ne put s’opposer à ce suicide, et l’officier dut se rendre aux prières de ses hommes.
Ce passage me fait beaucoup penser à la bataille de Philippes, qui mena Brutus et Cassius à la défaite (en partie) pour des raisons similaires : l'ardeur d'aller au combat plutôt que se terrer comme des rats.
Enfin : Númenor, et non Numénor.
Hâte de lire la suite !
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Merci Dwayn !
Je vois que mon accent du sud me joue encore des tours !
Pour l'instant cette petite composition a l'air d'un patchwork hétéroclite.
La lumière devrait se faire d'ici la quatrième partie...
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30.04.2018, 10:30
(Modification du message : 07.06.2018, 23:29 par Chiara Cadrich.)
Tranches de vices, 3ème partie, suite et fin – Angrenost
.oOo.
…Saroumane le blanc s'avança en majesté, encore habité du courroux de la lutte. S'approchant de Gandalf, il lui tendit la main. Le gris mit un genou en terre et s'inclina respectueusement :
- « Saroumane… »
Le magicien blanc, qui venait de rétablir magistralement une situation difficile, savoura cette déférence pendant quelques secondes avant de relever Gandalf, avec prestance et hauteur.
- « Je vous en prie, mon ami. », dit-il d'un ton grave et compatissant.
Autour d’eux les combats s’achevaient. Les quelques Dunedain rescapés étaient rassemblés autour de leur capitaine, tombé et exsangue. Un clan au tartan écarlate avait maîtrisé les brigands et des hommes vigoureux les entravaient.
- Me confierez-vous comment vous en êtes réduit à vous terrer devant une bande de brigands des montagnes ?, sussura Saroumane. La voix complice et badine appelait à la confidence.
Gandalf fit mine de s’approcher du capitaine qui gisait non loin. Ce manque d’attention indisposa le grand Saroumane :
- « Votre compassion honore notre ordre, Mithrandir, mais n'avez-vous rien de plus utile à faire que de materner un subalterne ? Etes-vous certain de choisir vos priorités avec suffisamment de discernement ? » La voix était celle d'un éminent stratège tâchant d'élever le débat devant un conseil de jeunes capitaines prometteurs mais inattentifs.
Gandalf, préoccupé par l'état de son compagnon, ne prêtait guère attention à Saroumane, qui s'approcha, l'air vaguement impatient :
-« Votre protégé a simplement besoin du sommeil de l'oubli. Laissez-moi faire ! ». Un ton de guérisseur dans la plénitude de son art ne laissait pas d'alternative. Gandalf s'écarta avec espoir et gratitude.
« Regardez-moi dans les yeux, mon ami. Votre douleur se dissout dans le sommeil ! », énonça le magicien blanc avec une voix de basse, doucement autoritaire et lénifiante. Puis il passa sa main dans les cheveux bruns de l’officier qui se détendit et ferma les yeux aussitôt, l’air beaucoup plus serein.
« Et maintenant, m'expliquerez-vous ? », lança Saroumane avec une pointe d'agacement qui exigeait un rapport.
- « Je dois m'ouvrir à vous d'événements inquiétants… », commença tout bas le magicien gris.
- « Lorsque Gandalf parait, la tempête survient ! Vous êtes souvent au cœur de la tourmente ! , ironisa la voix suave du général s'adressant avec confiance à un aide de camp éprouvé de longue date. Je vous écoute, mon ami. »
- « La paix est compromise en Eriador. Les rôdeurs d'Arnor n’ont plus guère d’influence au sud du Gwathlo. Ils ont dû déserter le pays jusqu'à Tharbad, et mes messages restent sans réponse.
- Cette carence et ce silence sont préoccupants, j'en conviens. Mais je me suis depuis longtemps gardé de m'appuyer sur un seul allié. Il n'y a rien à attendre des restes dispersés et des ruines d'Arnor, je le crains. Leur lignée a failli depuis longtemps…
- Pourtant, ils sont fiables, et c'est beaucoup de nos jours.
- Votre naïveté serait touchante, si ce n'était là une faute mortelle ! A quoi nous sert une force en repli continuel et mise en déroute à la première alerte sérieuse ? »
Gandalf, baissant la tête, poursuivit son exposé :
- Je crains que des espions ailés n'assistent nos ennemis, et que nos mouvements soient traversés.
- Gandalf, je sais déjà que vous avez tenté de réprimer les pillages dont cette bande s'est rendue coupable en Eregion. Votre route s'y écrit en lettres de feu. Pour qui sait percevoir les signes, vous avez laissé une trace flamboyante tout au long de votre périple. Comment s'étonner que vos allées et venues soient connues ? »
Cette fois le ton moqueur n'était tempéré d'aucune nuance de bienveillance. Gandalf vexé persista :
- « Il fallait pourtant s’opposer à cette menace avant qu’elle ne rallie d’autres clans ! »
La voix forte trancha d'un ton sans appel:
- Vous parvenez enfin aux conclusions qui s'imposent ! J'ai repéré ces brigands depuis plusieurs mois. Ils appartiennent à une tribu des contreforts occidentaux des Monts Brumeux, près des ruines d’Ost-in-Edhil. Et je m'occupe personnellement d'enrayer cette menace, comme vous l'avez certainement remarqué. Lorsque j'en aurai fini avec eux, elle aura disparu d'Eriador. Vous ne semblez pas avoir compris qu'un pouvoir est en passe de se lever, Mithrandir.»
Le ton de grand commandeur des armées ne souffrait aucune réplique. « Une lutte d'influence vient de commencer, nous devons garder le contrôle des régions occidentales coûte que coûte, sans quoi nous tomberons. Je fais mon affaire de cette guerre. »
Gandalf objecta pourtant :
- « Je ne comprends toujours pas pourquoi ils ont assailli Angrenost !
- Ils vous ont suivi jusqu’ici, dans l’espoir de rapines et richesses, en suivant la rumeur de corbeau des tempêtes qui vous accompagne, Gandalf ! »
La voix avait perdu son ton suave, animée seulement par l'agacement et un brin de jalousie. Saroumane reprit alors comme un père courroucé mais juste, peiné de devoir sévir :
- «C'est vous que suivaient ces brigands. Vous êtes toujours au cœur de la tourmente, car vous la provoquez. »
Gandalf allait protester, mais Saroumane coupa son subordonné d'un air sévère :
- « Vous attirez trop l'attention sur vous. Votre vœu d'humilité semble s'étioler dans la fumée de l'herbe à pipe… Ou serait-ce votre empressement à briller aux yeux du Conseil Blanc ? »
Remarquant le visage livide et les lèvres serrées de Gandalf, Saroumane reprit sur un ton plus conciliant, comme envers un élève réprimandé, mais très aimé :
- «Je vous prie instamment, dans l'avenir, d'appliquer vos facultés à la persévérance et à l'efficacité en vous montrant plus circonspect. Promettez-moi de ne plus déployer vos talents qu'à bon escient, sans témoins !»
Le clan dunéen qui avait prêté allégeance à Saroumane tenait à présent les brigands prisonniers à genoux et liés les uns aux autres devant des troncs couchés. Leurs têtes lasses et résignées s'inclinaient sur leurs poitrines. Ils semblaient n'entretenir aucune illusion quant à la clémence de leurs vainqueurs. Avec une grimace triomphale, le chef du clan s'approcha sous les vivats de ses guerriers en tartan. Brandissant soudain sa grande hache de combat, il décapita l'un après l'autre les captifs, sans autre forme de procès.
Gandalf qui se précipitait fut retenu dans son élan :
-« Non, Mithrandir ! Ce peuple fait la guerre à sa façon. De quel droit les jugeriez-vous, vous que personne n'a chassé de vos terres ancestrales ? Du reste, vous leur êtes redevable par la loi du sang : ils vous ont secouru… Car il s'agit d'une guerre sans pitié, dont l'enjeu est l'équilibre des pouvoirs dans le Nord et l'opportunité pour chaque peuple de forger son propre destin. En vérité je vous le répète : je ne peux pas plus que vous, laisser de témoin derrière nous… »
Gandalf épouvanté s'inclina, la mort dans l'âme.
Là-dessus, Saroumane se pencha vers le capitaine. Il était mort.
Le magicien blanc délesta la dépouille de la clé d’Orthanc, qu’il glissa dans sa manche :
- « Ce valeureux officier n’est pas mort en vain… » dit-il avec un vibrato dans la voix.
Puis après une pause recueillie : « Désormais vous connaitrez cette vallée sous le nom de Nan Curunir…»
Saroumane tourna ses pas vers la haute tour, satisfait de l'ascendant qu'il venait de prendre sur son subordonné. Il convenait de le canaliser tout en ménageant sa bonne volonté : il pourrait se montrer utile à l'occasion…
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A suivre…
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03.05.2018, 21:39
(Modification du message : 03.05.2018, 21:48 par Chiara Cadrich.)
Tranches de vices 4ème partie – Nan Curunir
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Dans la tour d’Isengard...
Des nuages sombres roulaient autour du sommet de la grande tour de granit noir, éclairant par intermittence, un trépied au centre d'une vaste salle vide.
Le magicien blanc tira prudemment le foulard de soie mordorée (1), découvrant une sphère de verre sombre.
Des parchemins à la main, Saroumane scruta la pierre inerte pendant de longues minutes. Enfin il se décida, et entreprit de cauteleuses et savantes passes de sa main habile, au-dessus de la boule inerte.
Lentement, il explora sa surface. Laborieusement, il sonda les réactions aux sollicitations prudentes de ses doigts experts. Doucement, le magicien blanc, fort des leçons d'Aulë, parvint à orienter la pierre autour de son axe invisible, qui seul permettrait d'accéder à ses secrets.
Mais la pierre restait silencieuse et sombre, aussi insondable que la pénombre d'un gouffre sans fond.
Inlassablement, le magicien blanc reprit ses rituels et ses injonctions muettes, aussi assidu que l'artisan qui forge et trempe sa lame plus de cent fois. La pierre lui résistait - tantôt une opposition franche et sereine envers un usurpateur démasqué, tantôt un refus sourd, comme irraisonné et plein d'effroi.
Mais les heures succédaient aux heures, épuisant les ressources des parchemins et la persévérance de Saroumane. Enfin, sans s'en rendre compte, le magicien blanc à bout de patience appuya sa sommation d'un mot de force :
-"Edro !"
Alors une flamme jaillit au cœur de la pierre, minuscule et lointaine, pourtant nette et forte comme un fanal dans une nuit sans nuage.
Le magicien blanc esquissa un rictus de triomphe. Mais aussitôt, une lourde chape l'environna, comme si les murs, les colonnes d'Isengard et les nuages autour s'étaient avisés de son irruption et fixaient à présent leur attention sur la pierre.
Saroumane avait déjà éprouvé cette présence alerte, cette concentration intense... mais où cela ?
Il éleva à nouveau sa voix, la panacée de ses pouvoirs, ordonnant à la pierre de se plier à ses volontés.
Ainsi fut fait.
La pierre lui révéla l'espace, le proche et le lointain, le petit et l'immense, le vif et le patient.
La pierre lui révéla le temps, l'avéré et le possible, l'oublié et le probable, l'inimaginable et l'imminent.
La pierre lui révéla le savoir et le pouvoir, elle dévoila les possibilités du vouloir, mais elle ne sut rien lui dire du devoir.
Car l'orgueilleux Saroumane refusait d'entrevoir l'humilité du devoir.
La pierre lui fit connaître l'absence - l'effacement des elfes, l'éloignement des Terres Immortelles, l'affadissement des principes, la vacance du pouvoir, l'extinction des scrupules.
Et enfin la pierre lui fit connaître la présence – l'omniprésence, vindicative et exclusive, assoiffée de domination, d'un œil, rougeoyant et sans paupière, enflant dans son esprit jusqu'à le submerger.
Saroumane hurla un mot de secret et se retira de la pierre.
Ebranlé et haletant, il rassembla ses esprits. Il avait reconnu cette présence alerte, cette concentration intense : Mairon, son vieux rival, plus fort et plus déterminé qu'autrefois... mais toujours aussi incapable de finesse, tout en puissance et en volonté.
Il en était certain à présent : lui seul pouvait vaincre cette odieuse présence. C'était sa destinée. Confiant en sa ruse et en ses arcanes, il sonderait à nouveau la pierre, mais cette fois, il aurait fourbi ses armes... un anneau, peut-être ? (2)
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A suivre...
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NOTES
(1) Pardon pour ce jeu de mots un peu facile…
(2) En effet, Saroumane forgera son propre anneau, qu'il révélera à Gandalf en tentant de le rallier.
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C'est génial ! Je trouve la description du palantir tout à fait éloquente.
Alors on te pardonne le jeu de mot, qui a tout de même le mérite d'être spirituel ^^
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06.05.2018, 19:16
(Modification du message : 06.05.2018, 19:25 par Chiara Cadrich.)
Merci Dwain !
C'est pardonné, et donc tout guilleret, que je vais terminer la descente aux enfers de Saroumane.
Tranches de vices, dernière partie – Orcelets
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« Je me demande ce qu'il a fait. Sont-ce des Hommes qu'il a dégradés ou a t'il métissé la race des Orques avec celle des Hommes? Ce serait là un noir méfait! » Sylvebarbe.
Le seigneur des anneaux, Les deux tours, Livre III, Chapitre 4 Sylvebarbe.
.oOo.
Dans les catacombes d’Isengard...
Drapé dans sa mante immaculée, un personnage de noble prestance arpentait la chambre d’élevage sans cacher son mécontentement :
- Hé bien, Snagaur ? Où se trouvent les compagnies de Saroumane ? Où sont mes sur-hommes de l’ordre nouveau ?
Avec un rictus de dégoût, le magicien écarta de son bâton les reliefs immondes d’expérimentations avortées. Un placenta roula dans la fange, entraînant un fœtus sanguinolent qui tenait du rat et de l’orque.
Clopinant dans les basques de son maître, un orque obséquieusement voûté geignit :
- Les femmes refusent de s’accoupler avec les orques…
Saroumane sonda les paupières mi-closes de Snagaur. Le regard jaune et sournois trahissait des regrets lubriques.
- Ainsi mes alliées Dunlending se refusent à engendrer l’élite de l’humanité de demain ? Soit ! Mais ne t’ai-je point fourni de robustes femmes du Rohan ?
- Ces esclaves mettent leurs rejetons à mort ! Les femelles têtes-de-paille se mutilent ou se sacrifient avant terme !
- Tu n’es qu’un incapable, rugit Saroumane en menaçant l’orque de son bâton.
Snagaur se recroquevilla en lançant :
- Les femelles humaines portent longtemps leurs marmots, et leurs portées sont maigres…
L’orque avait raison… La gestation humaine était beaucoup trop longue…
Pour faire bonne mesure et évacuer sa rancœur, d’un geste de son bâton, Saroumane projeta violemment Snagaur au fond de la caverne, où s’entassaient pêle-mêle les tonnelets et cageots importés de la Comté, les immondes viandes séchées des orques et les fruits sanglants et morts-nés de la chambre d’élevage.
Le magicien blanc entra en lui-même. Le rêve d’une humanité nombreuse, infatigable et résistante, obéissante mais pleine de ressources, lui échappait encore… Les rouages implacables de son esprit subtil s’étaient mis en branle. Bien sûr… Il lui eût fallu croiser des femelles orques, infiniment plus prolifiques, avec des hommes. Mais elles étaient aussi beaucoup plus rares, et il n’avait pu en obtenir. Il savait que la possession des femelles, prolixes truies nourricières gardées au donjon de l’antre tribal, était l’enjeu des guerres dans le tréfonds des Montagnes Brumeuses. Mais sa science profonde lui donnait d’autres moyens…
- Les femelles humaines, pas assez prolifiques ?
Une lueur inquiétante alluma la prunelle sombre du magicien blanc.
.oOo.
Alignés en batterie sur des litières de paille, d’énormes orques s’alimentaient en permanence, dévorant une bouillie acheminée par un râtelier dans un flot continu. Les mâles bouffis, perpétuellement engraissés et affamés, avaient été soumis à quelques transformations par l’art subtil du Maître, pour le bien supérieur de l’espèce. Leurs bas-ventres agités de spasmes, étaient boursoufflés de poches greffées, qui éclataient parfois dans une explosion de liquide visqueux et brunâtre. Des orques malingres prélevaient alors de la poche ouverte les fœtus mûris, y réensemençaient quelques précieux œufs, puis pansaient la plaie avec un emplâtre répugnant.
Saroumane inspectait les installations avec la haute bienveillance du père fondateur, ajustant ici la dosimétrie des hormones, ordonnant là quelque mesure prophylactique.
Les petits êtres piaillant, arrachés à leur matrice paternelle, étaient alors remis à la garde d’autres mâles bedonnants, abondamment nourris. Des douzaines de petits orques batailleurs se pendaient à leurs rangées de vastes mamelles.
Le magicien blanc se pencha avec componction sur l’une des litières, où s’agitait une douzaine de petits orcelets. Une onde de fierté mâtinée de crainte, parcourut la face bouffie de l’orque étendu et incapable de bouger. Saroumane observait avec attention, le drame domestique qui se déroulait le long du flanc orcin, tendu par la lactation.
Deux bébés, petites formes glapissantes à mi-chemin entre l’orque et l’humain, se trouvaient désemparés. L’un, surnuméraire, était privé de téton. L’autre était tombé sur une mamelle tarie. Mais tous deux délogèrent leur voisin sans ménagement. Comme les déshérités réclamaient leur place avec férocité, les deux gaillards tranchèrent la question avec leurs canines, en même temps que la carotide de leurs rivaux infortunés.
Les victimes de cette sélection naturelle furent recyclées sans regret, intégrées à l’alimentation équilibrée des orques géniteurs, à la faim insatiable.
Mais Saroumane exultait devant la perfection de sa création :
- En voilà des meneurs ! Ces deux-là seront certainement capitaines… Appelez-les… Ouglouk et… Mauhour ! Et donnez-leur un peu de chair humaine pour les motiver…
Saroumane embrassa d’un regard supérieur et paternel, l’armée grouillante de ses orcelets. L’aube de l’homme nouveau, fort et implacable, se lèverait bientôt sous l’égide de la main blanche.
.oOo.
Fin !
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j'ai été étonné de constater que les gros orques bouffis se contentent de manger (bouffer) et n'ont pas d'écran de télé à regarder.
En tout cas merci car j'ai trouvé ma vocation pour aujourd'hui: je veux être femme têtes-de-paille.
La lumière n'indique pas le bout du tunnel, c'est la lanterne de celui qui comme toi, cherche à sortir.
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