20.11.2024, 09:42
The Ruined Enchanter est un poème écrit par Tolkien en 1919 et révisé par deux fois jusqu'en 1927. Il a été publié dernièrement dans Collected Poems. Il s'agit d'un poème mettant en scène un magicien d'Orient possédant un jardin avec dedans un arbre remarquable, cible des convoitises et notamment celle de la Reine de Babylone ; refusant de lui céder l'arbre, il est enfermé et déporté, avant de s'enfuir et de retrouver son arbre, mais malheureusement, il est défait par un ménestrel qui le fait succomber aux attraits de la fantaisie et à qui il abandonne son arbre.
Je me suis lancé le défi de traduire ce poème (sa dernière révision pour être précis), qui a été mon préféré du premier volume des Collected Poems. Il est constitué de quintils, sauf la dernière strophe qui est un sizain, où l'on retrouve des vers octosyllabes et des rimes sous la forme AABBA / AABAB / ABABA (autrement dit 3 vers riment ensemble et deux autres entre eux). J'ai tenté la traduction versifiée, en décasyllabes, en respectant le jeu des (pseudo-)rimes 3/2, et je crois m'en être relativement bien sorti même si je ne suis pas certain de mes décomptes de 10 parfois.
The Ruined Enchanter
Long have I dwelt in Belmarye,
And fair my garden is to see.
For walls of magic ring it round,
And rooted deep in enchanted ground
There grows a dark enchanted tree.
Green the grass about its feet
Where gleaming fountains three do meet;
But fruit nor flower hath ever borne,
Save a pear of gold, a nutmeg sweet
With silver rind, that silent thorn.
Trees I have both cool and tall,
And flowers that wither not nor fall
But all day at the sun do stare;
Yet dumb I sit, forgetting all,
In the shadow of those branches bare.
What voices murmur at my gates?
Behold! with a trump a herald waits,
And blows a fanfare proud thereon:
‘Bow down, ye walls, and ope, ye gates!
I serve the Queen of Babylon.’
My eyes are dim — but through the bars
I see a thousand throngéd cars
By lions drawn; a host untold
Of dark-haired men with scimitars
And elephants and spears and gold.
Ah me! the Queen of Babylon,
The gleaming glory she hath on!
No magic doth she seek of me,
A wizard wild whose craft is gone;
She comes to wonder at my tree.
‘I bid thee wealth of treasures old,
I bid thee towers of hoarded gold
And silver flowing like the sea!’
‘No lady, it may not be sold.’
And still she lusteth for my tree.
Her wise men sit in circles round
And make of it debate profound.
For dark unholy wizardry
They bid that I be straitly bound
And sundered far from Belmarye —
And sundered far from Belmarye,
Where the leaves are lean upon the tree,
But where, I doubt not, as of old
Of silver nut and pear of gold
The shadow lieth dark to see.
‘O! mighty Queen of Babylon,
Though glory thee doth wait upon,
A captive still may laugh at thee,
Not all his wizardry is gone
Who keeps the secret of the tree.’
‘Thy tree for gold thou wilt not sell,
But harps there be of Fantasye
Whose music moveth like a spell —
But harps there be of Fantasye
Whose magic yet may conquer thee.’
From Belmarye nor land nor sea,
Nor fire nor air, may sunder me;
By never a chain may I be bound,
While shadowed in enchanted ground
The roots go creeping from that tree.
A wind hath wandered o’er the sea,
A leaf hath fluttered off the tree;
Great wings shall bear me back once more
To Belmarye beside the shore,
The birds shall bear me o’er the sea.
Walls have I builded strong and new,
My flowers are springing gold and blue,
My trees are green, my fountains young;
But all shall plead in vain to view
The tree whereon that fruit is hung.
What song is that so cold and fair?
What melody beyond the gate,
A breath of keen and piercing air,
Doth halt and call, and call and wait?
Who softly knocketh there so late?
I must let him in beside the tree
And give him all he asks of me.
‘That silver nut, that golden pear —
’Tis only these I ask of thee.’
And all my garden fadeth bare.
Alone in Belmarye forlorn
Beneath an empty silent thorn,
Beneath an empty withered tree,
With dust upon my feet I mourn:
Alas! the harps of Fantasye!
And still I hear them call to me.
La Ruine de l'Enchanteur
Longtemps ai-je vécu en Belmarie,
Et magnifique à voir est mon jardin.
Car entourés de murailles de magie,
Enraciné profond en son terrain
Ici un sombre arbre enchanté y vit.
Quand à ses pieds l'herbe verte grandit
Et le flot de trois fontaines jaillit ;
Mais ni fruit ni fleur n'ont jamais poussés,
Sauf une poire dorée, muscade sucrée
Sur cette épine à la peau argentée.
Nombreux arbres que j'ai sont frais et grands,
Aux fleurs qui point ne fanent ni tombent
Mais tout le jour sous le soleil brillant ;
Je reste muet assis, tout oubliant,
Sous ses branchages nus et leurs ombres.
Quelle est cette clameur à mes portes ?
Vois ! ce héraut souffle dans sa corne,
Et qui s'exclame de sa voix forte :
"À bas, murailles, ouvrez vos portes !
Je sers la Reine de Babylone."
Mes yeux faiblissent — mais par la grille
Je vois des chariots au nombre de mille
Tirés par des lions ; énorme armée
de soldats bruns aux épées recourbées
et d'éléphants et d'or et de framées*.
À moi ! La Reine de Babylone,
Une gloire étincelante elle revêt !
Ma magie ne veut pas que je donne,
Un mage fou dont l'art s'est égaré ;
Elle vient à mon arbre pour l'admirer.
"Je t'offre une richesse de trésors,
Je t'offre des tours entières de vieil or !
Et de l'argent coulant comme la mer !"
"Non madame, je ne peux m'en défaire."
Pourtant elle convoite ce que j'adore.
Ses sages hommes en assemblée assis
Traitèrent et discutèrent à mon sujet.
Et pour une magie sombre et impie
Ils ordonnèrent que je sois enchaîné
Puis sois envoyé loin de Belmarie —
Puis sois envoyé loin de Belmarie,
Là où sous les feuilles l'arbre fléchit,
Là, je ne doute pas, comme jadis
D'une noix d'argent et d'or une poire
Les ombres sont toujours obscures à voir.
"Puissante Reine de Babylone,
Que la gloire bientôt te couronne,
Mais un captif toujours de toi se rie,
Car n'a pas perdu toute sa magie,
Et le secret de l'arbre ne te dit."
"Ton arbre tu ne vends contre mon or,
Des harpes il y aura en Fantaisie
Dont la mélodie t'émeut comme un sort —
Des harpes il y aura en Fantaisie
Dont la magie attirera ton corps."
De Belmarie ni continent ni mer,
Ni feu ni air, ne me garderont loin ;
Je ne saurais rester longtemps aux fers,
Pendant que sous l'ombre sous mon terrain
Ses racines se développèrent.
Un vent a erré par-delà la mer,
Une feuille a flotté de mon arbre aimé ;
Je serai par de grandes ailes porté
Non loin de Belmarie sur les rochers,
Grâce aux oiseaux je passerai la mer.
Epais et durs j'ai reconstruit mes murs,
De bleus et d'ors sont écloses mes fleurs,
Mes arbres sont verts, et mes eaux pures ;
Mais chacun vainement viendra en pleurs
Pour admirer mon arbre et son fruit mûr.
Quelle musique est-ce là, si froide et si belle ?
Et quel est à la porte ce beau chant,
Ce souffle d'air perçant et vivifiant,
Qui cesse reprend appelle et puis attend ?
Qui toque ici sous la lune nouvelle ?
Près de l'arbre je le laisse approcher,
Et lui donne ce qu'il attend de moi.
"Cette poire dorée et noix argentée —
C'est seulement cela que j'attends de toi."
Et tout mon jardin en est dénudé.
Seul en Belmarie et abandonné
Sous une épine vide et fatiguée,
Sous un arbre complètement flétrit,
De la poussière à mes pieds je gémis :
Hélas ! les harpes de la Fantaisie !
Et toujours je les entends m'appeler.
*framée : Lance à fer très long, utilisée par les Francs au Haut Moyen-Âge. [pas très oriental, mais la rime prime ici]
Je me suis lancé le défi de traduire ce poème (sa dernière révision pour être précis), qui a été mon préféré du premier volume des Collected Poems. Il est constitué de quintils, sauf la dernière strophe qui est un sizain, où l'on retrouve des vers octosyllabes et des rimes sous la forme AABBA / AABAB / ABABA (autrement dit 3 vers riment ensemble et deux autres entre eux). J'ai tenté la traduction versifiée, en décasyllabes, en respectant le jeu des (pseudo-)rimes 3/2, et je crois m'en être relativement bien sorti même si je ne suis pas certain de mes décomptes de 10 parfois.
The Ruined Enchanter
Long have I dwelt in Belmarye,
And fair my garden is to see.
For walls of magic ring it round,
And rooted deep in enchanted ground
There grows a dark enchanted tree.
Green the grass about its feet
Where gleaming fountains three do meet;
But fruit nor flower hath ever borne,
Save a pear of gold, a nutmeg sweet
With silver rind, that silent thorn.
Trees I have both cool and tall,
And flowers that wither not nor fall
But all day at the sun do stare;
Yet dumb I sit, forgetting all,
In the shadow of those branches bare.
What voices murmur at my gates?
Behold! with a trump a herald waits,
And blows a fanfare proud thereon:
‘Bow down, ye walls, and ope, ye gates!
I serve the Queen of Babylon.’
My eyes are dim — but through the bars
I see a thousand throngéd cars
By lions drawn; a host untold
Of dark-haired men with scimitars
And elephants and spears and gold.
Ah me! the Queen of Babylon,
The gleaming glory she hath on!
No magic doth she seek of me,
A wizard wild whose craft is gone;
She comes to wonder at my tree.
‘I bid thee wealth of treasures old,
I bid thee towers of hoarded gold
And silver flowing like the sea!’
‘No lady, it may not be sold.’
And still she lusteth for my tree.
Her wise men sit in circles round
And make of it debate profound.
For dark unholy wizardry
They bid that I be straitly bound
And sundered far from Belmarye —
And sundered far from Belmarye,
Where the leaves are lean upon the tree,
But where, I doubt not, as of old
Of silver nut and pear of gold
The shadow lieth dark to see.
‘O! mighty Queen of Babylon,
Though glory thee doth wait upon,
A captive still may laugh at thee,
Not all his wizardry is gone
Who keeps the secret of the tree.’
‘Thy tree for gold thou wilt not sell,
But harps there be of Fantasye
Whose music moveth like a spell —
But harps there be of Fantasye
Whose magic yet may conquer thee.’
From Belmarye nor land nor sea,
Nor fire nor air, may sunder me;
By never a chain may I be bound,
While shadowed in enchanted ground
The roots go creeping from that tree.
A wind hath wandered o’er the sea,
A leaf hath fluttered off the tree;
Great wings shall bear me back once more
To Belmarye beside the shore,
The birds shall bear me o’er the sea.
Walls have I builded strong and new,
My flowers are springing gold and blue,
My trees are green, my fountains young;
But all shall plead in vain to view
The tree whereon that fruit is hung.
What song is that so cold and fair?
What melody beyond the gate,
A breath of keen and piercing air,
Doth halt and call, and call and wait?
Who softly knocketh there so late?
I must let him in beside the tree
And give him all he asks of me.
‘That silver nut, that golden pear —
’Tis only these I ask of thee.’
And all my garden fadeth bare.
Alone in Belmarye forlorn
Beneath an empty silent thorn,
Beneath an empty withered tree,
With dust upon my feet I mourn:
Alas! the harps of Fantasye!
And still I hear them call to me.
La Ruine de l'Enchanteur
Longtemps ai-je vécu en Belmarie,
Et magnifique à voir est mon jardin.
Car entourés de murailles de magie,
Enraciné profond en son terrain
Ici un sombre arbre enchanté y vit.
Quand à ses pieds l'herbe verte grandit
Et le flot de trois fontaines jaillit ;
Mais ni fruit ni fleur n'ont jamais poussés,
Sauf une poire dorée, muscade sucrée
Sur cette épine à la peau argentée.
Nombreux arbres que j'ai sont frais et grands,
Aux fleurs qui point ne fanent ni tombent
Mais tout le jour sous le soleil brillant ;
Je reste muet assis, tout oubliant,
Sous ses branchages nus et leurs ombres.
Quelle est cette clameur à mes portes ?
Vois ! ce héraut souffle dans sa corne,
Et qui s'exclame de sa voix forte :
"À bas, murailles, ouvrez vos portes !
Je sers la Reine de Babylone."
Mes yeux faiblissent — mais par la grille
Je vois des chariots au nombre de mille
Tirés par des lions ; énorme armée
de soldats bruns aux épées recourbées
et d'éléphants et d'or et de framées*.
À moi ! La Reine de Babylone,
Une gloire étincelante elle revêt !
Ma magie ne veut pas que je donne,
Un mage fou dont l'art s'est égaré ;
Elle vient à mon arbre pour l'admirer.
"Je t'offre une richesse de trésors,
Je t'offre des tours entières de vieil or !
Et de l'argent coulant comme la mer !"
"Non madame, je ne peux m'en défaire."
Pourtant elle convoite ce que j'adore.
Ses sages hommes en assemblée assis
Traitèrent et discutèrent à mon sujet.
Et pour une magie sombre et impie
Ils ordonnèrent que je sois enchaîné
Puis sois envoyé loin de Belmarie —
Puis sois envoyé loin de Belmarie,
Là où sous les feuilles l'arbre fléchit,
Là, je ne doute pas, comme jadis
D'une noix d'argent et d'or une poire
Les ombres sont toujours obscures à voir.
"Puissante Reine de Babylone,
Que la gloire bientôt te couronne,
Mais un captif toujours de toi se rie,
Car n'a pas perdu toute sa magie,
Et le secret de l'arbre ne te dit."
"Ton arbre tu ne vends contre mon or,
Des harpes il y aura en Fantaisie
Dont la mélodie t'émeut comme un sort —
Des harpes il y aura en Fantaisie
Dont la magie attirera ton corps."
De Belmarie ni continent ni mer,
Ni feu ni air, ne me garderont loin ;
Je ne saurais rester longtemps aux fers,
Pendant que sous l'ombre sous mon terrain
Ses racines se développèrent.
Un vent a erré par-delà la mer,
Une feuille a flotté de mon arbre aimé ;
Je serai par de grandes ailes porté
Non loin de Belmarie sur les rochers,
Grâce aux oiseaux je passerai la mer.
Epais et durs j'ai reconstruit mes murs,
De bleus et d'ors sont écloses mes fleurs,
Mes arbres sont verts, et mes eaux pures ;
Mais chacun vainement viendra en pleurs
Pour admirer mon arbre et son fruit mûr.
Quelle musique est-ce là, si froide et si belle ?
Et quel est à la porte ce beau chant,
Ce souffle d'air perçant et vivifiant,
Qui cesse reprend appelle et puis attend ?
Qui toque ici sous la lune nouvelle ?
Près de l'arbre je le laisse approcher,
Et lui donne ce qu'il attend de moi.
"Cette poire dorée et noix argentée —
C'est seulement cela que j'attends de toi."
Et tout mon jardin en est dénudé.
Seul en Belmarie et abandonné
Sous une épine vide et fatiguée,
Sous un arbre complètement flétrit,
De la poussière à mes pieds je gémis :
Hélas ! les harpes de la Fantaisie !
Et toujours je les entends m'appeler.
*framée : Lance à fer très long, utilisée par les Francs au Haut Moyen-Âge. [pas très oriental, mais la rime prime ici]
What's the point of all this pedantry if you can't get a detail like this right?