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La Dernière Maison Simple [fanfiction]
#8
Chapitre 12
Sadorhen s’avançait de plus en plus, l’épée en avant, un étrange rictus plissant ses lèvres. Son ombre recouvrit Limtal, qui ne bougeait toujours pas. Le visage de l’Elfe n’exprimait pas de peur ; juste un mélange de tristesse et de compassion.
Elrond voulut agir, séparer les deux adversaires. Mais il était incapable de bouger. Il resta près de l’escalier, dissimulé dans l’ombre.
Il vit Sadorhen baisser son arme, soudain saisi de surprise. Il le vit tendre le cou, et dévisager Limtal, les sourcils froncés.
Il ne vit pas le loup qui se jeta sur lui, les mâchoires ouvertes.
Il ne vit plus rien.

Quand il s’éveilla, il se sentait si bien qu’il n’aurait bougé pour rien au monde. Et l’aurait-il voulu qu’il n’aurait pas réussi : il était si fatigué ! Il ne se souvenait de rien, ni de qui il était, ni de ce qui lui était arrivé. Le silence n’était rompu que par le murmure chantant d’une rivière. Un petit vent caressait doucement sa joue et le haut de son cou.
De vagues souvenirs remontèrent à sa mémoire engourdie : une tenaille brûlante lui avait déchiré le côté ; il s’était vaguement débattu, convaincu d’être prisonnier et torturé. Mais une voix grave et autoritaire, qui lui ordonnait de dormir, avait apaisé sa crainte.

Les souvenirs disparurent de son esprit.

Longtemps, lui parut-il, il baigna dans cet état de bien-être et de lassitude. Il entendit soudain un pas léger et un bruissement de tissu qui s’approchaient. Une main se posa sur son front et ses yeux. Sa volonté vacillante ne chercha pas à y réagir ; il s’efforça seulement de nommer ce qui se passait hors des paupières closes.
Quelqu’un posa un objet métallique sur une table, près de sa tête, et y versa de l’eau. Une vapeur chaude effleura son visage. Puis il y eut un bruit de feuilles froissées, qu’on jeta dans l’eau.
Alors apparut l’odeur ; une odeur pure et vivifiante, comme un clair matin d’été. Il ne se souvenait pas avoir jamais senti un parfum aussi agréable. Il respirait, respirait avidement, comme un assoiffé qui ne peut s’arrêter de boire. Il sentait ses forces revenir peu à peu. Son esprit brumeux comprenait confusément que c’était grâce à cette fragrance.
Et il respirait, respirait… une inspiration trop forte réveilla la tenaille dans son flanc, et il ouvrit brusquement les yeux.
A gauche, un carré de ciel dans un mur blanc.
Au-dessus, un plafond bas de boiseries sculptées.
A droite, un visage où un sourire de soulagement effaçait les dernières traces d’inquiétude.
-Bonjour, Elrond, dit Gil-Galad en s’asseyant sur le lit. Enfin tu te réveilles !
-Que s’est-il passé ? murmura le Semi-Elfe.
Ses doigts tâtèrent un épais bandage, qui recouvrait son côté encore douloureux.
-Je ne sais pas bien, répondit le Roi, qui posa sa main- celle où brillaient les deux anneaux- sur la blessure. Lindir a vu un loup t’attaquer et te mettre à terre ; il allait te tuer, mais un Orque est accouru et lui a tranché la gorge.
-Sadorhen, murmura le Semi-Elfe.
Gil-Galad hocha la tête avec un petit sourire triste.
-Lindir m’a tout raconté. Par sa compassion, il a regardé Sadorhen comme un ami, un membre de sa race, et non pas comme un Orque ; Sadorhen a dû en être bouleversé.
-Où est-il maintenant ? demanda Elrond.
-On l’ignore, dit Gil-Galad. Il est introuvable. Peut-être que sa honte l’empêche de venir vivre ici.
Pendant qu’ils parlaient, le Roi avait laissé sa main fermement appuyée sur le bandage ; Elrond sentait progressivement la douleur s’estomper et sa respiration s’apaiser.
Quand Gil-Galad retira sa main, le Semi-Elfe, la saisit et l’embrassa. Il regarda longuement les deux anneaux miroitants.
-Est-ce pour eux que Sauron n’a pas pris le temps de nous écraser ?
-Oui, répondit Gil-Galad. J’espérais toujours votre survie ; aussi, dès que l’armée fut prête, je montrai de loin Vilya et Varya à Sauron, pour qu’il abandonne la poursuite et se dirige vers Mithlond. Nos deux forces unies, Elfes et Hommes, ont brisé la sienne ; mais il a réussi à s’enfuir en profitant de la mêlée, comme beaucoup de ses serviteurs. Nous ne les avons pas pourchassés, préférant suivre l’Aigle pour vous venir en aide.
Le Roi partit dans une réflexion soucieuse, mais se secoua vite.
-Allons ! Je t’ai assez parlé. Tu as encore besoin de repos. Prends ceci.
Il lui fit boire un verre d’un liquide frais et légèrement amer, qui apporta au Semi-Elfe une agréable sensation d’apaisement et une forte envie de dormir. Voyant vaguement Gil-Galad sortir de la pièce, il s’endormit en réalisant qu’il ne lui avait pas demandé de nouvelles de ses hommes.

Quand il se réveilla, il se sentait si bien qu’il se risqua à faire quelques pas dans la pièce. Daugrandir vint le voir, apportant un repas qu’ils prirent ensemble ; puis ils sortirent.


Les blessés avaient été installés dans la Salle Commune. Gil-Galad lui-même allait et venait, prodiguant infatigablement soins et paroles de réconfort, ce qui suscitait l’étonnement et l’admiration dans bien des yeux. Il gronda un peu Elrond de s’être levé sans sa permission ; il en profita pour examiner sa blessure et retira son bandage.
-Mais fais attention, dit-il. Daugrandir, puisque tu n’as pas pu l’empêcher de se lever, je te charge de le surveiller !
Sous le regard plus ou moins vigilant du héraut, Elrond se contenta de donner quelques ordres pour organiser la Cité ; Gil-Galad avait assez de sagesse pour le laisser diriger Fondcombe à sa guise.

Hommes et Elfes, ils avaient été nombreux à tomber dans l’ardeur de l’assaut, en particulier lors de l’attaque des loups. Mais si l’Histoire n’a pas retenu leur nom, chacun fut pleuré et présenté devant Mandos lors des chants du deuil.
Parmi eux gisait Alenni le Silencieux. Comme Elrond l’avait pressenti, son rôle avait été primordial : il était tombé sans un cri après avoir vaillamment défendu Gil-Galad contre une bande de loups qui avait reconnu le Roi.
Il fut enterré avec maintes lamentations au pied de l’une des falaises qui bordait la vallée fertile, tout près de l’endroit où Yavanna avait effleuré la terre. Ce lieu accueillit plus tard la dépouille des Dúnedain qui avaient souhaité y reposer, comme Arathorn, le père d’Aragorn Elessar. Là où Elrond l’avait vue danser, les Elfes plantèrent un pêcher, l’arbre préféré de la Reine de la Terre. Il croissa rapidement et porta de beaux fruits ; et ses fleurs, en tombant, blanchirent les tombeaux qui l’entouraient.

L’armée resta jusqu’au début de l’automne ; grâce aux nombreux bras supplémentaires, la réparation des bâtiments et la fin de l’installation furent rapides. L’éclat du printemps et la splendeur de l’été en étonna plus d’un parmi ceux qui avaient passé l’hiver à Fondcombe ; c’était comme si les montagnes, regrettant leur rudesse, tentaient de se faire pardonner en se parant de leurs plus beaux atours. Quand il n’y eut plus de neige dans la vallée, la cité cachée se retrouva entourée d’un délicat écrin de verdure, qui rehaussait la blancheur de ses murs. La plus rude tâche revenait aux sentinelles qui gardaient le haut de la falaise, et devaient tourner le dos à la vue magnifique de la vallée.
Quant à Tumfaël*, dès les beaux jours elle se couvrit de fleurs des champs aux mille couleurs. Avec respect, les Elfes en labourèrent une petite parcelle y semant quelques grains de blé apportés dans les provisions des Númenoréens ; et en juillet, il y eut la première moisson. La première bouchée de pain doré fut pour Elrond, tremblant de joie et de fierté. Ce fut l’occasion de grandes festivités en l’honneur de Yavanna ; et ce le fut dorénavant à chaque récolte, pour perpétrer le souvenir de la Reine de la Terre rendant fertile tout ce que son pied si léger effleurait durant sa danse.

Les Aiglons comprirent enfin le rôle de la Salle du Feu quand Gil-Galad s’y rendit un matin, dans la lumière de l’été déclinate. Murmurant une chanson lente et profonde, il alluma lui-même le haut foyer, qui flamba bientôt en crépitant joyeusement.
Le Roi se releva et parcourut du regard les visages qui l’entouraient. Seul Elrond souriait, conscient de l’importance de l’acte accompli.
-Le pouvoir du feu, dit enfin Gil-Galad, est de redonner courage et lucidité à ceux qui le désirent. Ici demeurera un peu du pouvoir de Varya, l’anneau du feu que je porte, afin qu’Imladris soit endurante dans l’épreuve.
Il passa soudain la main sur son visage, comme si une force était sortie de lui, puis quitta la salle.

*vallée fertile
Chapitre 13 : Réflexions
La musique résonna encore un peu sous la voûte de pierre, puis s’éteignit. Les joueurs posèrent très doucement leurs instruments au sol, comme s’ils craignaient de briser le silence recueilli qui régnait à présent dans la salle. Certains auditeurs pleuraient, d’autres au contraire souriaient largement, illuminant la pénombre de reflets nacrés.
Elrond était si bien qu’il ne bougea pas tout de suite. Il regarda les Hommes et les Elfes se lever pour aller remercier les musiciens, un par un, selon la tradition –après une telle veillée, qui aurait songé à applaudir ?-.
Le défilé de ces visages continuait l’histoire qui vibrait encore en lui. Ils avaient bien œuvré, ses Aiglons, abandonnant leur vie de soldats pour devenir maçons, menuisiers, agriculteurs ! Au début, la bruyante cité de Mithlond leur avait manqué ; et puis, à mesure que passaient les mois, ils avaient appris à aimer la montagne et sa rude beauté, l'austérité de ses roches brunes et l’éclat coloré des fleurs qui s’y accrochaient dans un sursaut de vie. Mais tous regrettaient encore une chose : la Mer. Dans cette profonde vallée où le regard était immédiatement stoppé par les montagnes, il leur restait au cœur un âpre désir de laisser leurs yeux scruter l’horizon lointain et contempler les douces couleurs de l’océan. Alors, quand la nostalgie était trop forte, quelques-uns des soldats repartaient vers l’ouest ; ils demeuraient quelques semaines, faisaient leur rapport au Roi et passaient quelques jours à Mithlond. Puis ils revenaient à Imladris, où était leur place, chargés de cadeaux de la part de Gil-Galad et de leurs amis. Aucun, cependant, ne prenait le bateau pour Valinor, car ils savaient avoir encore un rôle en Terre du Milieu.

Le plateau où avait commencé l’établissement de leur cité s’était rapidement révélé trop petit, et il avait fallu s’adapter au terrain pentu pour agrandir leur demeure. En cela, Inglor avait fait des merveilles, et Fondcombe était désormais un lieu paisible et agréable, où il faisait bon se promener le soir à travers les jardins parfumés. Une partie du cours d’eau avait été habilement détournée vers un petit moulin, où on amenait le grain venant de Tumfaël.
Près des champs, les Elfes avaient créé un verger, où pendant la belle saison on allait cueillir des fruits luisants et savoureux. La plus grande partie de la vallée fertile n’avait pas été touchée ; là paissait librement un troupeau de juments sous le regard jaloux d’un grand étalon, et quelques buffles vigoureux et dociles ramenés de Mithlond. La Cité cachée pouvait désormais subsister par ses propres moyens…

L’attaque d’Imladris n’avait pas scellé l’arrêt de la guerre contre l’Ombre ; les Elfes et les Hommes s’étaient encore battus pendant deux ans avant de remporter la victoire. Acculé par la puissante armée de Númenor, Sauron s’était réfugié au Mordor avec les débris de son armée, où il était demeuré de nombreuses années, trop affaibli encore pour inquiéter les peuples libres de la Terre du Milieu. Après la défaite de l’Ombre, des Elfes avaient fait venir à Fondcombe leurs femmes et leurs enfants ; certains même, comme Inglor, s’étaient mariés dans la grande pièce claire qui servait aux cérémonies et aux festivités.
La Cité-Refuge avait également accueilli Galadriel, l’épouse de Celeborn, et sa fille Celebrían. Elles étaient demeurées en Lorinand en attendant la fin des troubles de l’autre côté des montagnes, puis étaient parties à la recherche de Celeborn. Et bien qu’il n’en soufflât mot à personne, le Semi-Elfe se prit à aimer la gracieuse demoiselle.
A cette époque avait eu lieu le Premier Conseil, en présence de Gil-Galad et de tous les Elfes vivant à Imladris. Il fut alors connu que Galadriel détenait Nenya, le troisième anneau des Elfes. Le Roi remit Vilya à Elrond pour l’aider à maintenir la place forte que représentait Fondcombe, et l’institua son vice-régent en Eriador. Puis il repartit à Mithlond avec ceux qui le désiraient ; mais beaucoup voulurent rester, car ils considéraient désormais comme leur demeure la cité qu’ils avaient construite de leurs propres mains.
Imladris devint alors un puissant îlot de résistance face au mal qui croissait à nouveau, et un lieu d’aide pour tous ceux qui combattaient l’Ombre du Mordor. Et celle-ci grandissait de jour en jour : on racontait que d’étranges spectres, portant chacun une bague au doigt, parcouraient la Terre du Milieu pour le compte de leur maître Sauron. Celui-ci avait corrompu les hommes de Númenor qui, dans leur fol orgueil, avaient été anéantis par Eru lui-même, dans un grand cataclysme engloutissant à jamais la belle île d’Andor.

Elrond soupira : il savait que la vie heureuse de Fondcombe ne pourrait durer plus longtemps. Le mal qui grondait devait être contenu ; en compagnie de Gil-Galad, le Semi-Elfe allait reformer une armée et marcher sur le Mordor. Le Grand Roi avait reçu l’aide des hommes d’Arnor, menés par Elendil, dans une Ultime Alliance entre les deux races. Le prince Isildur s’était enfui au nord après la prise de Minas Ithil par Sauron, tandis que son frère Anárion défendait tant bien que mal Minas Anor et la ville d’Osgiliath. Il fallait agir très vite pour empêcher Sauron de détruire les peuples libres les uns après les autres.

Elrond parcourut la salle du regard. De nombreuses années s’étaient écoulées depuis la fondation de Fondcombe, mais ses Elfes avaient gardé intacts leur force et leur valeur au combat, traquant les Orques qui habitaient encore les montagnes ou luttant entre eux par simple plaisir. Ils avaient passé plusieurs jours à préparer leurs affaires, fourbir leurs armes et vérifier la solidité de leurs armures ; ils avaient par surcroît renforcé les murs de la Cité-Refuge durant leur réparation annuelle. A présent, ils profitaient du calme de ces brûlantes journées d’été pour être en famille ou se divertir.
Ils allaient repartir avec leur chef, mais pas tous : le regard d’Elrond se posa sur Erestor qui, attendant son tour de remercier Lindir, laissait glisser ses doigts sur un dossier de fauteuil, qu’il avait lui-même sculpté en un grillage de fines tiges au bout desquelles s’épanouissaient des fleurs délicates. Pour tout son travail, il ne se fiait plus qu’à ses mains ; durant le siège d’Imladris, un projectile enflammé était passé trop près de son visage, le privant de l’usage de ses yeux, et tout l’art de la médecine elfique n’avait pas été suffisant pour lui rendre la vue. Au début, il avait peiné à accepter son infirmité ; ses amis s’étaient discrètement relayés dans la Salle du Feu, implorant les Valar de lui accorder la paix. Puis, un matin, sans signe avant-coureur, il retrouva d’un coup la joie et la bonne humeur qui le caractérisaient auparavant. Personne ne put expliquer ce brusque changement, et il resta silencieux là-dessus ; mais quelquefois, quand la nuit était belle ou le jour particulièrement réjouissant, on le voyait suivre des yeux, une joie ineffable illuminant son visage, quelque chose d’invisible qui se déplaçait dans le jardin. Quand la chose passait près de lui, il s’inclinait respectueusement, puis retournait à ses occupations, tout empreint d’une sérénité contagieuse. On le soupçonnait de voir les « dieux d’au-delà de la Mer »- les Valar, qui se rendaient à Imladris en secret.
Il avait conservé sa passion pour le travail du bois, qu’il effectuait toujours avec une habileté merveilleuse. Durant la guerre au Mordor, il allait demeurer à Fondcombe ; son excellente connaissance des lieux et sa mémoire étonnante lui permettrait de remplacer Elrond jusqu’à son retour, car Celeborn, qui ne partait pas non plus, refusait de tenir ce rôle malgré son haut rang et sa sagesse.

Quant à Sadorhen, il n’avait pas quitté la vallée. On l’apercevait quelquefois, se glissant furtivement dans les jardins ou vagabondant au petit matin dans la vallée fertile. Il ne laissait personne l’approcher, mais acceptait volontiers la nourriture, les vêtements et autres offrandes déposées ça et là à son intention par les Elfes pris de pitié. Lindir, qui osa lui proposer une flûte, eut le plaisir de l’entendre jouer un soir, sous sa fenêtre. Elrond, qui lui avait offert un briquet, ne vit pas sa cheminée s’éteindre de tout l’hiver, mystérieusement entretenue par une main discrète et attentive.
Au fil des années, Sadorhen se mit de plus en plus au service de la Cité-Refuge, tout en restant farouche et impossible à aborder. Qui tua à mains nues le sanglier furieux qui attaqua Celeborn alors qu’il partait chasser ? Qui sauva Inglor et Limtal, ensevelis sous une brutale avalanche ? Qui déposa le magnifique bouquet de fleurs des hauts sommets que Galadriel trouva à sa fenêtre, en arrivant à Fondcombe ?
Machinalement, le regard d’Elrond fit le tour de la pièce : Sadorhen s’était peut-être silencieusement glissé dans un coin d’ombre pour écouter sa propre histoire…

La salle se vidait peu à peu. Elrond se leva et s’approcha des musiciens.
-Dites, Lindir, demanda une petite fille qui avait entendu l’histoire pour la première fois. Est-ce que tout s’est réellement comme vous l’avez raconté ?
-J’y étais, Nûrglas**, et j’ai presque tout vu, dit Lindir en souriant. Mais j’ignore ce que mes paroles ont inspiré à ton cœur ; peut-être étaient-ce des images plus grandes et plus profondes que ce que j’ai vécu.
-Je ne sais pas, dit pensivement la petite fille. Quand vous avez décrit Imladris, j’ai pensé : « Mais non, c’est impossible que notre Cité soit aussi belle ! ». Mais à présent, je réalise que vous aviez raison, et je n’en aime que plus cet endroit.
-Vous croyez que Yavanna pensait à nous, quand elle dansait à Tumfaël ? dit un petit garçon d’une voix rêveuse.
-Yavanna Kementari ne prédit pas l’avenir, mon enfant, répondit Erestor derrière lui. Mais dans son grand amour pour les créatures qu’Illuvatar allait faire vivre, elle sema sa magie à divers endroits en Terre du Milieu, espérant qu’ils y viendraient un jour pour leur bonheur.
-Mais peut-être reste-t-il encore des lieux inconnus, où la puissance de Yavanna attend quelqu’un pour se manifester ? reprit le petit garçon.
-Peut-être, dit Erestor.
-La Reine de la Terre a besoin de nous pour créer de la beauté…, murmura Nûrglas en s’éloignant.
L’émerveillement de son regard d’enfant s’était accru, et elle souriait à toute chose, l’air ravi.

Gil-Galad attendit qu’Elrond ait remercié les musiciens, puis ils partirent dans les jardins.

*joie profonde

Chapitre 14 : La paix du soir
C’était l’heure très douce du milieu de la nuit, quand les premières étoiles tapissent le plus joyeusement la voûte de saphir et les fleurs à exhaler leurs fragrances les plus délicates. La rivière faisait bruire les roseaux qui la bordaient ; puis, changée en torrent, elle partait gronder tout en bas de la Cité. Au milieu des arbres, les chouettes s’élançaient de leur vol feutré. Après l’écrasante chaleur de la journée, le calme du soir donnait envie de courir à travers les jardins parfumés et de s’enivrer de l’air frais et pur des montagnes.

Les maisons se dressaient bellement au milieu de la végétation, les fenêtres ouvertes ; de certaines partaient quelques chants fredonnés à mi-voix. Elrond ne put s’empêcher de passer la main sur les pierres encore tièdes.
Ils cheminèrent un instant en silence, jusqu’au moment où ils n’entendirent plus les échos de la fête ; la quiétude de la nuit les entoura alors, dans l’heure propice aux confidences et à la réflexion. Ils étaient arrivés sur une terrasse surplombant les rives du torrent. Sous un épicéa à la lourde senteur sucrée, une fontaine en forme de cygne chantonnait sur une note en rafraîchissant l’air.
Gil-Galad semblait étrangement changé. Elrond aperçut soudain ses traits tirés de fatigue et la poussière qui couvrait son manteau. Le prestige de son arrivée l’avait quitté ; il était redevenu un simple Elfe, avec ses soucis et ses limites, et ne ressemblait plus au grand roi inébranlable que son peuple imaginait.

Il s’assit au bord de la fontaine, se mouilla le visage et but une gorgée d’eau claire au creux de sa main. Une fois rafraîchi, il regarda le Semi-Elfe d’un air grave :
-Combien de soldats peux-tu emmener avec toi ? lui demanda-t-il.
-Nous sommes 300 ici, répondit Elrond. Et le roi Oropher de la Forêt Noire promet 5000 bons archers qui nous rejoindront à Carrock.
-1500 Nains des Montagnes de Fer nous attendront à Dagorlad, ajouta le roi. Une armée est partie d’Annuminas il y a 2 jours, formée d’Elfes et d’Hommes, menée par Círdan et le Roi Elendil. Les Hommes ont beaucoup contribué à grossir les rangs, car ils sont nombreux et bien armés. Quand serez-vous prêts à partir ?
-En 2 heures, nous pouvons charger les chevaux et te suivre. Tout a été préparé depuis longtemps.
-Nous nous accorderons encore 3 jours de répit, puis nous rejoindrons l’armée d’Annuminas au col de Rubicorne.
Un rire clair comme un grelot s’éleva soudain dans l’air parfumé. En contrebas, près du torrent, Celebrían jouait avec Mirka et Gildor, les deux enfants d’Inglor. Ils la pourchassaient avec de grands cris d’amusement, et, alors qu’ils tendaient la main pour saisir le pan de son habit, elle se dérobait à eux et courait, svelte et légère, à travers les arbres en fleurs, répandant partout son rire argentin. Sa splendide chevelure dorée scintillait dans la lumière de la lune. Elle laissa finalement les enfants la rejoindre et se cramponner à sa robe dans une cascade de rires. Ils partirent en courant, la laissant marcher en arrière. Elle leva les yeux vers Gil-Galad et Elrond, eut un signe de tête pour le premier et s’attarda avec un sourire sur le deuxième, puis continua son chemin, souple et silencieuse comme une ombre.
Elrond s’accouda à la barrière qui bordait la terrasse et ne put s’empêcher de soupirer. Trois jours ! Dans trois jours, il lui faudrait quitter ce havre de paix et de bonheur, où il avait élaboré tant de projets ! Mais il lui fallait y renoncer, au moins momentanément, car le destin de la Terre du Milieu allait être scellé aux portes du Mordor.
Tout en songeant, il suivit d’un regard brillant la gracieuse silhouette qui disparaissait dans la pénombre. Comme pour lui-même, il murmura :
-Ma place est au Pays Noir. Je me battrai aux côtés des peuples libres ; mais plût aux Valar que je revienne ici !
Gil-Galad l’avait observé sans rien dire. Il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour comprendre le lien qui unissait les deux Elfes. Il pressentait que beaucoup allaient mourir à la guerre, et que bien des familles entonneraient le chant du deuil. Il était en son pouvoir de laisser son peuple dans la quiétude heureuse où il l’avait trouvé; mais il fallait tout faire pour éradiquer le mal qui s’étendait, et chaque soldat était nécessaire dans cette lutte.
Il laissa son regard errer dans le firmament d’un bleu profond, puis dit soudain d’une voix étrange :
-Vois, Elrond ! L’ombre n’est que temporaire. Elbereth elle-même a placé dans le ciel le signe de la victoire de la lumière !
Etonné, le Semi-Elfe suivit son regard : devant eux brillait la faucille des Valar, le symbole de défi qu’ils avaient donné à Morgoth quand la Terre était jeune.
Sa vue les apaisa ; quel que fût leur destin, ils savaient qui gagnerait le combat final !
Ils restèrent longtemps silencieux, l’un à côté de l’autre, se laissant emplir d’espérance par la forme scintillante qui ornait le ciel ; puis ils se détournèrent et retournèrent vers la maison.
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