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Essais - Utilisation d'un thème mythologique
#12
(16.06.2009, 19:34)Matëanor a écrit : Je veux d'abord vous exprimer mon étonnement quant à votre connaissance de l'œuvre dans ses plus infimes détails et je serais curieux de savoir combien de fois vous avez lu le Seigneur des Anneaux pour en arriver à cette précision de connaissance. Mais vous n'êtes certes pas obligé de répondre à cette question.

Pour satisfaire votre curiosité, sans doute six ou sept fois sur une période de quinze ans (dont deux en VO). Mais je m'appuie dans bien des cas sur mes lectures des textes annexes. Évidemment le Silm. et les CLI, mais aussi les HoME, les Lettres, sans oublier les textes très importants parus dans PE ou VT.

(16.06.2009, 19:34)Matëanor a écrit : Plus précisément, et c’est ce que nous nous proposons de montrer dans cet article, l’écriture de Tolkien procède autant par transposition ou par allégorisation que par superposition de deux strates distinctes qui courent sur toute l’œuvre et s’entrecroisent sans cesse pour former la trame structurée d’un récit grandiose :
la strate chrétienne, tout d’abord, reconnaissable à ses valeurs éthiques, évangéliques, synthétisées dans les vertus théologales, dont l’espérance3), dans le roman tolkienien, apparaît comme la référence suprême.
la strate païenne, ensuite, provenant des mythologies antiques d’origine indo-européenne,et se déploie à partir de sa propre logique basée sur un affrontement entre forces du bien et puissances du mal en vue d’une victoire heureuse4) †, aisément identifiable, dans l’œuvre, par les batailles que l’auteur aime à mettre en scène.

En fait, je ne suis pas entièrement d'accord avec cette définition des strates, ni d'ailleurs sur l'utilisation du terme « allégorisation » (néologisme hideux, par ailleurs Rolling Eyes ). Allégorie nécessiterait intention consciente de l'auteur. Celui-ci s'en défendait. Il préférait en fait le concept d' « applicabilité » :

Lettre nº109
Tolkien a écrit :I dislike Allegory — the conscious and intentional allegory - yet any attempt to explain the purport of myth or fairytale must use allegorical language. (And, of course, the more ‘life’ a story has the more readily will it be susceptible of allegorical interpretations: while the better a deliberate allegory is made the more nearly will it be acceptable just as a story.)

Lettre nº203
Tolkien a écrit :There is no ‘symbolism’ or conscious allegory in my story. Allegory of the sort ‘five wizards=five senses' is wholly foreign to my way of thinking. There were five wizards and that is just a unique part of history. To ask if the Orcs ‘are’ Communists is to me as sensible as asking if Communists are Orcs.

That there is no allegory does not, of course, say there is no applicability. There always is.

En outre, l'affrontement entre forces du bien et forces du mal n'est pas nécessairement l'apanage de la mythologie païenne, puisque c'est aussi l'un des fondements du christianisme (et des autres religions du Livre). D'ailleurs, certaines mythologies ignorent presque entièrement cette dimension (mythologie finnoise) ou lui donnent une place extrêmement mineure (mythologies grecque, romaine).

(16.06.2009, 19:34)Matëanor a écrit : Il semble que M. Delorme voie dans le Seigneur des Anneaux deux matières distinctes que Tolkien utilise pour en faire deux fils narratifs – qui se « superposent » et « s'entrecroisent » –, tandis que vous insistez sur la christianisation de la matière mythologique. Est-ce que je me trompe en présentant la chose ainsi ? Je vous avoue essayer de radicaliser les positions pour mieux les confronter.

Je défendrais plutôt la thèse de complémentarité et d'interpénétration, même si effectivement, je pense que le christianisme éclaire de l'intérieur la matière mythologique.

Cela dit, j'ai également tendance à penser que les deux quêtes du SdA ont tendances à privilégier chacune un aspect des choses, même s'il ne s'agit pas d'une influence exclusive dans un cas ou dans l'autre.

(16.06.2009, 19:34)Matëanor a écrit : Au passage, il est rassurant de voir en l'orc une créature foncièrement mauvaise et que la question morale ne se pose pas à son endroit, quoique...

Le fait est, la question morale s'est posée à Tolkien. Tant sur la question des âmes des Orques que sur la nécessité de leur faire quartier s'ils le souhaitaient. Je renvoie à MR (HoME X) pour une bonne introduction à ces questions.

(16.06.2009, 19:34)Matëanor a écrit : Je ne suis pas tout-à fait d'accord sur ce point. Pour moi, le lieu et l'époque du Seigneur des Anneaux sont, d'une certaine manière, sans référence à notre monde. Ils se distinguent de la conception chrétienne qui va de la création à aujourd'hui en passant par Abraham et l'histoire de la Révélation. Le temps et le lieu de cette œuvre se distinguent aussi de la conception scientifique moderne qui nous fait aller du Big Bang à aujourd'hui en passant par l'évolution des espèces. Mon argument à ce propos est que Tolkien a pris la peine de se créer un univers à lui, avec ses époques et ses lieux. L'histoire de la Terre du Milieu, de sa création par les Valars juqu'au temps du Seigneur des Anneaux, nous est narrée dans le Silmarion.
Pour cette raison, votre thèse d'une christianisation de la matière mythologique doit être repensée : elle ne peut pas, à mon sens, être assimilée à une œuvre telle que Perceval de Chrétien de Troyes ou encore Beowulf, précisément parce qu'il n'y a pas de référence directe à la Bible. Si sursomption il y a, alors quelle forme prend-elle ?

Je m'inscris en total désaccord sur ce point, même si je concède que ce n'est pas une question nécessairement évidente à la seule lecture du SdA et du Silm.

Je citerai simplement ces quelques extraits, afin de faire ressortir que l'intention de Tolkien était bien d'inventer une mythologie qui se place sur notre monde, à une période antérieure (de beaucoup) à la naissance d'Abraham :

Lettre nº210 :
Tolkien a écrit :The Lord of the Rings may be a ‘fairy-story’, but it takes place in the Northern hemisphere of this earth: miles are miles, days are days, and weather is weather.

Lettre nº 294 :
Tolkien a écrit :It meant the habitable lands of our world, set amid the surrounding Ocean. The action of the story takes place in the North-west of ‘Middle-earth’, equivalent in latitude to the coastlands of Europe and the north shores of the Mediterranean. But this is not a purely ‘Nordic’ area in any sense. If Hobbiton and Rivendell are taken (as intended) to be at about the latitude of Oxford, then Minas Tirith, 600 miles south, is at about the latitude of Florence. The Mouths of Anduin and the ancient city of Pelargir are at about the latitude of ancient Troy.

Du plus extrême intérêt à ce propos est l'Athrabeth Finrod ah Andreth (in MR), qui est justement une réécriture de la Chute de l'homme (du point de vue númenórien). Laquelle explique justement l'absence de lieu de culte en Terre du Milieu.

Je recommande aussi sur ce sujet la lecture de « Rivers and Beacon-hills of Gondor », parus dans VT nº42, notamment la note sur le Halifirien (du v.-angl. Hálig firgen « montagne sacrée »), dont je dois justement terminer une traduction.
Rollant est proz e Oliver est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage :
Puis que il sunt as chevals e as armes,
Ja pur murir n’eschiverunt bataille.
La Chanson de Roland
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