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La Dernière Maison Simple [fanfiction]
#7
Vu que je n'arrive pas à éditer le chapitre 7, voici sa nouvelle version:

Chapitre 7 : Au travail
Le lendemain, le vent était tombé, mais le temps restait encore couvert. Un épais brouillard couvrait les cimes qui encerclaient la vallée. Malgré le froid glacial qui avait fixé des stalactites aux bords des tentes, la tranquille vallée se mit à résonner d’appels et de tintements d’outils. L’inactivité forcée de la nuit, alors qu’ils venaient d’arriver, avait assombri bien des visages durant la soirée; mais chacun semblait s’être juré de rattraper ce retard en travaillant de tout son cœur à la première occasion. Quelques-uns avaient même taillé, pendant la nuit, des pelles et autres outils dans des morceaux de bois ramassés la veille.

Durant une bonne heure, les troupes déblayèrent autour des tentes la neige accumulée pendant la nuit, puis s’attaquèrent aux buissons de genêts et de bruyère qui couvraient le plateau. Inglor, secondé par Celeborn, mena une vingtaine d’Elfes à la carrière naturelle, d’où ils se mirent à extraire de gros blocs d’une solide pierre beige. D’autres commencèrent à abattre des arbres, d’autres encore à creuser les fondations de leur future demeure, suivant les plans d’Inglor. Quant à Limtal et Erestor, ils se chargèrent d’organiser le guet le long de la falaise, car on disait que les montagnes abondaient de loups, de trolls et d’autres créatures malveillantes auxquelles les on-dit ne donnaient pas de nom.


Elrond allait d’un groupe à l’autre, creusant, taillant et sciant avec la même ardeur que ses hommes. Des chants éclataient ça et là, scandés par les respirations essoufflées des travailleurs. Malgré le froid qui transformait leur haleine en nuages blancs, les travailleurs retirèrent bientôt leurs épais manteaux de fourrure pour œuvrer plus à leur aise.

Le Semi-Elfe se rendait régulièrement dans sa tente : Lindir dormit d’un sommeil agité toute la matinée ; trempé de sueur, balbutiant des paroles incohérentes, il ne se calma que quand Elrond le couvrit de son manteau. Quand enfin il s’éveilla, il fallut toute l’autorité du Semi-Elfe pour qu’il reste couché encore un peu. Son poignet était déjà presque cicatrisé ; même si Elrond connaissait la puissance de l’onguent qu’il avait appliqué la veille sur la plaie, il était toujours étonné par son action si rapide.

En milieu de journée, les Elfes se rassemblèrent près du grand foyer, à présent ceint de fossés délimitant les contours de la salle, et mangèrent un peu. Le vent avait fini par chasser les nuages; le ciel gris s’était changé en une voûte d’un bleu très pur, d’où le soleil faisait étinceler la neige de mille éclats.
Inglor s’approcha d’Elrond:
-Regarde, Perin, dit-il en ouvrant la main. Je n’en avais jamais vu que séché.
Au creux de sa paume se trouvaient deux petites feuilles arrondies, d’un vert sombre.
-C’est de l’emelgalas*, la plante-des-mille-maux, dit Elrond avec surprise. C’est l’une des herbes médicinales les plus puissantes, mais elle ne pousse que dans les montagnes. Gil-Galad essaya vainement d’en conserver des plants à Mithlond, et dut se contenter de la forme séchée.
-Là où je l’ai trouvée, elle pousse en abondance, dit Inglor.
-C’est un grand signe de la délicatesse de Yavanna pour nous, dit le Semi-Elfe. Si un jour le Roi nous donne une bannière, je souhaite qu’il porte cet emblème. Et à présent, je désire que nous allions honorer le lieu où Kementari se tint !

Il les conduisit alors jusqu’à l’entrée de la vallée fertile, car tous voulaient voir ce lieu visité par Yavanna. Munis de flambeaux de résine, ils traversèrent la grotte sombre, faisant s’envoler des dizaines de chauves-souris affolées par la lumière. Le plafond était haut, si bien que, par endroits, la lumière de leurs torches ne l’atteignait pas. Ils débouchèrent enfin sur le grand espace en forme de cirque. Ils restèrent quelques instants sans bouger, laissant le soleil les réchauffer après le passage du tunnel glacé, et parcourant la plaine du regard avec un étonnement joyeux. Elle était piquetée de taches d’un blanc si éclatant que la neige semblait grise: ici, malgré le froid encore vif, les nieninquë** avaient déjà déroulé leurs pétales immaculés. Hormis quelques buissons, c’était les seules touches de végétation ; la vallée recouverte de neige était vierge et lisse, comme si elle attendait docilement qu’on la façonnât.
A droite, un torrent gelé ornait la falaise de longs pics de glace. Son lit serpentait un peu dans la vallée, puis disparaissait sous la roche, près de la grotte.
-Pourquoi ne pas nous être installés ici, Perin ? demanda Inglor, les sourcils légèrement froncés. Il serait beaucoup plus facile de construire sur ce terrain plat.
-C’est vrai, dit lentement Elrond. Mais mon cœur me dit que notre devoir n’est pas de nous cacher éternellement dans les montagnes ; je crois que, si nous survivons à cette ombre, notre tâche sera d’apporter conseil et réconfort à ceux qui viendront jusqu’à Imladris.
Il parcourut la plaine du regard.
-Si Yavanna elle-même a foulé cet endroit, chaque parcelle en est sacrée. Nous devons l’honorer, non en bâtissant, mais en semant.
Un des soldats déblaya la neige du pied, puis, se penchant, il gratta le sol gelé pour en détacher des mottes de terre brune qu’il écrasa entre ses doigts.
-C’est très étrange, dit-il en se relevant. On dirait la bonne terre du champ de mon père, à Mithlond. Bien aérée, sans pierres… Les plantes qui grandiront ici seront vigoureuses et donneront beaucoup de fruits.
-Et le sol est bien exposé au soleil, ajouta un autre Elfe. Si, par surcroît, ce lieu est béni par Yavanna, alors la récolte sera belle dès l’année prochaine !
Elrond les remercia pour leurs paroles, puis son regard se remit à errer sur la vaste plaine. Malgré lui, ses yeux cherchaient la gracieuse silhouette qui ne laissait aucune trace de pas, Yavanna et sa danse magnifique. Il en était certain : du temps où les Valar parcouraient encore la Terre du Milieu, chacun l’embellissant selon ses dons et ses désirs, la Reine de la Terre était venue ici, semant son pouvoir de vie et de fertilité. Depuis, la cime des montagnes avait été usée par les intempéries, les torrents avaient modifié leur cours, mais la vallée demeurait encore, visible souvenir du passage de Yavanna Kementari.

L’armée des Aiglons oeuvra sans répit, nuit et jour, durant des semaines. Malgré la détermination des soldats, le travail était considérable : la priorité était la construction d’une solide muraille autour du plateau herbeux qu’ils allaient habiter. Ils envisageaient également de construire un pont de pierres, assez étroit pour limiter le passage d’une importante force ennemie, en prévision du dégel futur. Des équipes extrayaient des blocs de pierre et montaient les murs, tandis que d’autres débitaient le bois en longues planches et allaient se jucher sur les édifices pour fixer la charpente. Certains s’occupaient de la chasse ; ils conservaient le gibier dans la rivière gelée grâce à un trou pratiqué dans la glace. Les Orques étaient toujours attentivement surveillés, et les précautions furent redoublées à cause des loups qui les accompagnaient. Mais ils ne se déplaçaient pas, attendant le printemps en fourbissant leurs armes et en se disputant en permanence à la manière de leur détestable race. Une ou deux fois, les éclaireurs aperçurent Sadorhen de loin. Il était en permanence sous bonne garde, au milieu du camp des Orques, et sortait rarement de la tente où on le maintenait prisonnier. Il avait beaucoup maigri, mais pouvait marcher sans aide. Le plus frappant était son attitude : le fier et orgueilleux guerrier était désormais morne et abattu, résigné à son sort.
Elrond regrettait profondément de ne rien pouvoir faire pour lui ; même attaquer le camp des Orques avec tous ses soldats aurait été en pure perte. Ils étaient si peu nombreux !
« Attendons, disait-il. Attendons et travaillons. Au printemps, quand les Orques viendront ici, nous auront peut-être une occasion de libérer Sadorhen. »

*littéralement « plante-mère »
** perce-neiges (littéralement « larmes blanches »)
Chapitre 8 : Une aide inattendue
Vers la fin du mois de février, alors que les nuits commençaient à être moins rudes et que la neige fondait aux heures les plus chaudes, le grand Súlion, fils de Thorondor, se rendit à la cité cachée.
L’une des sentinelles qui, situées sur les falaises environnantes, surveillaient les environs, vit à l’est une silhouette sombre fendre l’air en remontant la vallée. Après quelques instants, elle devint plus distincte : c’était un aigle gigantesque, dont le plumage brun prenait des reflets roux dans le soleil.
Le guetteur saisit le cor accroché à sa ceinture, le porta à ses lèvres et lança une sonnerie claire qui résonna dans toute la vallée. L’entendant, Elrond quitta son travail et sortit dans la cour. Pendant ce temps, le majestueux oiseau s’était rapproché ; brassant puissamment l’air froid, il fit une fois le tour de Fondcombe, puis se laissa soudain tomber comme une pierre et atterrit juste devant Elrond dans un grand bruissement d’aile.
-Bienvenue, seigneur du vent, dit le Semi-Elfe en s’inclinant. Que Manwë protège ton aire et fortifie tes ailes pour te mener vers lui.
-C’est à moi de t’accueillir ici, répondit Súlion en le fixant de ses yeux perçants. Mon peuple règne sur ces montagnes depuis des années, et chaque vallon, chaque bois et chaque sommet lui appartiennent.
Il était si imposant que, dressé sur le gravier, il n’avait pas besoin de lever la tête pour regarder son interlocuteur.
-Mais je te cèderai volontiers cette vallée, reprit-il, car je sais que les Elfes ont toujours combattu Sauron, et que par votre présence les Orques se feront rares dans les Monts Brumeux. Nous ne les aimons pas ; nombre d’entre nous ont été capturés jadis par ces viles créatures, et conduits devant Morgoth qui voulait leur arracher les incantations qui le feraient voler. Mais, devant leur refus, et sur les conseils de Sauron, il leur trancha les ailes, tenta vainement de s’en façonner une paire à son usage et prit notre peuple en haine. Désormais, nous traquons férocement les serviteurs de l’Ombre qui osent s’aventurer dans les montagnes, craignant pour nos vies et pour la liberté de nos petits qui ne volent pas encore.
-Nous serons heureux de participer à la protection des tiens, répondit Elrond. Et nous le ferons bientôt. Nous nous apprêtons à résister à une armée d’Orques qui campe vers l’ouest.
Un éclair flamboyant passa dans le regard de l’oiseau, et un frisson de colère ébouriffa son plumage.
-Quel est leur nombre ? demanda-t-il d’une voix tranchante.
-Je l’ignore, mais ils sont beaucoup plus nombreux que nous. Nous pourrons les combattre s’ils viennent jusqu’ici, mais sans vivres, nous ne survivrons pas à un siège de la vallée.
Les yeux de Súlion se plissèrent jusqu’à n’être plus que deux fentes brillantes.
-Vous n’aurez pas besoin de vous battre, dit-il. Nous sommes assez nombreux pour les anéantir. Et Sauron comprendra que ces montagnes demeurent encore le royaume invaincu du peuple de l’air !
-Que nos deux races soient unies, pour résister à l’Ennemi avec plus de forces ! dit Elrond. Vous pourrez compter sur nous pour vous apporter tout le soutien dont vous pourrez avoir besoin.
-Qu’il en soit désormais ainsi, et que Manwë en soit le témoin ! répondit Súlion.
En disant cela, il se rapprocha du Semi-Elfe en le fixant de ses yeux étincelants. Leurs fronts se frôlèrent, scellant leur alliance à la manière des Aigles.
A quelques centimètres du bec terrible, les yeux dans les yeux du puissant oiseau, Elrond restait silencieux, fasciné, osant à peine respirer. Il revoyait en Súlion l’image de son père, celui qui avait jadis protégé les rescapés de Gondolin en flammes, et permis aux Elfes d’enterrer dignement Glorfindel aux cheveux d’or.
Puis le grand rapace s’écarta et tourna la tête vers le soleil, qu’il regardait sans sourciller. Il se ramassa sur lui-même, prit son essor et s’éleva dans les airs sous les yeux de tous ceux qui étaient sortis pour recevoir l’étrange visiteur.
Il monta de plus en plus haut avant de se diriger vers l’est, le cœur des montagnes, où l’attendait son peuple rassemblé. Alors qu’il s’éloignait, le vent porta aux oreilles des Elfes l’ancestral chant de ralliement des Aigles, datant du règne de Morgoth quand le monde était plus jeune :
-O vous, les miens, entendez mon appel !
Vous qui volez plus haut que tout autre
et nichez à la cime des orgueilleuses montagnes, écoutez-moi !
Notre peuple est en danger ce soir.
L’ennemi s’approche, déjà il est chez nous ;
Leurs jets féroces transperceront nos nichées
et ils proclameront les montagnes soumises à leur volonté.
Cela sera-t-il, ô mon peuple ?
Laisserons-nous les Orques prendre possession de nos aires,
nous faire périr jusqu’au dernier ?
Demain les sources se teindront d’écarlate,
Le sang coulera dans les vallées ;
Nous vengerons les dépouilles de nos frères.
Entendez ma voix ! Venez combattre !
Il est venu, le temps où notre haine se montrera en plein jour !
Chapitre 9 : Construction
Les jours suivants, les Elfes continuèrent leur travail acharné. Le beau temps leur permettait d’œuvrer quasiment sans relâche, nuit et jour. Les Elfes travaillaient par roulement : quand un soldat, épuisé, allait prendre un peu de repos, un autre quittait sa couche pour aller le remplacer.
A la demande d’Elrond, ils bâtirent une salle en sous-sol, sombre et fraîche ; il ne voulut pas en expliquer la fonction, mais il l’appela la Salle du Feu, et disait que Gil-Galad lui donnerait tout son sens. Il y installa en personne un grand piédestal en bronze, où il disposa du bois, mais refusa que quiconque l’allumât.
Les Aigles revinrent souvent à Fondcombe pour transmettre des nouvelles : Súlion avait rassemblé son peuple et ils avaient fondu sur les Orques au milieu de la nuit, laissant enfin leur haine dévorante se déchaîner. Ils n’avaient pas vu de prisonniers.
-Ils ont dû emmener votre ami hors des montagnes, répondit Súlion aux interrogations des Elfes. Aucun Orque n’a pu nous échapper ; ils s’imaginent qu’un buisson les dérobent à notre vue, mais ils n’ont pas ce don de votre peuple !
-Sadorhen s’est peut-être enfui en profitant du tumulte, dit Limtal. Et il se serait caché des Orques que vous poursuiviez.
-Dans ce cas, il ne tardera pas à venir ici, dit Elrond.
-Espérons-le ! soupira Erestor.

Quelquefois, le messager amenait sur son dos l’un des siens qui avait besoin du savoir elfique : dans la rudesse de l’hiver tout juste déclinant, de nombreux petits affaiblis étaient tombés malades, ou des oiseaux malmenés par la furie du vent s’étaient blessés en percutant des rochers. Une étrange amitié s’était donc créée entre ces deux races pourtant si orgueilleuses et si lentes à demander de l’aide.
Súlion revint une ou deux fois en personne ; il informa les Elfes de l’arrivée prochaine d’une armée orque bien plus importante que la précédente, ayant pour ordre de faire disparaître les restes de l’armée elfique. Mais, menés par un aigle messager de Súlion, Gil-Galad et les forces númenoréennes traversaient l’Eregion en grande hâte pour porter secours à la Cité-Refuge. Malgré tout, les Orques avaient une sérieuse avance sur l’armée des Hommes, contrainte à se frayer un passage dans le pays envahi par les forces de l’Ombre.

Les Aiglons se préparèrent donc à accueillir les soldats ennemis : parallèlement à la construction, certains furent affectés à la forge sommaire rapidement mise en place afin d’augmenter le nombre des armes déjà disponibles. Celeborn, qui excellait dans ce domaine, fut chargé d’ordonner leurs tâches, et les Aiglons s’enrichirent de tout son vaste savoir.
Les murs s’élevèrent, des salles apparurent, et une muraille les ceignit bientôt de ses puissants contreforts ; les Elfes purent rouler leurs tentes et dormir sous un vrai toit. Cela leur apporta un grand soulagement, non seulement pour le confort, mais aussi pour le sentiment de protection que donnaient les murs autour d’eux.
Et les jours rallongèrent, la rivière fit enfin entendre son doux gazouillis, et l’armée de Gil-Galad se fit ardemment désirer.
Chapitre 10 : La forteresse assiégée
Un soir, les Orques se décidèrent enfin à attaquer. Cela faisait plusieurs jours déjà qu’ils se rapprochaient dangereusement de Fondcombe. Ils ignoraient la position exacte de la cité, mais savaient où la précédente armée avait été décimée par les Aigles ; partant de là, ils avaient fait des cercles de plus en plus grands, sous la surveillance vigilante et discrète de Lindir et de ses hommes.
Quand les sentinelles estimèrent que les Orques arriveraient à Fondcombe sous quelques heures, elles revinrent à la cité.

Une cloche solitaire retentit dans la vallée ; l’entendant, chacun abandonna son activité et se rendit dans la salle où les armes avaient été entreposées. Il n’y avait ni précipitation ni panique ; malgré les longs mois où ils étaient devenus bâtisseurs ou agriculteurs, ils étaient restés des soldats aguerris, rompus au combat, et ils ne craignaient pas d’affronter les Orques. Ils s’armèrent en hâte, s’aidant l’un l’autre à revêtir leurs cuirasses, légères mais solides. Suivant l’usage, chacun l’avait forgée lui-même, pour en connaître ainsi parfaitement le poids, la forme et les points vulnérables, et faire corps avec elle.

Munis de leurs épées brillantes, de leurs lances ou de leurs arcs, ils se répartirent sur les murailles selon une disposition longuement pesée et mûrie, et, silencieux et calmes, ils attendirent l’Ennemi.
Ils savaient que les Aigles ne viendraient pas cette fois-ci : de l’autre côté des montagnes, ils combattaient pour eux-mêmes face à des trolls qui désiraient s’installer sur les falaises abruptes et les grottes où nichaient les puissants oiseaux.
Situé assez en hauteur, à un endroit où il pouvait voir toute son armée et lui donner ses ordres, Elrond aussi était prêt au combat. Il regardait avec fierté les rangées d’armures et de boucliers que la pénombre commençait à cacher à ses yeux. Quel que fût leur destin, il était fier de ses soldats ; courageux et obstinés, ils n’avaient jamais reculé devant les tâches les plus rudes, sans cesser de s’entraider comme des frères. A l’approche d’une mort probable, il aurait voulu les remercier et exprimer la profonde affection qu’il ressentait pour eux ; mais, sachant tout discours inutile, il se contenta de les bénir silencieusement, demandant à Elbereth de veiller sur chacun de ces soldats qu’il avait appris à connaître et à apprécier.
De son long pas souple, Erestor finit de parcourir les rangs et vint se placer aux côtés de son chef. Ils échangèrent un unique regard, brûlant et indescriptible, puis se mirent à scruter les ténèbres qui s’étendaient devant eux. Le silence était impressionnant, lourd, comme celui qui précède le premier rugissement du tonnerre.

Soudain, il y eut d’innombrables silhouettes sombres sur la cime qui faisait face à la Cité. Des cris et des hurlements de loup résonnèrent dans la vallée : l’armée des Orques approchait, bien plus nombreuse que la troupe qui avait poursuivi les Elfes dans les montagnes avant d’être décimée par les Aigles.
Hors de portée des arcs elfiques, les soldats ennemis descendirent la falaise sans se presser. Malgré leurs torches, la route était difficile ; plus d’un Orque trébucha et bascula dans le vide, sous les huées moqueuses de ses camarades.

Mais les ennemis étaient nombreux, plus nombreux que les Elfes qui, impassibles, les attendaient. Ils finirent par atteindre le pont ; couverts de leurs boucliers, les plus belliqueux s’élancèrent pour le franchir, sans attendre l’ordre de leurs chefs.
Sur un cri d’Elrond, une nuée de flèches traversa l’air en sifflant. Les Elfes visaient juste malgré l’obscurité de la nuit sans lune, et chaque trait avait une précision mortelle.
Des dizaines de fois, le sifflement meurtrier se fit entendre. Mais les Orques, en trop grand nombre, progressaient toujours sur le pont et s’approchaient de la porte. Ils se mirent à riposter ; des Elfes tombèrent malgré la protection du parapet, vite remplacés par d’autres combattants.
-Naur ! Le feu! cria soudain Limtal.
Des Orques avaient enflammé leurs flèches et les lançaient par-dessus la muraille. La plupart atterrirent en sifflant au milieu de la cour, éclaboussant d’une lueur rouge les murs des maisons ; mais d’autres, lancées plus puissamment, atteignirent les arbres qui encerclaient les constructions de pierre. Ils se mirent à flamber, et de nombreux Elfes durent s’éloigner de la bataille pour éteindre l’incendie.

De chaque côté de la Cité, des Orques tentaient de contourner les murs et de rentrer par derrière, longeant la falaise sur laquelle Imladris s’appuyait. Elrond envoya des archers contrer leur avance. Mais ce n’était qu’une diversion : des soldats martelaient la porte de lourdes haches à l’acier sombre, scandant leurs efforts de grands cris guerriers.

Vers la fin de la nuit, les soldats ennemis réussirent enfin à fracasser la porte ; et les loups entrèrent dans la bataille. Jusqu’alors, ils s’étaient contentés de pousser leurs cris sauvages, à distance respectueuse des Elfes, laissant les Orques épuiser leurs flèches et se faire tuer en tentant d’arriver à la porte. A présent, l’ardeur de la bataille et l’odeur du sang versé répandaient en leurs veines une sorte de folie irrépressible. En quelques foulées puissantes, une meute hurlante traversa le pont, sautant par-dessus les corps des Orques tués. Elle atteignit la muraille et, jaillissant à travers l’ouverture de la porte défoncée, se jeta sur les Elfes avec une fureur terrible.

Le combat dura longtemps. Les Elfes étaient courageux et adroits, mais ils portaient la fatigue des assauts précédents, et le désespoir commençait à les gagner. Un grand chef loup happa deux soldats dans son énorme gueule et, d’un puissant coup de tête, les projeta contre le mur. Erestor se jeta sur lui et le blessa à l’épaule ; avec l’aide d’Inglor, il réussit à le mettre à terre et à l’achever. Puis de nouveaux attaquants séparèrent les deux Elfes.
Pendant l’arrivée des loups dans la Cité, les Orques s’étaient rassemblés. Ils entrèrent à leur tour, disputant aux loups leurs adversaires.
La cour était envahie. Tout autour des murs noircis, les arbres flambaient en ronflant. Les Aiglons se battaient désespérément, emplis d’une rage froide. Ils savaient qu’ils allaient mourir, mais ils tenaient à emporter de nombreux ennemis avec eux.

Le ciel pâlissait à l’est, faisant disparaître les étoiles une par une, quand une clameur vibrante déchira l’air froid :
-Elenna ! Vers les étoiles !
Chapitre 11 : Les secours
Le cœur d’Elrond fit un bond dans sa poitrine. Ce cri de ralliement, c’était son frère qui l’avait poussé pour la première fois, il y avait bien longtemps… Malgré les nombreux loups qui l’assaillaient de toutes parts, le Semi-Elfe prit le temps de jeter un coup d’œil sur le haut de la falaise voisine. Une grande silhouette se détachait du ciel ; surmontée d’un casque à haut cimier, elle brillait de mille feux comme le soleil se levait au-dessus des montagnes. Au-dessus de lui se profila un rapace qui survola la bataille et se dirigea vers l’est à vive allure après un glatissement puissant. C’était l’aigle qui avait guidé Gil-Galad jusqu’à Fondcombe, et à présent il partait en hâte aider les siens de l’autre côté des montagnes.
Porté par le vent frais du matin, l’appel clair arriva aux oreilles des soldats assiégés, qui reprirent courage : les renforts arrivaient.
-Hardi, Aiglons ! rugit Elrond, soudain galvanisé par la nouvelle situation. Le vent tourne ! Tenez bon !
Les soldats de Gil-Galad et de Númenor atteignirent rapidement le pont et le traversèrent, petites formes argentées encore incertaines dans la pâle lueur de l’aube. De l’autre côté, les Orques opposèrent une résistance acharnée ; mais un assaut plus fort les refoula loin de la rive. Gil-Galad s’élança le premier, sa lance Aeglos étincelante à la main. Il créa un large chemin vers la porte défoncée, et ses troupes suivirent.
-Dans la cour ! cria Elrond. Descendez ! Il faut rejoindre l’armée des Rois !
D’un ample mouvement de bras, il se débarrassa de son adversaire et courut vers les escaliers. Il s’arrêta net : en haut des marches, Limtal se tenait debout, immobile. Son épée pendait mollement au bout de son bras. Il regardait sans réaction un Orque s’approcher de lui.
Elrond eut un coup au cœur, et devint d’un coup indifférent à tout ce qui l’entourait. Dans la lumière dorée des flammes, il avait reconnu l’Orque, malgré sa peau noircie et son corps déformé.
C’était Sadorhen.
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