03.02.2025, 20:49
(Modification du message : 03.02.2025, 20:55 par Chiara Cadrich.)
Au flanc du pic, couronné des neiges éternelles de la Déesse Mère, s’ouvrait en corolle d’arum, un vaste hémicycle de roche. Un lac y recueillait les eaux de fonte et les déversait en une haute cascade, qui chantait l’air serein des grands cycles du monde. La traîne de brume qui s’échappait de la chute d’eau baignait les pentes boisées d’une éternelle fraicheur.
Au plus profond de la combe sylvestre se nichait un bassin d’eaux chaudes. Les pèlerins venaient y guérir leurs escarres, leurs maladies, leurs vague-à-l’âme.
La doyenne du Mont Sacré y déclamait l’oraison, robuste et vigoureuse, devant la statue de la Déesse Mère. Son sourire confiant et décidé trahissait une énergie intérieure qui défiait son âge. Son visage, encadré de cheveux gris, portait les marques d'une longue vie d’épreuves, mais ses yeux débordaient de vivacité et d’espérance.
La régente accompagnait la Doyenne avec une ferveur absolue. Une prière de jeune mère, une imploration à veiller sur son enfant, une exhortation à trouver les mots justes pour élever son neveu et le guider sur le chemin de la vie et du devoir.
L’Oloye Kibir, droit et ferme à son côté, semblait absorbé dans un débat intérieur.
Taïnyota les accompagnait de bonne grâce, s’adressant en son cœur à Yavanna, dont il sentait la présence dans le moindre rameau autour de lui.
Un cri étouffé !
Parmi les pèlerins, qui se tenaient à distance respectueuse du bassin.
Un couple de jeunes mariés s’effondra au premier rang, bousculé par une escouade d’hommes grimés et vêtus de noir. Les spadassins bondirent en avant.
D’un même élan, Kibir et Taïnyota s’avancèrent pour les intercepter. Mais les compères étaient désarmés, ainsi l’exigeait la loi du Mont Sacré. Les estafiers convergèrent vers les deux hommes.
Kibir s’exclama « Des akhirim ! Poignards empoisonnés ! », en arrachant le pan de tunique chamarré qui couvrait son épaule.
Le filet est une arme à l’honneur au Bellakar. Kibir excellait dans son maniement, comme en tout ce à quoi il s’appliquait. L’étoffe, lestée de fil d’argent, fit merveille. Un coup de fouet dans la face du premier, le second enveloppé comme une antilope à la chasse. Et voilà le poignard du premier dans le flanc du second !
Taïnyota arracha un piquet de soutien d’une petite tente qui abritait les offrandes des pèlerins.
Des ombres noires se jetèrent sur notre héros. Il en perça une, en frappa une autre à la tempe, mais deus au moins lui échappèrent, courant vers la régente.
La Doyenne s’interposa, de toute la force de sa conviction. L’assassin, un instant subjugué par sa formidable présence, la fixa avec une grande intensité, ses yeux vitreux, exorbités, semblant découvrir, dans la prestance de sa victime, l’infinie richesse de l’humanité tout entière.
Les épaules de l’akhirim se détendirent. Son poignard glissa à terre. Il tendit une main hésitante, celle du premier contact, d’exploration de l’altérité.
Il tomba égorgé par un comparse : le doute n’a pas sa place dans le credo des sicaires.
La Doyenne tomba avec bravoure, agrippée à son assassin, qu’elle entraîna dans le bassin de la Déesse.
Luuma tira de sa botte une rapière. Elle détourna un coup, accompagna l’élan de son agresseur et lui trancha la gorge dans la continuité du mouvement.
Un violent gargouillis fusa derrière elle. Lorsqu’elle se retourna, elle vit s’effondrer un akhirim, poignard levé contre elle, le thorax transpercé par le piquet d’acier de Taïnyota. Et un autre expirer des mains formidables de Kibir.
Les assaillants étaient vaincus. La garde accourait.
Kibir se pencha sur Luuma, l’examinant sous toutes les coutures avec un air désespéré et affolé :
– Le poison… le fiel des akhirim…
– Je n’ai rien, mon ami.
Mais une éraflure suffisait aux akhirim pour vous arracher votre âme. Kibir tremblait de peur, alors qu’il n’avait pas cillé pendant le combat.
Luuma prit le visage de l’homme des deux mains, posa son front contre le sien et lui dit avec douceur :
– Par le nom secret que vous m’avez offert, je vous jure que je n’ai rien !
Kibir glissa à ses pieds, anéanti à l’idée de la perdre.
Taïnyota, un peu gêné, pataugea pour repécher la Doyenne, la hâlant avec douceur au bord du bassin.
La sérénité nimbait son visage, dont maintes ridules s’étaient estompées. Dans un dernier souffle, elle bénit ses visiteurs avec l’attachement d’une mère, se recroquevilla et se laissa aller dans l’eau. L’amnios sacré de la Déesse Mère avait accueilli sa servante, la berçant jusqu’au seuil ultime de sa demeure.
La combe retomba dans le silence des grands arbres, le gazouillis de l’eau et les respirations haletantes des survivants. La princesse, indemne, caressait les cheveux de Kibir prostré à ses genoux, le regard brillant de gratitude et de chagrin, en contemplant Taïnyota rendre ses derniers hommages à la gardienne du Mont Sacré.
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A suivre...