02.02.2025, 12:43
(Modification du message : 02.02.2025, 12:46 par Chiara Cadrich.)
Quelque chose n’allait pas : les oiseaux avaient cessé de chanter. Une ombre oppressait le cœur de Taïnyota. Il envoya ses cavaliers en cercles d’éclaireurs et tira son sabre, imité par Kibir et ses jipayes, qui se disposèrent en défense autour de la princesse.
Une ombre passa sur l’Obaya qui poussa un cri de surprise.
Au-dessus de leur tête, crevant le halo aveuglant du soleil, un oiseau décrivit un long cercle, puis un autre, plus lent et court. Tâchant d’échapper au rapace, la princesse et ses deux protecteurs piquèrent des deux. Mais le rapace ne les perdait pas. Il décrivit encore un cercle, presque sur place.
Les cavaliers au galop passèrent à côté d’un mendiant juché sur une souche. Personne ne l’avait vu avant que la troupe ne fût sur lui !
Soudain le mendiant leva son poing !
Il était ganté de cuir.
Le faucon s’y accrocha, et l’homme en haillons le reçut avec un sourire de connivence.
Les gardes se détendirent, abaissant leurs lames.
Charmée, la princesse ralentit, fit demi-tour et vint contempler le faucon.
Le feu du soleil frappait de pleine force le petit rapace. Droit, tendu, le poitrail bombé, il gardait la tête immobile. De ses yeux minces, deux éclats incandescents qui ne clignaient jamais, il fixait la princesse. Le petit bec féroce semblait maculé de sang, comme les serres puissantes.
– Par la Déesse ! s’extasia Luuma d’une voix rêveuse. Comme il est petit et beau !
En cet instant, seul son neveu lui aurait inspiré ce sentiment de fraternité, de parentèle qu’elle éprouvait pour cette petite boule de courage et de plumes, armée d’une puissance et d’une superbe sans mesure avec sa taille.
– C’est une fille, Ô Obaya ! Nous survivons l’un grâce à l’autre !
À la ceinture du vagabond pendaient deux beaux lapins, la nuque brisée.
Une femelle… Luuma ferait du faucon son double héraldique !
Le prince Kibir s’interposa, repoussant le vagabond sans ménagement :
– Les rapaces sont dangereux et imprévisibles… Celui-ci devrait être aveuglé !
Avec autorité, Luuma posa sa main gracile sur l’épaule du guerrier.
Juste assez pour faire sentir la chaleur de sa peau, mais sans force aucune, car la force d’une reine est de ne pas devoir y recourir.
D’un doigt, elle fit se retourner le prince et le toisa sans un mot. Qui prétend conquérir une âme doit entendre ses louanges et ses remontrances silencieuses.
Ni le prétendant, ni le diplomate ne se méprirent en l’Oloye qui s’inclina, les mâchoires raides et le verbe court :
– Avec votre permission, mon escorte va relever les éclaireurs.
Taïnyota veilla donc seul sur la princesse, tandis que les jipayes se déployaient. Tous reprirent la route des collines, longeant les étranges sentinelles tordues. Un rapace tournoyait sous le regard impassible du soleil.
Ils parlèrent de fauconnerie, de chasse et de grands espaces. Ils parlèrent de liberté. Ils parlèrent d’espoir et d’avenir.
L’Obaya Luuma s’en voulait d’avoir froissé Kibir. Elle évoqua d'une voix tremblante cet homme qui l’avait couverte de bontés. Dans son exil, l’Oloye l’avait traitée en égale. Il avait adouci la dureté de cette hospitalité, qu’exigeaient l’honneur et son rang, d’un savoir-vivre qui faisait de chaque jour une aventure courtoise. Il savait rehausser l’obligeance naturelle au grand Seigneur, d’une familiarité simple et fière, d’une humeur aussi limpide que le ciel de son pays. L’honorant en sœur, il avait veillé à occuper l’esprit de Luuma lorsque ses jours étaient trop sombres et déroulé à ses pieds, les nuits, les merveilles qui bannissent les cauchemars. Il lui avait fait don d’un nom secret, qui conjure le Mauvais Œil. À présent, il lui offrait l’alliance qui lui faisait défaut…
Les yeux de l’Obaya brillaient d’émotion contenue, mais son regard restait fixé sur Taïnyota, comme si elle cherchait en lui un réconfort silencieux.
– Vous craignez de trop devoir au même homme. Que vous est le plus cher… l’indépendance du royaume ou votre propre liberté ?
La régente eut un regard acéré. Elle venait de se confier. Peut-être attendait-elle plus de compassion et moins de perspicacité…
– L’Oloye du Bellakar est un homme courageux, un conseil avisé et un voisin précieux. Même sans engager votre foi, il demeurera votre ami.
La loyauté de Taïnyota l’obligeait à se justifier ; il avait cru bon de préciser sa pensée. La régente se retira dans les siennes.
Son capitaine de la garde se trouva des ordres à donner.
Son capitaine de la garde se trouva des ordres à donner.
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A suivre...