24.01.2025, 18:36
(Modification du message : 01.02.2025, 14:05 par Chiara Cadrich.)
Quartier du port, Bôzisha-Dar
Dans l'air lourd et nauséabond de la capitale, les cris de douleur et le cliquetis des armes montaient de l’arène d’entraînement. Sous une claie de palmes, tendue par un filet de métal aux mailles étroites, des gladiateurs capturés aux quatre coins du Harad s'entraînaient sans relâche.
Des esclaves épongeaient une mare de sang avec du sable, balayaient avec résignation, puis débarrassaient la cour d’un corps aux blessures top sévères pour être soignées. Les prisonniers à la détermination défaillante ou malheureux aux armes étaient laissés de côté, un bandage sommaire ou un simple garrot les maintenant en vie jusqu’à l’heure de nourrir les fauves. Ça motivait les autres.
Marhas, un grand gaillard chauve à la barbe arrogante, observait chaque paire avec attention, prodiguant coups de lattes, rappels à l’ordre et encouragements. Son visage buriné par les années de combats et d'entraînement ne laissait transparaître aucune émotion. Il discernait les capacités de chaque recrue et savait exactement comment les pousser à leurs limites.
– Toi, là-bas ! hurla-t-il en pointant du doigt un jeune scribe raflé aux confins du Syraïn. Si tu continues à te battre comme ça, tu vas finir en chair à pâtée pour les hyènes du Grand Œil !
Marhas continuait sa tournée, avec l’intransigeance d’un instructeur impitoyable et, parfois, une sollicitude trouble:
– Oh-là, tout doux, le bellâtre du Bellakar ! Frappe là et là : ça saigne mais ce n’est pas dangereux. Fais un peu durer le combat, tes fans voudront du spectacle ! Tu veux connaître la célébrité ! Alors un peu de tenue, un peu de panache ! Bombe-moi ce torse ! Avec ta jolie petite gueule, tu vas t’attirer les faveurs des dames de la haute société… si tu restes en vie assez longtemps !
Le jeune homme, les yeux brillants d'orgueil, redoubla d'efforts, sa chorégraphie devenant plus fluide, plus théâtrale.
Le maitre des gladiateurs passa à un colosse à la peau grise, moirée de tatouages bleus, et se tourna vers ses gardes :
– Trop poussif, tout ça ! Enlevez-lui son bouclier et armez-le en dimachaire ! Ça va l’occuper en beauté !
Puis au géant, qui roulait des yeux fous :
– Tu vas faire un carnage avec ça ! Mais pour ça, il te faut plus de discipline et de précision !
L’entraîneur royal passa devant un groupe de jeunes recrues, qui tournoyaient en vain autour d’un nain, carapaçonné d’acier de pied en cap et armé d’un lourd marteau de guerre. L’armure des Barberoides le protégeait mais entravait sa mobilité.
– Le secret, bande de mollassons, c’est la coordination ! Trouvez le défaut à la cuirasse ! Provoquez la faute ! Allez, on reprend !
…
– Toi, le harponneur de Tulwang ! Laisse ce glaive et cette targe ! Tu as l’air d’une crémière avec son battoir ! Tu vas changer d’armes ! Prends ce filet et ce trident. Tu le maintiens à distance en menaçant de frapper, mais tu gardes toujours l’allonge ! Puis tu l’enveloppes dès qu’il trébuche ou se trouve en difficulté ! Après… tu sais quoi faire !
Marhas se tourna vers le groupe des nouvelles recrues ; elles avaient la cheville entravée d’une chaine :
– Quant à vous, si vous voulez survivre jusqu'au prochain combat, il va falloir vous battre avec tout ce que vous avez. La vie sauve est votre seule récompense, alors ne la gaspillez pas !
Pour appuyer ses dires, l’entraîneur avisa un gringalet à l’air timoré et pris de langueur, qui couvrait une éraflure de sa main aux ongles soignés. Marhas attrapa le jeune homme par les cheveux et le jeta au milieu de l’arène :
– Allez, vas-y, tu as ta chance, l’incita-t-il en écartant ses bras désarmés.
Le jeune homme, la haine dans le regard, serrant convulsivement son glaive, hésitait. Au moment où le maître de l’arène se détournait avec une moue méprisante, le gringalet se précipita pour le pourfendre.
Mais Marhas, rompu à tous les exercices, même à mains nues, exécuta une parade magistrale et immobilisa le garnement d’une clé de bras impitoyable.
– Que ça vous serve de leçon ! claironna-t-il à la cantonade. Une provocation, c’est très spectaculaire et ça pousse l’adversaire à l’imprudence !
Avec un naturel parfait, Marhas maintint sa clé, accentua un peu la pression et brisa le bras de sa victime :
– Aux fauves ! lança-t-il impavide en laissant glisser au sol le corps désarticulé de l’adolescent inconscient.
Les prisonniers, terrifiés mais résolus, reprirent l'entraînement avec une ardeur renouvelée, sachant que leur survie dépendait de chaque coup porté, de chaque esquive réussie.
Impitoyable mais lucide, le maître de l’arène continua de pousser ses recrues, forgeant des guerriers prêts à affronter la mort pour un instant de gloire sous les acclamations de la foule. Il s’arrêta enfin devant un nomade, entravé aux deux pieds :
– Quant à toi… Tu es un combattant redoutable, mais tu retiens tes coups… Je sais ce qu’il te faut…
Taïnyota lui jeta un regard sombre.
oOo.
A suivre...