13.01.2025, 01:21
(Modification du message : 13.01.2025, 01:22 par Chiara Cadrich.)
Le soleil dardait son feu sur la nuque de Taïnyota, arc-bouté sur un chenal d’irrigation. Il martelait avec ardeur des poteaux de soutien. Les tuyaux de céramiques blanches et bleues, arrimées à flanc de colline, dans la roche friable, nécessitaient une maintenance permanente. Le chevalier, en sueur, se releva, hélant ses compagnons de labeur :
– Cette section nécessite de hisser une pièce de soutien, que nous pourrions sceller ici… et puis là… !
Le maître de chantier, d’un air grave, opina du turban, mais les ouvriers s’écrièrent :
– La Déesse te rende tes bienfaits, Ô étranger qui nous apportes ta science et ton aide ! Mais ce que tu demandes est impossible ! Nous ne pouvons hisser aussi haut un madrier, à la seule force de nos bras, à flanc de falaise !
– Tu dis vrai, répondit Taïnyota, d’un air pensif, mais il doit y avoir un autre moyen…
Quelques heures plus tard, l’équipe avait traîné une poutre de bambou au sommet de la falaise, en faisant le tour par l’extrémité de la vallée. Farasi avait assuré l’essentiel de l’ouvrage et à présent, c’était lui également qui actionnait le palan descendant la pièce de soutien vers les ouvriers arrimés à flanc de rocher.
Lorsque la canalisation fut rétablie, l’équipe se réunit autour d’un vaste plateau de cuivre, débordant de lentilles et de légumes, piochant à même le plat de trois doigts, partageant la joie du repos après la tâche accomplie en commun.
– J’ignore d’où te vient ce savoir en architecture, Ô Taïnyota, mais nous te remercions pour ton aide !
Le maître de chantier ajouta, en mesurant ses mots et d’un ton plus prudent :
– Pourtant j’aimerais comprendre – La Déesse me pardonne si j’offense en toi l’étranger accueilli sous notre toit ! Tous ici nous connaissons et respectons l’art noble du dressage et de la monte. Aussi nous ne comprenons pas qu’un si fier coursier et un tel cavalier s’abaissent à de si basses besognes !
Le chevalier, un peu désarçonné par la question, vit les visages de ses compagnons se tourner vers lui. Il prit le temps de déglutir et d’essuyer ses doigts sur sa galette de pain, comme il avait vu la tablée le faire.
– À quoi sert de défendre sa famille et sa tribu, si l’on omet d’entretenir ou d’embellir l’oasis où elles vivent ?
Cette conception naïve et charmante fut accueillie avec indulgence, mais elle heurtait les valeurs des hôtes : la noblesse, sous les cieux indigo du Harad, se mesurait au courage en selle ; la richesse, à la taille des troupeaux ; la renommée, aux victoires de l’écurie de la tribu ; la magnanimité seulement, aux œuvres qui ornaient l’oasis. Taïnyota se promit plus de retenue à l’avenir.
Mais un sourire bienveillant flottait sur le visage ridé et pensif du maître de chantier. Il conclut d’un air fataliste, resservant à la ronde le thé brûlant :
– Il n’est pas nécessaire de comprendre toutes les extravagances du Monde pour en apprécier les bontés ! Bénie soit la Déesse de t’avoir envoyé à nous, avec tes idées étranges et ta générosité !
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A suivre...