01.01.2025, 10:38
(Modification du message : 01.01.2025, 10:43 par Chiara Cadrich.)
Taïnyota flatta l’encolure de Farasi.
Le Tell de la Déesse Aïeule s’avérait passage obligé entre la Mer de Dunes au nord et la chaîne du Miraz au sud. Mais ce soir, les lieux étaient déserts : aucune caravane n’avait établi son campement au pied de la colline. Aucune tribu nomade n’était venue rendre à la pierre la dépouille de la grand-mère morte en chemin, ni les restes glorieux du guerrier tombé en embuscade.
Les derniers feux du soleil allumaient des flammeroles au sommet des dômes semés sur la grande colline et caressait les traits de la Vieille Mère, gigantesque face sculptée de la Déesse aux Trois Visages, qui veillait du haut de la falaise sur la nécropole. Sous la face hiératique se dressaient les plaques votives, les mausolées, les tombeaux des humbles et des puissants, qui couvraient la colline sacrée.
Enfin la dernière lueur rose abandonna le visage tutélaire. Dans la pale lueur du soir qui tombait, seuls résonnaient les sabots de Farasi sur les dalles.
Dans le village de pierre, qui n’abritait que des morts, le chevalier voyait parfois surgir un feu-follet, infime embrasement des exhalaisons corrompues.
– Est-ce toi qui approches, fils du Nord, Ô Taïnyota ?
La surprise fit broncher Farasi. Un tombeau avait appelé !
Taïnyota tira l’épée. Ses jambes, contractées par la peur, transmirent toute la tension du cavalier à son compagnon quadrupède.
Dans le silence sépulcral de la pénombre, une voix s’était élevée. Usée, rocailleuse, embuée du brouillard des nuits où les morts s’attardent en lisière du monde des vivants, et pourtant nette et distincte, égrenant les mots avec lenteur, comme un revenant se rappelant sa langue d’autrefois.
Farasi fit mine de reculer. Une main sur l’encolure suffit à lui rendre son calme. Pourtant, une poigne cruelle avait saisi les entrailles de Taïnyota :
– Il n’est pas raisonnable de craindre les morts. Pourtant celui-là connait mon nom, et plus…
D’une pression des genoux, le cavalier ordonna d’avancer. Doucement. Sur le qui-vive.
Ils cheminèrent au long de la ruelle qui montait jusqu’au puit, au sommet, près des somptueux tombeaux des Obas du Bôzisha Dar.
Une grande crypte avait été ouverte : la porte béait sous la lune, un sarcophage de pierre gisait vide. Qui cette mise en scène sordide attendait-elle ?
Raffermissant le poing sur la garde de son épée, Taïnyota parvint jusqu’au puit, tira l’eau et fit boire sa monture. Toujours le cheval en premier. Puis il se désaltéra, épargnant quelques gouttes pour les points cardinaux, afin d’apaiser les esprits du lieu, comme on le lui avait appris dans la tribu. L’eau avait un goût de cendres.
– Que la grande paix du Tell soit sur vous !
Alors seulement il vit le feu, à quelques pas. Un feu ténu, mais véritable, un feu de vivant, de branches sèches et de feuilles mortes. Le petit brasier, mussé au creux des tombes, lançait des lueurs fugaces sur les roches levées et les dômes de pierres sèches. Derrière ce feu, abrité dans une cavité qui avait dû coiffer quelque catafalque, veillait un vieillard, assis en tailleur et fumant une longue pipe.
– Venez partager mon feu, jeune Taïnyota ! accueillit la voix, dans un souffle las.
– Paix et honneur sur vous, Ô noble vieillard ! Les desseins de la Déesse sont bien singuliers, de nous réunir ici !
– Puisse la Déesse jouir de maints desseins pour les siècles à venir ! Mais c’est que je vous attendais… souffla le vieil homme avec un nuage de fumée.
Ce dont Attas Incânus et le chevalier Taïnyota s’entretinrent cette nuit-là, nul n’en sut jamais rien.
Le Tell de la Déesse Aïeule s’avérait passage obligé entre la Mer de Dunes au nord et la chaîne du Miraz au sud. Mais ce soir, les lieux étaient déserts : aucune caravane n’avait établi son campement au pied de la colline. Aucune tribu nomade n’était venue rendre à la pierre la dépouille de la grand-mère morte en chemin, ni les restes glorieux du guerrier tombé en embuscade.
Les derniers feux du soleil allumaient des flammeroles au sommet des dômes semés sur la grande colline et caressait les traits de la Vieille Mère, gigantesque face sculptée de la Déesse aux Trois Visages, qui veillait du haut de la falaise sur la nécropole. Sous la face hiératique se dressaient les plaques votives, les mausolées, les tombeaux des humbles et des puissants, qui couvraient la colline sacrée.
Enfin la dernière lueur rose abandonna le visage tutélaire. Dans la pale lueur du soir qui tombait, seuls résonnaient les sabots de Farasi sur les dalles.
Dans le village de pierre, qui n’abritait que des morts, le chevalier voyait parfois surgir un feu-follet, infime embrasement des exhalaisons corrompues.
– Est-ce toi qui approches, fils du Nord, Ô Taïnyota ?
La surprise fit broncher Farasi. Un tombeau avait appelé !
Taïnyota tira l’épée. Ses jambes, contractées par la peur, transmirent toute la tension du cavalier à son compagnon quadrupède.
Dans le silence sépulcral de la pénombre, une voix s’était élevée. Usée, rocailleuse, embuée du brouillard des nuits où les morts s’attardent en lisière du monde des vivants, et pourtant nette et distincte, égrenant les mots avec lenteur, comme un revenant se rappelant sa langue d’autrefois.
Farasi fit mine de reculer. Une main sur l’encolure suffit à lui rendre son calme. Pourtant, une poigne cruelle avait saisi les entrailles de Taïnyota :
– Il n’est pas raisonnable de craindre les morts. Pourtant celui-là connait mon nom, et plus…
D’une pression des genoux, le cavalier ordonna d’avancer. Doucement. Sur le qui-vive.
Ils cheminèrent au long de la ruelle qui montait jusqu’au puit, au sommet, près des somptueux tombeaux des Obas du Bôzisha Dar.
Une grande crypte avait été ouverte : la porte béait sous la lune, un sarcophage de pierre gisait vide. Qui cette mise en scène sordide attendait-elle ?
Raffermissant le poing sur la garde de son épée, Taïnyota parvint jusqu’au puit, tira l’eau et fit boire sa monture. Toujours le cheval en premier. Puis il se désaltéra, épargnant quelques gouttes pour les points cardinaux, afin d’apaiser les esprits du lieu, comme on le lui avait appris dans la tribu. L’eau avait un goût de cendres.
– Que la grande paix du Tell soit sur vous !
Alors seulement il vit le feu, à quelques pas. Un feu ténu, mais véritable, un feu de vivant, de branches sèches et de feuilles mortes. Le petit brasier, mussé au creux des tombes, lançait des lueurs fugaces sur les roches levées et les dômes de pierres sèches. Derrière ce feu, abrité dans une cavité qui avait dû coiffer quelque catafalque, veillait un vieillard, assis en tailleur et fumant une longue pipe.
– Venez partager mon feu, jeune Taïnyota ! accueillit la voix, dans un souffle las.
– Paix et honneur sur vous, Ô noble vieillard ! Les desseins de la Déesse sont bien singuliers, de nous réunir ici !
– Puisse la Déesse jouir de maints desseins pour les siècles à venir ! Mais c’est que je vous attendais… souffla le vieil homme avec un nuage de fumée.
Ce dont Attas Incânus et le chevalier Taïnyota s’entretinrent cette nuit-là, nul n’en sut jamais rien.
.oOo.
A suivre...