12.05.2022, 08:29
(Modification du message : 14.05.2022, 00:04 par Chiara Cadrich.)
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Le ciel était noir.En moins d’une heure, en plein après-midi, le septentrion l’avait obstrué de nuages bas et sombres.
Nulle part le soleil ne perçait plus. Une brume inquiétante semblait avoir recouvert l'horizon vers le nord, masquant la côte et ses falaises blanches, de marbrures grises et changeantes.
– Le grain va nous tomber dessus, c’est imminent !
– Sans blague !
En effet, la pluie s’abattit brutalement sur le pont. Des trombes d’eau frappèrent le navire, dont l’allure s’alourdit immédiatement.
Mais les deux frères avaient déjà fermé toutes les écoutilles et réduit la toile.
– Serre le vent au plus près !
– Il vient du nord, mais je crois qu’il adonne à l’orient. On a encore une chance de rejoindre la passe de Romenna avant que la houle se forme !
– Donc cap à l’ouest, à condition d’avoir déjà doublé le cap Mitan de Hyarrostar ! Et je ne parierais pas là-dessus : cela fait deux heures que je n’ai aperçu aucun amer !
– Ou la moindre voile ! Nous nous sommes montrés présomptueux, indignes de la plus élémentaire prudence pour des fils de roi !
L’Elyât Roth était perdue au milieu de l'océan, seule sur des eaux qui se hachaient. L'orage s'installait. Sa masse sombre plombait l’océan d’anthracite. On entendit au loin le tonnerre gronder.
– On n’y voit plus rien ! Il y a deux solutions : remonter vers le nord pour nous ancrer à l’abri du vent, au pied des falaises d’Orrostar…
– En espérant les voir à temps, et à condition d’être sûr que le nord est bien dans cette direction !
– Juste ! Ou alors attendre que ça passe !
– Avec le risque que la mer grossisse encore !
En effet, la mer s'agitait. Le vent violent creusait la lourde houle, ouvrant des gouffres d’un bleu d’outre-monde entre des crêtes sinistres.
Des feux-follets se mirent à danser sournoisement au sommet du mât.
Le fracas d’immenses trains de vagues entrecroisés couvrait à présent le hurlement des rafales. Il n’y eut bientôt plus vraiment de choix pour les deux marins arrimés dans le poste de pilotage : Minastir à la barre, Colvaldor aux écoutes, peinaient à contenir la gîte et éviter les déferlantes. Pendant bien des heures, sans plus pouvoir se soucier du cap, leur seule préoccupation fut de maintenir la juste vitesse pour négocier les vagues traitresses sous un angle favorable.
Soudain, Minastir sentit la barre regimber sous sa main experte. L’embarcation venait d’entrer dans un courant assez fort.
Les deux marins pestèrent contre ce coup du sort, mais ils s’aperçurent bientôt que les eaux se calmaient autour de leur navire. Ils observèrent ce répit avec méfiance. Jamais aucun loup de mer de la guilde n’avait mentionné pareil phénomène au large des côtes orientales de Númenor – du moins à jeun ! Les furieux trains de vagues portés par la tempête s’y dissolvaient en remous fugaces où bouillonnait une écume livide. Les frères échangèrent un coup d’œil incrédule devant cette chimère.
Pourtant, sans besoin même d’un mot de concertation, ils profitèrent de l’étrange aubaine et virèrent de bord pour rester dans ce courant providentiel.
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A suivre...