Selon Barbebois-Sylvebarbe, les Ents sont "faits des os de la terre" (LotR, III, 4) :
Nombreux sont ceux qui ont déjà noté que les Trolls, contrefaçons des Ents, sont évidemment liés à la pierre puisqu'ils se changent, dans le Hobbit, en pierre lorsque paraît le soleil...
Sébastien Mallet, par exemple, le commentait dans "La disparition des géants", in La Feuille de la Compagnie, vol. 1, Œil du Sphinx, 2001, p. 65 et suiv.
Cette expression, "les os de la terre", m'interrogeait néanmoins. J'ai creusé un peu, et... heh ! Je ne sais pas si l'élément suivant a déjà été remarqué...
Après le déluge, Deucalion et Pyrrha créèrent une nouvelle race d'hommes en lançant des pierres (Pindare, Olympiques, IX, 42-53). Chez (le pseudo-)Apollodore plus tardif, cela leur ait octroyé par Zeus et ils lancent aussi des pierres, sans autre précision non plus, d'où naissent ces nouveaux hommes (Biliothèque, I, 7, 2).
Mais chez Ovide, Métamorphoses (1, 383 et suiv), la formulation est plus innovante... Ils doivent jeter derrière eux les "os de leur grand-mère" – ils sont choqués et étonnés au début, puis finissent par comprendre que s'agissant de Gaia, autrement dit de la Terre. Ils en déduisent qu'ils ont en fait à lancer de simple pierres...
Dans le texte susmentionné d'Apollodore, la transformation de Ceyx et Alcyoné en oiseaux vient peu de temps après ce passage (I, 7, 4). C'est un motif qu'a étudié Kristine Larsen, "Oiseaux marins et étoiles du matin — Céyx, Alcyone et les métamorphoses d’Eärendil et Elwing", publié en traduction française dans Tolkien, le façonnement d'un mode, vol. 2, Astronomie & Géographie, Le Dragon de Brume, 2014, en convoquant (surtout) Ovide et ses Métamorphoses – quoique le passage en question soit bien plus loin dans cet ouvrage (à savoir au livre XI) que celui concernant ici Deucalion. Sans prétention à l'exhaustivité, je note que les Métamorphoses d'Ovide étaient aussi convoquées à la marge par Nicolas Liau, "la catabase : Tolkien et la tradition antique" (disponible sur Tolkiendil) ; ou encore par Alain Lefèvre, "À propos d’une dryade déchevelée", in Miscellanées en Terre du Milieu : Fées, navigateurs & cartographes, Le Dragon de Brume, 2017, en autres auteurs antiques, à propos de la figure de la "dryade déchevelée" d'Ithilien et le mythe d'Orphée (un lien entre l'Ithilien et les auteurs antiques - mais sans Ovide ce coup-là - ayant été précédemment esquissé dans son "Asphodèles et amarantes — Champs élyséens de mallos et d’alfirin" en 2011, disponible sur Tolkiendil). J'imagine que d'autres commentateurs et essayistes ont aussi analysés des thèmes semblables (je suis preneur de ressources à ces sujets...)
Évidemment, cette seule mention des "os de la terre" de nos Ents ne colle pas parfaitement avec celle du mythe relaté par Ovide, où il s'agit de la race renouvelée des hommes après le déluge...
Pour autant, est-ce que cela ne pourrait pas être un autre exemple de réappropriation possible par Tolkien d'un motif gréco-latin, renforçant en particulier les liens toujours plus nombreux de son œuvre avec celle d'Ovide ?
Qu'en pensez-vous, et au-delà de tout cela, pourquoi les Ents seraient les os de la terre... donc peu-être issus de la pierre ? Cela ne colle pas trop non plus à leur nature au récit, dans le Silmarillion ou dans "Of Ents and Eagles" in WJ p. 291), laissant penser à leur création par Yavanna en réaction à la création des Nains par Aulë...
Didier, perplexe
Citation :But Trolls are only counterfeits, made by the Enemy in the Great Darkness, in mockery of Ents, as Orcs were of Elves. We are stronger than Trolls. We are made of the bones of the earth.
Nombreux sont ceux qui ont déjà noté que les Trolls, contrefaçons des Ents, sont évidemment liés à la pierre puisqu'ils se changent, dans le Hobbit, en pierre lorsque paraît le soleil...
Sébastien Mallet, par exemple, le commentait dans "La disparition des géants", in La Feuille de la Compagnie, vol. 1, Œil du Sphinx, 2001, p. 65 et suiv.
Cette expression, "les os de la terre", m'interrogeait néanmoins. J'ai creusé un peu, et... heh ! Je ne sais pas si l'élément suivant a déjà été remarqué...
Après le déluge, Deucalion et Pyrrha créèrent une nouvelle race d'hommes en lançant des pierres (Pindare, Olympiques, IX, 42-53). Chez (le pseudo-)Apollodore plus tardif, cela leur ait octroyé par Zeus et ils lancent aussi des pierres, sans autre précision non plus, d'où naissent ces nouveaux hommes (Biliothèque, I, 7, 2).
Mais chez Ovide, Métamorphoses (1, 383 et suiv), la formulation est plus innovante... Ils doivent jeter derrière eux les "os de leur grand-mère" – ils sont choqués et étonnés au début, puis finissent par comprendre que s'agissant de Gaia, autrement dit de la Terre. Ils en déduisent qu'ils ont en fait à lancer de simple pierres...
Citation :Puis le fils de Prométhée apaise la fille d'Épiméthée
et la rassure par ces paroles : « Ou mon intuition m'abuse,
ou les oracles respectent la piété et ne conseillent pas un sacrilège.
La grande mère est la terre ; les pierres dans le corps de la terre,
ce sont, à mon avis, ses os, que nous devons jeter derrière nous.
Dans le texte susmentionné d'Apollodore, la transformation de Ceyx et Alcyoné en oiseaux vient peu de temps après ce passage (I, 7, 4). C'est un motif qu'a étudié Kristine Larsen, "Oiseaux marins et étoiles du matin — Céyx, Alcyone et les métamorphoses d’Eärendil et Elwing", publié en traduction française dans Tolkien, le façonnement d'un mode, vol. 2, Astronomie & Géographie, Le Dragon de Brume, 2014, en convoquant (surtout) Ovide et ses Métamorphoses – quoique le passage en question soit bien plus loin dans cet ouvrage (à savoir au livre XI) que celui concernant ici Deucalion. Sans prétention à l'exhaustivité, je note que les Métamorphoses d'Ovide étaient aussi convoquées à la marge par Nicolas Liau, "la catabase : Tolkien et la tradition antique" (disponible sur Tolkiendil) ; ou encore par Alain Lefèvre, "À propos d’une dryade déchevelée", in Miscellanées en Terre du Milieu : Fées, navigateurs & cartographes, Le Dragon de Brume, 2017, en autres auteurs antiques, à propos de la figure de la "dryade déchevelée" d'Ithilien et le mythe d'Orphée (un lien entre l'Ithilien et les auteurs antiques - mais sans Ovide ce coup-là - ayant été précédemment esquissé dans son "Asphodèles et amarantes — Champs élyséens de mallos et d’alfirin" en 2011, disponible sur Tolkiendil). J'imagine que d'autres commentateurs et essayistes ont aussi analysés des thèmes semblables (je suis preneur de ressources à ces sujets...)
Évidemment, cette seule mention des "os de la terre" de nos Ents ne colle pas parfaitement avec celle du mythe relaté par Ovide, où il s'agit de la race renouvelée des hommes après le déluge...
Pour autant, est-ce que cela ne pourrait pas être un autre exemple de réappropriation possible par Tolkien d'un motif gréco-latin, renforçant en particulier les liens toujours plus nombreux de son œuvre avec celle d'Ovide ?
Qu'en pensez-vous, et au-delà de tout cela, pourquoi les Ents seraient les os de la terre... donc peu-être issus de la pierre ? Cela ne colle pas trop non plus à leur nature au récit, dans le Silmarillion ou dans "Of Ents and Eagles" in WJ p. 291), laissant penser à leur création par Yavanna en réaction à la création des Nains par Aulë...
Didier, perplexe