07.07.2021, 18:15
16. Angmar
La pire décision de toutes est celle que l’on n’a pas prise.*
Anonyme
Le Nain regardait l’environnement et ne pouvait cacher son inquiétude :
— Je connais bien les montagnes et la neige mais on sent ici une odeur malsaine bien différente de l’air pur des hauteurs des Montagnes Bleues. Il fait peut-être moins froid que dans les étendues du Forochel mais je donnerais beaucoup pour être là-bas plutôt qu’ici !
Les Cinq Compagnons avaient quitté Minas Uilos neuf jours auparavant. Ils s’étaient déplacés sous le soleil pendant les trois premiers jours mais avaient ensuite voyagé de nuit. Des Hommes et des Orques constituaient les forces de l’Angmar et les agents de l’Ennemi pouvaient voir de jour comme de nuit. Les informations de l’Arthedain rapportaient que les places-fortes situées le long de la ligne séparant le plateau d’Angmar du reste de l’Eriador étaient occupées par des Hommes. Finvallen avait confirmé que les Orques étaient autrefois uniquement présents dans des galeries situées aux alentours de Carn Dûm et du Mont Gram. Passé la moitié de l’En Udanoriath, il devenait moins dangereux de se déplacer de nuit que de jour. Le groupe avait donc suivi les conseils du Vétéran d’Arthedain et la troisième journée de marche sous le soleil avait été suivie par une première nuit de déplacement sous les étoiles. Les voyageurs se reposaient dans des anfractuosités naturelles de l’En Udanoriath lorsque l’astre du jour illuminait le paysage.
Malgré la réticence initiale du Nain à accompagner le groupe, il n’avait émis aucune objection à la demande du Vétéran : sa parole avait été donnée quelques jours plus tôt et il avait donc répondu à son appel. Nári n’avait désormais rien à voir avec le voyageur qui était arrivé à Fornost. Bien des facettes du Nain s’étaient déjà dévoilées depuis leur arrivée à Minas Uilos, et le Dúnadan se rendait à présent compte qu’il était un maître dans la compréhension de la nature nordique : le Montagnard était attentif au vent, à la neige et au moindre aspect des étranges terres désolées qu’ils traversaient. Seule la Botaniste aurait pu être aussi réceptive à l’environnement sauvage mais son visage s’était fermé au fur et à mesure que les Cinq Compagnons approchaient des places-fortes d’Angmar. Nári semblait presque communiquer avec une nature hostile et il avait mené le groupe pendant une grande partie de leur voyage ; il avait organisé les haltes et les itinéraires de substitution, profitant de leur environnement pour s’approcher sans être vus.
Le groupe se déplaçait désormais sous la lune gibbeuse descendante mais ces terres nordiques restaient relativement claires grâce à la myriade d’étoiles qui constellait l’immensité de la voûte céleste. La neige éclatante qui recouvrait l’En Udanoriath était brillante et permettait de distinguer les reliefs, même aux yeux des Hommes.
Il fallait multiplier les précautions et la Compagnie avançait lentement dans ces terres dangereuses. Ils étaient finalement arrivés en vue de la forteresse de Morkai sans trouver la moindre trace des éclaireurs de Minas Uilos. Baranion pensait qu’ils avaient pu mourir de froid ou bien lors d’une embuscade… leurs corps ne seraient probablement retrouvés qu’à l’été prochain.
Le fort de Morkai était occupé mais Baranion estimait son activité moins importante que d’ordinaire. La question s’était posée d’abandonner leur périple pour ramener cette information à Minas Uilos mais, après réflexion, les Cinq Compagnons avaient estimé préférable de poursuivre vers le nord afin d’en apprendre davantage : si Morkai avait été en partie déserté, cela pouvait aussi signifier que l’Ennemi était en difficulté. Finvallen avait expliqué qu’il était possible d’avancer de nuit à l’orée du plateau d’Angmar en bénéficiant de protections naturelles : les reliefs enneigés permettaient en effet aux voyageurs de se dissimuler facilement.
Elvellon était moins spécialisé que ses compagnons de voyage mais était un touche-à-tout qui pouvait suivre et comprendre les choix de ses quatre compagnons. Baranion apportait un savoir théorique parfait sur l’organisation de l’ennemi et connaissait les meilleurs itinéraires d’approche. S’aventurer sur ces terres maudites était extrêmement dangereux : les patrouilles des Dúnedain ne montaient jamais aussi loin au nord et, plus les Compagnons s’en approchaient, plus ils risquaient de tomber dans une embuscade… Finvallen apportait des informations totalement inconnues de Baranion car elle avait autrefois franchi ces terres en se cachant des agents du Roi-Sorcier. Elle avait même connu des territoires situés bien au-delà de la ligne de défense d’Angmar qui s’étendait de Carn Dûm à Gram : ses liens avec la nature lui conféraient une vision qui complétait parfaitement les connaissances du Vétéran.
Depuis qu’ils avaient laissé Morkai derrière eux, la responsabilité des haltes et des itinéraires avait été prise par Luinelin, malgré les recommandations de Nári. Le ton était monté plusieurs fois entre l’Elfe et le Nain mais Elvellon avait réussi à clarifier la situation. Les connaissances du Nain permettait au groupe d’échapper aux dangers que le froid et la neige dressaient devant eux, mais l’Elfe avait étudié les artifices de l’Ennemi pendant plusieurs vies d’Homme : Luinelin savait comment éviter d’attirer l’attention de ses séides. Étant donné la situation des Cinq Compagnons, l’Ennemi était plus dangereux que l’hiver. En dépis des frictions entre Luinelin et Nári, les voyageurs avaient avancé lentement mais sûrement vers le nord à partir de Morkai. La dénivellation s’accentuait et ils étaient accablés par leur mission : à la fatigue du voyage s’ajoutaient la responsabilité de trouver des réponses pour aider l’Eriador, ainsi que la crainte d’être découvert par les forces du Roi-Sorcier…
Pendant leur long périple, la neige n’avait laissé la place qu’à davantage de neige. La monotonie du paysage se composait d’un décor de bleu et de blanc que la nuit habillait de bleu foncé et de bleu marine. Après avoir foulé l’immensité reflétant l’azur de la nuit depuis plusieurs longues nuits de marche, les voyageurs constatèrent que l’environnement se teintait de couleurs différentes : des volutes d’émeraude apparaissaient dans le ciel… Elles semblaient danser lentement parmi les étoiles, investissant un immense espace hors de la portée des Enfants d’Ilúvatar.
Les arcs-en-ciel n’étaient pas le seul spectacle de lumière que la nature pouvait offrir… Captivés par ce décor magique, les Compagnons s’arrêtèrent un instant, hypnotisés par ce qu’ils voyaient. Les rubans lumineux ondulaient en prenant possession de la voûte céleste. Ils s’étendaient lentement et se métamorphosaient en envahissant peu à peu la beauté du ciel saphir. Les stries de couleur froide dansaient principalement le long de l’horizon nord, vers leur destination. Ces lumières vertes ressemblaient à des danseuses spectrales se rebellant contre la monotonie du bleu permanent.
Les rubans célestes avaient un côté vif et marqué, leur donnant l’apparence d’une faille dans le ciel, comme si la nuit s’était déchirée, laissant croire que les teintes d’agate et d’émeraude étaient dues à une blessure imaginaire. Seul le Nain avait assisté à plusieurs reprises à ces phénomènes, qui n’étaient généralement visibles qu’à de plus hautes latitudes. Les deux Dúnedain n’en avaient jamais vus et ne pouvaient cacher leur émerveillement.
— Comment un tel spectacle peut-il naître en de semblables terres ?, dit lentement le Borgne…
Nul n’avait de réponse.
Il se demanda si le ballet de lumières colorées n’était pas un aboutissement de la fatigue accumulée, une défense illusoire de son esprit pour lui faire croire que tout pouvait encore changer, même l’immuable bleu du ciel. Mais tout était bien réel et les voyageurs étaient fascinés par les lents mouvements des lumières et leurs tentatives pour s’étendre dans le ciel. Quelques volutes aux couleurs de l’améthyste apparurent à leurs tours, souvent plus fines et moins majestueuses que celles d’émeraude. Gracieuses et silencieuses, elles vagabondaient dans l’espace qu’elles réussissaient à gagner pour continuer l’élégante représentation céleste.
Malgré tout, les Compagnons restèrent concentrés sur leur marche et leur itinéraire : même si la magnifique danse du ciel continuait, ils ne devaient pas perdre de vue leur mission. Le danger pouvait surgir à tout moment et il ne fallait céder à aucune diversion.
Tandis que les vagues colorées continuaient de magnifier le ciel, leurs jambes s’alourdissaient. Ils avaient lentement grimpé une pente douce depuis Morkai pendant quatre nuits et la fatigue se faisait douloureusement ressentir.
Pour pouvoir regarder au-delà d’une congère bien plus inclinée que les reliefs précédents, ils montèrent péniblement sur son flanc. Les montagnes étaient désormais proches et les informations qui apparaissaient sur les cartes de Minas Uilos s’avéraient exactes : si quelques nuages hauts masquaient les crêtes montagneuses, il était cependant possible de distinguer des murs fortifiés. Ces longues murailles étaient encore lointaines mais leur couleur brique tranchait largement dans l’immensité des couleurs froides.
Carn Dûm. La Citadelle du Roi-Sorcier. Ils y étaient.
Leur périple les avait menés aux portes de l’endroit le plus dangereux de la Terre du Milieu. Un lieu où personne ne souhaitait aller. Les étendues traversées avaient été étonnament désertes de toute activité mais ils avaient pris la décision de poursuivre. Étant désormais suffisamment proche du repaire de l’Ennemi, les Elfes à la vue exceptionnelle distinguèrent des mouvements : un groupe conséquent était en train de sortir d’une anfractuosité située dans une muraille. Les questions soulevées par les Sages allaient peut-être enfin obtenir des réponses…
Soudain, d’un même mouvement, les cinq membres de la Compagnie se plaquèrent contre la congère : ils avaient tous ressenti la même et intense terreur…
Lexique***
Ilúvatar, les Enfants de : Nom donné aux Elfes et aux Hommes.
* Référence IRL : Zig Ziglar.
** Toutes les informations mentionnées depuis le début du récit apparaissent sur la carte.
*** Seules les entrées non mentionnées précédemment sont listées ici. Elles ne contiennent que des informations succinctes et nécessaires au récit (ainsi que les significations dans les langues inventées, avec S. pour sindarin, N. pour noldorin, Q. pour quenya, K. pour khuzdul). Les termes et informations en italique ou sans lien vers l’encyclopédie sont non-canoniques. Si la description d’une entrée du lexique mentionne elle-même un nouveau terme absent du lexique, ce dernier n’est pas ajouté. Les termes apparaissant dans les épigraphes et les titres ne sont pas listés.