26.05.2021, 19:17
10. Minas Uilos
Que ce soit un mur, une expertise ou un pouvoir, tout ce qui protège, isole.*
Eradan, chef de la garnison de Minas Uilos
Baranion et Nári marchaient en regardant surtout le sol. Leur capuchon était largement maintenu sur leur visage afin de les protéger du vent froid qui soufflait fortement depuis qu’ils avaient quitté les Coteaux du Nord. La neige s’était manifestée bien tôt en ce début d’hiver.
Le Nain profita d’un moment entre deux rafales pour regarder dans la direction où ils se rendaient : il ouvrit de grands yeux en discernant à travers les brumes une silhouette verticale. L’édifice devait culminer à plus de cinquante pieds et sa structure était impressionnante, typique des ouvrages du peuple de Durin. En cette fin d’après-midi, la forteresse se détachait peu à peu sur le ciel d’un bleu profond. Nári savait que l’art de son peuple était souvent considéré grossier par les Hommes qui avaient côtoyé les œuvres des Elfes… Les lignes du bâtiment rappelaient indiscutablement le savoir de son peuple mais il semblait pourtant plus élancé, comme si les architectes avaient inclus une référence à l’héritage elfique des Númenóréens.
Les deux voyageurs continuèrent leur marche et Nári ne quittait l’édifice des yeux que pour se protéger des bourrasques de vents. Alors qu’ils se rapprochaient, le bâtiment leur apparaissait d’une blancheur presque aveuglante et paraissait avoir été ciselé dans la glace.
— Nous y voilà…, dit le Nain en admirant la forteresse.
Depuis le chemin de ronde, des soldats portant les armes de l’Arthedain avaient détecté leur approche et prévenu les officiers de cette arrivée. Une herse d’acier s’ouvrit lentement pendant que les voyageurs s’approchaient de l’entrée.
Le Nain posa sa main sur les pierres qui jouxtaient l’ouverture, recouvertes d’une fine pellicule de neige qui s’accrochait à leur surface… il frotta doucement la neige pour révéler la pierre qui se situait dessous, légèrement bleutée. Il la carresa en connaisseur : il appréciait son contact, sa rugosité, sa force… Très peu de carrières de sa connaissance offraient des pierres d’une telle teinte… les archives de sa communauté n’en avait répertorié qu’une poignée dans la partie nord des Ered Luin située la plus loin du Golfe du Lhûn.
— Je n’en suis pas sûr, dit-il à Baranion, mais je crois que seuls mes ancêtres utilisaient de telles pierres…
L’Homme posa sa main sur l’épaule de son compagnon et l’invita à entrer à l’intérieur de l’édifice. De nombreux soldats vinrent saluer Baranion, l’appelant avec respect « le Vétéran ». Nári se rendit rapidement compte que son compagnon de voyage avait ici un statut bien particulier. Baranion n’était pas simplement le descendant de la famille qui habitait jadis cette forteresse, il avait dirigé la garnison située ici pendant apparemment de très nombreuses années… Tout le monde le connaissait et le respectait. Ce détail avait été passé sous silence malgré leurs longues et nombreuses conversations.
Un homme jeune et plus grand que les autres vint finalement à leur rencontre en souriant. Il s’agissait de l’actuel chef de la garnison et il accueillit chaleureusement Baranion, mettant temporairement de côté la discipline stricte de l’armée. Le Nain trouvait quelques similitudes entre les traits des deux hommes et ses interrogations furent clarifiées par l’intervention du jeune capitaine lorsqu’il s’adressa au Vétéran :
— Père, c’est une surprise inattendue mais particulièrement heureuse de vous voir arriver !
Baranion sourit à son tour mais fit signe au Nain de s’approcher avant de répondre à son fils.
— Eradan, je te présente Nári, fils de Nófur. Ce sont peut-être ses ancêtres qui ont construit cette forteresse et il souhaiterait l’observer pour s’assurer de ses origines.
Eradan salua le Nain.
— C’est un honneur de vous rencontrer, Nári, fils de Nófur. Cette citadelle a rendu maints services à notre famille et à notre royaume. En tant qu’invité de mon père, vous y êtes le bienvenu.
Le Nain salua Eradan avec respect et le remercia pour son accueil. Le chef de l’avant-poste se tourna à nouveau vers Baranion et ajouta :
— La providence semble vous avoir envoyé, Père. La monotonie de la vie de soldat fait partie intégrante de notre devoir dans cet avant-poste mais certains événements arrivent tout de même à rompre ces moments interminables : ils nous rappellent que nous sommes bien ici pour surveiller l’imprévisible et dangereux royaume du Roi-Sorcier.
— En voilà des paroles inquiétantes ! répondit Baranion à son fils. Que se passe-t-il ?
— Rien qui ne puisse attendre, rassurez-vous, ajouta-t-il en souriant. Je sais combien vos conseils sont précieux : votre sagesse et votre expérience nous aideront à prendre les bonnes décisions… Mais vous devez être fatigués, nous en reparlerons plus tard ! Je vais vous laisser le temps de vous reposer et reprendre des forces : suivez-moi.
Eradan mena les deux voyageurs à un escalier en colimaçon et les fit monter plusieurs étages avant d’arriver dans une grande salle où trônait une imposante cheminée. Un feu y crépitait et la chaleur de la pièce était très appréciable. Malgré les nombreuses ouvertures donnant sur l’extérieur, il n’y avait aucun courant d’air. Les deux voyageurs s’approchèrent de l’âtre et déposèrent leurs lourds manteaux et leur équipement à proximité, sur des bancs sculptés dans la même pierre que l’ensemble de l’édifice.
Nári toucha le banc de sa main nue :
— Les archives de ma famille mentionnent un échange amusant entre les bâtisseurs de la tour et les Dúnedain pour qui ils l’avaient construite.
Le père et le fils se regardèrent brièvement puis fixèrent le Nain. Il continua, le visage comme illuminé :
— Dans la langue de mon peuple, ce projet était nommé la « Tour Blanche » et c’est ainsi que les bâtisseurs le mentionnaient devant les Hommes. Après avoir vu les pierres qui seraient utilisées, les Dúnedain n’avaient pas compris ce choix. Mon ancêtre avait alors demandé comment serait appelée la forteresse dans la langue de l’Arnor et les Hommes lui répondirent que, s’il devait y avoir une référence à une couleur, ils l’appelleraient plutôt la « Tour Bleue ». Les pierres proposées par l’architecte étaient effectivement plutôt foncées et légèrement bleutées… Le journal de mon ancêtre n’a hélas pas été intégralement sauvegardé au fil des générations mais la dernière intervention rédigée de sa main fut la réponse qu’il avait donné aux Dúnedain : « Vous choisirez son nom quand l’ouvrage sera construit ». Je ne vous apprendrai rien en disant que les Nains sont un peuple assez secret et nous n’aimons pas trop partager les détails de nos techniques. Mon ancêtre n’avait pas expliqué que la surface des pierres de l’enceinte extérieure serait travaillée en fonction des vents de la région, qui connaissait un hiver particulièrement long. Les pierres seraient alors majoritairement recouvertes par une fine couche de neige… Rappelez-moi comment s’appelle cette forteresse ?
— Minas Uilos, répondit Eradan…
— La… « Tour Éternellement Blanche », ajouta Baranion en regardant son fils.
Le Nain leur souriait à pleine dents.
Lexique***
Eradan : Dúnadan. Chef de Minas Uilos. Fils de Baranion. (S. « Homme Seul »)
* Référence IRL : Alain Leblay.
*** Seules les entrées non mentionnées précédemment sont listées ici. Elles ne contiennent que des informations succinctes et nécessaires au récit (ainsi que les significations dans les langues inventées, avec S. pour sindarin, N. pour noldorin, Q. pour quenya, K. pour khuzdul). Les termes et informations en italique ou sans lien vers l’encyclopédie sont non-canoniques. Si la description d’une entrée du lexique mentionne elle-même un nouveau terme absent du lexique, ce dernier n’est pas ajouté. Les termes apparaissant dans les épigraphes et les titres ne sont pas listés.