28.04.2021, 17:25
6. Gwaedh
Si la richesse afflue et fait sonner son or, veillez à n’y jamais attacher votre cœur.*
Propos attribués à Halbarond le Sage, compagnon d’Elendil le Grand lors de la Dernière Alliance des Hommes et des Elfes
L’exposé historique de Baranion permettait à Nári de mieux comprendre la situation des Hommes de l’Eriador. Le Nain regrettait que sa communauté ait vécu à ce point en autarcie depuis si longtemps.
— Je ne connaissais pas tous ces détails à propos des trois royaumes, dit-il, et je suis sensible à l’histoire des descendants de l’Arnor. Le Royaume d’Arthedain est donc le dernier bastion qui peut encore se dresser contre les forces de l’Angmar ?
— Malgré la chute d’Amon Sûl, l’Arthedain resta puissant et put suffisamment fortifier son territoire. Arveleg avait déjà commencé à renforcer ses frontières face à l’Angmar et au Rhudaur, et ces lignes de défense furent encore largement consolidées par la suite.
Le Dúnadan marqua un temps d’arrêt avant de reprendre lentement :
— Et donc… la tour de ma famille est un des édifices formant cette ligne de défense face aux forces du Roi-Sorcier. Le bâtiment a un statut très particulier puisque c’est celui qui se trouve le plus proche des frontières de l’Angmar…
— Je comprends. Mais… L’édifice est toujours debout ?
— Bien sûr.
— Il n’a pas été conquis par les forces du Roi-Sorcier ?
— Minas Uilos est toujours occupée par les Dúnedain.
Baranion se pencha sur la table et reprit d’une voix convaincante :
— Écoutez, je ne vous ai pas raconté l’histoire des Royaumes Frères pour vous embrouiller avec des récits étrangers à votre peuple mais pour que vous compreniez la situation de l’Arthedain face à l’Angmar : l’accès aux contrées septentrionales du Royaume est devenu très restreint et les bâtiments qui s’y trouvent ne sont désormais guère plus occupés que par l’armée. De tels territoires sont très dangereux. La tour de ma famille se trouve à un emplacement crucial et revêt donc une importance stratégique majeure à l’échelle du Royaume d’Arthedain. C’est pour cette raison que ma famille n’y habite plus depuis déjà maintes générations : Minas Uilos a été confiée au Roi et elle est depuis lors utilisée uniquement comme avant-poste par les forces militaires de l’Arthedain… Que proposez-vous ?
Nári ne réfléchit pas longtemps et répondit spontanément :
— Il n’y a pas que pour le peuple de Durin que l’or a de la valeur. Mon peuple en a encore beaucoup et ma famille n’est certainement pas la plus à plaindre de ma communauté. Dites-moi quel est votre prix pour m’autoriser à étudier l’architecture de Minas Uilos : je suis prêt à investir ce qui sera nécessaire pour pouvoir compiler les informations dont j’ai besoin.
— Gardez votre or, Maître Nain, répondit sèchement Baranion. Je n’en ai pas l’usage.
Il regardait Nári attentivement. Celui-ci ne savait pas comment interpréter ce comportement : l’or de son peuple ouvrait généralement la majorité des portes.
— Je ne m’engage pas à la légère, reprit le Nain avec gravité. J’ai fait un long voyage et je suis très fatigué : je vous prie de m’excuser si je vous ai manqué de respect avec mon approche probablement contraire aux règles d’étiquette existant en Arthedain.
Le Nain se racla la gorge.
— Je retiens de notre entretien que votre famille possédait une tour construite par mon peuple et qu’elle est actuellement occupée par l’armée d’Arthedain. Mon intérêt pour l’ouvrage de mes ancêtres est plus fort que vous ne l’imaginez. Je suis prêt à investir beaucoup ne serait-ce que pour m’y rendre et pour m’assurer qu’il s’agit bien de l’édifice que je recherche. Même si mon peuple ne connait pas tous les détails de cette guerre que vous menez depuis plusieurs siècles, je préfère imaginer que l’Ennemi du Nord sera défait un jour. Les enfants de vos enfants retourneront peut-être habiter cette forteresse chargée d’histoire et je peux vous assurer que mes descendants seront là pour les y aider. Nous sommes des experts pour tout ce qui concerne les climats nordiques : les montagnes, la neige et la glace sont des compagnons que je côtoie depuis que je suis né. Si la tour a été détériorée pendant les différents assauts qu’elle a peut-être subis, mon peuple saura comment la réparer et lui redonner sa splendeur d’antan, même s’il faut travailler au milieu de tempêtes de neige.
Nári réfléchit quelques instants et conclut :
— Si vous acceptez de me mener là-bas et me permettez de prendre les notes dont j’ai besoin, je vous fais une promesse au nom de ma lignée : quand votre famille aura besoin de nos compétences, moi ou mes descendants seront là.
Un silence pesant s’installa. Nári vida son verre en quelques gorgées et regarda son interlocuteur pour attendre sa réponse.
Celui-ci finit également son vin lentement sans croiser le regard du Nain. Il réfléchit longuement et reposa doucement le verre devant lui. Nári ne le quittait pas des yeux. Baranion se leva solennellement et lui annonça alors :
— Je vous accompagnerai jusqu’à l’édifice et nous y resterons quelques jours. Vous pourrez mettre ce temps à profit pour prendre toutes les notes que vous voudrez tant que votre présence ne gênera pas les soldats qui y sont affectés. À l’avenir, vous devrez répondre à mon appel si j’ai besoin de vous. Ce pacte sera scellé pour nos familles respectives et, si je ne fais pas appel à vous, mes descendants pourront faire appel aux vôtres.
Le Nain se leva de table et s’inclina avec respect devant le Dúnadan :
— Qu’il en soit ainsi.
* Référence IRL : la Bible.