19.04.2021, 23:40
(Modification du message : 25.04.2021, 11:15 par Chiara Cadrich.)
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Près du dais, au milieu des flambeaux, une table est dressée sous les lentisques, garnie de gruau, d’olives et de dattes.
La Dame invite le visiteur à la rejoindre au centre de l’arène et se tourne vers l’occident :
– Les Dépossédés se remémorent l’Akallabêth et font vœu de servir ta mémoire, Ô Pharazon le Vermeil ! Puissent tes enfants recouvrer ta gloire et la suprématie de nos armes en ces terres d’exil !
Pendant un instant, le profil d’aigle de la Dame semble illuminé par un incendie et battu par des flots tumultueux, la peignant en fille de Númenor, ambitieuse et détentrice d’un pouvoir secret. Le jardin s’allume de reflets rougeoyants, l’ombre de longs étendards flottant entre les cimes des eucalyptus. Puis la vision s’évanouit, la frêle silhouette se rend à elle-même, mais un éclat régal s’attarde aux prunelles de la belle.
Vaguement mal à l’aise, Bergil récite à son tour la dévotion à l’« Atalantë », en usage chez les Dúnedain.
La Maîtresse du Jardin le conduit courtoisement à son siège, tandis qu’une servante dépose devant eux du pain sorti du four et un ragoût de daim. Puis elle s’assied à son tour, sous un oranger dont les branches ornent sa coiffe de guirlandes fleuries.
La servante dispose de fins couverts d’argent et présente l’aiguière aux convives. La Dame alors découpe elle-même habilement le cuissot, disposant devant Bergil une part de lion, avant de saluer et de se rasseoir :
– Beau Sire, je vous en prie !
Notre baladin sait encore suffisamment ses manières et s’incline sans toucher à ses couverts :
– Madame, ce ne se peut !
– Doux Sire, ferez-vous honneur à ma table ?
Notre chevalier de fortune aime à endosser un rôle galant auprès des filles :
– Un gentilhomme ne saurait rompre le jeûne sans son Hôtesse.
La Dame coule un regard engageant vers son visiteur, mais la commissure de ses lèvres se relève, goguenarde. Le « chevalier » errant joue son rôle avec application ; il a promis de se bien conduire mais elle a dû déployer ses artifices pour l’en convaincre…
– Noble Sire, lance-t-elle avec un regard en-dessous, il est une tradition en ce jardin. Avant que de rompre le pain avec moi, me ferez-vous la grâce d’exaucer un vœu ? Je ne saurais manger avant cela !
Bergil se demande si la Dame s’adonne souvent aux plaisirs de la conversation courtoise et si tous les convives sont invités avec la même force de persuasion au hameau de l’arène. Il grime de grâce sa circonspection et s’incline pour répondre :
– Comment saurais-je, Madame, si cette promesse, qu’exigent et méritent vos bienfaits, ne contreviendra à aucun engagement juré par ma foi ?
Toute chaleur quitte le regard sombre de la Dame, tandis que bruissent les feuillages alentours, comme agités par un coup de vent annonçant l’orage. Les félins roulent du dos, le poil hérissé et la gueule menaçante.
– Vous le saurez en imitant la foi que j’ai mise en la pureté de vos errances et de vos intentions… N’étiez-vous pas serré de près par vos ennemis, avant que de trouver asile en mon jardin ? Vous voilà bien prud’homme pour un fugitif...
Le rouge au visage, Bergil concède sa défaite :
– Si je puis vous contenter par la main ou par l’esprit, veuillez me considérer comme votre serviteur !
– Vos paroles tentatrices pourraient vous trahir, chevalier ! répond la Dame avec un sourire narquois, tandis qu’un arôme de jasmin se répand dans l’air calme de la nuit et que ses lynx se pelotonnent paisiblement dans leur robe sombre. Mais rassurez-vous, ajoute-t-elle avec plus de bienveillance, je ne vous réclame à présent qu’un récit pour me distraire avant notre repas. Contez-moi, je vous prie, comment vos errances vous ont mené jusqu’à mon humble courtil !
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