31.03.2021, 18:19
2. Fornost Erain
Pour progresser, il ne faut pas répéter l'histoire, mais en produire une nouvelle. Il faut l’ajouter à l'héritage que nous ont laissé nos ancêtres.*
Propos attribués à Halbarond le Sage, compagnon d’Elendil le Grand lors de la Dernière Alliance des Hommes et des Elfes
La cité de Fornost Erain avait été bâtie sur la plus méridionale des collines qui formaient l’ensemble des Coteaux du Nord. Elendil et les Núménóréens du Deuxième Âge avaient notamment choisi ce site parce que c’était l’un des plus hauts de la région.
La soirée était bien avancée et la ruelle du Quartier des Nobles était presque déserte. En arrivant devant chez lui, l’homme ne pouvait pas manquer de remarquer la silhouette courte et trapue située de l’autre côté de la rue exactement en face de sa porte. Même dans cette ville que les habitants présentaient comme la plus sûre de l’Eriador, un soldat restait toujours aux aguets et il ne modifia pas son pas en sortant ses clefs. Les chances de croiser des détrousseurs dans ce quartier de Fornost étaient extrêmement minces mais son autre main s’était naturellement posée sur la poignée de sa dague, au cas où. Il garda un œil discret sur la forme en ouvrant sa porte.
L’ombre s’anima alors lentement et le visage d’un Nain apparut lorsque sa large main repoussa son capuchon. Il s’inclina avec humilité et bafouilla presque :
— Je m’excuse de… de vous déranger en cette heure tardive mais je suis à la recherche de Baranion de la maison de Halbarond. Je… je m’appelle Nári, fils de Nófur.
Le soldat regarda plus attentivement le Nain : ses habits de voyage étaient boueux et ses traits semblaient tirés.
— Depuis combien de temps attendez-vous ici ?
— J’ai fait un très long voyage pour vous retrouver, répondit-il d’une voix extrêmement fatiguée après un long silence.
— Entrez.
Le soldat alluma une bougie située près de l’entré et proposa au voyageur de le suivre. Il le mena dans une pièce de taille moyenne où il alluma d’autres chandelles qui trônaient au milieu d’une large table de bois épais. Sans dire un mot, il invita le Nain à se débarrasser de son manteau de voyage et à s’asseoir sur un banc. Il ôta à son tour sa lourde cape et son capuchon, révélant une épaisse crinière de cheveux d’argent. Son visage était émacié et sa peau comme brunie par un soleil d’hiver. Il prit le temps d’allumer un feu dans l’âtre afin de réchauffer la salle plutôt fraîche. Il attrapa ensuite une carafe de vin, servit deux verres et vint enfin s’asseoir en face du Nain. Ses yeux gris étaient perçants.
— Le peuple de Durin vit bien loin de Fornost Erain et j’imagine bien que vous n’avez pas fait ce long périple sans un objectif précis. Que puis-je faire pour vous ?
Nári goûta le vin puis s’éclaircit la gorge avant de répondre à l’homme qui était manifestement celui qu’il cherchait :
— J’ai quitté les Ered Luin pour retrouver les descendants de la Maison de Halbarond et on m’a finalement aiguillé vers vous. Vous descendez bien de celui que l’on appelait Halbarond le Sage ?
— C’est exact, même si d’autres familles peuvent également revendiquer cette ascendance… Puis-je vous demander pourquoi vous effectuez ces recherches ?
— C’est… c’est une longue histoire…
— Si vous avez fait ce long chemin depuis les Montagnes Bleues uniquement pour me rencontrer, le moins que je puisse faire est d’écouter votre histoire.
— Je vous remercie pour votre accueil généreux et pour le temps que vous voulez bien me consacrer. Je vais essayer d’être concis.
L’Homme savoura une gorgée de vin à son tour et s’installa plus confortablement. Le Nain prit quelques instants pour réfléchir à la meilleure façon de présenter son récit puis reprit la parole :
— Sous le règne du roi Valandur, mes ancêtres ont aidé la famille de Halbarond à construire une tour dans le royaume d’Arnor. Celle-ci se situait très loin à l’est de notre communauté mais je ne connais hélas pas les terres situées au-delà du fleuve que les Elfes appellent Lhûn. Je crois comprendre que cet édifice se situerait plutôt au nord du territoire de l’Arthedain. J’ai retrouvé un certain nombre de détails dans les écrits de mon aïeul, qui décrivent un édifice remarquable : il mentionne un chef d’œuvre de pierre comme mon peuple en a probablement rarement réalisé pour les Hommes. Je suis très intéressé par cet ouvrage mais certaines archives de ma famille n’ont pas été retrouvées et de nombreux détails se sont perdus au fil des siècles. Je suis déjà content d’avoir pu retrouver l’un des descendants des Hommes avec qui mes ancêtres entretinrent autrefois de bons rapports.
— Valandur était Roi d’Arnor, dit Baranion : ces événements eurent lieu il y a d’innombrables générations et j’ai peur que les archives de ma famille ne soient pas plus complètes que les vôtres. Nous possédons effectivement une tour que le peuple de Durin nous avait jadis construit en remerciement d’un service rendu dont nous n’avons d’ailleurs plus de trace. Je ne connais hélas pas les noms des Nains ou de la famille qui étaient les maîtres d’œuvre de cet édifice… Pourquoi vous y intéressez-vous ? demanda-t-il avec méfiance. Malgré les blancs existant dans l’histoire de cette tour, nos familles étaient quittes et nos aïeux respectifs se sont apparemment séparés dans l’amitié et le respect.
Nári eût l’air étonné de la méfiance de son interlocuteur et répondit sans réussir à cacher son sentiment.
— Loin de moi l’idée de renier la bonne entente sur laquelle nos ancêtres se sont visiblement quittés, effectivement ! Au contraire, s’il est possible de renouer des liens avec les descendants de Númenor, je l’accepterais avec honneur. Je rédige en réalité l’histoire de ma famille et certains événements du passé n’ont laissé que peu de trace. Je souhaiterais juste pouvoir contempler cette tour de mes propres yeux : peu d’informations ont été conservées dans nos écrits et j’aimerais la citer et la décrire dans nos mémoires. Soyez sûr que je n’ai aucune revendication à son sujet, sinon la fierté de faire partie des descendants de ceux qui l’ont bâtie !
— Mais comment savoir s’il s’agit bien de l’ouvrage de votre peuple ? D’autres familles d’Arthedain descendent après tout de Halbarond le Sage : les Nains ont peut-être aidé les Hommes à construire de nombreux édifices à l’époque du Royaume d’Arnor ?
— Toutes les œuvres du peuple de Durin sont signées dans la pierre, répondit-il avec fierté. Si vous acceptez de me montrer l’édifice, je peux vous assurer que je serai capable de vous prouver si celui-ci a bien été construit par ma famille.
L’Homme paraissait convaincu et ne demanda pas de détail supplémentaire. Il ajouta cependant :
— Ma famille appelle cet édifice fortifié la « tour éternellement blanche » dans la langue des Elfes. Comme vous l’évoquiez tout à l’heure – et à supposer qu’il s’agit bien de l’édifice bâti par les vôtres –, elle se situe à l’extrême nord du territoire que recouvre actuellement l’Arthedain, une région… peu accueillante.
— Un tel climat ne me fait pas peur, ajouta le Nain en souriant. Il ne reste guère beaucoup de communautés naines dans les Ered Luin mais ma famille est celle qui est installée aux plus hautes latitudes. J’ai grandi entouré du froid des vents du nord. Je me suis même rendu dans ces terres lointaines que les Elfes appellent Forochel, où la glace règne en maître, et j’ai pu voir de mes propres yeux le ciel se parer d’opale et d’améthyste. Les vents froids et glacés sont ma patrie, conclut-il, et je suis sûr d’en connaître davantage que les Hommes de l’Arthedain à ce sujet.
— Je crains que vous n’ayez pas compris ce que je voulais dire : le problème ne vient pas du climat sévère de telles latitudes. Je suis tout à fait prêt à croire que vous êtes sans nul doute mieux armé pour survivre dans ces températures nordiques que les Hommes de l’Eriador. Le problème vient du fait que la tour fut érigée bien avant l’arrivée de l’Ombre qui règne désormais au nord de l’Arthedain depuis plusieurs siècles…
Baranion avait attentivement fixé le Nain en prononçant ces derniers mots : Nári les avait écoutés avec une attention redoublée mais resta particulièrement silencieux.
— Je crois comprendre que le nom d’Angmar ne vous est pas totalement inconnu, ajouta finalement Baranion… n’est-ce pas, Maître Nain ?
Lexique***
Angmar : Royaume ennemi de d’Arthedain. Situé au nord de l’Arthedain. (S. « Maison de Fer »)
Arnor : Royaume fondé par Elendil après la Chute de Númenor. (S. « Pays des Rois »)
Arthedain : Un des trois Royaumes issus de la division de l’Arnor. (S. « Royaume des Edain » (?))
Baranion : Un des principaux protagonistes de l’histoire. Dúnadan. (S. « Fils Brun » (?))
Coteaux du Nord : Ensemble de reliefs situé en Arthedain.
Durin, peuple de : Désigne les Nains, d’après le nom de l’aîné des Sept Pères des Nains.
Elendil : Chef des Fidèles de Númenor. (Q. « Ami des Elfes »)
Ered Luin : Chaîne de montagnes situées à l’ouest de l’Eriador (S. « Montagnes Bleues »)
Fornost Erain : Capitale du Royaume d’Arthedain, située au sud des Coteaux du Nord. (S. « Forteresse du Nord des Rois »)
Forochel : Baie glaciale située au nord de l’Eriador. (S. « Glace du Nord » (?))
Halbarond, Maison de : Ancienne famille de Dúnedain d’Arnor. (S. ?)
Lhûn : Fleuve situé à l’ouest de l’Arthedain. (S. ?)
Nári : Un des principaux protagonistes de l’histoire. Nain.
Nófur : Père de Nári.
Númenor : Île ensevelie sous les flots. (Q. « Occidentale », 1ère trad. « Ouistrenesse », lit. « Terres de l’Ouest »)
Númenóréen : Habitant de Númenor, ancêtres des Dúnedain.
Valandur : Huitième Roi d’Arnor. (Q. « Serviteur des Valar »).
* Référence IRL : Mohandas Karamchand Gandhi, extrait de Paix : inspirations et paroles du mahatma gandhi.
** Toutes les informations mentionnées depuis le début du récit apparaissent sur la carte.
*** Seules les entrées non mentionnées précédemment sont listées ici. Elles ne contiennent que des informations succinctes et nécessaires au récit (ainsi que les significations dans les langues inventées, avec S. pour sindarin, N. pour noldorin, Q. pour quenya, K. pour khuzdul). Les termes et informations en italique ou sans lien vers l’encyclopédie sont non-canoniques. Si la description d’une entrée du lexique mentionne elle-même un nouveau terme absent du lexique, ce dernier n’est pas ajouté. Les termes apparaissant uniquement dans les épigraphes et les titres ne sont pas listés.