19.03.2021, 17:31
(Modification du message : 15.04.2021, 18:10 par Chiara Cadrich.)
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– Bergil, mon chéri ! Tu vas me faire mourir de frayeur ! Qu’as-tu encore fait ?
La plantureuse maman entraîne son chenapan de rejeton vers l’office, sa généreuse poitrine se soulevant sous le coup de l’émotion.
– Trois fois rien… Mère chérie ! Laisse-moi te regarder ! Tu es toute pimpante... mais un peu pâlotte ! Tu manges assez ?
L’œil est câlin, le ton caressant, mais le gaillard empanaché – à qui a-t-il chapardé ce galurin à plume ? – reste marqué par sa course éperdue.
– Arrête de faire l’idiot ! Bien sûr que je suis habillée, je reviens tout juste du tribunal ! Et si je suis toute pâle, tu te doutes bien pourquoi ! Tu t’es échappé ? Pourtant le jugement de ce matin t’avait été clément !
– Clément ? Deux semaines à récurer les fosses d’aisance de la garnison ! Sans parler de l’amende ! C’est un abus de pouvoir honteux !
– Bergil, tu sais bien que ton frère de cœur aurait payé cette amende ! Mais il va bien te falloir apprendre la valeur du travail et le respect de l’autorité ! Sa majesté ne pourra pas toujours te protéger, tu le sais !
Le muscadin des troquets s’énerve. L’hidalgo des vide-goussets se révolte. Sa margoulette de beau gosse, coqueluche des grisettes, s’empourpre de fureur :
– Ah, ça oui ! Son Altitude Suprémissime me fait constamment sentir qui est le patron ! Des largesses sentencieuses par ici, des réprimandes munificentes par-là ! Le tout miellé d’une condescendance insupportable !
– Ne sois pas injuste ! Il a de nombreux devoirs à présent et ne vit que pour la grandeur du royaume. Et depuis son mariage avec cette étrangère… je ne la connais pas, mais...
– Oh, cesse de lui trouver des excuses ! Il n’a jamais été très doué avec les femmes, voilà tout ! Ironise le Beau Gosse avec un sourire méprisant. Il est certaines choses que la naissance ne donne pas… Il traite sa femme tellement mal qu’il n’ose même pas se montrer avec elle !
– Si tu étais venu au mariage, tu les aurais vus côte-à-côte ! On aurait dit le Roi et la Reine de l’Île Perdue...
– À qui la faute si je n’y étais pas ? Il s’est bien gardé de lever le mandat, histoire de t’avoir pour lui tout seul ! Peut-être prétend-il aussi l’emporter dans l’affection de ma propre mère ?
Mais un aboiement militaire retentit dans la cour de l’hôtel particulier, interrompant les récriminations d’enfant gâté :
– À mon commandement, une escouade à l’écurie, une pour les communs, une autre avec moi par le corps principal, les autres encerclent l’hôtel ! Ce gibier de potence a cru qu’il échapperait à la police de sa majesté ! Mais le bellâtre s’est réfugié directement chez sa Môman, j’en suis bien sûr !
Bergil jette un coup d’oeil furtif par la verrière colorée : des armures étincellent dans la cour, des surcots de la garde bloquent toutes les issues de la vieille bâtisse familiale aux pierres blondes.
Notre matassin blêmit, embrasse sa mère et dégaine sa rapière dans un mouvement de cape dramatique, mais d’une pogne ayant élevé huit marmousets, la matrone le taloche et le pousse dans le cellier.
Un officier aux favoris pigeonnants se présente dans le hall d’entrée, lissant sa moustache d’un air gourmand. Lorsque la maîtresse de maison avance son opulente poitrine jusqu’au militaire, barrant le passage du matamore de sa courte mais large stature, il s’arrête net. Les moustaches perdent un peu de leur superbe, le capitaine retire son casque qu’il relègue sous son bras. Il salue vivement et réglementairement, imité par les spadassins qui le suivent tant bien que mal, ayant ajusté des patins sous leurs bottes de cavaliers.
C’est que l’on ne badine pas avec les parquets cirés, chez l’ancienne nourrice de sa Majesté ! Pas plus qu’avec la politesse ou la courtoisie...Toute la police du palais sait cela, qui a eu maintes fois l’occasion de ramener chez sa mère le fils indigne et réprimandé, au grand dam de son frère de lait – Sa Majesté Elle-même, pour les lecteurs qu’on aurait laissés à la traîne !
Les estafiers, rompus à la manœuvre, investissent tout l’hôtel. Ils ne vont pas tarder à mettre la main sur le fugitif – le capitaine à présent en est vraiment sûr, puisque la pauvre maman, tassée devant lui, se tord les mains sans déverser sur ses galons rutilants les habituels torrents de reproches, que seul mérite pourtant son polisson de fils. Le brave homme, presque peiné par ce silence résigné, rumine une conclusion charitable pour calmer les prévisibles transports de la matrone lorsque l’on emmènera son fils enchaîné.
Mais il n’a pas le temps d’adoucir de compassion son raide procès-verbal. Des trompettes d’argent tonnent dans la cour, annonçant l’arrivée du Roi lui-même !
Réflexes oblige, les troupiers se rassemblent au pas de course et s’alignent sur le pavé comme à l’exercice. Rameutant ses acolytes, le capitaine redresse la moustache et ordonne de rendre les honneurs.
Avec grâce et lenteur, le souverain démonte. Débonnaire, affable, il adresse quelques saluts courtois aux surcots statufiés et traverse le perron. Après une courte révérence de sa nourrice, Sa Majesté la prend dans ses bras avec toute l’affection d’un fils.
Dans la cour ardente de soleil, les archers sont restés au garde-à-vous.
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