17.03.2021, 19:09
Pour commencer, je voulais présenter très brièvement l’origine de cette histoire.
J’ai toujours beaucoup écrit autour de l’activité du jeu de rôle. Tous ces textes ne sont en revanche pas rédigés pour être abordés comme on pourrait lire une nouvelle, un essai ou une critique : il s’agit de compte-rendus de séances, d’histoires de personnages (donc très isolés), de systèmes de règles de jeu, de documents utilisés dans les scénarios, etc. Tout cela ne présente par conséquent pas d’intérêt en dehors du cercle restreint des joueurs. Noircir autant de pages pendant toutes ces décennies de jeu est un peu frustrant puisqu’elles ne peuvent finalement être lues que par une poignée de personnes.
Pourtant, beaucoup de ces aventures vécues autour d’une table ont vraiment permis de « construire des histoires ». J’ai toujours imaginé que certaines d’entre elles pouvaient être suffisamment indépendantes pour qu’il soit envisageable de les raconter en dehors du groupe de joueurs. Le type de scénario que j’apprécie en jeu de rôle s’articule toujours autour d’histoires assez longues et, même en simplifiant un maximum de détails ou en faisant de nombreuses ellipses, les adapter à une découverte par un lecteur « extérieur au jeu » nécessite d’y consacrer un temps de réécriture important.
Mon objectif était donc que le texte suivant soit accessible par à peu près n’importe qui : c’est un challenge assez nouveau pour moi.
Modulo d’éventuelles erreurs bien involontaires (ou quelques interprétations volontaires), cette histoire se déroule dans la Terre du Milieu : si les mentions intéressantes viennent évidemment de J.R.R. Tolkien, je les ai hélas encombrées de beaucoup d’ajouts sortis de mon imagination.
Le premier confinement mis en place pour lutter contre la pandémie de Covid-19 commençait il y a un an jour pour jour et je voulais préciser dans cette courte introduction que cette date était une deadline symbolique pour poster un premier texte. La rédaction n’est actuellement pas terminée mais la suite de l’histoire s’étalera doucement sur le temps qu’il faudra.
Certains ici connaissent ma passion pour les making-of : je vais m’arrêter là pour l’instant mais je reviendrai sans doute en détails sur certains points à la fin du récit.
Il faut de la sérénité pour accepter les choses qu’on ne peut pas changer, du courage pour changer les choses qu’on peut changer, et de la sagesse pour distinguer l’un de l’autre.*
D’un même mouvement, les cinq membres de la Compagnie se plaquèrent contre la congère : ils avaient tous ressenti la même et intense terreur. Une brume invisible semblait contourner les défenses de leur volonté pour envahir leur esprit. Cette impression était irrationnelle : si les mouvements qu’ils avaient eu le temps de voir avant de se mettre à couvert étaient particulièrement inquiétants, ils ne pouvaient être responsables de ces réactions incontrôlables.
Malgré la peur, le Borgne se tourna vers son plus proche compagnon et réussit à articuler faiblement :
— Que… signifie… ce…
La voix était de plus en plus faible : sa gorge était trop sèche pour continuer la phrase mais les trois mots prononcés étaient suffisants pour faire naître l’interrogation que chacun avait en tête. Le Lancier fronça les sourcils en repensant aux paroles prononcées pendant le Conseil. Malgré l’incompréhensible tension omniprésente, il réussit à répondre doucement :
— Les Sages n’avaient qu’envisagé le pire…
Si l’Elfe était également nerveux, il semblait néanmoins moins affecté que ses compagnons de route. Il les regarda rapidement pour vérifier comment ils supportaient cette étrange situation.
Le Vétéran était le plus proche de lui, situé immédiatement à sa gauche : il n’était peut-être pas plus à l’aise que les autres mais il lui fit un infime signe de tête pour lui signifier qu’il tenait le coup. À sa droite, le Borgne se concentrait. Il avait finalement été le premier à parler et le Lancier sut qu’il résisterait. Quelques pieds en contrebas, la Botaniste avait les yeux fermés et le visage crispé ; elle articulait silencieusement ce qu’il identifia comme un poème dédié à Elbereth, des vers que les Elfes appréciaient pour se concentrer. Son tour s’acheva sur le Montagnard, le membre du groupe qui était resté le plus immobile… Pendant un court instant, le Lancier ne sut comment interpréter ce comportement : le Nain tenait fermement sa hache et son imposante barbe masquait suffisamment ses traits pour empêcher l’interprétation d’émotions. Son regard croisa cependant celui de l’Elfe et il était aussi noir et perçant qu’auparavant. Le Lancier acquiesça devant cette information rassurante : le Nain était au moins à l’aise avec le climat qui les environnait et il n’était manifestement pas du genre à perdre pied devant le danger ou l’imprévu… quelle que puisse être sa nature.
Le Lancier décida d’accorder à ses compagnons un court moment de tranquillité : il se retourna et joua des coudes pour grimper en quelques mouvements jusqu’au niveau de la corniche de neige inclinée. Il tenta un coup d’œil discret par-dessus l’escarpement derrière lequel leur petit groupe s’était abrité. La neige avait cessé de tomber et seules des bourrasques irrégulières faisaient virevolter quelques flocons épars. Le ciel était sans nuage et le panorama immaculé était sublimé par les lumières du ciel. Les magnifiques rubans d’émeraude qui dansaient parmi les étoiles nimbaient l’environnement de teintes étonnantes et il oublia pendant un court instant le lieu de terreur où ils se trouvaient actuellement. Mais la triste réalité s’imposa à nouveau : un vent froid sifflait d’est en ouest sur les étendues glacées qui s’étendaient encore devant eux, faisant glisser de longs panaches horizontaux de neige pulvérulente, mobile comme de la poussière. Les terres désertes, blanches et accidentées que le groupe avait traversées pendant plusieurs jours laissaient finalement la place à la roche des montagnes. La dénivellation s’accentuait encore sur une centaine de mètres avant d’accueillir les premiers signes d’architecture : une barbacane de couleur brique serpentait le long de plusieurs terrasses naturelles avant de s’effacer dans les brumes pour atteindre une forteresse dont seule l’inquiétante silhouette pouvait se deviner.
Le Lancier aurait aimé identifier quelque chose qu’il aurait pu considérer comme responsable de la soudaine peur qu’avaient ressentie les membres de la Compagnie mais, malgré sa vue perçante, il ne trouva pas d’explication concluante. Des êtres difformes se regroupaient devant une ouverture difficilement remarquable à cette distance. L’Elfe connaissait hélas fort bien ces séides de l’Ennemi faits de chair et de sang… Des Orques. Leur engeance n’avait pourtant pas approché les avant-postes civilisés depuis plusieurs générations d’Hommes. Tout ce temps leur avait-il permis de se multiplier ? Une armée se cachait-elle dans les galeries souterraines de la citadelle ?
Devant ce qui se passait en ce moment même, le Lancier estimait pour l’instant les réponses à ses questions comme très secondaires. Étant donné ce que les Compagnons venaient de ressentir, la première conclusion qui lui vint à l’esprit n’était pas rassurante : ces créatures se regroupaient peut-être autour d’entités bien plus dangereuses.
Le danger était proche… mais pas encore imminent. Le Lancier se laissa glisser pour rejoindre ses compagnons : ils avaient eu quelques instants pour se reprendre et se concentrer. Il les regarda de nouveau afin de juger de leur état : les options qui s’ouvriraient à eux en dépendraient.
Les Hommes et le Nain avaient l’air d’avoir suffisamment repris le contrôle d’eux-mêmes. Seule la Botaniste n’avait toujours pas rouvert les yeux et semblait coupée de son environnement. Elle s’était enfermée dans les tirades réconfortantes qu’elle récitait du bout des lèvres sans laisser sortir le moindre son. Le Lancier s’en voulut : si toute leur expédition n’était que la conséquence d’une décision du Conseil, la Botaniste ne les avait suivis qu’après sa demande. S’il estimait toujours qu’elle avait été la plus indiquée pour mener ce périple, elle n’avait malgré tout pas pris ce rôle de gaieté de cœur… Le choix qu’ils avaient fait par la suite de continuer jusqu’à ce lieu terrifiant ne pouvait désormais que rouvrir les blessures de son passé et elle était indubitablement sous l’emprise de souvenirs douloureux. Son visage était devenu si crispé qu’il avait perdu toute douceur… Alors qu’il s’apprêtait à lui laisser quelques instants supplémentaires pour se reprendre, il constata que ses lèvres s’étaient figées. Elle ne récitait plus de paroles réconfortantes évoquant les étoiles. Elle avait besoin d’aide… Il toucha immédiatement son bras avec douceur mais elle ne réagit pas.
— Reprenez-vous ! dit-il sur un ton autoritaire en secouant vigoureusement son épaule.
La Botaniste sursauta légèrement et reprit ses esprits. Quand elle croisa le regard du Lancier, ses yeux froids reflétaient les infinies souffrances de son passé.
— Concentrez-vous, reprit-il : le plus dur est hélas à venir… et vous allez avoir besoin de toutes vos forces.
Il la regarder écouter ses paroles, s’en imprégner. Elle inspira profondément puis acquiesça en déglutissant.
Le Borgne et le Vétéran avaient à leur tour rampé discrètement pour tenter de discerner de leurs propres yeux les traces de l’Ennemi. Leurs coudes et le poids de leur corps avaient fait crisser la neige vers le haut de la congère : sans toutefois se mettre à découvert, ils regardaient avec inquiétude de sombres formes de plus en plus nombreuses sortir de la montagne et se masser dans les étendues brillantes du nord.
Le Montagnard n’avait pas bougé. Il était resté en contrebas à proximité des deux Elfes.
— Et maintenant ? articula-t-il rapidement. Notre temps est compté : que faisons-nous ?
Il s’était adressé directement au Lancier. Malgré l’animosité affichée dont il avait pu faire preuve précédemment, il était conscient qu’un seul d’entre eux était désormais en capacité de prendre la bonne décision. Ses quatre compagnons le regardaient maintenant, attendant sa réponse.
L’Elfe réfléchissait aux différentes options possibles. Il regarda avec insistance la Botaniste, puis les trois autres voyageurs avec qui il avait traversé ces steppes désolées. La peur ne les avait finalement pas tétanisés comme elle aurait pu le faire avec bien des représentants des Peuples Libres qu’il avait connus. Peu importait la difficulté de l’épreuve : aucun d’eux n’avait succombé à la panique et ils avaient tous repris le contrôle d’eux-mêmes. Ils ne tremblaient pas et leurs visages étaient désormais graves. Ils étaient conscients, attentifs. Ils étaient prêts.
Le Lancier repensa aux décisions des Sages, à leurs doutes, à leurs craintes et à leurs interrogations. Il repensa aux choix qu’ils avaient eux-mêmes effectués par la suite… Il n’arrivait pas à occulter de ses pensées l’absurdité de leur situation actuelle : deux Elfes, deux Hommes et un Nain… à presque trente lieues de la première trace de civilisation… et à portée de vue de ce qui ressemblait à une armée d’Orques, d’Hommes mauvais et de créatures peut-être bien pires encore…
Comment avaient-ils pu en arriver là ?
(Pour la mise en page sur un traitement de texte, j’avais inséré les portraits des personnages les uns au-dessous des autres dans la marge extérieure de la première page : ils étaient donc tous orientés vers le texte et listés selon leur ordre de mention dans le texte… Le rendu ici n’est pas du tout le même mais j’avais quand même envie de partager ces portraits avec le texte ! )
* Référence IRL : Marc-Aurèle.
J’ai toujours beaucoup écrit autour de l’activité du jeu de rôle. Tous ces textes ne sont en revanche pas rédigés pour être abordés comme on pourrait lire une nouvelle, un essai ou une critique : il s’agit de compte-rendus de séances, d’histoires de personnages (donc très isolés), de systèmes de règles de jeu, de documents utilisés dans les scénarios, etc. Tout cela ne présente par conséquent pas d’intérêt en dehors du cercle restreint des joueurs. Noircir autant de pages pendant toutes ces décennies de jeu est un peu frustrant puisqu’elles ne peuvent finalement être lues que par une poignée de personnes.
Pourtant, beaucoup de ces aventures vécues autour d’une table ont vraiment permis de « construire des histoires ». J’ai toujours imaginé que certaines d’entre elles pouvaient être suffisamment indépendantes pour qu’il soit envisageable de les raconter en dehors du groupe de joueurs. Le type de scénario que j’apprécie en jeu de rôle s’articule toujours autour d’histoires assez longues et, même en simplifiant un maximum de détails ou en faisant de nombreuses ellipses, les adapter à une découverte par un lecteur « extérieur au jeu » nécessite d’y consacrer un temps de réécriture important.
Mon objectif était donc que le texte suivant soit accessible par à peu près n’importe qui : c’est un challenge assez nouveau pour moi.
Modulo d’éventuelles erreurs bien involontaires (ou quelques interprétations volontaires), cette histoire se déroule dans la Terre du Milieu : si les mentions intéressantes viennent évidemment de J.R.R. Tolkien, je les ai hélas encombrées de beaucoup d’ajouts sortis de mon imagination.
Le premier confinement mis en place pour lutter contre la pandémie de Covid-19 commençait il y a un an jour pour jour et je voulais préciser dans cette courte introduction que cette date était une deadline symbolique pour poster un premier texte. La rédaction n’est actuellement pas terminée mais la suite de l’histoire s’étalera doucement sur le temps qu’il faudra.
Certains ici connaissent ma passion pour les making-of : je vais m’arrêter là pour l’instant mais je reviendrai sans doute en détails sur certains points à la fin du récit.
* * *
Première partie : Girithron
Un ennemi responsable de tant de maux,
Ne pouvant être vaincu avec des armes ;
Il n’épargnait ni les cités ni les hameaux
Et, sous nos yeux, il a fauché tellement d’âmes.
Ne pouvant être vaincu avec des armes ;
Il n’épargnait ni les cités ni les hameaux
Et, sous nos yeux, il a fauché tellement d’âmes.
Prologue : Achas
Il faut de la sérénité pour accepter les choses qu’on ne peut pas changer, du courage pour changer les choses qu’on peut changer, et de la sagesse pour distinguer l’un de l’autre.*
Propos attribués à Luinelin, Elfe originaire du Lindon
D’un même mouvement, les cinq membres de la Compagnie se plaquèrent contre la congère : ils avaient tous ressenti la même et intense terreur. Une brume invisible semblait contourner les défenses de leur volonté pour envahir leur esprit. Cette impression était irrationnelle : si les mouvements qu’ils avaient eu le temps de voir avant de se mettre à couvert étaient particulièrement inquiétants, ils ne pouvaient être responsables de ces réactions incontrôlables.
Malgré la peur, le Borgne se tourna vers son plus proche compagnon et réussit à articuler faiblement :
— Que… signifie… ce…
La voix était de plus en plus faible : sa gorge était trop sèche pour continuer la phrase mais les trois mots prononcés étaient suffisants pour faire naître l’interrogation que chacun avait en tête. Le Lancier fronça les sourcils en repensant aux paroles prononcées pendant le Conseil. Malgré l’incompréhensible tension omniprésente, il réussit à répondre doucement :
— Les Sages n’avaient qu’envisagé le pire…
Si l’Elfe était également nerveux, il semblait néanmoins moins affecté que ses compagnons de route. Il les regarda rapidement pour vérifier comment ils supportaient cette étrange situation.
Le Vétéran était le plus proche de lui, situé immédiatement à sa gauche : il n’était peut-être pas plus à l’aise que les autres mais il lui fit un infime signe de tête pour lui signifier qu’il tenait le coup. À sa droite, le Borgne se concentrait. Il avait finalement été le premier à parler et le Lancier sut qu’il résisterait. Quelques pieds en contrebas, la Botaniste avait les yeux fermés et le visage crispé ; elle articulait silencieusement ce qu’il identifia comme un poème dédié à Elbereth, des vers que les Elfes appréciaient pour se concentrer. Son tour s’acheva sur le Montagnard, le membre du groupe qui était resté le plus immobile… Pendant un court instant, le Lancier ne sut comment interpréter ce comportement : le Nain tenait fermement sa hache et son imposante barbe masquait suffisamment ses traits pour empêcher l’interprétation d’émotions. Son regard croisa cependant celui de l’Elfe et il était aussi noir et perçant qu’auparavant. Le Lancier acquiesça devant cette information rassurante : le Nain était au moins à l’aise avec le climat qui les environnait et il n’était manifestement pas du genre à perdre pied devant le danger ou l’imprévu… quelle que puisse être sa nature.
Le Lancier décida d’accorder à ses compagnons un court moment de tranquillité : il se retourna et joua des coudes pour grimper en quelques mouvements jusqu’au niveau de la corniche de neige inclinée. Il tenta un coup d’œil discret par-dessus l’escarpement derrière lequel leur petit groupe s’était abrité. La neige avait cessé de tomber et seules des bourrasques irrégulières faisaient virevolter quelques flocons épars. Le ciel était sans nuage et le panorama immaculé était sublimé par les lumières du ciel. Les magnifiques rubans d’émeraude qui dansaient parmi les étoiles nimbaient l’environnement de teintes étonnantes et il oublia pendant un court instant le lieu de terreur où ils se trouvaient actuellement. Mais la triste réalité s’imposa à nouveau : un vent froid sifflait d’est en ouest sur les étendues glacées qui s’étendaient encore devant eux, faisant glisser de longs panaches horizontaux de neige pulvérulente, mobile comme de la poussière. Les terres désertes, blanches et accidentées que le groupe avait traversées pendant plusieurs jours laissaient finalement la place à la roche des montagnes. La dénivellation s’accentuait encore sur une centaine de mètres avant d’accueillir les premiers signes d’architecture : une barbacane de couleur brique serpentait le long de plusieurs terrasses naturelles avant de s’effacer dans les brumes pour atteindre une forteresse dont seule l’inquiétante silhouette pouvait se deviner.
Le Lancier aurait aimé identifier quelque chose qu’il aurait pu considérer comme responsable de la soudaine peur qu’avaient ressentie les membres de la Compagnie mais, malgré sa vue perçante, il ne trouva pas d’explication concluante. Des êtres difformes se regroupaient devant une ouverture difficilement remarquable à cette distance. L’Elfe connaissait hélas fort bien ces séides de l’Ennemi faits de chair et de sang… Des Orques. Leur engeance n’avait pourtant pas approché les avant-postes civilisés depuis plusieurs générations d’Hommes. Tout ce temps leur avait-il permis de se multiplier ? Une armée se cachait-elle dans les galeries souterraines de la citadelle ?
Devant ce qui se passait en ce moment même, le Lancier estimait pour l’instant les réponses à ses questions comme très secondaires. Étant donné ce que les Compagnons venaient de ressentir, la première conclusion qui lui vint à l’esprit n’était pas rassurante : ces créatures se regroupaient peut-être autour d’entités bien plus dangereuses.
Le danger était proche… mais pas encore imminent. Le Lancier se laissa glisser pour rejoindre ses compagnons : ils avaient eu quelques instants pour se reprendre et se concentrer. Il les regarda de nouveau afin de juger de leur état : les options qui s’ouvriraient à eux en dépendraient.
Les Hommes et le Nain avaient l’air d’avoir suffisamment repris le contrôle d’eux-mêmes. Seule la Botaniste n’avait toujours pas rouvert les yeux et semblait coupée de son environnement. Elle s’était enfermée dans les tirades réconfortantes qu’elle récitait du bout des lèvres sans laisser sortir le moindre son. Le Lancier s’en voulut : si toute leur expédition n’était que la conséquence d’une décision du Conseil, la Botaniste ne les avait suivis qu’après sa demande. S’il estimait toujours qu’elle avait été la plus indiquée pour mener ce périple, elle n’avait malgré tout pas pris ce rôle de gaieté de cœur… Le choix qu’ils avaient fait par la suite de continuer jusqu’à ce lieu terrifiant ne pouvait désormais que rouvrir les blessures de son passé et elle était indubitablement sous l’emprise de souvenirs douloureux. Son visage était devenu si crispé qu’il avait perdu toute douceur… Alors qu’il s’apprêtait à lui laisser quelques instants supplémentaires pour se reprendre, il constata que ses lèvres s’étaient figées. Elle ne récitait plus de paroles réconfortantes évoquant les étoiles. Elle avait besoin d’aide… Il toucha immédiatement son bras avec douceur mais elle ne réagit pas.
— Reprenez-vous ! dit-il sur un ton autoritaire en secouant vigoureusement son épaule.
La Botaniste sursauta légèrement et reprit ses esprits. Quand elle croisa le regard du Lancier, ses yeux froids reflétaient les infinies souffrances de son passé.
— Concentrez-vous, reprit-il : le plus dur est hélas à venir… et vous allez avoir besoin de toutes vos forces.
Il la regarder écouter ses paroles, s’en imprégner. Elle inspira profondément puis acquiesça en déglutissant.
Le Borgne et le Vétéran avaient à leur tour rampé discrètement pour tenter de discerner de leurs propres yeux les traces de l’Ennemi. Leurs coudes et le poids de leur corps avaient fait crisser la neige vers le haut de la congère : sans toutefois se mettre à découvert, ils regardaient avec inquiétude de sombres formes de plus en plus nombreuses sortir de la montagne et se masser dans les étendues brillantes du nord.
Le Montagnard n’avait pas bougé. Il était resté en contrebas à proximité des deux Elfes.
— Et maintenant ? articula-t-il rapidement. Notre temps est compté : que faisons-nous ?
Il s’était adressé directement au Lancier. Malgré l’animosité affichée dont il avait pu faire preuve précédemment, il était conscient qu’un seul d’entre eux était désormais en capacité de prendre la bonne décision. Ses quatre compagnons le regardaient maintenant, attendant sa réponse.
L’Elfe réfléchissait aux différentes options possibles. Il regarda avec insistance la Botaniste, puis les trois autres voyageurs avec qui il avait traversé ces steppes désolées. La peur ne les avait finalement pas tétanisés comme elle aurait pu le faire avec bien des représentants des Peuples Libres qu’il avait connus. Peu importait la difficulté de l’épreuve : aucun d’eux n’avait succombé à la panique et ils avaient tous repris le contrôle d’eux-mêmes. Ils ne tremblaient pas et leurs visages étaient désormais graves. Ils étaient conscients, attentifs. Ils étaient prêts.
Le Lancier repensa aux décisions des Sages, à leurs doutes, à leurs craintes et à leurs interrogations. Il repensa aux choix qu’ils avaient eux-mêmes effectués par la suite… Il n’arrivait pas à occulter de ses pensées l’absurdité de leur situation actuelle : deux Elfes, deux Hommes et un Nain… à presque trente lieues de la première trace de civilisation… et à portée de vue de ce qui ressemblait à une armée d’Orques, d’Hommes mauvais et de créatures peut-être bien pires encore…
Comment avaient-ils pu en arriver là ?
(Pour la mise en page sur un traitement de texte, j’avais inséré les portraits des personnages les uns au-dessous des autres dans la marge extérieure de la première page : ils étaient donc tous orientés vers le texte et listés selon leur ordre de mention dans le texte… Le rendu ici n’est pas du tout le même mais j’avais quand même envie de partager ces portraits avec le texte ! )
* Référence IRL : Marc-Aurèle.